L'unité de la gauche radicale en débat à Charleroi
Par Sandra Invernizzi le Dimanche, 02 Mai 2010

Ce jeudi 29 avril, dans les locaux de la FGTB de Charleroi et à l'initiative de la Formation Lesoil, 4 partis de la gauche radicale (PTB, PC, PSL et LCR) se sont rencontrés devant une cinquantaine de participant-e-s pour débattre de l'unité, de sa nécessité, de ce qui nous rassemble, de ce qui nous divise et de comment nous pouvons procéder pour mettre en place une véritable alternative politique anticapitaliste large.

Le débat est lancé sur l'interpellation de Daniel Piron, en sa qualité de secrétaire régional de la FGTB Charleroi-sud Hainaut, qui, outre deux questions précises (quelle est la position des partis à la tribune sur la question de l'activation des chômeurs? Avec quelle majorité ils seraient prêts à aller au pouvoir?) se demande si la volonté de fonder cette unité existe réellement dans le chef des partis et comment agir dans le temps très court qui nous sépare des prochaines élections anticipées.

En plus de cette interpellation, les représentants des PC, LCR, PSL et PTB étaient invités à répondre à trois questions de fond sélectionnées parmi une douzaine proposées à l'avance: 1. L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes : gauche syndicale ou gauche politique ? 2. Quelle unité? Front électoral ou nouveau parti ? 3. Le rouge et le vert: l'écologie est-elle une priorité pour la gauche radicale »

A la première question "L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes : gauche syndicale ou gauche politique ?", Céline Caudron, porte-parole de la LCR répond par la nécessité de passer d'une situation de défense des travailleurs toujours plus intenable face aux attaques patronales et gouvernementales et au démantèlement de la solidarité, à une position d'offensive de la classe ouvrière. Et de souligner l'importance d'un syndicalisme de combat, indépendant (mais qui agit politiquement), autonome, qui renforce et unifie les résistances déjà existantes autour d'un plan d'urgence et d'un plan d'action déterminé, ce qui manque malheureusement aujourd'hui face à la crise capitaliste et ses conséquences.

Passant de la première à la seconde question sur l'unité, Céline Caudron rappelle l'importance et la nécessité d'un relais politique pour les luttes conçu comme un outil, un instrument de convergence et de répercussion des besoins sociaux. Selon la porte parole de la LCR, cette unité se conçoit à trois niveaux: l'unité dans les luttes (qui a déjà été réalisée ponctuellement, comme par exemple en soutien aux luttes de Tecteo, Bridgestone, dans la campagne BDS pour la Palestine,...), puis l'unité électorale, que les partis peuvent réaliser sur une plate-forme commune (comme ce fut le cas aux européennes avec la liste LCR-PSL et aux régionales bruxelloises avec le cartel PC-PSL-LCR-PH), et, enfin, l'unité dans le cadre d'une nouvelle force politique des travailleurs-euses à construire, la plus difficile à réaliser puisqu'elle demande une véritable convergence stratégique et donc du temps pour y parvenir. Mais c'est bien vers ce nouveau parti qu'il faut tendre en s'appuyant sur ce qui nous rassemble et en travaillant à la clarification et au dépassement de ce qui nous sépare. Une telle alternative ne peut en outre émerger avec force que dans un contexte favorable de mobilisations sociales d'ampleur, qui pousse à la rupture entre des secteurs du mouvement ouvrier et les pseudo-« amis politiques » que sont les partis traditionnels PS, Ecolo ou CDH, qui ont tous décidés de co-gérer la crise sur le dos de la majorité sociale, sans rompre avec les politiques néolibérales et encore moins avec le capitalisme.

Dans le contexte particulier de chaos politique dans lequel nous nous trouvons et face à l'échéance rapprochée d'élections anticipées, Céline Caudron a présenté l'appel lancé par la LCR aux 3 autres partis pour qu'ensemble nous élaborions de manière urgente une liste unitaire de la gauche de gauche. Une alternative électorale qui, sous un nom commun qui exprime une idée forte (par exemple « Solidarités »), serait ouverte à d'autres courants et individus de gauche afin de permettre d'unir nos forces pour leur donner plus d'impact, de donner un repère pour tous ceux et toutes celles que la situation de diversion actuelle écoeure ou que la menace qu'elle recouvre inquiète. Vu l'urgence et le peu de temps imparti, cette plate-forme devrait être centrée sur une série limitée de mesures d'urgences sociales et écologiques communes à nos organisations, tout en permettant aux composantes d'exprimer par ailleurs leurs propres spécificités programmatiques.

Après avoir insisté sur la nécessité d'articuler les luttes sociales et syndicales avec le nécessaire relais politiques, tout en évitant de tomber à la fois dans la « mythification des luttes » et dans le « crétinisme parlementaire », Jean-Pierre Michiels, pour le PC, a rappelé les rencontres unitaires récemment initiées par son parti dans le but de rapprocher les programmes. Le constat de ces rencontres bilatérales positives est néanmoins que le chemin est encore très long, mais que le PC est prêt à le parcourir avec les autres. Parlant en son nom personnel, et sous réserve de la discussion qui aura lieu au sein du prochain Comité central du PC, Jean Pierre Michiels a mis en évidence l'aspect exceptionnel de la crise politique et mis en garde face à la campagne que l'on peut attendre des verts et de la social démocratie qui préparent une campagne "de gauche" dans laquelle ils semblent soudainement découvrir les injustices sociales qu'ils ont eux mêmes votés et approuvés. Dans ce contexte, l'intervenant du PC s'est déclaré d'accord avec la proposition d'une liste unitaire large autour de quelques points programmatiques car il estime nécessaire de donner un signal fort à l'électorat de gauche désabusé. C'est en tous les cas la position qu'il défendra au sein de son organisation.

Alain Mandiki, pour le PSL, a introduit la question de l'unité en développant la question communautaire comme unique moyen trouvé par les partis sociaux-démocrates et libéraux de se distinguer alors qu'ils mènent tous une politique sociale et économique de même acabit. Soulignant lui aussi le manque de relais politique aux revendications syndicales, il prône le détachement entre les syndicats et les partis sociaux démocrates et démocrates chrétiens. Pour le PSL également les luttes sont extrêmement importantes dans ce cadre. Enfin, insistant sur le timing très court des élections anticipées qui ne permettra pas d'avoir un débat de fond entre nos organisations et ne cachant pas son scepticisme face à la réelle utilité de ces élections, Alain Mandiki conclu en rappelant que l'objectif du PSL reste la création d'un parti des travailleurs et que, dans ce but, toutes les démarches unitaires sont bonnes à prendre pour avancer mais qu'il faut prendre le temps nécessaire. Il a ainsi évoqué les prochaines échéances électorales pour ce faire, à savoir les communales de 2012.

Enfin, Germain Mugemangango du PTB évoque la stratégie à avoir envers les syndicats et le partage des rôles entre ce dernier et le parti politique, il met en garde contre ce qu'il estime être un certain idéalisme des militants politiques sur les possibilités d'utiliser le syndicat comme instrument de revendications politiques et sur les espérances infondées que les militants syndicaux mettent dans une unité large. Selon Germain Mugemangango, le syndicat doit rester indépendant des milieux politiques, mais dans lequel les militants politiques peuvent tenter de s'implanter.

Sur la question de l'Unité, marquant les mêmes réserves que le PSL et le PC puisque la question doit encore être débattue dans leurs instances décisionnelles, le représentant du PTB n'a cependant pas caché son opinion selon laquelle il n'est pas pertinent de viser à une union électorale de la gauche de gauche qui ne pourra récolter plus de 2% des votes (le score additionné obtenu par tous les partis de la gauche radicale aux dernières élections). Il rappelle également l'expérience de Gauches Unies à l'époque et dont l'échec a « traumatisé » les militants pendant plus de 10 ans. Pour lui, la division à gauche de la gauche n'est pas un problème en soi, il espère sincèrement que le score additionné de nos organisations pourrait atteindre les 10% comme en France. Marquant la préoccupation du PTB pour sa visibilité et sa volonté de se faire connaître par le plus grand nombre de personnes, il souligne tout de même l'intérêt de l'unité dans les luttes. Ce qui est important, ce sont les collaborations, de prendre le temps de se connaître et débattre, de converger vraiment sur les programmes. Et de citer en exemple la « Journée des Socialistes » en Flandre ou la mobilisation commune PC-PTB à Liège à l'occasion du Premier mai.

Sur la question du « rouge et du vert », malgré quelques nuances ou différences d'approche sensibles, tous les orateurs ont souligné l'importance de la question aujourd'hui, qui est une question avant tout sociale, sur la responsabilité du système capitaliste dans les désastres écologiques et sur la nécessité de mesures radicales, ce qui se traduit également sur le terrain programmatique et de l'activité militante.

Dans le débat avec la salle, Freddy Matthieu, ancien Sécrétaire Régional de la FGTB Mons-Borinage, a exprimé son étonnement sur la vision du syndicat et des relations parti-syndicat défendue par le représentant du PTB, sur la vision idéaliste selon lui d'un syndicat indépendant par rapport à la social-démocratie et dont le rôle n'est pas fondamentalement lié aux enjeux politiques.

Vu l'actualité du moment, l'essentiel des questions et interventions des participant-es a essentiellement tourné autour des élections anticipées et de l'unité électorale de la gauche radicale. A plusieurs reprises des intervenant-e-s ont demandé quelles étaient les intentions réelles des partis pour ces élections ou ont exprimé leur enthousiasme en faveur d'une initiative de liste unitaire, ouverte à la participation et au soutien d'autres courants et militants de gauche de divers horizons.

Les représentants des partis ont ensuite exprimé leurs conclusions sur 3 tonalités différentes. Tandis que les représentants du PSL et du PTB émettent (sous réserve de la décision du parti) et pour des raisons différentes des doutes importants sur la possibilité (voire sur la pertinence) d'initier une démarche unitaire pour les élections anticipées, Jean- Pierre Michiels a réaffirmé (avec le même réserve de décision du parti) une volonté de répondre de manière exceptionnelle à une situation exceptionnelle et de trouver ensemble une série de revendications qui nous rassemble pour pouvoir offrir une alternative à l'électeur qui se trouvera coincé entre les libéraux et les faux socialistes qui semblent découvrir miraculeusement pour ces élections tout le sens du « socialisme ».

Céline Caudron a conclu en réitérant l'appel de la LCR aux trois autres partis à se réunir d'urgence pour discuter de la situation politique actuelle et tester la possibilité de créer ensemble un cadre électoral large et ouvert qui permettra de faire entendre une autre voix à gauche dans ce contexte particulier. Il faut effectivement prendre le temps de débattre sur les questions de fond pour réfléchir à une alternative politique à long terme, mais aujourd'hui il ne s'agit pas de cela face à ces élections anticipées: la LCR ne propose ni une unité électorale permanente, ni une fusion, ni de créer une nouvelle force politique - le débat de clarification stratégique sur cette dernière, nous pourrons continuer à le mener après l'échéance électorale. L'urgence et la gravité de la situation immédiate nous imposent exceptionnellement de nous concentrer sur les convergences réelles déjà existantes, bref, de « marcher séparément, mais de frapper ensemble » selon la formule classique du front unique.

Après un débat serein et fraternel, tous les participant-e-s et les militant-e-s présent-e-s des 4 organisations – et ce n'est pas courant d'assister à cela! - ont clôturé cette soirée en entonnant l' « Internationale » à l'unisson...


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