Mobilisation étudiantes en Grèce contre les facs privées
Par Andreas Sartzekis le Dimanche, 25 Mars 2007 PDF Imprimer Envoyer

En Grèce, la puissante mobilisation étudiante de juin 2006 a permis de reporter la contre-réforme voulue par la droite au pouvoir afin de favoriser la création d’universités privées au détriment des facs publiques. Six mois plus tard, le gouvernement de Caramanlis remet le couvert et provoque une nouvelle vague de mobilisation tout aussi massive. Un dossier pour mieux comprendre cette lutte largement ignorée par les médias.

Genèse d’une mobilisation

Après l’occupation de l’université polytechnique d’Athènes, en 1973, par les étudiants antifascistes, et le massacre qui s’ensuivit face aux tanks de la junte, la bourgeoisie grecque a tout fait pour tenter de limiter les « libertés » universitaires, que ce soit en matière de droit d’asile ou de durée des études. D’où une loi en 1978, retoquée grâce à une grosse mobilisation doublée par les occupations. À l’hiver 1990, le Premier ministre, Mitsotakis, s’appuyant sur une droite étudiante devenue dominante en 1987, tente de faire passer l’actuel projet de loi : facs privées et mesures de limitation diverses. C’est contre une droite idéologique et violente que gagne alors un mouvement étudiant - et ensuite, lycéen - déterminé : des centaines de facs et de lycées sont occupés.

Ces mouvements ont une double caractéristique : les propositions d’action de la gauche radicale s’imposent comme les plus efficaces et la gauche réformiste tente, à chaque fois, de freiner le mouvement (surtout le KKE, le PC grec, qui est contre les occupations).

Depuis 1991, la Grèce n’a pas connu de grande mobilisation étudiante. La droite est désormais installée en tête aux élections universitaires, dans un système généralisé qui ignore les tendances syndicales, et où les courants sont l’émanation plus ou moins directe des partis politiques. Mais l’habitude de tenir des assemblées étudiantes par département universitaire s’est perpétuée.

Examen d’entrée

Pourtant, le paysage s’est profondément modifié, sous l’effet de plusieurs facteurs. D’abord, il y a eu la grande mobilisation lycéenne de 1998 contre la réforme du Pasok, dont le texte durcissait les conditions de travail et l’entrée en fac. Même si le mouvement a été, à l’époque, contrôlé par les lycéens du KKE, bien des étudiants actuels sont marqués par cette lutte ou par cette réforme, qui a été allégée depuis lors. Ensuite, la création de nombreuses petites facs a modifié, peu à peu, le paysage universitaire grec, permettant l’installation d’étudiants dans toutes les parties du pays.

Aussi, le cadre européen a commencé à se faire de plus en plus pressant, en particulier depuis le « processus de Bologne » (1999) et l’objectif d’un espace européeen de l’enseignement supérieur, les discours sur la nécessité d’évaluer les universités et leurs résultats se renforcent. Ainsi, le président des patrons grecs vient de déclarer qu’il fallait arrêter de produire des diplômés chômeurs, donnant pour perspective à la Grèce la délivrance de diplômes de seconde catégorie ! Il faut donc « moderniser » l’enseignement supérieur, c’est-à-dire fonder des facs privées pour moderniser non seulement l’économie, mais aussi toute la vie en Grèce. Enfin, la très large participation des jeunes aux mobilisations antilibérales de ces dernières années est un facteur très positif. Des dizaines de milliers de jeunes ont participé au Forum social européen d’Athènes. 

Esquissons aussi le fonctionnement du système éducatif grec pour comprendre la profondeur de la crise actuelle. Tout le système est fondé sur l’examen d’entrée à l’université. Il s’agit d’un concours national, où le classement détermine la discipline des études et la ville où elles se feront, le risque étant bien sûr de se retrouver à faire des études non choisies dans une ville loin de celle qu’on avait exprimée en premier vœu...

Droit aux études

Pour obtenir le meilleur choix, il faut donc se préparer très tôt à ce concours (dès le collège parfois), et la solution passe par un immense réseau parascolaire privé où le bachotage payant est incontournable pour l’immense majorité des familles : entre les collèges et lycées privés (plus rares qu’en France) mais, surtout, les innombrables boîtes à bac, on estime que les dépenses annuelles pour le second degré se montent à environ 218 millions d’euros pour les familles au revenu mensuel de moins de 1 800 euros - les plus nombreuses -, à 1,127 milliard d’euros pour celles aux revenus supérieurs à 1 800 euros. C’est dire à la fois l’ampleur de ce marché éducatif, et l’injustice sociale criante que représente l’existence d’un secteur éducatif privé ! Le seul point qui faisait la force du système jusqu’alors était qu’au bout du compte, presque tous les lycéens qui passaient ce concours pouvaient se retrouver étudiants, même si c’était parfois sur la base de résultats très mauvais.

Pourquoi, alors, cette frénésie de réforme universitaire, dans un cadre qui fonctionnait et qui rapportait gros à certains ? Les facteurs sont divers : le financement public est largement insuffisant, aussi bien pour le secondaire que pour le supérieur ; les dépenses des familles explosent, sans pour autant que la possession d’un diplôme évite le chômage. Incapable par nature de proposer des solutions sociales, la droite répond à cette crise totale du processus éducatif par un mélange de mesures aboutissant à une restriction sévère du droit aux études pour les plus pauvres !

D’abord, il s’agit d’étendre la répression antijeunes et de renforcer la sélection sociale. Cette année, le gouvernement a adopté une mesure dénoncée jusque-là surtout par l’Olme, le syndicat des professeurs de collèges et de lycées : ne seront admis en fac que les candidats ayant au-dessus de dix de moyenne ou ayant le nombre de points nécessaires aux options choisies. Les projets de revenir sur la gratuité des livres de cours vont dans le même sens.

Enseignement public

Aussi, les universités privées seraient, après modification de la Constitution et sur la base de la complicité de la droite et de la direction du Pasok, soumises au libéralisme européen. Il s’agirait avant tout de donner satisfaction à quelques grosses facs étrangères qui ont ou veulent, en lien avec des établissements privés locaux, développer des certifications sur place (actuellement non reconnues). On estime que le nombre d’étudiants dans ces « facs » privées pourrait alors passer de 20 000 actuellement à 50 000, sans oublier une partie des étudiants qui, jusqu’à maintenant, partent de Grèce pour aller étudier dans un autre pays (diplôme alors reconnu en Grèce, mais qui occasionne des frais de séjour à l’étranger élevés). L’accentuation de la marchandisation - des boîtes privées liées à des facs, dont quelques facs françaises, vendent « leurs » diplômes comme de vulgaires produits, en déconsidérant les diplômes publics grecs - est donc à l’ordre du jour. L’autre versant de ces mesures réactionnaires serait, bien sûr, une « rationalisation » à la sauce capitaliste : faire prendre en charge les frais d’études par les étudiants et leurs familles reviendrait à accentuer le désengagement de l’État.

On a ici relaté les luttes des étudiants, conscients des régressions qu’apporterait la réforme de l’université. Précisons que ce mois-ci, une autre forte mobilisation se dessine. Au moins 40 villes moyennes sont frappées par l’application de la mesure numéro deux sur les notes plafonds : à peu près un tiers des candidats à l’examen d’entrée en fac ne seront pas reçus et ne rejoindront pas les petites facs où se retrouvaient souvent les candidats mal classés. Résultat : des menaces terribles sur des villes où les étudiants pouvaient représenter le quart de la population, et un appel de maires à refuser la nouvelle sélection ! Un système basé sur le coûteux bachotage privé est incapable de produire des résultats correspondant aux sacrifices consentis par les élèves et leurs familles. Une seule solution : une lutte générale pour l’enseignement public pour tous, avec des budgets à la hauteur ! C’est le sens que nous voulons donner aux rendez-vous de lutte de la rentrée. 

D’Athènes, Andreas Sartzekis

Juillet 2006


En Grèce, les facs privées suscitent la colère

Janvier 2007 a des allures de printemps chaud en Grèce : la mobilisation universitaire contre les projets de facs privées (pardon, « non étatiques et à but non lucratif », dit la droite !) s’étend, à travers manifestations (trois mercredis de suite, de façon relativement massives) et occupations de facs (plusieurs centaines de départements universitaires).

Face à cette vague, le gouvernement emploie les grands moyens, en s’appuyant sur les provocations d’encagoulés pas forcément incontrôlés, afin de lancer ses flics et tenter de faire passer en force une mesure d’abolition du droit d’asile universitaire. Le gouvernement risque, en tout cas, d’obtenir l’inverse de l’effet recherché : la fédération syndicale des enseignants de facs met en place un cadre de mobilisation croissante vers la grève totale des enseignants des facs.

Sachant que la fédération des professeurs de lycées et collèges avait déjà appelé à la grève les trois précédents mercredis, on voit que la grève de l’Éducation nationale est une perspective fort réaliste. Et pour forcer la direction de la Confédération unique des travailleurs (Gsee) à soutenir cette lutte, un rassemblement étudiant a eu lieu devant son siège : le mouvement ouvrier est, bien sûr, concerné par cette bataille, mais le courant syndical du Pasok (majoritaire) est divisé sur la question des facs privées. 

Janvier 2007


Mobilisation universitaire

L’épreuve de force se confirme en Grèce, la droite de Caramanlis mettant tout en œuvre pour vaincre la résistance des étudiants et professeurs de faculté contre ses projets de casser l’université en tant que service public. Jeudi 8 mars, la droite s’est retrouvée toute seule pour voter sa loi au Parlement (autonomie des universités, recherche de financements privés...), alors que 30.000 manifestants étaient gazés et matraqués durant trois heures par des flics déchaînés, au prétexte de quelques provocations bienvenues pour le pouvoir et les télévisions. Au cours de cette manifestation géante, une soixantaine de manifestants ont été arrêtés, la plupart raflés dans la manifestation lors de charges violentes. Parmi les blessés, figure le secrétaire général du syndicat du second degré, solidaire de la lutte. La ligne de la droite prétendue moderne, est visiblement de tout faire pour effrayer la jeunesse et la dissuader de poursuivre la mobilisation. Peine perdue ! Dès le 9 mars au soir, 5 000 manifestants se sont retrouvés pour condamner la répression. Le syndicat des professeurs de faculté poursuit la grève, et, du côté étudiant, les occupations se poursuivent (300 départements occupés !). Deux nouvelles journées nationales de manifestations sont programmées. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est la solidarité sur place mais aussi en dehors de la Grèce, tant il est vrai que cette lutte fait écho à toutes les récents conflits universitaires en Europe ! Lundi soir a lieu un grand concert, mais la Confédération syndicale GSEE, à direction PASOK (parti socialiste grec, dans l’opposition), sollicitée, reste aux abonnés absents. Sans tarder, faisons connaître notre soutien aux étudiants et enseignants des facultés grecques en lutte pour la défense du service public de l’enseignement universitaire !

D’Athènes, Andreas Sartzekis

2007-03-16 


Les étudiants tiennent bon

Après bientôt trois mois, la mobilisation universitaire en Grèce continue. Maria Louka, militante étudiante membre de la direction d’OKDE-Spartakos (IVe Internationale), fait ici un premier bilan.

• Quelles formes a pris cette mobilisation ?

Maria Louka - Elle s’inscrit dans la suite de la lutte de juin 2006. C’est la même bataille contre la désarticulation de l’enseignement supérieur. On assiste à un processus durable de renforcement et de massification du mouvement : si on prend comme baromètre les manifestations, on voit aujourd’hui plusieurs manifestations à 30 ou 40.000 participants, et presque tous les départements universitaires sont occupés.

• Quels sont les liens du mouvement avec les syndicats ouvriers ?

M. Louka - On ne peut que constater l’absence de la Confédération syndicale (unique), la GSEE. Depuis le début de l’année, la GSEE n’a même pas lancé un arrêt de travail pour que les travailleurs participent aux manifestations ! À ce stade, le mouvement étudiant exige que cette mobilisation ne reste pas isolée, et qu’il soit immédiatement appelé à une grève générale.

• Peut-on déjà tirer des leçons ?

M. Louka - D’abord, on voit se former, dans des conditions très difficiles, une nouvelle génération militante qui, loin de se soumettre aux projets du gouvernement, se politise et se radicalise dans la durée. Deuxièmement, c’est ce qui se passe au sein du mouvement étudiant : la gauche radicale, représentée principalement par la tendance EAAK, a joué un rôle de premier plan.

• Quelles propositions de solidarité internationale ferais-tu ?

M. Louka - Que des syndicats, des organisations, des secteurs de gauche et de masse adoptent en Europe des messages de solidarité envers le mouvement et envers les personnes arrêtées. Il faudrait arriver à une coordination entre les secteurs radicaux du mouvement étudiant à l’échelle européenne pour aboutir à des actions concrètes : fixer des dates de mobilisation et des actions de solidarité devant les ambassades grecques.

Propos recueillis par Andreas Sartzekis

2007-03-23 10:03:55

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