Mobilisation syndicale contre le « Pacte de l'Euro ». Récit et reportage photos
Par Georges Kopp le Vendredi, 25 Mars 2011 PDF Imprimer Envoyer

Plus de 20.000 militant-e-s syndicaux et travailleurs/euses se sont mobilisé-e-s ce jeudi 24 mars pour protester contre les politiques d'austérité et le « Pacte de l'Euro » concoctés par l'Union européenne, à l'occasion du sommet des chefs d'État européens à Bruxelles. Ce Pacte, élaboré par le duo Sarkozy-Merkel et adoubé par la Commission européenne, vise à donner un coup d'accélérateur à la destruction de l'État-providence et des droits sociaux chèrement conquis par le mouvement ouvrier.

Les travailleurs/euses ne s'y trompent pas, ce Pacte constitue bel et bien une nouvelle déclaration de guerre à la classe ouvrière en Europe. Sous le prétexte de maîtriser les déficits publics et d'instauter une «gouvernance économique», l'UE va conditionner son aide aux États membres en difficulté à des plans drastiques d’austérité et mettre en oeuvre de redoutables politiques de régression sociale, avec un caractère structurel. Au menu: Remise en cause de l’indexation automatique des salaires, blocage des salaires, relèvement de l’âge de la retraite, attaques sur les services publics et la sécurité sociale, liquidation des prépensions, inscription dans la constitution des États membres d’un plafond maximal de dette publique, etc.

Malgré l'ampleur des enjeux, qui nécessitent une riposte à leur hauteur, déterminée et unitaire, le sommet de la CSC avait décidé, quelques jours avant l'action, de rompre le front commun et de réunir bien sagement ses propres troupes pour une concentration « kermesse-boudin »… au Heysel, bien loin des centres de décision politiques! 

Nationalisation du secteur de l'énergie! Austérité: dégage! 

S'il faut déplorer, à nouveau, cette division et l'absence d'un mot d'ordre de grève interprofessionnelle généralisée ou de perspectives, la FGTB avait quant à elle décidé — une fois n'est pas coutume — une forme d'action bien plus percutante que les traditionnels défilés « Gare du Nord-Gare du Midi », ce qui a précisément motivé la direction de la CSC à briser l'unité. Dès 8h00 du matin, plusieurs cortèges se sont ainsi formés Gare du Midi, Boulevard Albert II, Place Meiser et Rond-point Montgomery avant de converger pour occuper la rue de la Loi de 10h30 à 14h00, en passant par les sièges d’Electrabel-Suez, de la Banque nationale ou de Business Europe (confédération patronale européenne). 

Les militant-e-s FGTB ont largement répondu présent car les préoccupations sociales sont de plus en plus lourdes et on sent bien que la révolte gronde parmi des salarié-e-s et des couches de plus en plus précarisées de la population. La composition des cortèges FGTB en témoignait. La défense de l'indexation des salaires, le refus de l'austérité, la réduction des prix de l'énergie, ou encore l'exigence que l'on prenne l'argent là où il est en taxant les grosses fortunes et les transactions financières, étaient au cœur des revendications qui ont été mises en avant ce jeudi. 

Anecdote significative; à hauteur de la station de métro Trône, le cortège venant de la Gare du Midi a fait une halte devant un podium pour écouter Anne Demelenne lancer quelques flèches contre Electrabel et sur la nécessité de contrôler les prix de l'énergie domestique. Un groupe de Jeunes-FGTB carolos a alors scandé avec conviction: « nationalisation du secteur de l'énergie! » devant une secrétaire générale qui, décontenancée, à concédé un « heu...oui, c'est une bonne idée »…

La révolte contre les politiques néolibérales et un système capitaliste inique (et dangereux comme le démontre Fukushima) croît chez certaines couches de travailleurs/euses et l'envie d'en découdre et d'agir de manière plus offensive motive de plus en plus de militant-e-s syndicaux. Même si la situation n'est évidemment pas exactement la même, tout le monde a en tête les images et l'exemple donnés par les révolutions dans le monde arabe. Des travailleurs portaient ainsi un calicot avec « Europe, dégage! », reprenant le terme utilisé par les masses en révolte pour chasser leurs dictateurs. 

Demonty-Kadhafi, même combat! 

Tandis que les discours finaux des dirigeants syndicaux assuraient le caractère « responsable » de l'action, l'occupation de la rue de la Loi a provoqué quelques affrontements avec la police. Cette dernière voulait en effet chasser les syndicalistes à hauteur des bâtiments officiels et à usé de gaz lacrymogènes et de matraques avant de dresser un barrage de barbelés et d'auto-pompes auquel plusieurs centaines de manifestant-e-s se sont affronté pendant plus d'une heure. 

La forme d'action adoptée le 24 mars n'est évidemment pas passée inaperçue, entre autres avec les blocages de la petite ceinture et de plusieurs axes routiers ou carrefours importants, ainsi qu'avec les quelques jets de pavés rue de La Loi. Bien entendu, et c'est leur rôle, la presse bourgeoise et le patronat se sont déchaînés contre les syndicalistes. La palme des commentaires les plus réactionnaires revient certainement au journaliste du Soir, Bernard Demonty, qui a osé écrire que les échauffourées contre la police étaient l'oeuvre de manifestants « sous l'influence de l'alcool ou de la drogue ». Ce porte-plume du patronat ne s'est sans doute pas aperçu qu'il a utilisé les mêmes formules employées par le dictateur Kadhafi pour disqualifier les opposant-e-s en Libye. Il ne lui reste plus qu'à dénoncer également « l'influence d'Al-Quaïda » parmi les militant-e-s FGTB et la ressemblance sera parfaite!

Plus navrante a été l'attitude d'une partie du service d'ordre syndical lors des incidents. Comme le relate un délégué CGSP: « La manifestation était « encadrée » par un groupe de militants portant des chasubles jaunes, couleur judicieusement choisie, ornée de l’inscription « steward ». Ces derniers ne trouvèrent pas de mesure plus intelligente que de former une chaîne humaine non pas entre les manifestants et la police mais bien entre « les bons » manifestants, priés de rentrer chez eux et « les casseurs» destinés à être isolés du reste de la manifestation avant d’être laissés en pâture à des forces de l’ordre qui n’en demandaient pas tant. Mal leur en pris cependant, bien qu’affichant la morgue et la fatuité que leur donne sans doute le statut supérieur de « stewards », ils se virent vigoureusement pris à partie par de nombreux délégués et militants de base. Ces derniers leur rappelèrent que la répression est une prérogative de la police et que ce rôle n’est pas encore délégué à une quelconque bureaucratie syndicale. »

Élever le niveau de contestation

Au final, la journée du 24 mars a représenté un succès dans la mobilisation de la base, mais qui laisse un goût de trop peu. Tant qu'à faire, il aurait été sans aucun doute plus efficace encore de suivre les propositions avancées par la centrale des métallos FGTB de Wallonie-Bruxelles. Cette dernière souhaitait en effet paralyser entièrement le sommet des chefs d'États européens lui-même, avec des actions de blocage similaires à celles utilisées par le mouvement altermondialiste à sa grande époque. Au vu de la réussite et du déroulement des manifestations de ce 24 mars, il est évident qu'il existe une réelle disponibilité pour ce genre d'action qui, combinée à une grève effective, donnerait de réels résultats, tout en motivant une base lassée des promenades sans lendemains.

Le sommet de la FGTB serait ainsi bien mal inspiré de ne donner aucune suite à la mobilisation du 24 mars et de revenir à des formes de mobilisation qui ne gênent en rien le patronat ou les « amis politiques ». Quant à la CSC, il revient avant tout aux militant-e-s « vert-e-s » de contester une direction qui a capitulé à plusieurs reprises de manière honteuse face au patronat et au gouvernement et qui brise la nécessaire unité entre les travailleurs/euses pour défendre leurs intérêts communs.




























Photos: Raoul Flies, Dirk Cosyns, Ataulfo Riera, Céline Caudron





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