« Il existe une culture anti-globalisation et anti-autoritaire qui représente l’avenir de l’Europe ». Entretien avec Francisco Louça (Bloc de Gauche)
Par Francisco Louça & Jacobo Rivero le Mardi, 06 Novembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

Francisco Louça (1956), député du Bloc de Gauche au Parlement portugais, est une figure historique de la gauche anticapitaliste européenne. Dans les années 1970, il fut l’un des principaux protagonistes de la lutte contre la dictature de Salazar et il est aujourd’hui – au moment où il s’apprête à remettre son mandat, voir ci dessous – une des personnalités politiques les plus connues au Portugal. Entretien réalisé par Jacobo Rivero pour le journal espagnol « Diagonal ».

La manifestation du 15 septembre, où un million et demi de personnes sont descendues dans les rues de Lisbonne et de 40 autres localités du pays pour protester contre les mesures d’austérité, est la plus grande mobilisation depuis celle du 1er Mai 1974 qui avait suivi la victoire de la Révolution des Œillets. Quels sont les points communs entre ces deux événements ?

Francisco Louça : Il s’agit de deux contextes complètement distincts. Il est vrai qu’on peut comparer ces deux manifestations quant à la participation de la population, mais le 25 avril 1974, c’est la chute de la dictature militaire et quatre ou cinq jours plus tard, ce fut le 1er Mai, une fête de la liberté, celle d’un peuple qui s’est dressé et a vaincu une dictature vieille de près d’un demi siècle.

Aujourd’hui, c’est totalement différent. Il y a beaucoup de monde aussi, dont bon nombre n’a aucun engagement politique, sorti dans la rue pour dire qu’il existe des alternatives à la politique de la Troïka, pour revendiquer le droit à l’emploi, rejeter la précarité, la pauvreté, l’exploitation, pour de nombreuses raisons différentes…

Mais il existe bel et bien un point commun : la démocratie, ce sont les gens qui la font, la république, ce sont les gens, et prendre la rue à partir de cette perspective représente un changement extrêmement important au Portugal.

Quel est le rôle que doit jouer un parti comme le Bloc de Gauche dans la situation actuelle et avec de tels mouvements sociaux ?

Participer le plus possible. Nous avons une culture politique très différente de la politique traditionnelle des partis communistes, nous rejetons cette vision classique d’avant-garde. Les partis doivent participer, influencer, discuter… mais ils doivent tout particulièrement apprendre des mouvements sociaux et telle est notre pratique politique. Ce qui va changer la gauche, c’est le rapprochement entre la gauche sociale et la gauche plus politique, jusqu’à ce qu’on impose un gouvernement de rupture politique.

On ne peut plus continuer avec cette alternance entre des gouvernements conservateurs et social-démocrates qui mènent les mêmes politiques néolibérales. Il faut disposer de la force politique nécessaire que pour provoquer une rupture en profondeur dans la société actuelle. Pour construire une démocratie de participation, d’enthousiasme, de libération, d’intensité.

Pourquoi assiste-t-on aujourd’hui, et pas avant, à l’émergence d’expériences électorales comme Syriza en Grèce ou le Bloc de Gauche au Portugal ?

Parce qu’on atteint l’insupportable. Tout n’est que mensonge. Il n’y avait aucune correction dans comptes publics, tout n’est qu’une grande escroquerie. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’impôts et de chômage… Ce mensonge est un montage social dramatique destiné à modifier le mode de vie des gens, pour imposer les règles d’austérité, la précarisation de l’emploi, l’exploitation absolue. C’est la plus-value absolue de Karl Marx.

Et comme cela est insupportable, il y a de plus en plus de gens disposés à lutter pour les siens, pour le peuple. Il y a des différences entre le Portugal et la Grèce car ce pays subit depuis un an de plus l’application des mesures de la Troïka. Mais les mêmes choses nous arrivent ici maintenant. Chaque pays a des traditions de luttes différentes, on ne peut pas tout comparer, mais il existe une culture anti-globalisation, anti-autoritaire, qui traverse et contamine tous les peuples et je crois qu’elle constitue l’avenir de l’Europe.

Si Mai 68 a été une rupture avec les formes plus classiques de représentation de la gauche (le modèle du Parti communiste), la période actuelle d’ « indignation » peut-elle représenter aussi un changement dans les conceptions de la culture politique ?

Oui, je l’espère. Je crois que nous vivons un moment de refondation, où de nouvelles choses se créent, un mouvement nouveau. Avec plus de capacité politique, avec de nouveaux discours, dans le sens de déterminer notre avenir et de ne pas accepter ni la division ni les hiérarchies sociales. Il faut construire une société qui repose sur une démocratie responsable et qui lutte pour le socialisme, pour la redistribution des biens communs, l’accès des gens aux biens démocratiques, parce que le droit à la santé est démocratique, ou les soins aux personnes âgées c’est de la démocratie.

C’est une tragédie qu’une partie de la gauche politique, par adaptation aux pressions libérales et à l’autoritarisme de l’Etat, ait pu abandonner ces questions. Il faut récupérer le sens de la gauche à partir de l’étendard des droits humains et jusqu’à la lutte sociale, le socialisme, la liberté, la responsabilité des gens et lutter pour la victoire.

La contamination, dans le bon sens du terme, entre partis et société, c’est dans les deux directions…

Absolument. La culture politique de gauche doit être celle de la transformation sociale, avec la volonté de changer le pays. Et cela veut dire que des millions de personnes doivent prendre le pouvoir et s’organiser. Le travailleur qui est habitué à rester discipliné et silencieux doit avoir la capacité de participer et de décider. Le grand changement que peut déterminer une gauche de combat anticapitaliste c’est de faire participer la société elle-même aux transformations.

Source : http://www.diagonalperiodico.net



Lettre de démission de député de Francisco Louçã

 

A mes amis, parlons de l’avenir

J’ai communiqué à l’instant au Président de l’Assemblée de la République la fin de mon mandat comme député. Mais je ne viens pas vous dire au revoir, je viens pour vous parler d’avenir.

Je quitte le parlement pour une seule et unique raison : ma conception personnelle du principe républicain implique de marquer des limites à la représentation politique que j’ai assumée et exige la simplicité de reconnaître que cette responsabilité doit être exercée avec parcimonie. Après treize ans, je réclame la liberté d’influer sur mon temps : c’est maintenant le moment d’une rénovation qui rendra le Bloc plus fort.

Il n’est pas nécessaire de préciser que je continue ma vie politique avec les mêmes valeurs et avec le même engagement au Bloc de Gauche dans cette lutte sans trêves pour la justice sociale. J’emmènerai toujours avec moi ma vieille Rossinante.

Mais je vous dis aussi, pour qu’on ne me le demande plus jamais en ces temps gris, que je sors exactement comme je suis entré, avec ma profession, sans aucun subside et sans aucune pension.

Je veux également préciser de la manière la plus claire possible, tout spécialement aujourd’hui, que je ne fais aucune concession au populisme antiparlementaire. Les partis ou les personnalités qui espèrent bénéficier de cette démagogie auront toujours ma condamnation frontale. Je vous dis donc ma vérité : j’ai également rencontré dans le parlement quelques hommes et femmes extraordinaires, et je respecte beaucoup les adversaires qui sont fidèles à leur programme. Et c’est pour cela que je vous réaffirme avec force, à l’encontre de tout populisme, que c’est un crime antidémocratique que de laisser diminuer ou de laisser s’étioler le pluralisme politique.

Tout au long de ces treize années, j’ai été élu cinq fois et j’ai affronté cinq Premiers ministres. Je leur ai dit ce que je devais dire, au nom de beaucoup de gens. J’ai fait 1.012 interventions parlementaires et mes amis se souviendront encore de certaines. J’espère que mes adversaires aussi.

Je n’ai jamais cessé de voter en accord avec ma conscience. J’ai accompli tous mes engagements avec les électeurs. J’ai présenté, avec le groupe parlementaire du Bloc de Gauche, 606 projets de lois. Certains ont été adoptés et on changé la vie de beaucoup de gens et la culture d’un pays entier. Au cours de ces années, on a commencé à dépénaliser les toxico-dépendants ; les femmes qui veulent avorter ont été protégées ; on s’est attaqué à la violence domestique ; on a avancé dans le chemin difficile de la responsabilité fiscale et de la lutte contre la corruption ; on a dressé une force contre la piraterie financière ; les jeunes précaires ont commencé à être entendus ; les services publics ont gagné plus de poids dans la démocratie ; nous avons presque atteint la parité entre les hommes et les femmes aux élections ; on a reconnu légalement le mariage gay ; il y a eu un engagement solidaire contre la terreur des guerres. Avec ces changements, le Portugal respire mieux qu’avant.

J’ai vécu avec intensité chaque moment de cette lutte parlementaire, qui est essentielle pour une gauche cohérente. Je remercie toutes les députées et tous les députés du Bloc de Gauche pour la force incessante avec laquelle ont été menés ces affrontements et pour tout ce qu’ils m’ont appris, et je remercie plus encore ceux qui vont continuer à lutter contre la politique cynique de l’appauvrissement.

Je ne serai plus présent au Parlement pour la discussion sur ces Budgets généraux de l’Etat, qui constituent un exercice brutal de chantage contre les contribuables. On ne peut supporter l’arrogance d’un gouvernement qui veut réduire les salaires et les pensions pour rembourser 9 milliards d’euros d’une dette toujours galopante. Personne ne peut supporter l’incompétence et le mensonge. C’est pour cela que nous combattons les Budgets avec des solutions radicalement sensées : le Bloc a déjà présenté un programme budgétaire avec des propositions innovantes, étudiées et exigeantes parce qu’il a chaque jour plus de responsabilité et qu’il veut avoir plus de responsabilité.

Tel est le combat que je porterai dans tous les lieux de la vie sociale où je pourrais aller, et avec la même énergie. La politique ne se fait pas dans une salle, elle se fait dans toute la vie. En ce moment, ce n’est qu’avec le pays tout entier et avec la force du travail que nous pourrons vaincre les Budgets. Ce n’est que dans la démocratie totale que l’on pourra vaincre la banqueroute et démettre le gouvernement. Je serai dans la rue avec les citoyens pour combattre les Budgets du massacre fiscal.

Et, si on me demande ce que je ferai à partir d’aujourd’hui, je veux vous répondre clairement : je consacré tout ce que je sais et tout ce que je peux à lutter pour un gouvernement de gauche contre la Troïka et, pour cela, j’ai tout donné à l’effort commun destiné à créer des ponts et des chemins nouveaux, à rassembler les compétences, à soulever la force de ce peuple. Nous avons besoin d’un tel gouvernement pour rompre avec le Mémorandum et pour défendre le Portugal, le Portugal du travailleurs et du contribuable, de celui qui lutte pour son peuple et n’accepte pas l’humiliation de cette guerre sans fin contre les salaires et les pensions. Je contribuerai avec intensité à cet objectif, parce que pour y parvenir, on a besoin de conviction et d’une patience impatiente qui ne renonce jamais. Je n’ai jamais renoncé ni ne me suis jamais fatigué de cela car c’est l’essentiel.

Pour terminer, je fait un appel à mes amis : adhérez au Bloc de Gauche. Maintenant, car on a besoin de force. Maintenant, car on a besoin de son attitude. Maintenant, car on a besoin d’imagination. Maintenant, parce qu’il est nécessaire de vouloir gagner. C’est là que nous serons tout, comme toujours, avec la force même de la vie.

Francisco Louça

 

Source : http://vientosur.info

Ces deux articles sont publiés par Avanti4.be

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