Carton rouge à la ministre de l’Emploi : « C’est un animal qu’on prend par le collier, pas un être humain ! »
Par Pedro Rodriguez le Samedi, 28 Janvier 2012 PDF Imprimer Envoyer

Madame la Ministre,

Après avoir lu vos propos dans la Libre Belgique du mardi 24 janvier 2012, les Travailleurs Sans Emploi de la CSC tiennent à vous délivrer un carton rouge.

Les travailleurs sans emploi sont des êtres humains et pas des condamnés de droit commun à qui on inflige des peines de substitution.

Vos propos sont pour nous une insulte, un manque de respect et une stigmatisation nuisible.

Nous ne comprenons pas comment il est possible de tenir ce genre de propos populistes.

Le crédit‐temps* que vous remettez en question est une mesure qui permettait aux travailleurs de plus de 50 ans de lever le pied tout en gardant l’autre pied dans l’emploi à mi‐temps ou à 4/5. Le crédit temps permettait aussi à un demandeur d’emploi qui a les deux pieds hors de l’emploi, de le(s) remplacer.

Nous ne pensions pas devoir vous le rappeler si rapidement, mais puisque vous nous y obligez… :

‐ s’il y a des chômeurs, c’est qu’il n’y a pas d’emploi ;

‐ c’est l’emploi qui est indisponible et pas les chômeurs ;

‐ en Wallonie, il y a en moyenne une offre d’emploi du Forem pour trente personnes ;

‐ à Bruxelles, dans certaines communes, la situation du chômage des jeunes et des moins jeunes est encore plus catastrophique;

‐ le dernier rapport annuel de l’Onem indiquait que le nombre de demandeurs d’emploi indemnisé était de 450 261 en 2000 et 440 720 en 2010 ;

‐ en 2000, l’Onem a sanctionné 34 284 demandeurs d’emploi et 108 156 demandeurs d’emploi en 2010.

C’est un fait : en Belgique, on ne chasse pas l’emploi, mais bien les chômeurs sanctionnés de ne pas trouver ce qui n’existe pas. Il faudra bien plus de 9 000 « articles 60 » pour faire face au nombre de sanctions qui explosent, aux milliers de jeunes qui seront exclus des allocations d’insertion après 3 ans et aux dizaines de milliers de familles qui vont basculer dans la pauvreté avec la dégressivité accrue des allocations de chômage. Pour survivre, le travail au noir risque d’être la sortie de secours pour ces dizaines de milliers d’exclus.

Selon vos dires, « il y a suffisamment d’emplois pour tout le monde ». Nous vous demandons dès lors de nous transmettre les 440 000 offres d’emplois disponibles actuellement.

Nous en avons bien besoin pour y envoyer les demandeurs d’emploi que nous rencontrons au quotidien.

Cela pourrait aussi intéresser les organismes de placement. En effet, dans une évaluation de la 1ère phase de l’accompagnement individualisé, les conseillers du Forem soulevaient comme difficulté majeure le fait d’accompagner des demandeurs d’emploi dans un contexte où les perspectives d’emploi sont beaucoup trop faibles par rapport au nombre de demandeurs d’emploi activés.

Nous ajoutons que c’est sans compter l’absence de considération quant au caractère convenable de l’emploi soi‐disant disponible. Nous avons travaillé avec les demandeurs d’emploi sur la question de l’emploi convenable et nous avons 20 propositions concrètes pour plus d’emplois en quantité et en qualité.

Nos propositions sont basées sur des enquêtes, sur l’écoute respectueuse, sur des échanges avec les travailleurs sans emploi. Elles ne reposent pas sur des préjugés.

Un autre débat qui selon nous doit être objectivé est celui des pénuries. Une réflexion macroéconomique, assortie d’une meilleure prise en considération de la situation de chaque métier, aideront à apporter les bonnes réponses aux vrais problèmes. Par exemple : pourquoi tant d’infirmières quittent le métier après quelques années dans la profession ? Les solutions passent par les employeurs, les conditions de travail, les organismes de placement aussi.

Dire que c’est un manque de motivation et de disponibilité, c’est faire du populisme et se tromper dans les constats et les solutions qui pourraient en découler.

Les problèmes de l’emploi et du chômage sont complexes. Il est donc de la responsabilité de l’ensemble des acteurs d’éviter les simplismes. Comme organisation syndicale, nous prônons plutôt la mise en place d’une concertation sociale qui permettra davantage de prendre cette problématique de manière globale et de réunir l’ensemble des acteurs autour d’une même table.

Par conséquent, nous tenons à vous faire savoir que nous ne voulons pas de vos emplois kleenex, Madame la Ministre.

Savez‐vous qu’une étude récente d’Eurostat vient de donner un « triple A » aux demandeurs d’emplois de Belgique ? Contrairement aux idées reçues, ils ne se trouvent pas derrière l’Allemagne, les Pays scandinaves, l’Angleterre. Ils arrivent en première position dans l’UE des 27 sur le critère « être actif sur le marché du travail ».

Nous osons penser que vos maladresses et vos erreurs de jugement sont le fait de l’enthousiasme inhérent à vos nouvelles prises de responsabilité.

Derrière le carton rouge que nous vous brandissons aujourd’hui, nous sommes prêts à vous faire partager humblement notre expérience de terrain, nos constats, nos propositions dans le cadre d’un contrat que nous pourrions construire et évaluer ensemble.

Le 27 janvier 2010

Pedro Rodriguez, responsable national des Travailleurs Sans Emploi de la CSC


*Nous serions intéressés de connaître la disposition réglementaire qui permet à une travailleuse de prendre un crédit‐ temps à temps plein pendant quinze ans comme vous affirmez aussi dans l’interview de la Libre Belgique. Cette réglementation et votre affirmation sont selon nous de la pure fantaisie qui ne colle pas vraiment à l’image et au rôle d’une ou d’un ministre.


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