Travail précaire et fin de l’égalité salariale à La Poste
Par Serge Alvarez le Mardi, 17 Août 2010 PDF Imprimer Envoyer

Le 26 juillet, une action syndicale avec préavis de grève lancée par la CSC et la CGSLB  a eu lieu à Jodoigne et à Hannut. Quelques centaines de militants de la partie francophone du pays avaient répondu présents. L’action touchait ces deux bureaux car ils ont été choisis par la direction de La Poste pour tester le projet de facteur low cost (pudiquement appelés par la direction "facteur de quartier").

Le statut du personnel est en miettes

Cette offensive de la direction de La Poste n’est pas neuve. Depuis 1991, La Poste est régie par des contrats de gestion établis le gouvernement. Ces contrats de gestion déterminent notamment les missions de service public (distribution du courrier, paiement des pensions,…). En échange, La Poste est libre de s’organiser en toute autonomie en vivant sur ses fonds propres.

Ainsi malgré la loi du 21 mars 1991 qui oblige La Poste à employer du personnel statutaire, sauf en période de pics de courrier (élections, vacances de Noël) pendant laquelle la loi permet de pouvoir faire appel à des contractuels, la direction de La Poste ne respecte pas la loi. Depuis plus de 10 ans, elle n’a plus engagé de statutaires, malgré les nombreuses protestations syndicales. Les travailleurs de La Poste ont vécu un détricotage progressif de leur statut et ont assisté à une arrivée massive de contractuels, les uns à durée déterminée, les autres à durée indéterminée.

D'abord le profit

Avec l’entrée de l’actionnariat privé (Fortis et AXA, dans un premier temps), les guichetiers se sont vus contraints de vendre des produits bancaires n’ayant plus rien à voir avec la notion de service au public. La stratégie dictée était de vendre un maximum des produits bancassurances imposés par les nouveaux actionnaires.

Avec l’arrivée de la poste danoise et du groupe financier britannique CVC, la situation a empiré. Le groupe CVC a la réputation d'injecter de l’argent dans des entreprises, de les restructurer, de pomper à court terme un maximum de dividendes puis de repartir. Et tant pis pour l’entreprise!

Quant à la poste danoise, il s’agit d’une poste privatisée. Au Danemark, les travailleurs statutaires se sont vus "racheter" leur statut avant de devenir des contractuels. Le réseau des guichets é été disloqué.

La direction de La Poste en Belgique fait de même, malgré une densité de population différente et une tradition syndicale forte. Le refocus (la requalification des fonctions) a été imposé: les employés internes ont été déqualifiés (passage de rédacteur à E1), de même que les facteurs. Avant, tous les facteurs étaient sur un même pied d'égalité, qu'ils soient trieurs ou distributeurs. Aujourd'hui les facteurs distributeurs sont D3 tandis que les trieurs sont D2.

Les conditions de travail empirent

L’entreprise a été coupée en deux secteurs (Mail, Retail) étanches, avec chacun leur propre logique et leur propre management.

Le Retail (la vente de produits au guichet). La priorité est devenue l’élimination des files d’attente. Chaque guichetier a désormais trois minutes pour servir un client et essayer de lui vendre un produit. Cela provoque une concurrence entre les bureaux (bons vendeurs et moins bons vendeurs) et une concurrence au sein d'un même bureau, entre guichetiers. De plus, la suppression d'une bonne moitié des bureaux de poste a augmenté l'afflux d'usagers dans les bureaux qui subsistent. Stress, files d'attentes qui s'allongent devant les guichets, les conditions de travail se dégradent dans les bureaux de poste et les employés contractuels n'osent pas trop réclamer par crainte de voir leur contrat non renouvelé.

Le Mail (le courrier). Pas une année ne s'est écoulée sans l'introduction d'une réorganisation: Géoroute, le nouveau Géoroute. Le prétexte invoqué était d’ajuster la diminution du courrier-lettre par un rééquilibrage des tournées. Il en a résulté, d'une part, une diminution du service aux usagers (une seule tournée de distribution, les pensions ne peuvent pas être transférées à l’hôpital du client, la représentation des recommandés ne se font plus qu'à la seule demande écrite de l'usager,…) et, d'autre part, une dégradation des conditions de travail des facteurs (augmentation de la charge à transporter lors de l'unique tournée de distribution (courrier, envois non adressés, paquets, recommandés). La direction nie que cela a un coût social: augmentation du nombre de maladies de dos irrémédiables, de dépression, principalement chez les statutaires plus âgés.

Précarisation poussée à l'extrême

Les nombreuses actions de protestation menées par les travailleurs de La Poste contre la détérioration de leurs conditions de travail ont mené la direction à temporiser. Dans un premier temps, de nombreux contrats à durée déterminée ont été transformés en contrat à durée indéterminée. Idem pour les premiers emplois pour les jeunes. Mais cela s'est fait au prix d'une diminution de salaire de 200 euros net par mois et de l'abandon de leurs chèques repas pendant 2 ans!

Les facteurs low cost (appelés par la direction "facteurs de quartier", comme si les facteurs habituels ne passaient pas dans le quartier!) seront pour leur part des travailleurs avec un statut extrêmement précaire: à temps partiel, avec un contrat ouvrier, de surcroît sous-payé.

Le facteur de quartier qui préparera sa tournée avant de partir aura un contrat d’employé, celui qui ne fera que la distribution aura un contrat ouvrier. Jusqu'à présent les seuls contrats ouvriers à La Poste ne concernaient que le personnel de nettoyage et celui du Pool ouvrier. Il est fort probable que ces "facteurs de quartier" seront surtout des petits pensionnés, des étudiants, du personnel d’ateliers protégés, ou des personnes sans revenu et sans statut. Le salaire sera de 9,86 euros bruts de l’heure. Ces personnes ne passeront même pas au bureau de poste pour y prendre le courrier à distribuer. Un garage sous-loué par la poste suffira.

La CGSP-Poste: maillon faible de la résistance

La multiplication des statuts précaires et l'atomisation du personnel qui en résulte va obliger les organisations syndicales à se repositionner. En effet, quel est l'intérêt pour un travailleur précaire de se syndiquer s'il ne voit jamais son délégué, et pis, si le syndicat est incapable d'empêcher la précarisation extrême des conditions de travail?

Les statuts salariaux sont démultipliés. De même pour le calcul du montant de la pension qui se fera désormais sur base de régimes de pensions différents: 75% du montant des 5 dernières années de service pour un statutaire (avec péréquation), 60% de la moyenne de la carrière pour un contractuel (sans péréquation).

En commençant par tester les facteurs low cost dans quelques bureaux, la direction de la Poste espère que les réactions de protestations spontanées resteront à l'échelle locale, et éviter ainsi une mobilisation nationale en front commun. Comme cela concerne les plus précarisés, sans solidarité, il est plus difficile de faire grève longtemps. Cela explique en partie qu’il n’y avait pas de mobilisation néerlandophone pour aller à Jodoigne.

De plus, le Front commun syndical est au point mort. La CGSP-Poste a avalisé le recul social en acceptant de signer la convention collective qui introduit les facteurs low cost. C'est ce qui explique que la CGSP était complètement absente des mobilisations à Jodoigne et à Hannut.

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