Un réel appauvrissement des pensionnés, des travailleurs et des chômeurs
Par Paul Piero le Dimanche, 27 Novembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Après plus de 500 jours, il se peut qu’il n’y ait toujours pas de gouvernement. Après les questions communautaires, c’est maintenant le budget qui agite les trois familles politiques traditionnelles. Les négociations traînent en longueur depuis des semaines. Au moment d’écrire ces lignes (1), on nous annonce une énième journée « cruciale » de négociation. On attend de voir si le PS, le SPa, le CD&V, le CDh, l’Open VLD et le MR réussiront à arracher un accord. Une chose est sûre pourtant : la classe des travailleurs va payer le prix fort pour ce budget. 

Le cadre européen

Ce budget a pour cadre « L’Europe » en lieu et place des rapports de forces politiques belges. Le Traité de Maastricht (1993) a tracé le cadre d’une Union économique et monétaire (la future « Zone euro ») qui allait de pair avec l’imposition d’une discipline budgétaire aux Etats-membres. En 1997, on y a ajouté le Pacte de Stabilité et de Croissance. Un jugement de la Cour européenne de Justice du 13 juin 2004 stipule que les Etats-membres qui transgressent les normes de ce Pacte de Stabilité peuvent se voir imposer une amende par la Commission européenne. Une telle amende trouve encore son meilleur point de comparaison avec les réparations que le Traité de Versailles a imposées à l’Allemagne après la Grande Guerre.

Les normes

Les normes dont il s’agit ici sont vraiment arbitraires. La dette publique maximale d’un Etat-membre ne pouvait désormais excéder 60% de son produit intérieur brut (PIB) ; quant au déficit des finances publiques, il devait être contenu en deçà des 3%. Les raisons pour lesquelles on a retenu ces chiffres-là plutôt que d’autres – on aurait pu tout aussi bien fixer respectivement 70% et 5% - sont assez obscures. La Belgique n’a en tout cas jamais été près de remplir la première norme, même si elle allait dans la bonne direction grâce à un « effet boule de neige inversé » de l’endettement avant que la crise financière de 2008 n’interrompe ce cercle vertueux. La seconde norme (autour du déficit budgétaire) est l’enjeu des négociations actuelles.

Les chiffres

En 2008, la dette publique a grimpé d’un coup à près de 100% du PIB (quelque 300 milliards d’euros). La crise financière en est la seule responsable. Le sauvetage de Fortis, Dexia, KBC et d’autres a coûté un paquet d’argent. Cela n’a pas seulement fait gonfler le volume global de la dette publique. Cette dette doit aussi être refinancée chaque année pour un cinquième (60 milliards d’euros), ce qui fait fortement augmenter les charges d’intérêt (ce taux d’intérêt est aujourd’hui de 5%). Tout ceci fait en sorte que le déficit budgétaire menace d’atteindre les 5%, soit largement au dessus de la norme de 3%. Cela signifie concrètement qu’il faut économiser 11 à 12 milliards d’euros. La Commission européenne exige que cet effort d’économie soit approuvé pour le 15 décembre 2011 au plus tard. Faute de quoi, elle menace la Belgique d’une amende de 700 millions d’euros à payer en janvier 2012.

Quelles réformes ?

Outre ce carcan purement budgétaire, l’Union européenne veut aussi imposer des « réformes structurelles ». Elles se situent sur le terrain de la formation des salaires et de la sécurité sociale. Des décennies de dérégulation néolibérale et d’unification monétaire ont fait en sorte que la concurrence au sein de la Zone euro ne peut plus jouer que sur les salaires. Ils sont donc la cible privilégiée des néolibéraux. Si cela ne tenait qu’à eux, on ferait table rase des salaires minimums qui existent encore. Comme en Allemagne, on obligerait les chômeurs à travailler pour un salaire de misère. De plus, ces « économistes » (dont aucun n’a vu arriver la crise financière !) veulent en finir avec le mécanisme soi-disant « unique » d’indexation des salaires (2). Ils l’accusent d’alimenter l’inflation, alors qu’il ne fait que réagir après coup aux hausses de prix et préserve avec retard le pouvoir d’achat. L’Union européenne veut aussi imposer une réforme drastique de la sécurité sociale. Il faudrait donc en finir avec les prépensions et relever l’âge de la retraite. Enfin, on veut rendre les systèmes de chômage « moins attractifs » en limitant les allocations de chômage dans le temps. 

La note Di Rupo

Comment le formateur Di Rupo tente-t-il combiner tout ça ? Qui a lu la note originelle du formateur arrive aux constats suivants. On y trouve d’abord quelques mesures limitées et temporaires comme un impôt minime sur la fortune (5% sur les revenus mobiliers – pour autant qu’ils soient connus ! – des familles qui gagnent plus de 100.000 euros brut par an), une hausse de la rente nucléaire (qu’Electrabel payera en échange du droit de continuer à exploiter des centrales nucléaires vétustes – lire page 19) et une révision symbolique des intérêts notionnels dont le principe reste acquis. A côté de cela, la note propose une limitation de la déduction fiscale pour les voitures de société (ce cadeau fiscal coûte chaque année quelque 4 milliards d’euros !). Le prix des titres-services serait relevé. 

Mais le plus important, ce sont les régressions sociales qui vont de pair avec les « réformes » structurelles. Des droits cruciaux passent définitivement à la trappe. Si les allocations de chômage ne sont pas limitées dans le temps, leur montant va tellement diminuer après quelque temps qu’on ne pourra plus parler d’un revenu de remplacement digne de ce nom (lire page 8). Le stage d’attente des jeunes est prolongé de six mois tandis que le montant des allocations d’attente diminue. Le démantèlement des systèmes de prépension va s’accélérer, ce qui équivaut à un Pacte des Générations bis. Au lieu de relever les maigres pensions du secteur privé, on va rendre moins « attractives » les pensions des fonctionnaires à peine plus grasses en doublant la période prise en compte pour le calcul de la pension, soit les dix dernières années de la carrière au lieu des cinq actuellement. 

Cette logique antisociale est encore renforcée par l’impact négatif de certains aspects de la réforme de l’Etat. L’autonomie fiscale des Régions risque d’entraîner de fortes différences dans les fiches de paye des salariés d’une même entreprise, ce qui soumettra la solidarité à rude épreuve. Avec à la clé un appauvrissement réel des pensionnés, des travailleurs et des chômeurs.

Le rôle des libéraux

Sous la pression des partis libéraux, les négociateurs ont encore fortement réduit la part de l’effort qui serait demandée aux grosses fortunes et aux entreprises. La « révision » des intérêts notionnels (un cadeau fiscal de plus de 4 milliards d’euros par an) n’est plus que symbolique. La contribution des voitures de société est fortement revue à la baisse – à peine 600 millions d’euros. Les libéraux se déchaînent contre toute velléité d’instaurer un impôt sur la fortune, même minime et temporaire. Mais ils exigent par-dessus tout de profondes « réformes structurelles » dans l’assurance chômage, les systèmes de prépension et les pensions. Même l’index doit être « revu » d’après eux.

Des besoins non satisfaits

Mark Eyskens (CD&V) disait jadis que « la politique était l’art de rendre possible ce qui est socialement nécessaire ». Vu de cette façon, on pourrait penser que la politique s’occupe des grands enjeux de société. Rien n’est moins vrai pourtant. Nous savons tous que notre planète est confrontée à un énorme problème climatique. On pourrait dès lors s’attendre à ce que les travaux budgétaires y consacrent l’espace nécessaire. C’est à peine le cas. Un ambitieux plan d’isolation des logements et des bâtiments ne créerait pourtant pas seulement beaucoup d’emplois, il aurait aussi un impact favorable sur le gaspillage d’énergie. Le coût de la crise financière de 2008 et la toute récente débâcle de Dexia démontrent une fois de plus qu’il faut une approche énergique de la fiscalité. Avec une véritable abolition du secret bancaire, la lutte contre la fraude fiscale aurait tôt fait de rapporter 4 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat ; la suppression des intérêts notionnels en rapporterait autant.

La politique du moindre mal

Les appareils du PS, du SP.a et de l’ACW/MOC préfèrent pourtant suivre « la politique du moindre mal ». Celle-ci mène au démantèlement par étape d’un système optimal de sécurité sociale au niveau fédéral. Avec des « amis politiques » qui acceptent la logique des marchés, on n’avancera pas. Il nous faut un prolongement politique qui opte résolument pour le camp de la classe des travailleurs et qui y recrute ses représentants. Ces représentants n’auront pas pour ambition de participer à tout prix au pouvoir en foulant le programme aux pieds. Bien au contraire, ils mettront la même ardeur et la même résolution à lutter pour les intérêts de la population laborieuse que ses adversaires en mettent aujourd’hui pour les niveler par le bas.

Quelle alternative ?

Au lieu de lorgner sur ce qu’on peut obtenir de mieux dans le cadre de la logique du capitalisme néolibéral, il faut un programme qui en finisse avec la dictature des marchés et des profits. Toutes les forces qui sont d’accord avec cela doivent s’unir pour résister aux attaques incessantes contre les acquis historiques de la classe des travailleurs. La FGTB a fait un premier pas dans cette direction avec une campagne de sensibilisation. La deuxième étape est la manifestation nationale en front commun syndical du 2 décembre. Il en faudra pourtant bien plus. Nico Cué, le secrétaire général de la centrale francophone des métallos, a tout à fait raison lorsqu’il évoque une grève pour « réagir avec force » aux mesures d’austérité. Mais, comme d’autres représentants du mouvement ouvrier, Cué sème la confusion lorsqu’il exige que « les mesures d’austérité soient équilibrées afin que toutes les catégories de la population soient frappées de la même manière ». La population laborieuse n’est en effet pour rien dans la crise actuelle. Elle n’a donc pas à en payer le moindre prix. Mieux vaut opter résolument pour une résistance généralisée à ce budget en voie de rédaction et pour une alternative anticapitaliste, quitte à l’imposer par la grève générale.

Notes :

(1) Dimanche 20 novembre 2011

(2) Nous disons « soi-disant unique » vu qu’il y a des systèmes d’indexation dans d’autres pays, même s’ils sont plus souvent organisés au niveau sectoriel qu’au niveau interprofessionnel.

Voir ci-dessus