ALLEMAGNE: Où va Die Linke?
Par Angela Klein le Mercredi, 02 Avril 2008
"Ca dépendra beaucoup de la capacité de ce parti à se débarrasser du courant social libéral"

Interview d'Angela Klein, rédactrice au mensuel allemand Soz (journal socialiste).

"En Allemagne, le PDS, le parti du socialisme démocratique, s'est constitué en 1990, comme l'héritier du SED, qui était le parti d'Etat en Allemagne de l'Est. Il s’est constitué en héritier pour ne pas perdre tout le patrimoine matériel du SED, mais en rupture avec le stalinisme. C'est une rupture qui s'est opérée sur un discours antistalinien plutôt inspiré par la démocratie bourgeoise que par une critique de gauche au stalinisme. Le PDS a récupéré tout ceux à l'Est qui ne voulaient pas se vendre au nouveau capital, et aussi en parti les restes des élites de l'Etat. Il a pu constituer des fédérations très fortes dans les Länder de l'Est et possèdent un grand nombre de représentants parlementaires dans tous les Länder de l'Est. 

 

Ils ont échoué dans leur tentative de s’implanter vraiment à l'Ouest. Les fédérations qu'ils possèdent à l'Ouest ont été faibles jusqu'à récemment, jusqu'à la constitution du parti Die Linke. Les votes en leur faveur aux parlements régionaux se sont situés entre 0,5% à 2,5%.

 

Le PDS a connu une période de crise après la première législature du gouvernement rouge-vert. En 2002, il était absent du Bundestag. Il n’avait pas franchi la barre des 5% et il n'avait que 2 élus directs, provenant de Berlin."

 

Comment s'est reconstitué un pôle de gauche en Allemagne?

 

L’agenda 2010, c'est-à-dire l'offensive brutale du gouvernement Schröder contre l'Etat social, contre les chômeurs et le système de chômage, a entraîné une mobilisation importante en 2003-2004, surtout en Allemagne de l'Est. Il s’agissait de mobilisations liées aux manifestations du lundi, qui étaient vraiment fortes en Allemagne de l'Est. En liaison avec ces manifestations du lundi, il y a eu un processus de désaffection d'une partie de militants syndicaux qui ont considéré que la social-démocratie ne pouvait plus être leur parti. C'étaient surtout des cadres moyens et inférieurs d'IG Metal et de Verdi ou encore le syndicat de la fonction publique. Ils ont pris l'initiative en 2004 de constituer un nouveau parti, à l'époque on parlait d'une alternative électorale, d'où le nom WASG (alternative électorale pour le travail et la justice sociale). Parallèlement aux mobilisations de chômeurs, cette initiative a tout de suite engendré une dynamique qui a amené un grand nombre d’activistes, de chômeurs et de syndiqués vers le WASG. En Allemagne de l'Ouest, ce parti a connu une croissance très forte. En mai 2005, la fédération de Rhénanie-du-Nord-Westphalie a décidé de se présenter aux élections régionales. A cette époque, Oscar Lafontaine a fait la proposition suivante: « si le WASG est prêt à fusionner avec le PDS pour une liste commune aux prochaines élections générales, je me présenterais comme candidat en Rhénanie-du-Nord-Westphalie ». On ne pouvait s’opposer à cette dynamique, c’était impossible. Le score du WASG était bon en 2005, quelque chose comme 3 à 4 %. La fusion avec le PDS a été engagée et finalisée en 2006.

 

Percée électorale et nouveaux défis

 

Du coup, au cours des dernières élections régionales, en Hesse, en Basse-Saxe et à Hambourg, le nouveau parti Die Linke s'est présenté, pour la première fois uni et il a dépassé assez aisément la barre des 5%. En Basse-Saxe 7% et à Hambourg autour de 6%. Dorénavant, il est absolument clair qu'avec Die Linke nous avons un parti à gauche de la social-démocratie qui est enraciné dans les deux parties du pays.

 

On ne peut pas dire que Die Linke soit un parti électoraliste, parce que son aile à l’Est est un réel parti de masse avec la plus forte adhésion militante. Die Linke est à l'Est beaucoup plus forte que la sociale démocratie, mais aussi que la démocratie chrétienne et elle est enracinée localement. A l'Ouest, elle est moins bien implantée, mais vu qu'elle est issue d'une radicalisation syndicale et d'un vrai mouvement de révolte contre la politique asociale du gouvernement rouge-vert, Die Linke possède là aussi un véritable ancrage social. Ceci dit, la dérive électoraliste reste le danger principal. A l'Est, parce que la plupart des membres du parti sont très âgés et que les plus jeunes occupent des positions soient au sein de la direction du parti, soit comme parlementaires, soit dans des exécutifs régionaux. Ils sont donc intégrés dans les institutions de l’Etat. A l'Ouest, le parti Die Linke commence à se structurer, mais il n'est pas encore très solide au niveau de la formation de cadres et il est pris de vitesse dans le mesure où il doit se présenter constamment à des élections.. Le danger n'est même pas les élections régionales, le danger c'est la multitude d’élections municipales, qui mobilisent des milliers et des milliers de cadres.

 

Et ce qui pose le problème de la participation au pouvoir?

 

Au niveau municipal, la participation au pouvoir est moins grave. Au niveau régional, ça devient problématique. L'apparition de Die Linke, comme un élément stable sur la scène politique, constitue un changement total du fonctionnement du système politique. Ce ne sera plus un système avec quatre partis, mais avec cinq partis, il ne sera donc plus possible de former des coalitions avec deux partis, il en faudra maintenant trois. Et un de ces partis pourrait être Die Linke. C'est déjà le cas en Hesse où la présidente,  tête de liste de la sociale-démocratie, a dit qu'elle était prête à accueillir quelqu'un de Die Linke au poste de premier ministre. Cette éventualité ne s’est pas encore concrètement réalisée mais ça pose un grand débat dans Die Linke, mais aussi dans la social-démocratie. De plus, les verrous et les tabous anticommunistes s'écroulent de plus en plus.

 

Reste-t-il quand même un courant plus à gauche dans Die Linke, opposé à des accords avec la social-démocratie?

A l'Est, il y a des fractions qui sont toutes sur une ligne sociale-libérale. Elles seraient même capables de former un gouvernement avec la démocratie chrétienne. A l'Ouest, c'est beaucoup plus difficile, parce que il y a eu ce début militant du WASG et là il y aura un débat, une forte tension sur "est-ce qu'on peut participer aux gouvernements ou pas ?" Il y a en fait trois grands courants d'idées. Il y a un courant social-libéral, qui est surtout à l'Est et dans les milieux qui ont des responsabilités dans les institutions. Il y a un deuxième très grand courant disons  « keynésiens de gauche » et il y a un courant de gauche radicale, auquel nous appartenons et qui est petit. Le courant keynésien de gauche a comme porte parole Oscar Lafontaine. Il apparaît en public avec des propositions radicales, provocatrices, etc. Ce qui gêne ceux qui travaillent dans les institutions à l'Est avec d'autres partis dans les coalitions. Il y a donc une attaque de ce courant social-libéral contre Oscar Lafontaine et ses propos trop radicaux. Et je pense que la question "Où va Die Linke" dépendra beaucoup de  "la capacité du parti à se débarrasser ou non de ce courant social libéral".  

Interview: Chris Den Hond

Voir ci-dessus