Témoignage: Torturés par des soldats belges dans une base de l'OTAN au coeur de l'Europe
Par Pavel Pavelic le Lundi, 22 Février 2010 PDF Imprimer Envoyer

Des militaires qui frappent, insultent et jettent au sol leurs prisonniers où ils sont maintenus dans le froid, à demis nus, pendant des heures... Non, cela ne se passe pas en Irak ou en Afghanistan, mais à Kleine Brogel, base militaire belge de l'OTAN. Ce samedi 20 février, plusieurs activistes de la campagne Bomspotting (www.vredesactiediy.be), qui dénonce la présence d'armes nucléaires illégales sur le sol belge, se sont introduits dans cette base au cours d'une action de directe non violente de désobeissance civile. Ils ont subi une arrestation plus que musclée de la part des militaires et un traitement inouï. Témoignage de Pavel Pavelic.

« Le patriotisme est la vertu des dépravés » (Oscar Wilde)

« (...) Ensemble avec deux autres jeunes, nous sommes entrés dans la base, où nous avons très vite été interceptés par des soldats qui ont pointé leurs armes, en théorie destinées à nous défendre, directement sur nous.

Bien que nous étions dûments identifiables avec nos vestes fluorescentes, le logo « Bomspotting » bien visible et un drapeau «  Pace », les soldats hurlaient et nous insultaient en pointant et en rechargeant leurs armes sur nous à tel point que nous avons décidé de lever les bras en l'air. Ils nous ont immédiatement bousculés, frappés et jetés au sol. Apparemment, les ordres étaient clairs: nous traiter de la manière la plus dure possible.

Ils hurlaient comme des fous avec des yeux haineux en pointant leurs armes contre des personnes désarmées. Ils nous ont forcé à nous coucher dans la boue. Ils ne voulaient pas que nous les regardions dans les yeux et ont tenté de nous recouvrir le visage avec quelque chose et comme nous refusions ce traitement vexatoire, ils nous ont encore frappés. Ils m'ont donné des coups de pieds dans les côtes et ensuite sur un bras. Un soldat m'a pris par les cheveux et m'a plaqué le visage sur le sol qui, par chance, était fait de la boue et de l'herbe qui pousse près de la piste d'atterissage. Nous sentions leurs armes directement posées sur nos nuques ou nos côtes.

On donne l'ordre de nous fouiller; ils nous retirent tous nos vêtement chauds et à un moment un d'entre eux me dit de retirer mon pantalon, ce que je refuse de faire et me vaudra un «  traitement spécial  ». Je veux savoir comment vont mes compagnons et je le leur demande en criant, un soldat me donne à nouveau un coup de pied mais je peux entendre qu'ils vont «  bien  ».

Arrive ensuite un militaire avec un uniforme différent des autres, avec un képi blanc et qui tente de parler anglais, on dirait que quelqu'un lui a dit qu'il ressemblait à Robert Redford. Il nous attache les mains derrière le dos et au moment où il le fait pour moi il tente de me frapper aux testicules, de les écraser en mettant violement son pied entre mes jambes alors qu'il n'y avait aucune nécessité de le faire. Il appuie très fort sur mes poignets et ferme le lacet en plastique de manière très serrée afin qu'il me fasse mal.

Ils nous relèvent et nous montent violemment dans un camion. A ce moment, comme je peux les voir, je demande directement à mes compagnons s'ils vont bien, ce qui déplaît très fortement à notre kidnappeur: « Fermes-la, silence espèce de mongol ! » me dit-il, en poursuivant; « tu es sur une base militaire et ici tu fait ce que je te dis ». Ce à quoi je répond que s'il est exact que nous sommes dans une base militaire, je n'en continue pas moins d'être un civil qui raisonne comme tel et que je n'allais donc pas me taire, que je veux seulement savoir comment vont mes compagnons.

Le camion s'arrête brutalement. Le soldat me prend par les vêtements au niveau de la poitrine et me traîne ensuite par le sol du camion jusqu'à son bord pour terminer par me jeter dehors depuis la hauteur de ces véhicules militaires. Comme je suis attaché, je ne parviens pas à me rééquilibrer et je tombe avec toute la force de la poussée, de la hauteur, sur mon côté gauche.. immédiatement je sens que ma clavicule est fracturée.

Le soldat qui m'a jeté descend du camion et se rapproche en riant, je lui dit que mon bras est blessé, la clavicule brisée et tout ce que j'obtiens c'est qu'il me tire sur ce même bras pour m'éloigner des autres prisonniers qui arrivent. Un des militaires se vante d'avoir attrappé plusieurs activistes. Malgré ma douleur, je leur dit qu'il n'y a rien d'honorable à frapper des personnes totalement pacifistes avec les mains attachées derrière le dos et j'obtiens un nouveau coup, sur le même bras blessé. A nouveau à terre, un autre s'approche et met une partie de sa botte sur mon épaule blessée en appuyant et me demande; « Combien en reste-t-il ? Combien sont encore cachés ? Combien sont venus avec toi ? »

Ils commencent à faire monter toutes les personnes arrêtées dans le camion, certains ont passé deux heures couchés dans le froid, mes compagnons sont au bord de l'hypothermie. On fait remarquer qu'ils sont en train de violer les convention signées par la Belgique sur le traitement des prisonniers et la réponse est plus de violence encore. Et des menaces: « C'est fini de venir dans cette base, le 3 avril ce seront les paras-commandos qui seront ici et vous saurez ce qui est bon, donc silence ! »

A ce moment, je peux voir des véhicules de la police locale sur la piste mais lorsque je dis aux policiers que je suis blessé, ils me répondent que je mens et me prennent à nouveau par le bras blessé pour me monter dans le camion, cette fois par un policier d'un côté et un militaire de l'autre. Je vois mes compagnons à l'intérieur et leur demande comment ils vont, voyant que j'était mal en point je leur répond que j'ai la clavicule cassée, mais qu'ils m'ont tellement tiré par le bras que je ne sent plus rien.

Le camion s'arrête près de l'entrée de la base, ils nous font descendre et nous jettent à nouveau au sol. A ce moment un policier en civil s'approche et me demande si je me sens bien, je lui fait part de mon état et il en parle à un militaire qui arrive par la suite et qui donne l'ordre qu'on enlève les menottes en plastique qui me coupaient la circulation sanguine. On m'autorise à m'asseoir, mais face à une sorte de muret. Ensuite, le même me demande si je veux appeler une ambulance, comme je ne sens plus rien je ne répond pas mais une compagne me conseille de le faire. Lorsque je demande l'ambulance, on me rétorque que je dois la payer moi-même, que tout sera à mon compte, mais j'accepte. On me relève et je serai un des premiers à déclarer tandis que les ambulanciers arrivent.

Les policiers procèdent au jeu classique de « ne rien déclarer complique les choses » et lorsque j'accepte de le faire, ils se refusent à écrire que j'ai été jeté par un militaire du haut d'un camion avec les mains attachées dans le dos. Ils écrivent; « accident ». Le jeune policier, qui fait semblant d'écrire ma déclaration, ne croit pas que je suis blessé et se met à rire en disant que c'est de la comédie.

Lorsque je dois signer ma déclaration, je ne peux le faire vu que je suis gaucher et que mon bras gauche est blessé. Un policier me prend alors la main droite avec le stylo et fait une croix avec elle sur le papier en disant, « voilà, t'as signé ».

Je n'ai reçu aucune copie de « ma déclaration » et n'ai pas pu la relire. J'ai été emmené hors de la base par le personnel médical en direction de l'hôpital Maria dans le nord du Limbourg. Là, ils constateront le degré sérieux de la fracture et je resterai immobilisé pour un certain temps.

Dans la base, j'ai laissé mes compagnons couchés sur le sol, dans le froid, à la merci de militaires inquiétants. S'ils se comportent ainsi avec des citoyens belges, sur le territoire belge, de quoi sont-ils donc capables à l'étranger, lorsque personne ne les observe, dans leurs soi-disantes « missions de paix » ?

Appareils photos, téléphones portables, cartes de mémoire, documents tels que les abonnements aux transports publics (dans mon cas, annuel), tout a été confisqué.

Il est clair qu'avec de telles méthodes ils veulent faire peur, mais cette peur doit se combattre avec une autre peur. Celle de savoir que répondre lorsque les générations futures nous demanderont ce que nous avons fait quand des militaires ont abusé de leur pouvoir et ont brutalisé un groupe de pactifistes qui ne cherchaient qu'à dénoncer la dangereuse présence de missiles nucléaires cachés à l'opinion publique par des autorités irresponsables.

Tous et toutes à Kleine Brogel le 3 avril; maintenant plus que jamais !

Pavel Ilich Pavelic Jofré est photo-reporter, documentaliste, journaliste membre de Vredesactie, du réseau Indymedia et de la Commission éthique contre la torture « Harald Edelstam » (section Europe). Traduction: Ataulfo Riera

Note: les faits évoqués ici se sont produits sur la base aérienne de Kleine Brogel, base qui est « administrée » par des soldats belges et nord-américains de l'OTAN et qui cache du matériel de guerre illégal. Les événements vécus par les personnes arrêtées ce 20 février constituent, selon les traités internationaux signés par la Belgique, des « traitements cruels, inhumains et dégradants », bref, de la torture. Bon à rappeler: la Belgique occupe depuis le début de cette année 2010 la présidence du Conseil des Droits Humains des Nations Unies...

 


 

Clavicule de Pavel après l'action à Kleine Brogel

Voir ci-dessus