Coup d'État avorté en Équateur: un récit des événements
Par LCR-Web le Jeudi, 30 Septembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Ce jeudi 30 septembre, la police équatorienne, aidée par certains secteurs de l'armée, s'est soulevée contre le président démocratiquement élu Rafael Correa. Ce dernier s'est retrouvé assiégé par les mutins dans un hôpital militaire pendant près de 12 heures avant d'être libéré par une intervention de l'armée. Mais c'est essentiellement la population qui s'est mobilisé en nombre afin de tenter de le libérer et qui a subi, seule au cours de ces 12 heures, une forte répression de la part de la Police nationale. Il ne fait pas de doute qu'on a assisté à l'application d'un plan putschiste planifié (occupation des aéroports, de l'Assemblée nationale, de la chaîne publique...) fomenté par l'oligarchie équatorienne et ses alliés à Washington afin de renverser un processus populaire.

Ce vendredi 1er octobre, un rassemblement de protestation et de solidarité s'est déroulé en face de l'ambassade d'Equateur  à Bruxelles avec une centaine de personnes, dont des militants-es d'Arlac, Manos Fuera de Venezuela, LCR, JAC, PTB, Intal, GUE et d'associations équatoriennes, chiliennes et colombiennes. (LCR-Web)

Coup d'Etat avorté en Equateur: Un récit des événements depuis Quito

Ce 30 septembre, dans plusieurs points du pays, la Police nationale s'est soulevée dans ses casernes, et plus particulièrement à Quito et à Guyaquil, les deux principales villes du pays. Informé, le président Rafael Correa s'est alors immédiatement rendu en personne à la caserne du 1er Régiment de la police de Quito dans le but d'informer les mutins du contenu exact de la Loi.

Après avoir été fortement chahuté à l'intérieur de la caserne, le président Correa n'a pu en ressortir, a été blessé et a du être hospitalisé à l'Hôpital Métropolitain, situé juste à côté de la caserne de police.

Une petite centaine de civils se sont rassemblés aux portes de cette dernière avec des slogans anti-Correa et en invitant les policiers soulevés à ne pas laisser sortir le président. Parmi eux, une figure connue, celle de l'avocat Pablo Guerrero, lié à l'ex-président Lucio Gutiérrez (entre 2003 et 2005) qui fut forcé d'abandonner à l'époque le Palais de Carondelet – le palais présidentiel – devant les puissantes mobilisations populaires et indigènes. Lucio Gutiérrez dirige aujourd'hui le Parti Société Patriotique, la principale force de l'opposition conservatrice au président Rafael Correa.

Au même instant, la Police nationale prenait le contrôle de l'Assemblée nationale et délogeait les députés de l'Alianza Pais (le parti politique du président Correa) en n'autorisant que la présence des élus de l'opposition conservatrice. De même, la Police nationale prenait le contrôle des aéroports de Quito et Guyaquil, les seuls du pays d'où partent et arrivent les vols internationaux, empêchant ainsi le transit d'avions jusqu'au soir.

Immédiatement, les appels à se mobiliser en faveur du président ont circulé par SMS sur tous les téléphones mobiles de l'Equateur, invitant le peuple à converger vers le Palais Carondelet. Plusieurs milliers de personnes, militants ou non de l'Allianza Pais, ont commencé à s'y rassembler. Sur le balcon principal, plusieurs ministres du gouvernement ont harangué la foule avec des slogans de soutien au régime, en défense de la démocratie et de l'Etat de droit. Le chancellier Ricardo Patiño, principal dirigeant du parti gouvernemental, a appellé à libérer le président de l'Hôpital Métropolitain. A travers plusieurs artères de Quito, les manifestants pro-gouvernementaux ont commencé à se diriger vers la caserne des mutins en scandant des mots d'ordres en faveur de Correa.

Dès l'annonce de la séquestration du président, plusieurs centaines de personnes se sont également rassemblées et barricadées aux alentours de l'hôpital, faisant face à une nuée de gaz lacrymogènes lancés par les policiers et répliquant à coups de jets de pierres.

A Guayaquil surtout, mais aussi dans d'autres villes, des petits groupes de manifestants de droite ont célébré le coup d'Etat dans la rue. Il s'agissait essentiellement d'étudiants, inspirés par les mouvements étudiants anti-chavistes au Venezuela (qui ont été à plusieurs reprises invités à donner des conférences en Equateur) ainsi que des militants de la Fédération des étudiants universitaires d'Equateur (FEUE), d'orientation maoïste, qui ont tenté de prendre plusieurs édifices publics (à Cuenca et à Guyaquil). Il est surprenant de voir comment la gauche maoïste soutient une tentative de coup d'Etat de la police nationale!

A Quito, le nombre de manfiestants arrivant aux alentour de l'Hôpital Métropolitain n'a cessé de croître, subissant une répression féroce de la part des policiers mutinés. Avec des bâtons et des pierrres et avec un grand courage, ils ont fait front pendant toute la journée contre les charges et les tirs de la Police nationale qui défendait le siège de l'hôpital où Correa était séquéstré.

Aux cris de "Oh Ah! Correa no se va!" ("Correa ne tombera pas"), "Quito no se ahueva" ("Quito ne sera pas lâche") et "No nos vamos de aquí sin nuestro Presidente" ("Nous ne partirons pas d'ici sans notre président"), des jeunes, des personnes âgées et y compris des personnes en chaise roulante, avec un énorme courage, ont sans cesse tenté de percer le siège malgré une brutalité policière digne des années 1970.

Les sommets de l'armée ont alors clairement manifesté leur soutien au régime, ce qui enlevait toute possibilité de victoire au soulèvement policier. Malgré cela, les policiers mutinés ont poursuivis leurs actions de manière de plus en plus violente, tandis que l'armée restait invisible dans les rues.

Face au palais présidentiel, où tout était calme, d'autres milliers de personnes étaient rassemblées afin de défendre le gouvernement d'une possible offensive des forces policières. Le Chancellier Patiño a été matraqué lorsqu'il tenta de s'approcher de l'hôpital dans le but de parler au président de la République. D'autres ministres se sont également déplacés mais la ligne de front était fondamentalement composée par des jeunes qui exercaient une pression constante sur les policiers.

Tandis que parvenaient, avec difficulté, les nouvelles que dans le reste du pays la situation se normalisait peu à peu et que les aéroports de Quito et Guayaquil étaient récupérés, un groupe de policiers en civil accompagnés de civils, dont certains sont connus pour leurs liens avec l'Opus Dei, ont violemment occupé la télévision publique, Ecuador TV. A nouveau, surgit la figure de l'avocat Pablo Guerrero à la tête des séditieux.

A la tombée de la nuit, une opération militaire de sauvetage du président Correa a été mise sur pied afin de l'extraire de l'hôpital pour le ramener au Palais Carondelet. Des unités militaires ont commencé à se regrouper aux alentours de l'hôpital à bord de camions et de bus, applaudis par les manifestants qui étaient là depuis plusieurs heures.

La riposte policière à ce déploiement de forces militaires fut terrible: tirs redoublés de gaz lacrymogènes et surtout tirs à balles réelles auxquels les soldats répliquèrent en ouvrant également le feu. L'échange de tirs dura 45 minutes avant que les Groupes des Opérations Spéciales (GOE) parviennent à percer le siège et à libérer le président Correa.

Après son transfert rapide à Carondelet, les tirs ont continué pendant au moins une heure, faisant, pour l'instant, un bilan provisoire de deux morts et d'une trentaine de blessés. Les policiers mutinés se sont alors enfuis de leur caserne, marquant la fin du soulèvement.

Le président Correa s'est alors adressé à ses milliers de partisans rassemblés à Carondelet, affirmant que justice serait faite, qu'il n'y aurait pas de pardon et accusant les frères Gutiérrez du Parti Société Patrioque d'avoir intoxiqué les esprits des policiers mutinés.

Cependant, malgré l'issue heureuse d'une crise qui dura jusqu'à une heure avancée de la nuit, le régime a démontré souffrir de graves défficiences en matière de renseignement et de sécurité puisqu'il n'a pas imaginé qu'un tel soulèvement fut possible et qu'il s'est retrouvé paralysé plusieurs heures devant la situation.

D'autre part, on a pu constater, malgré le degré élevé de la mobilisation populaire, la nécessité d'une organisation de base pour le processus, qui aurait permis de coordonner les actions et de rassembler plus de monde dans les rues aux endroits adéquats.

Enfin, les conflits que le gouvernement a provoqué avec les mouvements sociaux a fait également que la présence dans la résistance populaire des organisations sociales structurées a été peu visible, bien que leurs membres se sont mobilisés de manière individuelle en défense de la démocratie.

Il est clair que la victoire revient aux milliers de citoyens-ennes qui se sont affrontés, seuls, pendant toute la journée aux policiers putschistes, démontrant clairement que le peuple était prêt à défendre jusqu'au bout son président démocratiquement élu.

Si l'intention de la droite était de provoquer le renversement du gouvernement Correa, il semble clair à présent que le Président va dissoudre l'Assemblée nationale et organiser des éléctions législatives. Après le succès d'hier, le président et l'Alianza Pais ressortiront fortement renforcés d'un scrutin populaire, au détriment des organisations de droite qui ont tiré les ficelles du soulèvement policier. Autrement dit, la droite putschiste s'est tiré une balle dans le pied.

Decio Machado, à Quito

Traduction:
www.lcr-lagauche.org

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Le CADTM dénonce la tentative de coup d’Etat en cours en Équateur et soutient la mobilisation populaire pour défendre les conquêtes démocratiques et sociales

Jeudi 30 septembre 2010 a commencé une tentative de coup d’Etat en Equateur. Un secteur important de la police nationale a séquestré le chef de l’Etat Rafael Correa après que celui-ci ait tenté de convaincre les policiers d’accepter la loi sur les services publics qui avait été adoptée en première lecture par l’assemblée nationale le mercredi 29 septembre 2010. Cette loi vise à mettre fin à certains privilèges financiers des policiers et des militaires.

Un secteur des forces armées, en particulier dans l’armée de l’air, de même que des policiers, ont pris le contrôle des principaux aéroports. Les putschistes ont réduit au silence la télévision et la radio publiques dans l’après-midi du 30 septembre. L’ancien président, Lucio Guttierez, qui a dû démissionner en 2005 suite à des protestations populaires, a appuyé, depuis Brasilia où il se trouve, la tentative de coup en déclarant qu’il s’agissait de mettre fin au mandat de Rafael Correa. La situation est pour le moins confuse du côté de l’Etat major de la police et aussi au niveau de l’Etat major des forces armées. En effet, même si ce dernier, déclare défendre l’ordre constitutionnel, il semble mettre sous pression le président Rafael Correa afin que la loi des services publics soit retirée.

Le CADTM rappelle que le président Rafael Correa est un président démocratique. Il a été élu à deux reprises (en 2006 et en 2010) dans le cadre d’élections démocratiques. Depuis le début de son mandat, son gouvernement a mis en œuvre une série de mesures positives : un processus de réforme politique démocratique qui a doté le pays d’une nouvelle constitution en 2008 ; une réaffirmation de l’indépendance du pays en mettant fin à la présence de l’armée des Etats-Unis sur la base de Manta ; un audit de la dette publique (auquel le CADTM a collaboré activement) qui a abouti à une suspension de remboursement qui à son tour a permis de réduire de manière importante du volume de la dette ; une augmentation des dépenses sociales ; la promotion d’une intégration latino-américaine ; une initiative visant à protéger l’environnement en renonçant à exploiter le pétrole qui se trouve dans le sous-sol de l’Amazonie équatorienne dans la réserve du Yasuni ; la création d’une télévision et d’une radio de service public dans un pays où les mass media étaient jusque là totalement contrôlés par de grandes entreprises privées, plus particulièrement les banques privées du pays. Ces avancées ont été possibles grâce à de fortes mobilisations populaires au cours des 15 dernières années. Quoique modestes et pour tout dire insuffisantes, les différentes transformations démocratiques réalisées depuis l’élection de Rafael Correa fin 2006, ont provoqué une très forte opposition de la part des secteurs conservateurs habitués à utiliser le gouvernement comme une courroie de transmission pour défendre leurs intérêts.

Face à la tentative de coup d’Etat en cours, de plus en plus de citoyens et d’organisations se mobilisent en Equateur pour exiger la libération du président Rafael Correa séquestré dans un hôpital de la police de la capitale équatorienne.

Le CADTM qui n’a jamais hésité à exprimer des critiques à l’égard du gouvernement de Rafael Correa quand il considérait que celui-ci adoptait des mesures qui ne permettaient pas de faire avancer le processus d’émancipation en cours, dénonce avec la plus grande fermeté la tentative de coup d’Etat qui a débuté le 30 septembre. L’ordre constitutionnel doit être respecté, la démocratie doit être réaffirmée, le président Rafael Correa doit être libéré. Le CADTM appelle à la solidarité internationale à l’égard de la mobilisation populaire en défense de la démocratie. Afin de consolider le processus de démocratisation en cours en Equateur, il s’agit d’obtenir de profondes réformes économiques et sociales.

Contact : Eric Toussaint, président du CADTM Belgique, Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

Damien Millet, porte-parole du CADTM France, Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

Jérôme Duval, Patas Arriba – CADTM Espagne Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

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