Turquie/Kurdistan: liquidation ou «ouverture démocratique»?
Par Ay Veli , Girgimi Hiznî le Mercredi, 10 Février 2010 PDF Imprimer Envoyer

Depuis le mois de juin 2009, l’actualité en Turquie est en grande partie occupée par le projet du gouvernement du Parti de la Justice et du Développement (AKP), nommé successivement «ouverture kurde», puis «ouverture démocratique» et enfin «projet d’union nationale». Dans un Etat connu pour avoir mené l’épuration et l’assimilation de ses minorités sur la base de politiques racistes, la recherche d’une solution se fait de façon paradoxale.

Le projet d’une «ouverture démocratique» intervient dans le cadre de l’intervention américaine en Irak. Le retrait prévu des troupes US en 2011 et le projet de les remplacer essentiellement par l’armée turque obligent le régime d’Ankara à nouer de bons rapports avec les Kurdes irakiens et à placer sous contrôle la question kurde dans son pays. L’établissement de rapports politiques et économiques avec le Kurdistan autonome n’a pas d’impact positif sur la politique du régime à l’égard des Kurdes de Turquie. L’encerclement de l’Iran nécessite également une Turquie forte dans la région, une Turquie qui contrôle ses minorités.

La question kurde et le PKK

La question kurde perdure depuis plusieurs siècles, après plusieurs révoltes réprimées durant les 40 premières années du XXe siècle. La dernière réaction significative des Kurdes a trouvé son expression dans le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a pris le socialisme scientifique comme référence de son action et a pu organiser la jeunesse et la paysannerie kurdes pour lutter contre les politiques assimilationnistes et répressives du régime turc.

Dans les années 1980, dans le contexte et sous l’influence de la guerre froide, le PKK défendait la fondation d’un État nation regroupant les quatre parties du Kurdistan. Or dans les années 1990, il a changé de position en prônant la solution de la question kurde dans le cadre des frontières existantes, en exigeant la reconnaissance des droits collectifs et démocratiques du peuple kurde. Le programme politique du PKK, sa structure et ses cadres se sont adaptés à ce changement. Bien que le PKK soit surtout connu comme un mouvement de guérilla, l’essentiel de ses activités, peu ou pas connues en Europe, se déroule depuis une vingtaine d’années dans le cadre politique et légal.

A partir des années 90, malgré la rigidité et l’étroitesse du cadre offert par les lois du régime turc, le PKK a encouragé la fondation de partis politiques, d’associations, la participation aux syndicats, aux organisations de défense des droits humains, etc. Après sa capture, son dirigeant A. Öcalan a demandé, dans ce sens, à la guérilla de se retirer des frontières de la Turquie pour se réfugier au nord de l’Irak et en Iran. L’armée turque a profité de cet appel pour intensifier ses opérations à la frontière et plus de 500 guérilleros ont été tués lors du retrait.

Les cessez-le-feu déclarés par le PKK sont perçus par le régime comme un aveu de faiblesse et les opérations contre la guérilla et les organisations sociales et politiques légales vont s’intensifiant. L’intervention policière lancée au mois d’avril 2009, paradoxalement avant le lancement du projet «d’ouverture démocratique», l’interdiction du 5e parti kurde, le Parti démocratique du Peuple (DTP), sont les dernières expressions marquantes de la politique tendant à exclure les Kurdes du champ politique.

L’«ouverture démocratique» en actes

Le dernier cessez-le-feu déclaré le 13 avril 2009 par le PKK précède le lancement du projet d’«ouverture démocratique». Durant cette période marquée par la «tentative» de trouver une solution à la question kurde, l’armée turque a mené plus de 270 opérations, quant au PKK il a riposté 7 fois. Dans le cadre des opérations policières, plus de 1500 personnes ont été mises en garde à vue; 750 environ ont été arrêtées, parmi lesquelles plus de 120 enfants âgés de 12 à 18 ans (d’après une loi votée en 2005 par l’AKP, les enfants peuvent être jugés et condamnés comme les adultes en vertu de la Loi anti terroriste).

Parmi toutes ces personnes arrêtées, il y a de nombreux municipaux élus dans les régions kurdes, des cadres clés du DTP, défendant une position proche des revendications du PKK qui exige une solution juste et équitable à la question kurde. Dans le cadre des élections municipales, la plupart des personnes arrêtées avaient joué un rôle important dans la campagne. L’arrestation de ces militants et élus kurdes, l’interdiction du DTP, les opérations contre les mouvements révolutionnaires proches des Kurdes, l’accusation de terrorisme à l’égard des syndicalistes, des défenseurs de droits humains montrent les intentions réelles du régime turc: la liquidation des structures politiques et associatives défendant les droits du peuple kurde, l’encerclement des syndicats et mouvements révolutionnaires.

Dans ce contexte répressif, les heurts ont repris dans les villes kurdes et dans certaines métropoles turques, faisant plusieurs morts, les arrestations se multiplient.

Cette politique d’oppression visant la liquidation des Kurdes du champ politique ne peut aboutir sans une intervention armée dans les bases de la guérilla. La deuxième phase sera probablement une incursion terrestre d’envergure de l’armée turque au nord de l’Irak. Pourtant, cette politique de répression et d’encerclement des organisations politiques kurdes est répercutée dans la presse mondiale comme s’il y avait un réel projet d’«ouverture démocratique» du gouvernement de l’AKP.

Qui dit problème dit protagonistes du problème, or le projet du régime est l’extermination du protagoniste principal et de tous ceux qui peuvent lui être proches. Cette politique de négation, d’exclusion et de destruction du protagoniste voue à l’échec tout espoir d’une solution démocratique juste et équitable à la question kurde.

Paru dans le quinzomadaire suisse « solidaritéS » n°162 (28/01/2010), p. 5 (intertitres de la rédaction).

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