Epreuve de force décisive sur les retraites en France: Pour un nouveau Mai 68!
Par Sandra Demarq, Olivier Besancenot le Mardi, 19 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Avec près de 3, 5 millions de manifestants, des taux de grévistes importants, des grèves reconduites dans certains secteurs, la population a montré une fois de plus à Sarkozy qu’elle ne voulait pas de sa contre-réforme. Si le président reste sourd, il faudra continuer. La journée de grève et de manifestations du 12 octobre, la quatrième en un mois, a rassemblé 3, 5 millions de manifestants, avec un nombre de participants inédit dans la plupart des régions comme à Paris. Les taux de grévistes dans des secteurs comme la SNCF ou les raffineries sont extrêmement élevés.

Et, cerise sur le gâteau de la contestation, la jeunesse a aussi défilé, déterminée et motivée pour faire reculer ce gouvernement. Car les jeunes ont compris que l’accès à un emploi à court terme et à une retraite à taux plein et en bonne santé, étaient, pour eux, fortement compromis par cette réforme. Et, de plus, désormais la majorité de l’opinion publique soutient la mobilisation.  La journée du 12 octobre est un nouveau raz-de-marée social pour le retrait du projet mais plus largement contre l’ensemble de la politique antisociale, raciste et sécuritaire de Sarkozy.

Les revendications des salariés, de la jeunesse concernent le maintien de la retraite à 60 ans mais aussi les salaires, les conditions de travail, l’emploi... Le mécontentement est profond.

Face à cette mobilisation, à cette contestation qui ne cesse d’augmenter, de s’enraciner (même la police est obligée de le reconnaître), le gouvernement reste déterminé à faire passer, contre toutes et tous, son texte. Chamboulement de l’ordre du jour des débats, retraits des amendements des sénateurs, tout est mis en œuvre pour raccourcir les discussions et faire voter le texte, espérant ainsi décourager la mobilisation qui n’en finit pas de s’amplifier.

Et ce ne sont pas les mensonges répétés sur les conséquences sociales ou les miettes concédées aux femmes ayant élevé trois enfants qui feront baisser la colère. Le gouvernement tente de faire monter la pression en allant jusqu’à dire que la jeunesse est manipulée (comme si elle ne pouvait pas décider par elle-même), et que tous ceux et celles qui travaillent au blocage du pays sont des irresponsables. Cela montre qu’il commence à avoir peur de la mobilisation, à craindre qu’il y ait une réelle convergences du secteur privé avec le public et la jeunesse. Il craint ce qui se profile : une confrontation sociale et politique majeure.

Il n’y a pas que le gouvernement qui soit déterminé, les salariés, la jeunesse le sont aussi. D’ores et déjà, des grèves reconductibles sont décidées dans des secteurs significatifs. La reconduction de la grève à la SNCF, à la RATP et dans les raffineries peut donner confiance à d’autres. Dans de nombreux endroits, cette question est en effet à l’ordre du jour des assemblées générales dans la semaine qui vient.

Des grèves reconductibles partout où c’est possible

Dès maintenant, il faut prolonger la mobilisation par la grève reconductible partout où c’est possible mais aussi par toutes les formes d’action permettant de regrouper le plus grand nombre. Chaque assemblée de grévistes doit être porte-parole de cette mobilisation dans l’entreprise, à l’école, à l’hôpital d’à côté. Des liens entre les structures syndicales ou d’auto-organisation pour populariser notre combat doivent être construits. Jusqu’à samedi 16 octobre, nouvelle journée de manifestations à l’appel de l’intersyndicale, la mobilisation, les grèves reconductibles, les blocages doivent se multiplier, se généraliser ainsi que toutes les initiatives interprofessionnelles locales.

Cette nouvelle journée de manifestations doit être un moment de convergence entre ceux et celles qui sont en grève, les salariés du privé et du public, les précaires, la jeunesse mais aussi tous ceux et celles qui sont d’accord avec cette mobilisation mais qui ne peuvent pas se mettre en grève.

Nous devons tous et toutes ensemble, prouver à Sarkozy qui prétendait que «quand il y avait une grève dans ce pays, on ne la voyait pas», que sa réforme on n’en veut pas, qu’on ira jusqu’à la victoire.

Rien n’est encore joué: le gouvernement et le patronat mettront toutes leurs forces pour briser la mobilisation. Mais nous avons aujourd’hui la possibilité d’infliger une véritable défaite au gouvernement, comme au Medef. Prouvons leur que c’est la rue qui gouverne!

Sandra Demarcq (NPA)


Déclaration d'Olivier Besancenot: Pour un nouveau Mai 68

Derrière la réforme des retraites s’engouffre un profond ras le bol de Sarkozy et de son gouvernement, de sa politique qui cogne sans cesse sur les salariés, les catégories modestes de la population, qui détruit le services publics et réserve aux plus riches le bouclier fiscal, les exonérations et cadeaux fiscaux, sans oublier les retraites chapeaux et stock options pour une poignée de privilégiés.

Depuis le 12 octobre et ses 3, 5 millions de manifestants, la grève a été reconduite à la SNCF, la RATP, les raffineries et les ports, chez les territoriaux, dans de nombreux établissements scolaires. Ailleurs, débrayages, blocages montrent la détermination des salariés à ne pas se laisser faire.

Les jeunes, lycéens et étudiants, se mobilisent massivement et sont nombreux dans les manifestations. Ils ont bien compris que c’est de leur avenir dont il s’agit.

Une révolte globale est en marche.

Pour faire échec à ce gouvernement qui pratique le mépris et la répression pour empêcher la jonction entre les travailleurs et la jeunesse, les faire taire, il faut être plus fort qu’en 1995 ou en 2003.

C’est un Mai 68 aux couleurs du 21e siècle qu’il nous faut.

Le 14 octobre 2010


« Bloquer l’économie pour bloquer la réforme »

Chat modéré par Caroline Monnot pour LeMonde.fr avecOlivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).

Esteban : Bonjour, cette journée de mardi, c’est un baroud d’honneur, non ?

Olivier Besancenot : Non ! C’est une étape supplémentaire vers la grève générale qui commence à prendre forme. A partir de mardi soir, des reconductions de grève auront lieu, de nouvelles manifestations auront lieu, ainsi que de nombreux blocages. La question posée est maintenant de bloquer l’économie pour bloquer la réforme. Zbeul : Cette grève est-elle, selon vous, une grève politique de mécontentement général ou une grève sociale centrée uniquement sur les retraites ?

Le mécontentement dépasse la question des retraites, mais en même temps, se cristallise sur le dossier des retraites. De nombreux salariés et de nombreux jeunes n’en peuvent plus du « deux poids-deux mesures » du gouvernement et cherchent en effet, à travers cette grève sur les retraites, à solder les comptes avec le gouvernement Sarkozy qu’on subit depuis trop longtemps.

Abdelmallik : Quelle suite envisagez-vous à l’action syndicale si la loi est votée ?

La loi n’est qu’un projet de loi tant qu’elle n’est pas parue dans le Journal officiel. Et quand bien même elle paraîtrait dans le Journal officiel, l’histoire sociale de notre pays est là pour nous rappeler que ce que le Parlement – l’Assemblée et le Sénat – décide, la rue peut le défaire.

Fred : Même avec 3 millions de manifestants, la rue a la légitimité d’un Parlement élu ?

Aujourd’hui, la légitimité est dans le camp de la rue, et la rue peut avoir plus de pouvoir que les gouvernements. Ca a été vrai en 1995 au moment du plan Juppé, vrai également en 2006 au moment du contrat de première embauche.

Par ailleurs, nos principaux acquis sociaux ont d’abord été arrachés par les luttes et par une mobilisation de nos anciens. Si nos grands-parents n’avaient pas fait grève en 1936, nous ne bénéficierions pas aujourd’hui des congés payés.

Odp : Vous pensez donc que le vote de l’ensemble des citoyens à moins de valeur que les mouvements sociaux ?

Et à quel moment la majorité des citoyens a-t-elle voté pour la retraite à 67 ans ? Sur YouTube, vous pouvez aller voir Nicolas Sarkozy, qui explique pourquoi il ne touchera pas à la retraite à 60 ans.

Léon : Le NPA pousse t-il les lycéens à sortir ?

Les lycéens se poussent tout seuls et n’ont pas besoin de personne pour le faire. Nous pouvons avoir des militants lycéens au NPA.

Par ailleurs, les adultes, les salariés, les parents d’élèves sont souvent présents devant les lycées pour demander aux forces de l’ordre de partir des établissements et de cesser leurs provocations. Et c’est une bonne chose.

Roland : Les violences devant certains lycées risquent de retourner l’opinion sur le mouvement. Fallait-il vraiment y associer les lycéens ?

Oui, il faut associer tout le monde. Et la jeunesse comprend que lorsqu’on demande aux anciens de travailler plus longtemps, ils auront encore moins de chance de trouver une place sur le marché de l’emploi.

Le gouvernement, par ses provocations policières répétitives, cherche les dérapages en pensant calmer la contestation en faisant peur.

Emilien22 : Quels éléments vous permettent de comparer les manifestations des derniers jours avec Mai 68 ? La probabilité d’un mouvement du même type est elle envisageable voire souhaitable pour la France ?

Il n’y a pas de modèle exportable. Chaque lutte est particulière et trouve ses propres lois. Mais je pense qu’un nouveau Mai 68 aux couleurs du XXIe siècle ne ferait de mal à personne, si ce n’est aux capitalistes et au gouvernement. Mais ça, ce n’est pas grave...

Mai 68, en plus des barricades, ça a été une grève générale où des millions de personnes ont fait irruption sur la scène sociale et politique. C’est cette irruption-là dont nous avons besoin aujourd’hui.

Thibaud : Des grévistes qui bloquent les centres pétroliers et les axes de transports : est-ce encore de la grève qu’empêcher activement les autres de travailler ? N’est-ce pas plus proche de l’idée que vous vous faites d’un « activisme révolutionnaire » ?

Nous ne vivons pas une révolution (pas encore !). Nous sommes dans un processus de généralisation des grèves, où la radicalisation et l’élargissement vont de pair. Le mouvement s’élargit à chaque fois un peu plus, et en même temps, les actions se radicalisent car le gouvernement pousse à la radicalisation de la lutte.

Marc : Le NPA a-t-il un contre-projet concret de réforme au sujet des retraites ? Si oui, quel est-il ?

Le NPA réclame non pas la réécriture du projet, mais son retrait pur et simple. Nous proposons la retraite à 60 ans à taux plein, et le retour aux 37,5 annuités pour tous. Pour financer ce projet, nous proposons d’augmenter la part de la cotisation patronale.

3 % du PIB d’ici à 2050 sont nécessaires d’après le Conseil d’orientation des retraites pour financer le système de retraite. Or chaque année, 17 % des richesses annuelles partent sous forme de profits qui sont accaparés par une minorité de privilégiés.

Il faut donc partager les richesses, et également partager le temps de travail en travaillant moins dans les entreprises, pour que tout le monde à l’extérieur ait un emploi.

Victor : Quels sont, selon vous, les secteurs à taxer en priorité si l’on veut trouver les fonds nécessaires pour financer les retraites ?

Les revenus du capital. Par ailleurs, chaque année, 32 milliards d’euros partent sous forme d’exonérations de cotisations sociales pour faire, soi-disant, de l’emploi (on voit avec quel succès !). Ces exonérations créent des déficits.

Georges P. : Comment se fait-il que vous ne sembliez pas craindre les conséquences économiques (retombées sur l’emploi, la croissance, etc.) des mouvements que vous organisez ou attisez ?

Les difficultés économiques actuelles ne sont pas le fait de la grève générale, mais le fait d’un système qui se nomme le capitalisme, et dont la crise, initiée il y a deux ans par l’affaire des subprimes, a gangrené l’ensemble des rouages de l’économie.

Nous assistons à une crise de surproduction au sens marxiste du terme dans l’ensemble des puissances capitalistes. Il faudra bien inventer un jour un nouveau mode de production et de consommation qui permette de satisfaire les besoins de l’humanité.

Etudiant Tokyo : Pensez-vous qu’un référendum serait une bonne solution pour éventuellement remettre les choses à plat ?

A ce moment précis du conflit, non. Ce serait un dérivatif et un substitut institutionnel pour les mobilisations sociales. S’il y a un moyen plus efficace que la grève générale reconductible pour gagner, il faut nous le dire, mais moi, je ne vois pas. La votation citoyenne a pu, au moment de la privatisation de La Poste, être un point d’appui pour les luttes. Mais en aucun cas elle ne peut remplacer les luttes.

Serena : Les étudiants sont assez peu mobilisés pour le moment, pourraient ils avoir un rôle déterminant ?

Pas de panique, Serena, ça arrive ! Une dizaine d’universités sont déjà mobilisées, et en effet, la contestation étudiante pourrait être un élément décisif dans l’extension du mouvement.

MatthieuRecu : Donc il est normal de bloquer les établissements, et d’empêcher ceux qui veulent étudier ?

Donc, il est normal que je soutienne les bloqueurs.

Zbeul : Les action des Black Blocs sont-elles la solution plutôt que les traditionnelles « manifs merguez cégétistes » ?

Je suis plutôt du côté du Red Bloc. Par ailleurs, j’aime bien les merguez et je suis partisan de la grève générale reconductible.

GG : Quid d’une véritable alliance à gauche entre le NPA et le Front de gauche pour pouvoir peser sur le PS dans les années à venir ?

Nous proposons le rassemblement de toutes les forces anticapitalistes sur des bases unitaires et radicales, et en indépendance totale vis-à-vis du PS. Le but du jeu, pour moi, n’est pas d’infléchir la politique du PS ou le convertir à l’anticapitalisme (bon courage !), mais plutôt de contester au PS son hégémonie sur le restant de la gauche.

Il y a deux grandes orientations politiques à gauche : une qui s’inscrit dans le cadre de l’économie de marché, et l’autre qui veut en sortir. Ces deux orientations ne sont pas compatibles dans un même gouvernement, mais nos forces peuvent s’additionner pour résister à la droite, comme c’est le cas sur les retraites.

Laurent F. : Monsieur Besancenot, quand comptez vous prendre votre retraite ?

A 60 ans à taux plein ! Mais sache, Laurent, que je continuerai à militer quand même.

Maroux : Et jusqu’où cette escalade peut-elle aller ?

Jusqu’à la victoire. Les conditions sont réunies pour que le mouvement sur les retraites gagne. Ce n’est pas écrit d’avance, et il y a de nombreux obstacles encore devant nous. Mais objectivement, notre camp, celui de la contestation, continue à s’élargir pendant que le camp d’en face, lui, s’isole et se fragilise.

Le remaniement gouvernemental se transforme en débandade. Et face à des ministres qui préparent leurs cartons, la rue peut remporter une victoire décisive dans cette lutte de classes. Comme disait le « Che », hasta la victoria siempre !

Propos modérés par Caroline Monnot. Le Monde fr. 19/10/2010

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