La politique étrangère et environnementale de Barack Obama: changer pour que rien ne change?
Par Daniel Tanuro et Allen Ruff le Dimanche, 16 Novembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

La victoire sans appel de Barack Obama à l’élection présidentielle, plaçant un Afro-Américain à la plus haute fonction d’un État construit autour de l’esclavage, est un événement marquant. Mais les désillusions risquent d'être à la hauteur des espérances. Obama a financé sa campagne grâce aux dons colossaux des entreprises, ce qui lui a permis de dépenser près de 650 millions de dollars – un record historique. Pour lever ces fonds, il a renoncé au système de financement public établi pour contrebalancer l’influence des détenteurs du capital en politique. Dans ce dossier, nous abordons deux questions essentielles de la politique étatsunienne, celle en rapport au changement climatique et la politique étrangère de Washington, notamment vis à vis des guerres en Irak et en Afghanistan, mais aussi par rapport à l'Amérique latine et à Cuba et au Venezuela en particulier. Avec Obama à sa tête, le style de la politique impérialiste US va certainement changer – recherche d’alliés et d’accords internationaux –, mais pas le fond. Or, des dizaines de millions de personnes veulent une autre perspective, c'est là le vrai sens de leur vote. La seule et véritable question est donc de savoir si elles peuvent s’organiser et lutter afin d'imposer une autre voie.

Un vrai tournant, de nouveaux dangers: le plan énergie climat de Barack Obama

Par Daniel Tanuro

Le domaine énergie-climat est de ceux où la politique de Barack Obama pourrait se distinguer le plus radicalement de celle de George W. Bush. Sous la houlette du nouveau Président, en effet, les Etats-Unis devraient adopter rapidement un plan de réduction obligatoire des émissions de gaz à effet de serre, investir massivement dans les énergies renouvelables et jouer un rôle actif dans la négociation d’un nouveau traité international pour prendre le relais de Kyoto, en 2013. Le tournant est indéniable. Il convient de l’acter mais aussi d’en mesurer les limites... et les dangers.

Depuis qu’elle a claqué la porte du Protocole de Kyoto, l’administration Bush refuse tout échéancier de réduction obligatoire des émissions de gaz à effet de serre. En contrepoint, elle plaide pour des engagements volontaires des entreprises et une politique de soutien à l’innovation technologique. Le moins qu’on puisse dire est que cette orientation n’a pas produit les effets escomptés : de 1993 à 2005, les émissions de CO2 du secteur énergétique étatsunien ont augmenté de plus de 15%. Obama renverse la vapeur en promettant une loi dont l’objectif serait de réduire les émissions de 80% en 2050, par rapport à 1990. Pour ce faire, son programme prévoit un système d’échange plafonné de droits d’émission (« cap-and-trade »), un taux annuel de réduction obligatoire, la mise en oeuvre accélérée de technologies « propres », un investissement massif dans la recherche-développement et une série de mesures en faveur de l’efficience énergétique, notamment.

Objectif: restaurer le leadership des USA

Il convient de noter que le point de départ d’Obama n’est pas le sauvetage du climat mais la sauvegarde du leadership mondial des Etats-Unis, en particulier dans le domaine stratégique de l’énergie. « Le plan de Barack Obama pour faire de l’Amérique un leader énergétique mondial » : tel est le titre chapitre énergie-climat dans le programme du nouveau Président [1]. Obama reproche à Bush d’avoir accru la dépendance des USA par rapport au pétrole, donc par rapport aux pays producteurs et à leur régimes hostiles, et d’avoir investi l’armée US massivement en Irak plutôt qu’en Afghanistan. La politique de Bush, selon lui, a fourvoyé les USA dans une impasse où ils se sont affaiblis face à l’Union Européenne et à la Chine, tout en perdant le contrôle absolu sur leur arrière-cour en Amérique latine. Obama incarne ainsi le projet d’une réorientation géostratégique globale visant à rétablir l’hégémonie de l’empire dans un contexte de concurrence aiguisée entre puissances impérialistes et nouvelles puissances capitalistes montantes. Son programme énergie-climat doit être analysé dans ce cadre.

Ce lien entre climat et géostratégie apparaît clairement dans la manière dont Obama se positionne à l’égard des grands pays émergents. Pour rappel, le refus d’un contingentement obligatoire des émissions n’était pas le seul motif d’opposition de Bush au Protocole de Kyoto. Une deuxième raison était que le Protocole n’impose aucune limitation des émissions au club des cinq -Chine, Inde, Brésil, Mexique, Afrique du Sud. Sur ce point, le sénateur de l’Illinois est stratégiquement d’accord avec son prédécesseur, mais s’en démarque sur la tactique à suivre : selon lui, en refusant tout contingentement domestique, Bush aurait fait le jeu de l’Inde et de la Chine, sans compter que l’UE a profité du retrait US pour s’installer comme leader climatique (et prendre de l’avance sur le marché des renouvelables). A cet égard, il est significatif qu’Obama n’envisage pas de suivre l’exemple de l’Australie, qui a ratifié Kyoto à Bali, en décembre 2007 : son projet n’est pas de rentrer dans le rang mais de prendre les rênes de la négociation d’un nouvel accord climatique après-Kyoto, afin que cet accord corresponde aux intérêts du capitalisme américain.

Prendre les rênes, mais comment ? Vu le discrédit climatique des USA, évident lors de la Conférence de Bali, le tournant doit être radical et spectaculaire. C’est une condition de succès. Le temps presse : les événements vont s’enchaîner très rapidement jusqu’à la conférence de Copenhague, en décembre 2009. Il est donc indispensable que Washington commence par adopter unilatéralement son propre plan de lutte contre le réchauffement, et il faut que ce plan soit contraignant et ambitieux. C’est le prix à payer pour aborder les deux étapes suivantes : 1°) reprendre la main à l’Europe et 2°) former un front avec l’UE pour imposer aux pays émergents un deal favorable aux multinationales du Nord. L’UE rechignera mais elle ne peut que s’inscrire dans cette perspective : elle aussi veut imposer des contraintes aux grands pays émergents, mais ne peut le faire sans Washington.

Réduction d’émission: la montagne des 80% accouche d’une souris

Voyons maintenant le contenu du plan proprement dit. Selon le quatrième rapport du GIEC, les pays développés, pris globalement, doivent réduire leurs émissions de 80 à 95% d’ici 2050 (par rapport à 1990) [2]. Cet effort herculéen est nécessaire pour ne pas trop dépasser 2°C de hausse par rapport à la période pré-industrielle, tout en respectant le principe des « responsabilités communes mais différenciées » entre pays du Nord et du Sud. A première vue, l’objectif d’Obama est tout juste en conformité avec cette recommandation des scientifiques. A ceci près que, un Américain moyen consommant annuellement à peu près deux fois plus de combustibles fossiles qu’un Européen – pour un niveau de vie à peine supérieur – il faudrait que les autres pays du Nord acceptent de faire un effort de réduction proportionnellement plus important que celui des Etats-Unis pour que le monde développé dans son ensemble atteigne l’objectif minimum fixé par le GIEC [3]. On peut donc s’attendre à quelques jolies empoignades intercapitalistes. Elles donneront de précieuses indications sur les rapports de forces.

Une autre remarque, beaucoup plus importante, concerne les étapes intermédiaires. Selon le GIEC, il est hors de question que les pays riches attendent 2030 ou 2040 pour commencer à diminuer leurs émissions : il doivent s’y mettre tout de suite et atteindre un premier palier de 25 à 40% de réduction en 2020, par rapport à 1990. Or, le programme énergie-climat d’Obama est loin de satisfaire à cette condition : d’ici 2020, il a seulement pour but de ramener les émissions étatsuniennes à leur niveau de 1990. Pour prendre la mesure de l’affaire, on rappellera que les Etats-Unis, s’ils avaient ratifié le Protocole Peanuts de Kyoto, auraient dû ramener leurs émissions 5% sous le niveau de 1990... entre 2008 et 2012. Obama, ici ne prend guère de risques : quand bien même il occuperait la Maison-Blanche durant deux mandats, le gros du boulot serait pour ses successeurs, après 2020. Demain, on rase gratis...

Pour piloter la transition vers 2050, le nouveau Président opte pour un système d’échange de droits d’émission, à l’instar de celui qui fonctionne en Europe depuis 2005. Son programme va même plus loin que le « paquet énergie-climat » de la Commission européenne pour 2012-2020 : il prévoit la vente aux enchères de tous les droits. Une partie des rentrées de cette vente servirait à financer le développement et le déploiement des énergies propres, à investir dans l’efficience énergétique et à faire face aux coûts de la transition. Des coûts qui incluent notamment l’assistance aux bas revenus confrontés à la hausse du prix de l’énergie (différents mécanismes sont prévus, tels que le renforcement du système de primes à l’isolation des maisons et la création d’un fonds spécial pour que les plus pauvres puissent payer leurs factures d’électricité et d’énergie).

Dans le contexte de la récession économique, il est douteux qu’Obama tienne cette promesse de mise aux enchères intégrale des droits. L’expérience européenne est instructive à cet égard. On se souvient que la Commission, en 2005, commença par distribuer les droits gratuitement et par en distribuer trop, ce qui permit aux électriciens, entre autres, d’empocher d’énormes surprofits (voire de reporter sur les factures aux consommateurs le prix de marché des droits reçus gratuitement !). Dans le cadre du « paquet énergie climat « , Bruxelles, en janvier dernier, proposait une vente aux enchères intégrale dans le secteur de la production électrique et le maintien d’une distribution gratuite (ou partiellement gratuite) dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale (sans préciser lesquels). Depuis lors, les places boursières ont connu quelques soucis et une série d’Etats membres, criant au crime de lèse-compétitivité, menacent de torpiller le paquet énergie-climat. Que fera l’UE au moment de la décision, d’ici décembre ? Il est probable qu’elle maintiendra le cap sur les 20% de réduction des émissions en 2020. C’est une question de crédibilité, surtout maintenant que son leadership climatique est menacé par les USA. Mais on peut parier qu’elle lâchera du lest sur la vente des droits... et que le patronat US mettra Obama sous une très forte pression pour qu’il fasse de même [4]. Dans ce cas, il manquera d’argent pour appliquer le plan. On y reviendra en conclusion.

Les tours de passe du cap-and-trade

Pour apprécier l’effort de réduction des émissions promis par Obama, on ne peut se contenter de citer les objectifs à l’horizon 2020 et 2050 : il faut savoir dans quelle mesure ces objectifs seront atteints par des mesures structurelles sur le territoire des Etats-Unis. Pour comprendre ce point, il faut rappeler que le Protocole de Kyoto (1997) permet de remplacer des réductions d’émissions au Nord par des investissements « propres » au Sud, d’une part, et de remplacer des réductions d’émissions par des plantations d’arbres - autrement dit par des absorptions de carbone atmosphérique - d’autre part. Ces deux dispositifs sont extrêmement critiquables. Baptisé pompeusement « Mécanisme de Développement Propre » (MDP) [5], le premier a été étudié en détails par des chercheurs de la Stanford University qui ont montré que plus de 50% des crédits de carbone échangés dans le cadre du MDP ne correspondent à aucune réduction réelle des émissions ! Quant au second dispositif, il est contesté pour son imprécision (la quantité de carbone absorbée par les arbres varie en fonction de nombreux paramètres, et le réchauffement risque de transformer les puits de carbone en sources) ainsi que pour son caractère non structurel (quand les arbres sont récoltés et que le bois est brûlé, le carbone retourne dans l’atmosphère), notamment.

MDP et puits de carbone sont de pseudo-solutions. Cependant, au plus les gouvernements et le monde des affaires sont obligés d’admettre la réalité et le danger du réchauffement, au plus ils s’orientent vers ces pseudo- solutions, et au plus ils font pression pour pouvoir y recourir sans entraves. Barack Obama ne dit pas quelle proportion de l’effort américain de réduction serait remplacée par des achats compensatoires de crédits. Son programme se contente d’affirmer que « les émetteurs US soumis à des obligations dans le cadre de l’échange de droits seront autorisés à compenser certaines de leurs émissions en investissant dans des projets énergétiques à bas carbone dans le monde en développement ». S’agissant des puits de carbone, il évoque le développement d’incitants récompensant les propriétaires forestiers, les fermiers et les propriétaires de ranchs qui plantent des arbres, restaurent des prairies ou adoptent des pratiques culturales permettant de capturer le dioxyde de carbone atmosphérique. Aucune estimation chiffrée n’est fournie.

Dingell-Boucher: pas de réduction « domestique » avant 2029!

On peut cependant approcher les possibles concrétisations de ces principes en examinant un projet présenté tout récemment au Congrès étasunien par John Dingell et Rick Boucher [6]. Dingell et Boucher, deux amis démocrates de Barack Obama (le premier est du Michigan, comme lui) sont respectivement président du comité sur l’énergie et le commerce de la Chambre des représentants, et président du sous-comité sur l’énergie et la qualité de l’air. Nombreux sont les observateurs estimant que leur texte a beaucoup de chances de servir de base à la future loi sur le sauvetage du climat. Or, que dit-il, ce texte ? Que les entreprises pourront remplir une partie de leurs engagements en achetant des crédits de carbone générés par des projets domestiques ou internationaux, et que leur quota de crédits augmentera au fur et à mesure que le plafond des émissions autorisées diminuera : de 5% de l’obligation de réduction durant les cinq première années, le quota montera progressivement jusqu’à 35% en 2024 et au-delà.

Que voilà un système ingénieux : au plus les contraintes climatiques augmentent, au plus on ouvre aux entreprises la possibilité de se soustraire à l’obligation de réduire les émissions. Il suffisait d’y penser. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : si on met la progression des quotas de crédits de carbone en rapport avec la progression prévue des réductions globales d’émission dans la proposition Dingell-Boucher, (6% en 2020, 44% en 2030 et 80% en 2050, par rapport à 2005), que constate-t-on ? Qu’une entreprise qui profiterait au maximum de la possibilité d’acheter des crédits pourrait reporter jusqu’en... 2029 l’obligation de ramener ses propres émissions au-dessous de leur niveau de 2005 [7]. Il est évident que beaucoup d’entreprises choisiront cette solution, pour la simple raison que les crédits de carbone provenant du MDP ou des puits forestiers coûtent beaucoup moins cher que les investissements à réaliser pour diminuer les rejets de CO2. Et puis, d’ici 2029, beaucoup d’eau coulera sous les ponts du Potomac. Si Obama s’inspire effectivement du projet de loi de ses camarades, les patrons US n’auront pas vraiment le couteau climatique sur la gorge.

Vive le charbon... «propre»?

Voyons maintenant les technologies « propres » que Barack Obama se propose de déployer. Le nouveau Président a quatre priorités : le « charbon propre », les agrocarburants, le nucléaire et la « voiture propre ». Cette énumération devrait suffire à vacciner contre l’obamania tous ceux qui ont un minimum de conscience sociale et écologique. Ce n’est malheureusement pas le cas : à l’instar de la social-démocratie, les partis verts européens dansent en jetant des pétales de rose sur le chemin triomphal qui mène Obama à la Maison Blanche. On fera donc quelques commentaires, en se centrant sur le charbon propre et les agrocarburants.

Fondamentalement, le «charbon propre» n’existe pas, ni pour les mineurs, ni pour les populations autour des mines, ni pour l’environnement en général. L’expression réfère à la technique dite de capture et de séquestration du carbone (CSC). Elle consiste à extraire le CO2 des fumées à la sortie d’installations industrielles grosses émettrices (centrales électriques, cimenteries, usines sidérurgiques) et à le mettre dans un état intermédiaire entre l’état solide et l’état gazeux (« état supercritique ») avant de l’injecter à grande profondeur dans des couches géologiques imperméables. Ce mode de stockage du CO2 est déjà pratiqué à une échelle industrielle en Mer du Nord, par l’entreprise norvégienne Statoil [8], mais c’est une exception. La CSC semble encore loin d’être opérationnelle.

On peut discuter du système lui-même. Il va de soi que la CSC ne constitue pas une réponse structurelle au changement climatique : même énorme, la capacité de stockage géologique est forcément finie, et le risque de fuite du CO2 ne peut être écarté. Cependant, selon nous, on pourrait éventuellement avoir recours à la CSC (comme à d’autres mesures non structurelles d’ailleurs) dans le cadre d’un plan de transition vers une économie sans combustibles fossiles. Pour peu qu’elle donne les garanties indispensables en termes d’étanchéité des réservoirs et d’impact écologique, la CSC pourrait aider à contrer la menace d’une nouvelle vague de construction de centrales nucléaires, tout en permettant de planifier la reconversion avec maintien des acquis sociaux des millions de travailleurs dont l’existence dépend de l’extraction de la houille.

C’est un débat, et l’opinion défendue ici est contestée par d’autres environnementalistes. Mais ce n’est pas de ce débat qu’il s’agit avec Barack Obama. Ce que le Président élu envisage, en effet, n’est pas une transition mais une nouvelle ère charbonnière. « Le charbon est notre source d’énergie la plus abondante et c’est une composante décisive du développement économique de l’Inde, de la Chine et d’autres économies en croissance », écrit-il dans son programme. La suite du texte est explicite : « Obama pense que la lutte impérative contre le changement climatique exige que nous évitions une nouvelle vague de construction de centrales au charbon conventionnelles aux USA et que nous oeuvrions de façon agressive à transférer les technologies charbonnières à bas carbone dans le monde entier ». Il s’agit donc bien de nouvelles mines et de nouvelles centrales électriques au charbon (30 ans de fonctionnement minimum), aux Etats-Unis et dans le monde entier!

On retrouve ici la remarque fait au début de cet article. L’objectif d’Obama n’est pas avant tout climatique mais géostratégique : il veut réduire la dépendance par rapport au pétrole importé et faire des Etats-Unis le leader énergétique mondial, afin de restaurer l’hégémonie de l’empire. Concernant le charbon, le calcul est habile. Premièrement, les réserves prouvées de houille correspondent à trois cents ans de consommation au rythme actuel, la plus grande partie de ces réserves est située aux USA et le charbon est un produit d’exportation majeur de l’économie américaine (probablement 45% d’augmentation en 2008) [9]. Deuxièmement, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud disposent également de gisements très importants qu’elles craignent de ne pas pouvoir continuer à utiliser librement - pour la simple raison que le charbon, pour un même rendement énergétique, produit deux fois plus de CO2 que le gaz naturel. En leur vendant la technologie CSC, les USA pourraient résoudre ce problème et gagner des alliés dans la négociation climatique. Troisièmement, le « charbon propre » ouvrirait au capital étatsunien un vaste champ d’investissements à l’étranger. Outre que ces exportations de capitaux contribueraient à une mainmise impérialiste accrue, elles permettraient en plus de générer les précieux crédits de carbone bon marché dont les entreprises US auront besoin pour continuer à polluer jusqu’en 2029 et au-delà.

Vive les agrocarburants... écologiques?

Mutatis mutandis, le calcul d’Obama sur le charbon est dans la continuité de la création par George W. Bush de l’Alliance Asie Pacifique pour le climat regroupant les USA, l’Australie, l’Inde et la Chine, notamment. Une continuité analogue apparaît dans le domaine des agrocarburants. En tant que sénateur de l’Illinois - le troisième Etat américain producteur d’éthanol de maïs - Obama s’est engagé très loin dans le soutien à cette filière industrielle néfaste, qui a connu un boom grâce aux incitants généreusement offerts par l’administration. Lorsque G.W. Bush a annoncé sa décision de porter de 5 à 36 milliards de gallons la quantité d’éthanol adjointe obligatoirement à l’essence en 2022, la planète a retenti de protestations au nom de la lutte contre la faim, de la stabilité des prix des produits alimentaires et de l’écologie. Rien de tel face à Obama. Le nouveau Président promet pourtant de faire encore plus fort que l’ancien : son programme prévoit de porter le quota d’éthanol dans l’essence à 60 milliards de gallons en 2030 - presque le double [10]. « L’éthanol de maïs est le plus plus grand succès en matière de combustible alternatif disponible dans le commerce », dit-il. Et d’enchaîner, non sans une certaine démagogie : « Nous devrions combattre les efforts des grandes compagnies pétrolières et de l’agrobusiness visant à miner cette industrie naissante ».

Face aux «préoccupations réelles» soulevées par la conversion de jachères en cultures de maïs énergétique (emploi de pesticides, pompage des ressources en eau, hausse des prix alimentaires), Obama se fait fort de développer les agrocarburants de seconde génération, autrement dit la production d’éthanol à partir de cellulose - et non à partir de sucre. La technologie nécessaire à cette production est quasiment mâture et des machines géantes ont été mises au point pour « moissonner » les jeunes arbres à croissance rapide qui fourniraient la matière première. Alleluia ? Non. En soi, les agrocarburants de seconde génération ne permettent pas d’éliminer le conflit entre les filières alimentaires et énergétiques de l’agriculture. Pour cela, il faudrait interdire que des terres agricoles soient affectées à la plantation d’arbres à croissance rapide, et maintenir cette interdiction même si l’éthanol cellulosique rapporte dix fois plus que les cultures alimentaires. A supposer que le marché admette de telles entraves à la chasse au profit, il reste que la conversion de jachères et de terres dégradées en taillis industriels pour la production d’éthanol cellulosique promet d’avoir un impact écologique très lourd, notamment en termes de biodiversité (monocultures avec usage de pesticides).

Qui va payer?

A travers sa campagne et son plan énergie-climat, Barack Obama fait miroiter l’idée que la lutte pour le leadership mondial et pour l’indépendance énergétique des Etats-Unis créera des emplois. Selon lui, l’investissement en dix ans de 150 milliards de dollars de fonds publics dans le développement et le déploiement des énergies propres ainsi que dans l’amélioration de l’efficience énergétique (objectif : + 50% en 2030) permettrait de créer 5 millions d’emplois. Des emplois pour les travailleurs américains qui sont « les meilleurs du monde ». Des emplois qui « ne partiront pas dans d’autres pays ». Des emplois dans la construction en Amérique de voitures propres américaines roulant avec du pétrole et de l’éthanol américains, dont la vente sera boostée par des crédits d’impôts aux contribuables américains. Les accents protectionnistes, populaires, voire populistes, sont très présents dans ce discours. Obama a ainsi promis de taxer les surprofits que les compagnies pétrolières ont empoché en bénéficiant des effets d’aubaine (windfall profits), et de distribuer la somme collectée afin que chaque famille reçoive 1000 dollars pour payer ses factures énergétiques...

Petit problème: ce programme a été conçu avant le maelström boursier. D’où viendront les 150 milliards de dollars de subsides aux énergies propres, sachant que 700 milliards de dollars ont été engloutis dans le sauvetage de Wall Street et que les rentrées fiscales diminuent avec la récession ? D’où viendra l’argent pour augmenter les primes à l’isolation des maisons des personnes à bas revenus ? Obama veut que 10% de l’électricité consommée en 2012 aux Etats-Unis provienne de sources renouvelables... plus chères, le surcoût sera reporté sur les factures aux usagers. Qui alimentera le fonds spécial destiné à limiter la hausse des factures d’électricité pour les plus défavorisés, si les patrons refusent la vente aux enchères des droits d’émission ? Et comment les travailleurs américains réagiront-ils si les ambitieux objectifs en matière d’agrocarburants provoquent une flambée des prix des produits alimentaires de base ? L’équipe Obama compte-t-elle contourner ces difficultés en creusant encore plus l’énorme déficit du budget américain ? Ne serait-ce pas créer une nouvelle dépendance par rapport à des régimes hostiles?

Il est trop tôt pour répondre en détail à chacune de ces questions. Mais le précédent européen permet de dégager une grande leçon : la politique énergétique et climatique capitaliste, avec ses primes et ses incitants, son marché des droits et des crédits, ses feed-in tariffs, ses certificats verts et ses taxes, est au centre de l’offensive d’ensemble contre le monde du travail et contre les pauvres. Au plus les gouvernements capitalistes seront convaincus de faire quelque chose pour sauver le climat, au plus leur politique climatique creusera les inégalités sociales. Au plus ils seront capables de s’unir, au plus ils tenteront d’imposer des solutions injustes aux pays pauvres, et aux pauvres dans les pays pauvres. Voilà le danger qui pointe aujourd’hui.

La victoire d’Obama marque un vrai tournant dans la politique énergétique et climatique des Etats-Unis. On ne peut que se réjouir de la défaite d’un MacCain qui - bien que ses propositions n’étaient pas si éloignées de celles de son rival - avait choisi pour colistière une négationniste climatique à peine voilée : Sarah Palin. Mais les travailleurs américains et les peuples du monde ne tarderont pas à constater que ce tournant se fera sur leur dos. Pour s’y opposer, il ne suffira pas de dire « non » : il faudra mettre en avant une autre politique climatique et énergétique, anticapitaliste et internationaliste. Une politique écosocialiste.

[1] « Barack Obama’s Plan to Make America a Global Energy Leader », consultable sur le site BarackObama.com

[2] Contribution du Groupe de travail III au rapport 2004 du GIEC, page 776

[3] 8 tep/personne/an, contre 4,5 tep environ dans l’Union Européenne.

[4] « Obama’sEnergy Plan May be Curbed But Not Halted », Reuters, 6/11/2008,

http://www.planetark.org/avantgo/dailynewsstory.cfm?newsid=50948

[5] Une erreur s’était glissée à cet endroit dans la version initiale de cet article, attribuant la paternité du Mécanisme de Développement propre à la Convention Cadre des Nations Unies (1992). Or, il a été institué par le Protocole de Kyoto (1997). La Convention, en son article 4, dit seulement que, dans leurs efforts de réduction, les Parties inscrites à l’Annexe 1 (pays développés et en transition) pourront agir individuellement ou conjointement. Cependant, cette Convention posait déjà le principe de l’équivalence entre la réduction des émissions et l’augmentation de l’absorption par les « puits ».

[6] House Committee on Energy and Commerce, 202-225-2927, « Executive summary of the discussion draft », http://energycommerce.house.gov . Lire aussi le mémorandum aux membres du Comité (7 octobre 2008)

[7] « Dingell and Boucher draft climate bill : Likely no CO2 cut until near 2030 »,

http://climateprogress.org

[8] Le projet Sleipner permet à Statoil d’injecter un million de tonnes de CO2/an depuis 1996 dans un aquifère salin confiné, situé 800 m au-dessous du fond marin.

http://www.statoil.com/statoilcom

[9] « US Coal Exports Seen as Target in Climate Fix », Reuters, 8/10/2008,

http://www.planetark.org/avantgo/dailynewsstory.cfm?newsid=50527

[10] « Us Biofuels Sector Sees Ally in Obama », Reuters, 6/11/2008,

http://planetark.org/avantgo/dailynewsstory.cfm?newsid=50947


Obama et l'empire

Par Allen Ruff

Il est au moins un domaine dans lequel Obama est resté remarquablement cohérent, à savoir celui de la politique étrangère et son soutien sans faille au projet impérial des États-Unis. Sur la question du soutien à l'empire et du rôle des États-Unis dans le monde, le candidat démocrate a à peine évolué. Alors que des secteurs de l'opinion « libérale1 [1] » et des militants anti-guerre peuvent se trouver désabusés par ses récentes déclarations, le parcours d'Obama montre que ces partisans déçus se sont surtout eux-mêmes induits en erreur.

Dans le New York Times du 14 juillet ainsi que le lendemain dans un discours clé à Washington, prononcé juste avant sa « tournée-enquête » à l'étranger incluant des étapes en Afghanistan, en Irak, en Israël/Palestine ainsi qu'en Europe, le candidat démocrate a détaillé les « cinq objectifs essentiels pour une Amérique plus sûre » qu'il poursuivrait à la Maison-Blanche. Il a parlé de mettre fin à la guerre en Irak, de continuer la « guerre contre le terrorisme » face à Al-Qaida et aux Talibans afghans, de mettre fin à la dépendance pétrolière des États-Unis, d'empêcher l'accès aux armes et ressources nucléaires pour les terroristes ainsi que les « États voyous », et de reconstruire les alliances des États-Unis.

Quelles que soient les petites inflexions apportées au discours, ces déclarations de la mi-juillet n'étaient guère plus qu'une répétition des positions mises au point il y a quelques temps et exprimées depuis le début de la campagne d'Obama, le plus souvent devant un public issu des élites dans des lieux plus privés, et complètement dans la lignée de la politique du parti démocrate. Alors qu'il reste impossible de savoir exactement ce qu'une présidence Obama ferait pour soutenir et maintenir le pouvoir impérial des États-Unis, en particulier en cas de nouvelles crises imprévues, ou de savoir dans quelle mesure il poursuivrait les abus de pouvoir obscènes de George W. Bush sous couvert de « guerre contre le terrorisme », les positions du candidat portent depuis longtemps le message clair qu'il y aura peu de changement, voire même aucun, dans la progression et l'orientation stratégiques générales de l'État impérial.

La candidature d'Obama est historique pour ce qu’elle symbolise : l'élection potentielle d'un candidat noir à la tête de la super-puissance mondiale. Cela n'a rien à voir avec une remise en cause du « droit » de cette super-puissance à dominer le monde — pour le bien de celui-ci bien entendu. La perspective globale d'Obama est fermement ancrée au cœur du consensus établi depuis longtemps dans la classe dirigeante sur les prérogatives des États-Unis à intervenir n'importe où et n'importe quand pour rendre le monde sûr pour le capital ; perspective énoncée, comme toujours, dans une rhétorique de la « liberté », de la « démocratie » et de la « stabilité ».

Ainsi, il incarne une longue tradition d'interventionnisme « libéral » dont les racines s’étendent jusqu'au début de l'impérialisme « progressiste » d'un Teddy Roosevelt ou d'un Woodrow Wilson. Étant donnés les résultats désastreux de l'aventure idéologique irakienne menée par le régime Bush et l'impasse avec l'Iran, la trajectoire dans laquelle Obama promet de s’engager a pourtant les faveurs de la majorité des élites et de la population en général parce qu'elle semble plus « réaliste » et moins « unilatérale».

«Renouveler le leadership américain»

Très tôt, le camp Obama a articulé ses principales positions en politique étrangère dans une allocution devant le CFR (Council on Foreign Relations2 [2]), conseil non-gouvernemental et bipartisan3 [3], historiquement le plus important des organes de réflexion sur la politique étrangère en dehors du Département d'État4 [4].

Disséminé dans les pages du bimestriel Foreign Affairs, la très influente revue interne de « relations internationales » du CFR, le discours d'Obama pose un cadre politique et une vision stratégique pour ses lecteurs, le gotha des professionnels de la politique étrangère. Parmi eux se trouvent non seulement des personnalités de haut rang des bureaucraties d'État chargées des relations internationales et de la sécurité nationale, mais aussi toute une clique d'experts politologues issus des think tanks et des milieux universitaires, et surtout, les principaux soutiens du CFR issus des « hautes sphères » du monde des affaires (Barack Obama, « Renewing American Leadership, » Foreign Affairs, juillet/août 2007).

Alors qu'elle s'engageait clairement à un changement de direction par rapport aux actuels échecs et aux gaffes pures et simples de Bush, l'allocution promettait très systématiquement de préserver la grande trajectoire stratégique de prédominance mondiale poursuivie par tous les présidents du 20ème siècle. Au cœur de ce discours, la vision stratégique d'Obama s’engage dans la continuité d'un combat pour reprendre et garantir l'hégémonie impériale des États-Unis, qualifiée par euphémisme de « leadership » tout au long de l'article du CFR et ailleurs, dans un monde de plus en plus hostile à la domination américaine.

D'après le candidat cette hostilité est d'abord causée par l’unilatéralisme arrogant et méprisant pour les alliés, ainsi que l'échec de la diplomatie et les aventures militaires mal contrôlées du régime Bush. Invoquant Franklin Delano Roosevelt, Truman et Kennedy comme le panthéon de l'interventionnisme « libéral », ferme mais éclairé, qui aurait brandi le « flambeau de la liberté » et la promesse de « démocratie » de la Seconde Guerre mondiale à la victoire de la Guerre froide, Obama promet le renouveau pragmatique et rationnel du rôle des États-Unis comme « leader » d'un « monde libre».

Offrant de récompenser les amis (ceux qui s'alignent sur les positions des États-Unis) et de pénaliser les ennemis (à savoir, toute opposition) et prêt à « joindre les actes à la parole » avec une armée sans égal que des dizaines de milliers de nouvelles recrues viendraient grossir, Obama assure son public du CFR de sa volonté d'« envoyer des troupes au front » où que ce soit, avec ou (s’il le faut) sans le soutien de ces « partenaires » prêts à suivre l’Amérique.

Imprégné de la rhétorique de mission mondiale américaine, Obama présente une série de positions qui doivent soulever de sérieuses questions chez ceux de ses partisans qui considèrent une véritable auto-détermination nationale ainsi que la fin de l'ingérence impériale comme les conditions préalables à une paix durable ainsi qu'à un ordre international à la fois stable et plus juste.

« Le moment américain n'est pas fini, mais il faut s'en saisir à nouveau. Parler de déclin sans appel de la puissance américaine c'est ignorer la grande promesse de l'Amérique ainsi que son rôle historique dans le monde », explique Obama. Plus tôt dans son allocution, il souligne toute une litanie de menaces et de défis pour le 21ème siècle:

« [...] Ils viennent d'armes qui peuvent tuer à une échelle massive et d’un terrorisme international qui répond à l'aliénation ou au sentiment d’injustice par un nihilisme meurtrier. Ils viennent d'États voyous alliés aux terroristes et de puissances émergentes qui pourraient bien défier à la fois l’Amérique et les fondements internationaux de la démocratie libérale. Ils viennent d'États faibles qui ne peuvent pas contrôler leurs territoires ni subvenir aux besoins de leurs populations. Ils viennent aussi d'une planète en réchauffement et qui va générer de nouvelles maladies, engendrer des catastrophes naturelles plus dévastatrices, et provoquer des conflits mortels [...] »

À aucun moment dans cette liste de menaces internationales majeures auxquelles l'Amérique est confrontée il n’est fait allusion au fait que les États-Unis eux-mêmes aient pu jouer un rôle historique, être directement impliqués voire en quelque sorte complices dans la configuration de ce monde dangereux. Et il s'agit encore moins de reconnaître que l’élan américain vers la domination du monde, y compris ses ressources énergétiques, ainsi que l’économie de guerre permanente nécessaire à ces fins, ait quoi que ce soit à voir avec la catastrophe imminente du « réchauffement de la planète »!

La rhétorique et le mythe national l'emportent sur l'histoire. Exprimé dans le discours d'après Guerre froide qui définit le « terrorisme », et les « États voyous » ou « défaillants » comme les principales sources d'instabilité et d'insécurité mondiales, l'intégralité du texte d'Obama présuppose que le rôle des États-Unis a été et demeure avant tout celui d'une force positive, le rempart de la « démocratie libérale », dans un monde hostile.

L’allusion faite sans les nommer aux « puissances émergentes » est intéressante. Les rivalités potentielles d’une Chine capitaliste en plein essor ainsi que de ses alliés asiatiques, ou encore du bloc de l’euro, de la Russie ou de l'Inde ne sont pas explicitement mentionnées mais les élites rassemblées au CFR saisissent la référence. Rien non plus dans le document sur les problèmes économiques fondamentaux à l'origine de la crise impériale des États-Unis — entre autres, la concurrence mondiale accrue, le déclin du dollar, les gigantesques déficits commerciaux et la course au contrôle des ressources vitales.

Sur l'Irak: la « fin responsable »

Dans le détail, l'allocution au CFR affirme qu'un premier pas nécessaire afin « de renouveler le leadership américain dans le monde », doit être de conduire la guerre en Irak à une « fin responsable » de façon à « recentrer l'attention sur le Moyen-Orient au sens plus large ». Le point central : pacifier la situation en Irak afin de poursuivre le projet impérial plus général qui consiste à gagner et à maintenir un contrôle stratégique sur la région et ses réserves pétrolières.

Alors qu'elle se garde bien de mentionner l'invasion et l'occupation de l'Irak comme source principale de violence dans le pays, et qu'elle se concentre sur la guerre civile entre sunnites et chiites qui semblait alors si importante (juillet 2007), l'allocution d’Obama au CFR soutient que les sunnites et les chiites irakiens règleraient probablement leurs différends sans la présence des États-Unis — analyse juste et argument évident pour le retrait.

Étonnamment Obama poursuit en suggérant que les parties ennemies pourraient être poussées à un accord par la menace d'un retrait américain imminent (comme si la majorité écrasante des Irakiens ne souhaitaient pas la fin de l'occupation américaine!)

Il parle ensuite d'un « retrait en plusieurs phases » de toutes les brigades de combat comme étant « la seule façon efficace d’exercer une [telle] pression. » (Il avait initialement proposé de débuter ces opérations en mars 2008).

En accord avec les intérêts stratégiques des États-Unis au Moyen-Orient défendus depuis des décennies, Obama exprime son opposition à un retrait total de la région : en jurant « de montrer clairement que nous ne voulons pas de bases permanentes en Irak » dit-il, « nous (sic) devrions laisser derrière nous seulement le minimum de forces militaires de surveillance à distance5 [5] dans la région afin de protéger le personnel et les infrastructures américains, de continuer de former les forces de sécurité irakiennes et d'anéantir Al-Qaida.»

A l'époque il ne précisait pas où ces forces « à distance » pouvaient être stationnées, peut-être parce qu'on serait bien en peine d'affirmer l'existence d'un endroit dans la région où des forces américaines en nombre pourraient être bien accueillies.

Les déclarations plus récentes d'Obama, qui datent de juillet 2008, semblent traiter cette épineuse question en revendiquant un « redéploiement des troupes de combat en plusieurs phases » mais en maintenant une « force résiduelle » de plus de 30.000 soldats, laissée là-bas pour poursuivre une branche d'« Al-Qaida en Mésopotamie » qui a toujours été fantomatique, tout en continuant à former les forces militaires irakiennes et en « protégeant les membres des services américains » (une présence militaire pour protéger la présence militaire !). On peut soupçonner une mise à jour de la formule par laquelle la Grande-Bretagne avait maintenu un contrôle semi-colonial sur l'Irak des années 1920 jusqu'à 1958.

Subordonnant ses actes au « progrès politique » en Irak, au jugement du commandement militaire sur le terrain et au possible « besoin de faire des ajustements tactiques », Obama déclare à présent que les brigades de combat des États-Unis actuellement en Irak pourraient se redéployer en toute sécurité dans les 16 mois qui suivraient son entrée en fonction. Cela mènerait à l'été 2010. C'est un engagement sans grande fermeté. Et sans le « progrès politique » en question, le Président Obama n'aurait « pas d'autre choix » que de poursuivre la guerre indéfiniment.

Sur l'Afghanistan: «des troupes au front»

Obama enverrait au moins deux brigades de combat, soit 10 000 soldats, en Afghanistan. Dans son allocution de 2007 au CFR, il parlait d'augmenter le nombre de « troupes au front » en Afghanistan pour « faire face [...] aux terroristes là où ils sont le plus profondément ancrés. » Comme n'importe quel autre politicien au discours musclé, il n'a pas précisé combien de soldats vont y rester, sur ce front — ni les énormes pertes que devront essuyer les civils afghans.

En promettant de poursuivre la « vraie guerre », celle contre Al-Qaida et les Talibans en août 2007 Obama a ouvertement parlé de frappes militaires contre des « cibles terroristes de haute importance » dans la province du Waziristan au Pakistan. « Si nous avons des informations qui justifient d'intervenir et que le Président Musharraf ne veut pas le faire, nous le ferons, » a-t-il proclamé. C'est peut-être l'inexpérience d'Obama qui se manifeste, puisque ce type de violation scandaleuse de la souveraineté d'une nation alliée n'est pas censée être assumée de façon explicite, encore moins affichée à l'avance.

En juillet de cette année, il a demandé l'envoi de « plus de troupes, plus d'hélicoptères, plus de satellites, [et] plus de drones Predator dans la région frontalière de l'Afghanistan ». Convaincu que « le succès en Afghanistan est encore possible, » Obama « suivr[ait] une stratégie intégrée » qui, non seulement augmenterait la force militaire des États-Unis dans le pays, mais aussi, « travaill[erait] à la levée des limites posées par certains alliés de l'OTAN à leurs engagements de forces.»

« Pour vaincre Al-Qaida », a promis le candidat, « je mettrai sur pied une armée du 21ème siècle et des alliances du 21ème siècle qui seront aussi solides que l'alliance anti-communiste qui a gagné la Guerre froide, pour rester à l'offensive partout de Djibouti à Kandahar. ». Ni Hillary Clinton, ni John McCain, ni même George W. Bush, ne pourrait affirmer plus explicitement cette ambition impérialiste débridée.

Comment tout cela est-il censé être accompli par une armée pratiquement brisée par la débâcle en Irak ? Dans son discours au CFR en juillet 2007, et à nouveau un an plus tard à Washington, Obama a réclamé un renforcement de 65 000 soldats pour l'armée de terre et de 27 000 pour l'infanterie de marine. « Je n'hésiterai pas à faire usage de la force, de façon unilatérale s'il le faut, pour protéger le peuple américain ou nos intérêts vitaux quel que soit l'endroit où nous sommes attaqués ou immédiatement menacés », a-t-il déclaré. Dans son discours de juillet dernier il a également appelé à lancer un plan colossal, à hauteur de plusieurs milliards de dollars, pour développer et stabiliser l'économie afghane.

Sur l'Iran: «La force non strictement défensive»

Obama ne promet aucune déviation de la trajectoire générale de la politique des États-Unis vis-à-vis de l'Iran. En résumé ? L'Iran doit accéder aux demandes de Washington sur tous les fronts, interrompre son programme nucléaire, le « soutien au terrorisme » et les « interventions régionales agressives » qui lui sont reprochés, ou payer le prix de sanctions alourdies et, si nécessaire, d'une intervention directe.

Les chroniqueurs « libéraux » ont noté, et ceux de droite dénoncé, le fait qu'Obama se dise prêt à « s'asseoir et discuter » avec les autorités à Téhéran, Damas et ailleurs, mais peu ont souligné que de telles négociations seraient basées sur des ensembles de conditions préalables et la constante menace d'une « realpolitik » de pénalités, l'usage de la coercition et la menace de la force.

Obama a appelé à des sanctions internationales plus fortes contre l'Iran pour le persuader d'interrompre la production d'uranium enrichi. Il a été l'un des soutiens du projet de loi Durbin-Smith au Sénat6 [6], la « loi anti-prolifération en Iran », qui impose des sanctions à l'Iran et à d'autres pays qui auraient aidé au développement de son programme nucléaire. Il a écrit et défendu en tant que soutien principal, la « loi de mise en place de sanctions contre l'Iran » en mai 2007. Cette loi rendrait plus facile pour les administrations d'états et de localités de retirer la participation de leurs fonds de pension des entreprises qui investissent dans le secteur énergétique de l'Iran.

Retraits d'investissements et sanctions pour l'Iran, oui. Retraits d'investissements et sanctions pour limiter l'armement nucléaire d'Israël ? Hors de question.

L'interventionnisme restera une composante clé de l'approche internationale de « paix par la force » dont se réclame Obama. Selon ses propres termes, « Nous devons aussi envisager d'user de la force militaire dans des circonstances non strictement défensives pour assurer la sécurité générale qui sous-tend la stabilité mondiale – pour soutenir des amis, participer à des opérations de stabilisation et de reconstruction, ou répondre à des atrocités massives».

Serait-ce aller trop loin que de suggérer que l'invasion et l'occupation de l'Irak par les États-Unis étaient précisément une telle « atrocité massive»? Ou d'ailleurs que « l'usage de la force militaire dans des circonstances non strictement défensives», qui revient à une réaffirmation de la doctrine de la guerre préventive de Bush, est elle-même une violation du droit international et un crime de guerre qui mériterait des poursuites?

Sur Israël: «Engagement inébranlable»

Pour ceux qui espèrent un changement significatif dans la politique moyen-orientale il suffira peut-être de se pencher sur la Palestine et Israël.

Obama nous disait en 2007 que, « Depuis plus de trois décennies, les Israéliens, les Palestiniens, les dirigeants arabes, et le reste du monde se tournent vers l'Amérique pour qu'elle prenne la tête des opérations et ouvre la voie vers une paix durable [...]. Notre point de départ doit toujours être un engagement clair et ferme pour la sécurité d'Israël, notre allié le plus puissant dans la région dont il est la seule démocratie solide ».

Au Sénat, il a soutenu sans relâche l'accroissement de l'aide économique et militaire à Israël, et s'est exprimé fermement en faveur de l'attaque d'Israël contre le Liban en Juillet 2006.

Dans des discours devant l'AIPAC (American Israel Public Affairs Committee7 [7]) et ailleurs, il a confirmé avec constance la « relation spéciale » États-Unis-Israël et le « soutien résolu » à Israël comme une pierre angulaire de la politique des États-Unis au Moyen-Orient. Se sentant obligé de contredire les affirmations de ses critiques et de ses adversaires, il a sans cesse exprimé la conviction que la sécurité d'Israël est « sacrosainte » et affirmé « un engagement inébranlable pour la sécurité d'Israël et l'amitié entre les États-Unis et Israël ».

De façon à « assurer un règlement durable du conflit avec deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité », a déclaré Obama aux élites du CFR, « nous devons aider les Israéliens à identifier et renforcer les partenaires qui sont réellement dévoués à la paix, tout en isolant ceux qui cherchent le conflit et l'instabilité ».

Barack Obama, contrairement à l'actuel occupant de la Maison Blanche, n'est pas un ignare qui aurait besoin de retourner à l'école. Comme Ali Abunimah, militant palestinien de la région de Chicago, l'a relaté après l'avoir rencontré personnellement, Obama sait pertinemment que l'occupation Israélienne est la vraie source de « conflit et d'instabilité ». Son discours à l'AIPAC était plus qu'une déclaration d'obéissance à ce lobby sioniste –— il faisait partie intégrante du serment de loyauté à l'empire et à la continuité fondamentale de la politique moyen-orientale.

Lors d'un discours dans une synagogue de Floride plus récemment encore, en mai 2008, il a garanti le maintien de positions traditionnelles concernant les relations avec Israël, promis un « engagement inébranlable » à sa sécurité, fait l'éloge du lien étroit entre les États-Unis et Israël et déclaré qu'il ne négocierait ni avec le Hamas ni avec le Hezbollah. Et devant l'AIPAC juste après sa victoire dans la course à la nomination début juin, il a promis qu'une « Jérusalem unifiée » allait « demeurer la capitale d'Israël ».

Ignorait-il que sa prise de position va même au-delà de la politique officielle des États-Unis, selon laquelle Tel Aviv est la capitale d'Israël ? En parlant d'une « Jérusalem unifiée », quel genre de message envoyait-il aux masses arabes et musulmanes, particulièrement aux fidèles qui considèrent la mosquée d'Al-Aqsa / le dôme du Rocher comme le troisième lieu le plus sacré de l'islam ? Quel genre de « changement » leur propose-t-il ? Quelle « promesse » leur fait-il ?

Cuba et l'Amérique latine

Dans un discours du 23 mai devant la très droitière CANF (Cuban American National Foundation8 [8]) basée à Miami, Obama a promis de maintenir l'embargo commercial existant contre l'île « comme un levier pour gagner le changement démocratique ». Il a dit qu'il lèverait les restrictions sur les voyages de famille et les envois d'argent vers l'île mais qu'il proposerait d'entamer une normalisation des relations avec le pays si celui-ci libérait tous les prisonniers politiques.

Un « changement » d'orientation, ici ? Pas vraiment, mais plutôt un retour à la position du gouvernement Clinton. En deux mots ? Le blocus restera en place tout comme l'insistance des États-Unis pour un « changement de régime » et une opposition incessante contre l'auto-détermination de Cuba qui se poursuit depuis l'ère Kennedy.

Obama a aussi promis la continuité du soutien des États-Unis à un « changement de régime » au Vénézuela, ni plus ni moins que le renversement de la révolution bolivarienne. Tandis que son discours de la CANF évoquait le manque de démocratie à Cuba, il semblait suggérer autre chose concernant Caracas:

« [...] Nous savons que la liberté à travers notre hémisphère9 [9] doit aller au-delà des élections. Au Vénézuela, Hugo Chavez est un dirigeant démocratiquement élu. Mais nous savons aussi qu'il ne gouverne pas démocratiquement. Il parle du peuple, mais ses actions servent seulement son propre pouvoir ».

On pourrait largement dire la même chose de George W. Bush, à ce détail près que Bush n'a même probablement jamais été élu démocratiquement, mais ce n'est pas ce qui intéresse Obama. S'élevant non seulement contre Hugo Chavez, mais contre les avancées vers l'auto-détermination de la Bolivie au Nicaragua, le discours au CFR de juillet 2007 soulevait une autre préoccupation:

« Alors que les États-Unis ne parviennent pas à agir sur des réalités changeantes dans les Amériques, d'autres depuis l'Europe ou l'Asie – notamment la Chine – ont augmenté leur présence. L'Iran s'est rapproché du Vénézuela, et il y a à peine quelques jours Téhéran et Caracas ont lancé une banque commune grâce à l'effet d'aubaine de leurs profits pétroliers ».

Des puissances étrangères qui se mêlent des affaires de l'hémisphère occidental ? Horreur ! (Qui serait surpris si l'aspirant président invoquait la doctrine Monroe10 [10] ?)

Une voie de progrès?

En somme, Barack Obama promet de maintenir les « intérêts nationaux » du projet impérial des États-Unis. Sa promesse d'un retour à la politique de l'ère Clinton sans réel changement dans le statu quo au Moyen Orient ; son évocation d'une diplomatie toujours renforcée par la menace de la force militaire « non strictement défensive » et de l'interventionnisme unilatéral ; son appel aux « changements de régimes » et à la contre-révolution en Amérique latine ; rien de tout cela n'est de bon augure, en particulier pour tous ceux qui restent toujours sur leur faim et attendent quelque chose de plus consistant que la promesse rhétorique du « changement ».

Au moment le plus intense de la période des primaires présidentielles, Obama a sans doute captivé l'imagination et les aspirations d'une très grande partie de la population des États-Unis. Sa campagne historique a mobilisé l'Amérique noire, et des strates entières de la jeunesse légitimement préoccupée par un avenir de plus en plus incertain, ainsi qu'un grand nombre de personnes de couleur qui attendent depuis longtemps un changement significatif à la tête du pays.

La candidature Obama, perçue non seulement comme un soulagement tant attendu après huit ans de sauvagerie de la part de la clique de Bush, mais aussi comme une rupture apparente avec le soutien néolibéral du DLC (Democratic Leadership Council11 [11]) aux entreprises privées, a également séduit beaucoup de cœurs et d'esprits dans les mouvements ouvrier, écologiste et de la paix.

Certes, la seule pensée de John McCain président est effrayante. Personne à gauche ne le contesterait. Même parmi ceux qui ne sont pas dans le sillon des démocrates, la défense du « moindre mal12 [12] » s'est déjà très largement propagée, peut-être même encore plus qu'avec Kerry et Gore en 2004 et 2000.

Il y a ceux qui ont tiré de l'oubli une ligne similaire à celle défendue en 1964 sur le thème, « faire une partie du chemin avec LBJ13 [13] ». Et puis il y a ceux qui, captivés par la dimension réellement historique de la campagne Obama, ne sont pas passés outre son style affuté à la Kennedy, tout en assurance et en vivacité, pour examiner la substance de sa politique.

Alors qu'avons-nous à dire, nous, la gauche anti-impérialiste, à ces masses de gens qui, lassées et alarmées à juste titre par les projets républicains, ont placé leurs espoirs en Obama ?

Il est clair que ses positions sur la politique étrangère donnent des arguments importants à ceux qui choisissent d'ouvrir un dialogue constructif avec ses soutiens. Ses desseins de revitalisation et d'extension du projet impérialiste des États-Unis doivent aussi être placés au tout premier plan par les partisans de l'action politique indépendante et ceux des candidates du Green Party Cynthia McKinney et Rosa Clemente.

Dans tous les cas, ceux qui critiquent le rôle des États-Unis dans le monde ne doivent donner prise à aucune illusion de « changement » substantiel. Tandis qu'une présidence Obama serait tactiquement contrainte de dévier de la ligne de Bush & Co, qui se comportent ouvertement comme des seigneurs de guerre et des bandits, il n'y aura pas de rupture stratégique avec la quête constante de la domination mondiale des États-Unis ni avec les impératifs de l'empire.

Publié sur le site de la revue marxiste «Contretemps», http://contretemps.eu. Traduction de l'anglais et notes de Taverna Jordan et Simon Marceau. Initialement paru dans «Against the Current», n° 136, sept/oct 2008. http://www.solidarity-us.org/node/1881

1) Le mot « libéral », aux États-Unis, désigne aujourd'hui une orientation politique en faveur des libertés individuelles et d'une modeste intervention de l'État pour limiter les inégalités les plus extrêmes. La droite s'en sert comme d'un anathème, lié à la stigmatisation du New Deal.

2) Le « conseil des affaires étrangères ».

3) Réunissant des membres des deux principaux partis : des démocrates et des républicains.

4) Le ministère des Affaires étrangères.

5) La formule originale fait référence aux technologies « transhorizon » (« over the horizon »).

6) Obama est sénateur de l'Illinois depuis fin 2004.

7) Le « comité d'affaires publiques États-Unis/Israël ».

8) La « fondation nationale cubaine-américaine ».

9) Les États-Unis ont tendance à parler, pratiquement depuis leur indépendance, de « l'hémisphère occidental » dont ils considèrent le destin comme lié au leur.

10) Cette doctrine formulée dès 1823 par le président Monroe, se précise au cours du 19e siècle comme un isolationnisme réciproque entre Europe et Amérique, ouvrant la voie aux visées hégémoniques des États-Unis sur le continent.

11) Le « conseil de direction démocrate ».

12) L'expression originale fait directement référence à ce qu'on appellerait en France les phénomènes de vote « utile » d'une partie de la gauche pour les démocrates.

13) Lyndon Baines Johnson, qui succéda à John Fitzgerald Kennedy à la présidence des États-Unis, entre 1963 et 1969. Le slogan comporte une rime en anglais.

Voir ci-dessus