France: Epreuve de force sur les retraites et grève des chômeurs et précaires
Par Sandra Demarcq et Robert Pelletier le Mercredi, 16 Juin 2010 PDF Imprimer Envoyer

Après la journée du 27 mai qui a été réussie, la bataille pour les retraites en France est à la croisée des chemins. Les collectifs unitaires qui se constituent dans beaucoup de villes sont la voie pour construire le puissant mouvement d’ensemble qui permettra de gagner.

Les détails de la réforme des retraites ne seront annoncés que le 20 juin. Mais le gouvernement, à la veille de la journée de grève et de mobilisations du 27 mai, avait déjà proclamé la fin de l’âge légal de départ à 60 ans et son report à 62, 63 ans voire plus. Il confirme que la prétendue concertation n’est que du flan pour endormir l’ensemble du mouvement ouvrier et qu’il a fermement décidé de faire payer la facture de la crise à la majorité de la population. La réforme des retraites fait partie d’un vaste plan d’austérité qui consiste à nous faire travailler plus longtemps.

Nous en savons suffisamment pour comprendre que l’épreuve de force est engagée. Ou plutôt qu’elle est engagée du côté du Medef, du gouvernement et de l’UMP. Malheureusement, en face, les salariés, les chômeurs, les retraités et les jeunes sont loin d’être en ordre de bataille.

La journée de grève et de manifestation du 27 mai a été réussie. La grève a été bien suivie et les manifestations plus nombreuses que le 1er Mai. Mais des doutes sont apparus sur la possibilité de faire reculer le gouvernement et des questions sont posées sur les suites. Plus que des questions se posent sur la volonté des directions des grandes organisations syndicales d’organiser véritablement la résistance à la hauteur de la guerre sociale engagée non seulement en France mais à l’échelle de l’Europe contre les retraites, les salaires et les droits sociaux.

Dans toutes les villes, départements, régions, se construisent des collectifs unitaires sur la base de l’appel, initié par la fondation Copernic et Attac, des chercheurs et des responsables politiques et syndicaux. Des centaines de militantes et militants d’origines diverses, syndicales, associatives ou politiques, se mettent à agir ensemble, à distribuer des tracts, coller des affiches, discuter, convaincre, organiser des débats, des meetings, à militer contre la destruction du droit à la retraite. Ce réseau s’étend et prend de l’ampleur.

Patronat et gouvernement veulent nous imposer une société qu’on peut résumer en trois slogans : «travailler plus pour gagner moins», «malheur aux pauvres, aux plus âgés, aux plus usés», «jeunes, abandonnez tout espoir». La construction d’une mobilisation générale qui prenne à contre-pied leur modèle de société est à l’ordre du jour. Il est clair qu’une seule journée de mobilisation ne suffira pas. Il faut trouver le chemin des convergences et des luttes. Comme nous l’avions fait contre le Contrat première embauche (CPE). Le travail de mobilisation à la base peut changer le rapport de forces, réchauffer le climat dans les entreprises, dans les quartiers, dans la jeunesse et convaincre qu’on peut se battre et gagner. Il faut aussi que cette résistance se voie, s’entende et se mesure dans la rue et sur les lieux de travail.

Au lieu de sauter de journée en journée – une nouvelle journée de mobilisation est annoncée par les organisations syndicales le 24 juin – un puissant mouvement de grèves et de manifestations doit être construit pour faire reculer ce gouvernement. Une démonstration de force dans une énorme manifestation nationale serait aussi un pas dans ce sens. Aujourd’hui, il y a deux possibilités  : soit Sarkozy passe en force et, comme l’a fait Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, casse le mouvement social pour des années, soit il se prend un retour de boomerang grâce à une large mobilisation populaire. La partie reste ouverte.

Sandra Demarcq


Intervention de Christine Poupin (NPA) sur les retraites au Meeting international du Front des Gauches à Bruxelles


 

Retraites: Le Nouveau Parti Anticapitaliste en campagne

Après la peu visible campagne de rentrée sur les licenciements et les fermetures de sites et la difficile campagne pour les élections régionales, c’est un parti hésitant, doutant de ses capacités qui s’est engagé dès le mois de mars dans la bataille pour la sauvegarde du régime de retraites par répartition. Dès fin mars, une assemblée en région parisienne a réuni une cinquantaine de militants pour une formation sur les enjeux de la contre-réforme gouvernementale et la mise en place d’un premier planning de campagne. Dossier dans les pages centrales de Tout est à nous! n°52, engagement dans la rédaction et le lancement de l’appel Attac-Copernic, mises à disposition de fiches de repères et tract de quatre pages pour la manifestation du 23 mars : le NPA n’a pas attendu la concrétisation des graves reculs prévus par le gouvernement pour engager la bataille.

Confronté à de grandes disparités entre les différentes générations militantes de formation et de connaissance de la question que beaucoup s’attachent à rendre technique et compliquée, il a fallu multiplier les formations sur la répartition, le financement, l’historique des reculs.

D’abord, pour être en capacité de répondre aux interrogations des salariés abasourdis par le rouleau compresseur des médias et des partis politiques: tous tentent de nous convaincre qu’à «problème démographique, il faut une solution démographique », c’est-à-dire l’allongement du temps de travail! Mais aussi pour construire les réponses et les mots d’ordre pour que la mobilisation s’engage. Depuis, le NPA s’est engagé dans la construction de cette riposte. Des dizaines de comités de défense des retraites se sont construits dans toutes les régions qui regroupent partis politiques, associations et parfois des organisations syndicales locales. Plusieurs importants meetings unitaires dans la foulée de celui de Paris du 6 mai sont prévus (ou se sont déjà tenus) à Marseille, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Toulouse et dans des dizaines de villes. Dans le même temps les comités NPA de Paris, banlieue, régions multiplient distributions de tracts et réunions publiques.

Avec l’annonce quasi officielle des mesures gouvernementales (report de l’âge légal, allongement du nombre d’années cotisées, mise à contribution des retraités pour payer les retraites, élargissement homéopathique des sources de financement), et en l’absence d’engagement de riposte clair des organisations syndicales, il s’agit maintenant d’intensifier la campagne. Pas question d’attendre le mois de septembre: un nouveau dossier est paru dans Tout est à nous ! n°56, un dossier dans Tout est à nous! la Revue n°10 et une brochure est en préparation. Nous préparons activement les manifestations du 27 mai et les prochaines initiatives de juin. Il s’agit maintenant de passer des débats à la mobilisation. Les confédérations syndicales et les partis de «gauche » se contentent de débattre et de marquer des points en attendant 2012. Pour le NPA, la mobilisation doit s’amplifier, sans attendre septembre, dans les entreprises, sur tous les lieux de travail, dans la jeunesse et dans la rue.

Robert Pelletier

Paru dans Hebdo TEAN 57 (27/05/10).


 

Grève des chômeurs et précaires

La grève des chômeurs et précaires ne cesse de s’étendre dans toute la France, et a gagné à ce jour plus d’une vingtaine de villes. Démarrée le 3 mai, la grève des chômeurs se manifeste sous différentes formes d’actions purement revendicatives ou bien festives et conviviales afin de dédramatiser la situation vécue quotidiennement par les chômeurs et précaires.

Ainsi, à Lille, un apéro organisé devant Pôle emploi a vu une petite dizaine de militants trinquer avec les chômeurs présents : « À nos luttes... À nos luttes futures et solidaires pour l’emploi! », à Bordeaux, avec un pique-nique revendicatif devant le Pôle emploi, ou encore à Lyon, où une pétition de 1500 signatures, demandant notamment l’arrêt des radiations et le maintien des indemnités pour les chômeurs en fin de droits, circule via une tournée des agences. À Montreuil, un piquet de grève permanent constitue un centre névralgique dans la ville. À Rennes, d’où est parti le mot d’ordre de grève, un Pôle emploi a été déménagé pour protester contre l’envoi de la police dans cette agence le jour précédent, alors que des chômeurs et précaires ne faisaient qu’accompagner des usagers dans le labyrinthe administratif du Pôle. De même, à Montpellier, Perpignan, Nice, Nancy, Tours, Caen, Nantes, Brest, Lannion… de multiples actions ont été menées dans les Pôles emploi, les Caisses d’allocations familiales (CAF), les administrations, les organismes de formation ou les boîtes de coaching, afin de dénoncer le recours massif à la sous-traitance par Pôle emploi.

Occupations de Pôle emploi ou de CAF

Les occupations de Pôles emploi ou de CAF se multiplient ainsi dans toute la France, permettant au passage de débloquer des dizaines de dossiers (rétablissement de l’ARE, de l’ASS ou du RSA, annulation des indus, re-calcul à la hausse des allocations…). Ces intrusions ne sont pas du goût des directions de Pôle emploi dont la réponse immédiate est de renvoyer les conseillers chez eux ou de fermer les agences. Tout «sans-emploi » étant considéré de fait comme un fraudeur potentiel, les contrôles incessants et les courriers menaçant de radiation ne cessent d’augmenter. D’où une certaine tension latente entre les chômeurs et les salariés de Pôle emploi, qui voient leurs conditions de travail se dégrader et se trouvent dans l’incapacité d’exercer correctement leur boulot. C’est la raison pour laquelle certaines agences se sont mises en grève de manière sporadique, et un appel national à la grève a été lancé pour le 8 juin. Les agents réclament de fait la titularisation de tous les CDD et autres contrats précaires, et dénoncent le recours aux heures supplémentaires servant à combler le retard de traitement des dossiers. Ici ou là, les mouvements de chômeurs se joindront aux salariés de Pôle emploi pour afficher leur solidarité et faire entendre et partager leurs propres revendications. Tous les militants du NPA sont invités à «prendre part activement à ces actions et à les soutenir partout » et à « construire des collectifs de chômeurs là où il n’y en a pas ». C’est le sens du vote du CPN des 29 et 30 mai pour un appel à la grève des chômeurs, s’inscrivant ainsi dans une série de mobilisations initiée par des collectifs de précaires et chômeurs. Seule la convergence des luttes permettra d’abattre la frontière entre chômeur et salarié. La grève des chômeurs aura au moins permis de rendre visibles celles et ceux qui n’apparaissent que dans les chiffres du chômage.

La grève des chômeurs et précaires est aussi le refus d’accepter, comme l’ont dit les chômeurs qui se sont invités sur le plateau de France 2, « n’importe quel travail de dix heures par semaine payé une misère dans les secteurs les plus difficiles ». C’est aussi dénoncer l’exploitation salariale des populations les plus défavorisées, notamment les habitants des quartiers populaires, où le taux de chômage atteint des sommets. Mais c’est aussi une manière de ne pas rester isolé, de «  sortir des eaux glacées du calcul égoïste dans lesquelles on nous plonge  ». La grève des chômeurs et précaires, c’est décider ensemble d’enrayer une machine à précariser, en imposant aux Pôles emploi ou CAF l’arrêt des radiations, la fin de l’offre raisonnable d’emploi, du suivi mensuel personnalisé, l’arrêt du 3949… et lutter contre la culpabilisation qui est faite sans arrêt aux chômeurs et précaires. C’est de ces multiples constats de dysfonctionnement qu’est partie la lutte des chômeurs et précaires, en prenant appui sur différents collectifs existants ou constitués depuis les Marches contre la précarité. Sous la forme de collectifs d’individus ou à travers la participation de diverses organisations (AC!, Apeis...), la volonté est la même de faire vivre ce mouvement, au cours d’assemblées générales, de réunions publiques, de débats sur la notion de « travail » et sur ce que peut signifier une grève des chômeurs quand il n’y a pas d’autre lieu à occuper que les Pôles emploi ou les CAF, pour faire entendre ses revendications non pas de manière individuelle, comme c’est le cas le plus souvent, mais de manière collective. Une grève qu’il s’agit de ré-inventer tous les jours afin de construire de nouvelles formes de luttes et de résistance.

Sylvain LG, Commission précarité du NPA

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