La société de classe existe !
Par M. Lievens le Dimanche, 17 Juillet 2005 PDF Imprimer Envoyer

« Il n'y a plus de classes sociales"…. Cette formule fait florès non seulement parmi les managers et les néolibéraux mais aussi chez les sociologues. Et même s'il existait encore des classes sociales, disent-ils, elles n'auraient de toute manière plus d'impact politique, vu que tout tourne aujourd'hui autour des identités de genre, sexuelles ou culturelles. Mais au fond, qu'en pensent les travailleurs eux-mêmes ? Yves De Weerdt et Hans De Witte, de l'institut supérieur louvaniste du travail (www.hiva.be) ont mené une enquête sur la perception qu'ont les travailleurs de la nature de classe de cette société…

Les deux chercheurs ont interviewé 656 travailleurs: un échantillon représentatif d'ouvriers et d'employés ainsi que de cadres des secteurs secondaire et tertiaire, hommes et femmes, de différentes générations. Ils voulaient savoir où en est la "représentation de classe", comme ils l'appellent, c'est-à-dire la perception de la structure de classe par les travailleurs. En dépit de tous les slogans, cette perception reste intacte: à la question "existe-t-il encore une classe ouvrière ?", pas mois de 89% des personnes sondées ont répondu positivement.

Ensuite, les chercheurs ont essayé de dégager l’image de la société dominante au sein du groupe de travailleurs. Ils ont construit quatre modèles, basés sur des critères tels que le nombre de classes, leur composition, leur taille et comment il convient de les distinguer. 6,1% des personnes interrogées affirment se reconnaître dans le modèle (dit "marxiste") de deux classes. 9,6% adhèrent au pôle radicalement opposé, à savoir le modèle fonctionnel d'intégration. Selon ce modèle, la société est composée d'une série de groupes égaux, dépendants les uns des autres et qui doivent collaborer. Dans ce modèle, pas question d'inégalités de pouvoir ou de conflit. La grande majorité opte pour deux modèles qui sont plutôt basés sur l'idée de stratification. 45,9% des sondés estiment que la société actuelle est composée d'une petite couche puissante au sommet, d'une part, et d'une petite classe inférieure d'exclus, d'autre part, avec entre les deux un grand groupe intermédiaire de gens qui n'ont pas vraiment de pouvoir mais qui ne sont pas non plus démunis. 38,4% enfin décrit un modèle de pyramide dans lequel le sommet est accessible seulement à un petit nombre. Conclusion: une majorité écrasante estime non seulement que la classe ouvrière existe toujours mais aussi que la société est structurée en classes hiérarchiques.

Les chercheurs ont demandé à quelle classe les personnes pensaient appartenir. 12% ont été incapables de répondre, 34% s'identifient à la classe ouvrière, 53% à la classe moyenne (30% à la classe moyenne inférieure, 23% à la partie supérieure de cette classe) et seulement 1% se sont décrits comme appartenant à la classe la plus élevée. Evidemment, les chercheurs ont quelque peu orienté la réponse en soumettant aux sondés une série de possibilités entre lesquelles choisir. C'est pourquoi ils avaient demandé auparavant à chacun s'ils se considérait comme appartenant à une classe. 56% ont répondu “oui” spontanément. Détail à noter: ce sont surtout les gens qui s'identifient à la classe ouvrière qui sont dans ce cas. Les membres de la classe ouvrière ont donc en général une forte identité de classe.

La société de classe reste une réalité. La politique néolibérale a en effet pour but de restructurer les rapports de classes. Les différences et les contradictions au sein de la classe ouvrière augmentent sous le régime néolibéral: les uns reçoivent des actions, des assurances hospitalisation et des pensions complémentaires, les autres font des jobs précaires et flexibles faute de mieux. Cette segmentation diminue la capacité de poser des revendications communes et de se mobiliser pour celles-ci. Les phénomènes de ce genre pourraient bien être à la base du fait que la plupart des sondés se reconnaissent dans le modèle de la stratification. Tous les efforts de la bourgeoisie pour diviser la classe ouvrière ne l'empêcheront pas de continuer à dépendre d'elle pour son existence. L'inverse n'est pas vrai !

Voir ci-dessus