Qalandar Bux Memon (Pakistan) revient sur le bilan des inondations au Pakistan
Par LCR-Web le Mardi, 30 Novembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

« Climat et Justice Sociale » a invité quatre témoins internationaux à faire part de leur expérience devant l’Assemblée européenne des peuples pour la justice climatique », coorganisée par les Amis de la Terre, Via Campesina, Climate Justice Action et CJS les 27 et 28 novembre à Bruxelles. Les militants ont ainsi pu entendre Peter Polder, militant du Groen Front (Pays-Bas) ; Manolo Gari, directeur d’ISTAS - Commission Ouvrières et militant d’Izquierda anticapitalista (Etat espagnol) ; Evguenia Tchirikova, dirigeante du mouvement pour le sauvetage de la forêt de Kimkhy (Russie) et Qalandar Bux Memon, chargé de conférence à l’université de Lahore, militant de la Labor Relief Campaign et membre du Labor Party of Pakistan. Evguenia Tchirikova a en outre pris la parole avant le départ de la manifestation appelée par la Coalition climat, et Qalandar Bux Memon à la fin de celle-ci. Nous synthétisons ci-dessous les informations et l’analyse de la situation au Pakistan par Qalandar Memon.

Les inondations au Pakistan l’été dernier sont une manifestation des changements climatiques. Mais la catastrophe a été aggravée par les caractéristiques sociales du pays, produit de son histoire, ainsi que par la situation politique actuelle.

L’élite pakistanaise comprend trois catégories sociales qui représentent ensemble moins de 5% de la population : les grands propriétaires terriens, la caste militaro-bureaucratique et la bourgeoise industrielle nationale. Tous trois sont étroitement liés au grand capital multinational, US en particulier, et leur forme actuelle est un produit de la colonisation britannique. Depuis l’indépendance en 1947, le pays connaît une dictature militaire. La répartition du budget de l’Etat donne une idée de l’inégalité sociale qui caractérise le pays : 60% est consacré aux forces militaires (les aides US - 15 milliards de dollars ces dernières années- ne sont pas comprises dans ce chiffre), 30% vont au service de la dette extérieure, et 10% à peine aux autres fonctions de l’Etat (dont 0,5% à la santé et 2% à l’éducation).

Le bilan des inondations tient en quelques chiffres : 2000 morts ( probablement beaucoup plus si l’on tient compte des nouveaux nés, des femmes en couche, des personnes âgées décédées après la catastrophe, en conséquence de celle-ci) ; 20 millions de personnes affectées (sur une population totale de 180 millions), un cinquième du pays envahi par les eaux pendant plus de deux mois, destruction de deux millions d’hectares de terres arables, destruction de nombreuses infrastructures (ponts, etc.) dans les provinces de Sindh et de Swat ; 5,3 millions d’emplois perdus. Une catastrophe de grande ampleur, qui s’ajoute aux séquelles du récent tremblement de terre au Cachemire. Une catastrophe qui a touché quasi exclusivement les pauvres.

Les inondations sont le produit direct de certaines manifestations des changements climatiques, en particulier la fonte des glaciers de l’Himalaya et la violence exceptionnelle des pluies de mousson (200 fois la normale). Mais les effets ont été décuplés par trois facteurs socio-politiques :

Le modèle d’aménagement du bassin de l’Indus. Le système traditionnel, analogue à celui qui est pratiqué dans la vallée du Nil depuis l’antiquité, consistait à accompagner les crues plutôt qu’à tenter de les endiguer. Le colonisateur britannique l’a remplacé par un dispositif de barrages et digues servant à alimenter des canaux, dans le but d’étendre les cultures irriguées. Ce dispositif a été encore renforcé à partir des années ’60, pour les besoins de l’agrobusiness. Or, il a pour conséquence que les sédiments ne sont plus chassés vers le delta, donc s’accumulent dans le lit du fleuve dont le niveau s’élève par conséquent, de sorte que la menace d’inondations augmente ;

La déforestation dont les mafias de l’abattage illégal se rendent coupables dans les provinces du Nord, avec la complicité de la classe dominante, dont elles font partie ;

La destruction des mangroves dans le delta, due notamment à la pollution par les déchets chimiques de l’industrie, avec pour conséquence la perte d’une zone tampon de grande richesse biologique entre le fleuve et l’océan.

De plus, dans certains cas, des décisions politiques précises ont été prises qui ont aggravé l’impact social de la catastrophe alors que des alternatives étaient possibles. Qalandar nous a ainsi donné l’exemple d’une région où les autorités avaient le choix entre deux possibilités : ouvrir une brèche dans les digues pour laisser l’eau s’écouler du côté d’une vaste zone appartenant à l’armée, ou du côté d’une zone habitée par 400.000 personnes. La deuxième option fut adoptée, sous la pression de la caste militaire et des alliés américains…

L’Etat pakistanais n’a pratiquement rien fait pour aider les victimes, selon Qalandar Memon, parce que les moyens dégagés ont été massivement détournés par la corruption à tous les niveaux. Les USA ont freiné la mobilisation de l’armée au secours des victimes. Par contre, la mobilisation populaire a été importante. Notre invité est actif dans le cadre de la Labor Relief Campaign. Il nous donne l’exemple de la ville de Lahore, où les collectes de solidarité ont permis de récolter 300.000 Euros. Même des mendiants donnèrent une part de leurs maigres ressources pour venir en aide aux victimes. La Labor Relief Campaign organise aussi des cuisines itinérantes. «Pas seulement avec des femmes, des hommes aussi font la cuisine », précise Qalandar.

Dans le cadre de la prise en charge populaire de la solidarité et des solutions à apporter, une autre expérience intéressante doit être mentionnée : le Labor Party of Pakistan, dont Qalandar est membre, met sur pied un projet de commune agricole, dans le but de montrer en pratique qu’un autre modèle de développement est possible. Un modèle dans lequel il n’y aura plus 80% de paysans sans terre !

« Le changement climatique est là, la catastrophe est déjà en marche dans le Sud, conclut Qalandar. Continuez à lutter conjointement pour la justice sociale et contre le réchauffement global ». Le message a été reçu cinq sur cinq par les participant-e-s !

En fin de journée, devant les manifestant-e-s rassemblé-e-s au Mont des Arts, Qalandar Memon ajouta une autre dimension : la lutte contre la guerre. « Il n’y a pas que les inondations. L’OTAN et les USA lancent tous les jours des bombes sur l’Afghanistan et sur le Pakistan. Elles font non seulement des dégâts humains mais aussi des dégâts écologiques. Nous devons mener une lutte globale : sociale, économique, écologique et morale ».

Daniel Tanuro, avec l’aide de Wiebe Eekman


Rencontre avec des militant-e-s de la LCR

Notre camarade Qalandar a également participé, après la manifestation pour le climat, à une rencontre-discussion avec des militant-e-s de la LCR, afin de nous permettre de mieux connaître son organisation, le Labour Party of Pakistan (LPP), également lié à notre IVe Internationale. Le LPP a été fondé en 1999 et a connu ces dernières années un développement remarquable : croissance numérique (plus de 7.000 membres), extension géographique (il est maintenant présent dans toutes les provinces du pays) et enracinement social (paysans, ouvriers, femmes…).

Ce développement est d’autant plus significatif qu’il n’y a pas si longtemps, le principal noyau historique du LPP n’était encore qu’un petit groupe politique d’origine trotskyste (The Struggle – La Lutte) présent avant tout au Pendjab, rejoint pour la fondation d’une nouvelle organisation par une poignée de cadres du Parti communiste, dans le Sind surtout. Le dynamisme du LPP contraste avec l’atonie de la gauche traditionnelle dans un pays ayant connu une succession de régimes militaires, déchiré par l’affrontement de fondamentalismes religieux sunnites et chiites, déstabilisé par la guerre engagée par l’OTAN en Afghanistan et par l’activisme meurtrier des talibans.

Après avoir retracé l'historique du LPP, au travers de multiples exemples concrets et édifiants, Qalandar a bien mis en lumière que la réalité du Pakistan ne se résume pas à ces événements, largement médiatisés à l'échelle internationale. De la lutte des femmes, qui n'hésitent pas s'affronter à la police et à l'armée à coups de chaussures, à la marche de 20.000 paysans pour le droit à la terre, en passant par la grande grève menée récemment par 250.000 ouvriers à Faizalabad pour les droits sociaux et l'augmentation du salaire minimum, c'est un autre Pakistan qui se révèle, celui de la lutte des classes où le LPP joue un rôle important, ce qui se traduit notamment par sa composition sociale. A la différence des dizaines d'autres groupes politiques de gauche où les représentants des classes moyennes cultivées dominent, le LPP est en effet composé dans sa grande majorité de travailleurs-euses et de paysans-nes qui déterminent effectivement son orientation. Par son travail féministe et la construction d'un mouvement de masse autonome de femmes, le LPP est aujourd'hui le parti pakistanais le plus « féministisé » en termes de membres et de dirigeantes reconnues. Le LPP pratique également une démocratie interne vivante, avec droit de tendance autour de plateformes, ce qui permet d'éviter la maladie, traditionnelle dans le reste de la gauche pakistanaise, de la scission en autant de partis distincts lorsque surgit la moindre divergence d'opinion.

A.R

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