Climat: L'UE dit définitivement adieu au 2°C maximum
Par Daniel Tanuro le Dimanche, 28 Décembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

12 décembre 2008: le Conseil Européen adopte le «paquet énergie-climat». Une décision historique, en effet. Les patrons européens jubilent alors que le Conseil Européen opte pour une politique climatique qui sacrifie des centaines de millions de gens à la soif de profit des multinationales.

« Une économie à bas carbone peut constituer une grande opportunité si la transition est bien gérée ». C'est en ces termes que la fédération européenne de l'industrie chimique (CEFIC) a salué les décisions du Conseil Européen relatives au 'paquet énergie climat' (1). L'industrie chimique n'aura pas raté son entrée dans le système communautaire d'échange de droits d'émission (SCQE). Rejoignant leurs collègues de l'acier, de l'électricité et d'autres secteurs, les patrons de la chimie ont pesé de tout leur poids pour que les entreprises soumises à la concurrence internationale reçoivent gratuitement leurs droits d'émission. Et ils ont gagné. Le compromis adopté au Conseil et avalisé par le Parlement stipule que les secteurs exposés à un risque significatif de « fuite de carbone » recevront jusqu'à100% de quotas gratuits s'ils mettent en oeuvre les technologies les plus propres (2).

La part du PNB européen attribuable à des activités très intensives en carbone est de l'ordre du pour cent. Il n'y a donc pas lieu de craindre une vague de délocalisations. Mais les patrons ont réussi à créer une véritable psychose et celle-ci a été relayée efficacement par leurs larbins politiques (dont l'ineffable Leterme). Ayant réussi à imposer l'idée d'un danger majeur, les patrons veulent maintenant élargir la brèche: pour déterminer l'exposition au risque d'un secteur, le CEFIC veut que l'on tienne compte de ses clients en aval: textile, automobile, ameublement, informatique... A ce compte-là, inutile de pinailler, il faudra des quotas gratuits pour toute l'industrie européenne.

Faut-il rappeler que ces droits d'émission gratuits sont une poule aux oeufs d'or pour l'industrie? En revendant ses quotas excédentaires, la sidérurgie européenne empocha en 2005 un bénéfice extra de 480 millions d'Euros. Il en fut de même dans les autres secteurs. La chimie ne s'est donc jamais opposée à son inclusion dans le système à partir de 2013, que du contraire. Idem pour les compagnies aériennes, qui intégreront le SCEQE dès 2012 et recevront 90% de quotas gratuits à la seule condition de... plafonner leurs émissions. On peut d'ailleurs parier que ces nouveaux arrivants bénéficieront comme leurs prédécesseurs d'une sur-allocation de droits, afin qu'ils puissent se remplir les poches à leur tour. « Bien gérée, la transition est une grande opportunité » , comme dit le CEFIC...

Les électriciens sont un peu moins vernis que les industriels: ici, pas moyen d'agiter l'épouvantail de la délocalisation. Les quotas seront donc vendus aux enchères dès 2013. Intégralement. Mais E.ON, RWE ou Suez-Electrabel restent zen car personne ne peut empêcher un producteur de répercuter le prix des droits sur les factures aux consommateurs. C'est un avantage collatéral de la libéralisation. Résultat: d'ici 2020, une croissance probable des tarifs de 10 à 15%... sans compter les autres facteurs de hausse des prix de l'électricité. La CEFIC demande dès à présent une « juste compensation » pour les entreprises. Les particuliers, personne ne s'en soucie.

Depuis 2005, certains électriciens ont fait des affaires encore plus juteuses que les sidérurgistes, en transférant carrément le prix de marché des quotas (reçus gratuitement, rappelons-le) sur les factures aux consommateurs. On connaît l'exemple des producteurs britanniques, qui avaient empoché ainsi 800 millions de livres extra. Il serait dommage, avouons-le, que cette magnifique pompe à fric disparaisse purement et simplement. Qu'on se rassure: les électriciens des anciens pays de l'Est pourront encore en bénéficier quelques années. Les producteurs polonais et autres, qui exploitent massivement des centrales au charbon, ne devront en effet acheter que 30% de leurs droits d'émission en 2013 (le but étant d'arriver à 100% en 2020). Justification officielle: éviter une explosion du prix de l'électricité. Mais rien n'empêche ces producteurs de suivre l'exemple britannique. Pourquoi se gêner, dès lors que ces pratiques de bandit restent impunies?

A lire ces détails des décisions du Conseil, on en vient à oublier que l'enjeu est le sauvetage du climat. Qu'en est-il de ce point de vue? Comme on pouvait s'y attendre, les 3 x 20 (20% de réduction des émissions, 20% de renouvelables, 20% de hausse de l'efficience énergétique) ont été maintenus (de même que les 10% d'agrocarburants dans le secteur du transport). Ici, quelques rappels s'imposent: (1°) le GIEC indique un seuil de dangerosité autour de +1,7°C de hausse de la température par rapport à 1780, (2°) le Conseil de l'UE, en mars1996, avait décidé de ne pas dépasser +2°C et (3°) rester entre 2°C et 2,4°C – il n'y a pas de scénario plus radical dans le dernier rapport du GIEC- implique de réduire les émissions de 25 à 40% d'ici 2020. En clair: la version initiale du plan climat était déjà très insuffisante.

La version finale l'est encore plus. Le maintien des 3 x 20% n'est en effet qu'une façade. Derrière celle-ci, le dispositif est très largement vidé de son contenu par les possibilités accrues d'importer des « droits de polluer » à bon marché, provenant d'investissements soi-disant « propres » dans les pays du Sud. Il a été prouvé que plus de 50% de ces droits de polluer (crédits de carbone) ne correspondent à aucune réduction effective des émissions. Qu'à cela ne tienne: d'ici 2012, l'UE autorise des importations de crédits plus de deux fois supérieures aux réductions d'émissions prévues, et les crédits non utilisés pourront être reportés sur la période 2013-2020. Au cours de celle-ci, globalement, près de 70% des réductions d'émission pourront être délocalisées au Sud.

Au bout du compte, selon Greenpeace, la réduction des émissions sur le territoire de l'UE sera de... 4% (quatre pour cent). Si les autres pays développés faisaient de même, on évoluerait vers un scénario de stabilisation de la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre impliquant une hausse de température entre 3,2°C et 4°C et une hausse du niveau des océans entre 60 cm et 2,4m (sans tenir compte de la fonte des glaces et de la désintégration des calottes glaciaires).

Un mètre de hausse du niveau des océans condamnerait des centaines de millions de gens à déménager, principalement dans les pays pauvres. Au-delà de 3°C de hausse de la température, la production agricole globale diminuerait, le nombre de gens souffrant de pénurie d'eau pourrait s'accroître d'un milliard et les plantes vertes émettraient davantage de carbone par la respiration qu'elles n'en absorbent par la photosynthèse, ce qui pourrait provoquer un emballement du incontrôlable du changement climatique. Tous ces avertissements, et beaucoup d'autres, figurent dans le rapport de synthèse 2007 du GIEC et dans son « résumé pour décideurs politiques », u document adopté formellement par les représentants des gouvernements.

Sarkozy, Barroso et Cie ont évoqué une décision « historique ». En fait, c'est exact. Le 12 décembre 2008, le Conseil Européen unanime a balayé sous le tapis sa propre décision de maintenir la hausse de température au-dessous de 2°C et opté à l'unanimité pour une politique climatique criminelle. Il l'a fait en parfaite connaissance des enjeux, cyniquement. Il l'a fait parce que les profits des multinationales passent pour lui avant la vie et les conditions d'existence de centaines de millions de gens, dont l'immense majorité sont des pauvres des pays pauvres. Ce 12 décembre doit être marqué d'une pierre blanche et, sur cette pierre, il conviendrait de graver la formule fameuse de Bertold Brecht: « le ventre est encore fécond d'où est sortie la bête immonde.»

Notes:

1) Communiqué CEFIC, 15/12/2008, «Emissions Trading Scheme – a step in the right direction»

2) L'expression « fuite de carbone » est utilisée pour désigner le danger de délocalisation des entreprises grosses émettrices de CO2 vers des pays non soumis à des objectifs de réduction des émissions.

Voir ci-dessus