Vive la révolution syrienne ! Construire la solidarité internationale
Par Ghayath Naisse et Jacques Babel le Vendredi, 16 Mars 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le 15 mars 2011, quelques dizaines de jeunes Syriens ont osé manifester en plein centre de la vieille ville de Damas, gagnés par l’espoir levé dans l’ensemble de la région arabe par les révolutions tunisienne et égyptienne ; une petite manifestation de jeunes courageux réclamant la liberté pour un peuple syrien soumis à un régime de terreur depuis plus de 40 ans. Trois jours après cet événement, la ville de Deraa au sud du pays s’est soulevée à la suite de la répression sauvage d’enfants qui avaient inscrit des slogans politiques sur un mur. Une grande manifestation de masse a été réprimée dans le sang par les forces de sécurité du régime. À partir de cette date, la révolution a embrasé toutes les villes du pays.

Compte tenu de la nature totalitaire de l’oligarchie au pouvoir sous la direction de la famille Assad, la vie politique indépendante a été quasiment bannie dans la société syrienne. Des générations de militants, en particulier de gauche, ont été pendant des décennies sévèrement réprimés, emprisonnés, sont morts sous la torture ou ont été poussés à l’exil. La vie syndicale a été et demeure sous contrôle d’organismes liés aux divers services de sécurité et au parti unique au pouvoir, le parti Baas, interdisant tout mouvement syndical indépendant. Ce monopole sur la vie politique et syndicale, associé à une répression impitoyable, a permis au régime ces quinze dernières années d’appliquer un tournant néolibéral des plus agressifs dans la région. Il a jeté dans la pauvreté la plus extrême des couches de plus en plus larges de la population, ouvriers, précaires, chômeurs, paysans privés de leurs terres, qui sont aujourd’hui la force motrice de la révolution syrienne. Ceci explique la nature sociale profonde de la révolution et sa combativité héroïque, mais cela explique aussi pourquoi elle terrorise la grande bourgeoisie locale, et pourquoi elle inquiète les pays arabes réactionnaires ainsi que les gouvernements occidentaux.

Aux tirs systématiques sur les manifestants exigeant la fin du régime ont succédé les bombardements, l’encerclement et la destruction des quartiers et des villes révoltées comme Homs, avec leur cortège de milliers de morts, de dizaines de milliers de blessés et prisonniers le plus souvent torturés. Mais à chaque fois que les forces armées, de sécurité et les milices sanguinaires ont investi un quartier et une ville, le lendemain les manifestations pacifiques ont repris. Le régime, malgré toutes ces atrocités, perd de plus en plus de terrain face à l’insurrection populaire. Ses manœuvres de division confessionnelles sont heureusement déjouées. Et les deux plus grandes villes, Damas et Alep, connaissent à leur tour une montée des contestations, en particulier Alep qui est devenu le foyer de la contestation estudiantine. La révolution syrienne frappe maintenant au cœur même du pouvoir en place.


La solidarité sans intervention armée

Le peuple syrien se trouve seul devant une machine de mort et de destruction. Il appelle à l’aide internationale tout en refusant une intervention militaire étrangère sur sa terre. Le régime en place accuse l’opposition de l’appeler de ses vœux, mais si intervention étrangère il y a, c’est en faveur de la dictature – par exemple l’aide militaire, technique et de renseignements par les gouvernements russe et iranien pour mater la révolution. Par ailleurs, la plupart des sanctions économiques touchent d’abord le peuple et sont utilisées par le régime comme prétexte à une politique de pénurie, de rationnement et de hausse vertigineuse des prix des produits de première nécessité pour affaiblir encore plus les masses insurgées. Dans tous les cas, on ne peut faire confiance au jeu des puissances mondiales ou régionales qui défendent d’abord leurs intérêts propres.

La grève générale et les actions de désobéissance civile qui durent depuis le 11 décembre 2011, avec les manifestations quotidiennes, forment le caractère principal de cette révolution. La résistance armée des soldats déserteurs et de quelques civils est une réaction compréhensible face à la sauvagerie sans commune mesure du régime et à ses horribles exactions contre la population civile, mais qui reste limitée. Depuis déjà un an, des millions de Syriens descendent dans les rues pour réclamer liberté, égalité, justice sociale et un pays libre et indépendant. Aujourd’hui ils sont encore plus déterminés à en finir avec le régime d’Assad, mais ils ont besoin de la solidarité internationale des peuples. Le mouvement ouvrier et démocratique, la gauche sont restés bien trop hésitants, voire aveugles face à la légitimité et la grandeur héroïque de cette insurrection. Il est plus que temps de construire cette solidarité internationale à la base, contribution essentielle pour un futur progressiste du peuple syrien.

Publié sur Hebdo Tout est à nous ! n°140 (du 15 mars 2012)

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