Révolution sous occupation : Les Irakiens exigent la fin de l’occupation étrangère et le démantèlement du régime sectaire
Par Zaineb Saleh, Ouday Al Zaïdi le Jeudi, 19 Mai 2011 PDF Imprimer Envoyer

Dans sa couverture des protestations en Irak (1), la revue « The Economist » a publié un article intitulé « Mêmes les démocraties ne sont pas immunisées » (2). L’article décrit l’Irak comme un pays qui jouit d’un gouvernement élu, mais où malgré cela les manifestations se généralisent du fait de l’incapacité du gouvernement à garantir les services élémentaires à la population. Cet article illustre bien comment l’information sur la situation en Irak est réalisée dans les grands médias. Quand ces derniers parlent des manifestations dans ce pays, ils n’évoquent que les revendications demandant de l’électricité, la sécurité et des services aux citoyens. Cette image déforme la vérité essentielle des événements en Irak. Les exigences impératives des Irakiens sont le retrait immédiat des troupes d’occupation étatsuniennes et la chute d’un régime basé que des quotas sectaires.

Le discours dominant

Le discours de « The Economist » défendant l’existence d’une démocratie en Irak est cohérant avec la couverture informative de cette revue sur le Proche Orient, qui reflète à son tour le discours dominant sur l’instauration de la démocratie tenu par le gouvernement des Etats-Unis comme argument pour justifier l’invasion et l’occupation du pays. Selon « The Economist », toujours, depuis 2003, l’Irak est une démocratie et, de plus, elle est un cas exceptionnel dans la région puisque que les manifestations et les protestations en cours des Irakiens sont une expression de cette démocratie !

Ce discours selon lequel l’Irak possède un régime démocratique et le fait que l’on ne mentionne jamais l’occupation disculpe le gouvernement étatsunien de toute responsabilité quant à la destruction du pays, tout en considérant que vivre sous occupation étrangère est une chose normale, qui ne mérite même pas la peine d’être mentionnée.

C’est après les protestations en Egypte, qui ont chassé le président Hosni Mubarak, qu’ont commencé les manifestations dans plusieurs villes irakiennes. Le 25 février fut décrété « Jour de la rage irakienne » avec la Place Tahrir de Bagdad comme point névralgique, lieu où se déroulent depuis des rassemblements quotidiens.

Ces protestations ont encore plus creusé le fossé entre entre le peuple irakien et le gouvernement, tout comme la détermination de ce peuple à mener à bien une révolution contre un régime corrompu - aussi bien dans le Kurdistan irakien que dans le reste du pays - qui souhaite le maintien des troupes étatsuniennes.

Peu de gens espéraient au début que les masses sortiraient dans la rue pour manifester, à l’image des mobilisations des peuples égyptien et tunisien. L’origine de cette impression négative qu’il était impossible, en Irak, de développer un quelconque travail politique de masse repose dans le manque de confiance des Irakiens en leur capacité de créer un espace publique commun, vu la situation actuelle de division ethnico-confessionnelle, le contrôle des villes par les milices et par les partis confessionnels ainsi la sectarisation généralisée du processus politique.

Irak, théâtre d’une lutte entre les puissances

Les révolutions arabes d’Egypte et de Tunisie ont été spontanées et, à leurs débuts, il n’y a eu aucune force extérieure impliquée. Mais, après leur première victoire, les Egyptiens se sont trouvés confrontés à la contre-révolution dirigée par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite. La situation n’est pas la même pour les Irakiens. Le point de départ des mobilisations en Irak a été compliqué puisqu’ils se trouvent au cœur même d’un échiquier politique international. L’Irak est le théâtre d’une confrontation entre plusieurs puissances, avant tout les Etats-Unis, l’Iran et l’Arabie Saoudite. En conséquence, dès le début, le soulèvement populaire irakien a du faire face aux « intérêts internationaux ».

Après les grandes manifestations sur la Place Tahrir à Bagdad le 25 février, les mobilisations massives se sont généralisées dans toutes les villes du pays, y compris au Kurdistan irakien. L’importance des manifestations dans cette région réside dans le fait que les Kurdes se retrouvent aujourd’hui dans la même situation que le reste des Irakiens ; absence de services collectifs, chômage, corruption et népotisme. Les manifestations qui se sont déroulées dans les villes kurdes ont mises à nu la fausseté du « succès de la reconstruction du Kurdistan irakien ».

Les deux partis kurdes au pouvoir (UPK et PDK), de même que les autorités de Bagdad, ne se préoccupent pas de répondre aux besoins sociaux du peuple et n’hésitent pas à utiliser la force indiscriminée contre les manifestants. Le Kurdistan irakien a toujours été présenté comme un oasis de démocratie, comme le seul endroit d’Irak où l’ont peut vivre normalement, contrairement à ce qui se passe dans les régions arabes du pays. Mais les revendications des manifestants dans cette région, tout comme la violence utilisée contre eux, ont fait voler en éclat cette illusion. Au-delà des différences ethniques, le Kurdistan irakien fait partie du même pays car les Kurdes sont confrontés aux mêmes difficultés quotidiennes que le reste de la population. (2).

Malgré l’importance des protestations, le chemin qui s’ouvre devant les Irakiens est plus que compliqué. Sans doute les événements au Bahreïn au cours des deux derniers mois (marqués par l’intervention de forces saoudiennes afin de soutenir les autorités au pouvoir dans leur répression contre le peuple, avec la bénédiction de Washington) démontrent la difficulté d’obtenir un changement réel. Le Bahreïn est une sorte de reproduction miniature de l’Irak. Il suffit de jeter un coup d’œil rapide à l’histoire de l’Irak au cours de ces quatre dernières décennies pour voir clairement le rôle joué par des intérêts étrangers dans son évolution politique.

L’ingérence étatsunienne en Irak remonte ainsi à l’époque du président Abdelkarim Kassim. La peur du gouvernement US face à la probable croissance des communistes irakiens l’a motivé à soutenir la prise du pouvoir par le parti Baas dans les années ’60. Après la révolution islamique en Iran, l’Irak est devenu encore plus important pour les Etats-Unis, les gouvernements occidentaux et les pays du Golfe. Ils ont soutenus Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak, fermant les yeux sur la répression dont souffrait le peuple.

Ils n’ont pas hésité non plus à détruire les infrastructures du pays, à tuer des civils, à contaminer l’environnement avec de l’uranium appauvri et à le bombarder massivement pendant la guerre de 1991 et pendant toute la décennie suivante, jusqu’à l’invasion et l’occupation de 2003, sous le prétexte d’instaurer la « démocratie ». Ils ont ensuite installé un gouvernement fantoche basé sur des quotas confessionnels sectaires. Pour le peuple irakien, le résultat de ces décennies d’ingérence, c’est une occupation sanglante, la violence sectaire, la mort, la corruption et la disparition quasi-totale des services publics.

Obtenir un emploi ou réaliser un quelconque travail quotidien, tant au Kurdistan irakien que dans le reste du pays, est étroitement conditionné par l’appartenance personnelle à un parti ou à une milice déterminée, alors que personne ne met un frein aux actions terroristes menées par les forces étrangères, les entreprises de sécurité et les partis locaux qui leurs sont liés.

Depuis 2003, l’Irak est devenu le théâtre d’une guerre ouverte entre des forces internes et externes. Tandis que le gouvernement étatsunien était plus préoccupé par les contrats pétroliers, la justification de la guerre et par mener à bien son plan pour « remodeler » la région, l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Syrie se sont chacun introduits en Irak pour défendre leurs propres intérêts et tenter que le pays ne tombe dans l’orbite du régime opposé. Vu que toutes les forces politiques en Irak dépendent de puissances étrangères, toutes obsédées par le vol des richesses du pays, c’est le peuple irakien qui paye le prix de ces affrontements permanents.

Les exemples de la Tunisie et de l’Egypte

Malgré le fait que, depuis 2003, les Irakiens ont sans cesse protesté contre la détérioration de leurs conditions de vie, il ne fait pas de doute que les événements d’Egypte et de Tunisie leur ont donné plus de force pour sortir dans la rue et manifester afin d’exiger la fin de l’occupation et leurs droits sociaux et démocratiques. La détermination des peuples tunisien et égyptien et la possibilité d’obtenir un changement qu’ils ont démontré constituent un exemple pour les Irakiens. Depuis le mois de février, le peuple irakien défie sans cesse les autorités au pouvoir qui ont usé et continuent à user de méthodes extrêmement violentes pour le réprimer, avec des centaines d’arrestations brutales et illégales contre des manifestants pacifiques et désarmés.

Dans sa lutte quotidienne, le peuple irakien, tout comme celui du Bahreïn, doit faire face aux forces répressives locales et internationales. Tout comme les troupes saoudiennes ont pénétré au Barheïn avec la bénédiction des Etats-Unis afin de réprimer les manifestants, les hélicoptères étatsuniens survolent à ras du sol les manifestants de la Place al-Ahrar de Mossoul, leur lançant des ordures, et avec des soldats assis avec les pieds en dehors de l’appareil en un geste d’offense, comme pour leur marcher sur la tête. Il ne fait aucun doute que ces survols sont destinés à intimider les manifestants et à les menacer : si les autorités locales ne sont pas capables de réprimer, les troupes étatsuniennes, elles, le feront.

(1). The Economist, “Even a democracy is not immune. Corruption and poor services are making people ever angrier”, 3 de marzo de 2011:http://www.economist.com/node/18291575

(2) Voir, en arabe :

http://www.alsumarianews.com/ar/1/20373/news-details

Texte original en arabe: [« Revolutionaries Under Occupation: The Iraqi Uprising of 2011 »]. Traduit pour le site IraqSolidaridad http://www.iraqsolidaridad.org/2011/docs/revolucion_bajo_ocupacion.html et en français pour le site www.lcr-lagauche.be


« Nous maintiendrons les protestations jusqu’au départ des occupants »

Entretien avec Ouday Al Zaïdi, président du Front Populaire pour la Libération de l’Irak

Ouday Al Zaïdi a 32 ans et il est le frère de Montazer al Zaïdi, le journaliste qui avait lancé sa chaussure contre Bush et qui fut emprisonné pour cela. Mais Ouday est aussi le président du Front Populaire pour la Libération de l’Irak et l’un des organisateurs des protestations contre l’occupation qui ont lieu depuis plusieurs mois dans 16 des 18 provinces irakiennes.

Dès qu’il nous reçoit, il nous montre des dizaines de photographies de victimes de l’occupation militaire et de la guerre. « Regarde, des massacres d’enfants, des viols de femmes et d’hommes, des prisons secrètes, des humiliations quotidiennes, des familles entières assassinées par les bombes US. Une image vaut plus que mille discours. Ces photos montrent ce que nous a apporté l’occupation ».

« Depuis 2003 il y a eu un million de mort et quatre millions d’orphelins. Et le grand paradoxe c’est que l’Irak est un pays riche, mais nous devons fouiller les ordures pour survivre ».

L’épouse et les trois fils d’Ouday Al Zaïdi vivent depuis des années en Syrie. Son frère Montazer se trouve aujourd’hui au Liban, où il a fui après avoir été libéré. « On a interdit à mon frère de retourner en Irak. On l’a mis sur une liste noire, tout comme moi. Je travaillais comme fonctionnaire au Ministère de la culture, mais on m’a renvoyé quand Montazer a lancé sa chaussure sur Bush. A partir de là, toute ma famille a commencé à souffrir d’une persécution insupportable, ils fouillaient notre maison, nous surveillaient. J’ai donc décidé d’envoyer ma famille en Syrie. Nous nous retrouvons une fois par mois. Je ne veux pas abandonner la lutte pour l’indépendance de mon pays ».

Quand ont commencé à s’organiser les manifestations en Irak ?

OZ: Cela fait un certain temps que nous manifestons, mais les protestations ont pris de l’ampleur après l’éclatement des révoltes en Tunisie et en Egypte. Si eux sont capables de renverser des dictatures de plus de 30 ans, alors nous pouvons chasser les occupants.

Nous avons donc organisé une grande manifestation le 25 février qui a rassemblé beaucoup de monde dans des villes comme Mossoul, Bassorah ou Diwaniyah. Ces manifestations ont rassemblé des sunnites, des chiites, des kurdes, des turcomans. Ce ne sont pas des protestations sectaires, confessionnelles. Le sectarisme n’existe pas dans la population, mais plutôt dans les esprits des politiciens irakiens. Moi, par exemple, je suis chiite, et je manifeste ensemble avec beaucoup de sunnites contre un gouvernement dominé par les chiites.

Croyez vous qu’il sera possible de continuer à tenir, comme c’est le cas jusqu’à présent, des manifestations toutes les semaines dans plusieurs villes du pays ?

Bien sûr, et pas seulement cela. Il est possible que ces manifestations augmentent en nombre et en participants et que se propage un mouvement massif de désobéissance civile, qui a déjà été initié avec succès à Mossoul, avec la coordination et le soutien d’écoles, de médecins, d’avocats et d’ingénieurs…

Avez-vous un « deadline » ?

Oui. Le 25 février, le Premier ministre Al Maliki a déclaré qu’il se donnait cent jours pour accomplir ses promesses et en finir avec la corruption. Ce délai se termine le 5 juin. Ce sera donc ce jour là que, si rien n’a changé comme on le suppose, nous donnerons une impulsion décisive aux protestations et à l’appel à la désobéissance civile.

Quelle est la réaction du gouvernement et des forces armées d’occupation devant ces protestations ?

Dans certaines villes, on disperse les manifestants avec des gaz lacrymogènes, des matraques et y compris avec des tirs à balles réelles, qui ont provoquées au moins 50 morts et des centaines de blessés. Moi-même j’ai été agressé et arrêté le 25 février. J’ai été cinq jours en prison, où j’ai reçu des décharges électriques, on m’a cassé une clavicule, on m’a brisé un poignet et cassé la jambe gauche.

Les forces armées US apportent tout leur soutien à l’Etat irakien dans cette répression contre des manifestants pacifiques. Les manifestations sont ainsi fréquemment surveillées par des hélicoptères étatsuniens qui volent à très basse altitude, d’où ils jettent des ordures sur les manifestants.

Toutes les revendications se centrent sur la fin de l’occupation militaire ?

Non, bien que tant qu’il y aura cette occupation il est impossible que le reste de nos revendications soient accomplies. Nous exigeons d’en finir avec le système des quotas communautaires et sectaires établis après l’occupation. Ce système suppose, entre autres choses, que le Premier ministre doit être chiite, le président du Parlement sunnite et que le président du pays soit kurde.

Nous exigeons également la libération des prisonniers innocents, ils sont des dizaines de milliers, hommes et femmes, dont on ne connaît pas ce dont on les accuse. Mais notre priorité est de vivre avec dignité, avec liberté, avec indépendance. C’est seulement alors que nous pourrons demander d’autres choses, comme du travail, de l’électricité, la fin de la corruption, des améliorations dans nos conditions de vie.

Comptez-vous sur un quelconque soutien extérieur ?

Non, notre seul soutien réside dans les milliers de manifestants. Jusqu’à présent nous avons rejeté le soutien d’autres pays et y compris de partis politiques afin qu’on ne nous accuse pas d’oeuvrer à leur service. Nous ne travaillons qu’au service du peuple irakien.

Avez-vous des contacts avec la résistance armée ?

Oui, évidement. Nous partageons avec la résistance armée un même objectif ; chasser l’occupant, mais nous résistons de manière pacifique, à travers des manifestations. La résistance soutien cette alternative pacifique.

Cet appui a été utilisé contre nous de la part du gouvernement irakien, qui nous accuse d’être liés aux terroristes, alors que nous sommes de simples citoyens sans d’autres armes que notre voix. Nous sommes simplement des gens qui ne voulons pas rester chez nous les bras croisés.

Quel rôle joue l’Iran voisin sur le territoire irakien ?

Après l’occupation de l’Irak, l’Iran a pu prendre le contrôle d’une partie importante de notre pays. Je suis chiite, confession religieuse majoritaire en Iran. Mais, pour moi, le rôle joué par l’Iran en Irak est identique, voire pire, que celui des Etats-Unis. Les groupes pro-iraniens exercent une répression systématique.

Les milices iraniennes ont fait beaucoup de mal à mon pays et elles sont infiltrées par le gouvernement irakien lui-même au travers des partis pro-iraniens, comme le Conseil supérieur pour la révolution islamique, le parti Al Dawa, auquel appartient le Premier ministre Al Maliki, ou encore le Mouvement Sadr, de Mouktada Al Sadr, dont le bras armé est l’Armée du Mahdi. Dans toutes les provinces, il y a des milices pro-iraniennes et y compris des prisons secrètes contrôlées par ces milices.

Quelle est votre opinion sur le rôle joué par les « Brigades du Réveil » composées par d’anciens combattants de la résistance armée et financées et armées par les Etats-Unis ?

Les Brigades du Réveil font partie de l’industrie américaine. Certains de leurs membres ont fait partie des forces armées irakiennes, mais une bonne partie d’entre eux ont été trompés et abandonnés. Le premier ministre Al Maliki n’a pas confiance en eux parce que ce sont des sunnites et il ne veut pas d’une majorité sunnite dans l’armée.

Ainsi, certains d’entre eux sont retournés dans les rangs de la résistance, d’autres ont quitté le pays et d’autres encore sont retournés chez eux désillusionnés. Ces brigades sont un exemple de la tactique étatsunienne qui consiste à diviser pour régner. L’occupation a profité de l’innocence des gens, elle a fomenté le sectarisme et l’a manipulé.

Mais depuis 2007 les Irakiens sont bien conscients de cela. Aujourd’hui, le sectarisme n’existe pas parmi la population, seulement dans la Zone verte où se trouve le Premier ministre et le reste des hommes au pouvoir.

Entretien réalisé par Olga Rodríguez pour le site « Periodismo Humano »

http://minotauro.periodismohumano.com/2011/05/15/mantendremos-las-protestas-en-irak-hasta-la-salida-de-los-ocupantes/ Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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