Crise politique: Coup d'Etat en catimini
Par Céline Caudron le Samedi, 05 Février 2011

Nos "politiques" ont capitulé face à la pression des marchés qui veulent que les mesures d'austérités démarrent "enfin" en Belgique. Invoquant illégitimmement la nécessité d'un gouvernement d'urgence, voilà que Leterme confectionne pour le Roi un budget qui va assembler les premières planches du cerceuil de nos acquis sociaux. Histoire du coup d'état à la belge, qui a l'air d'une blague mais qui n'en est pas une...

Un gouvernement illégitime au service des marchés pour casser les acquis sociaux

"Tous les pouvoirs émanent de la nation", dit la Constitution. "Le Roi agit sous la couverture du gouvernement". Eh bien, non! Le Roi a donné à Leterme la mission de confectionner un budget répondant aux "exigences européennes" et de mettre en route des "reformes structurelles" pour les années qui viennent. L'Echo d'hier traduisait: réforme des pensions et du marché du travail! Or, cette mission ne découle pas d'une volonté émise par "la nation", puisqu'il n'y a pas de gouvernement ayant reçu la confiance des chambres.

Constitutionnellement, les chefs de groupe peuvent, au nom de "l'urgence", étendre la notion d'affaires courantes. Mais il est inadmissible d'étendre cette notion à la confection d'un budget et à l'adoption de "réformes structurelles" pour plusieurs années! En effet, comme le gouvernement est démissionaire, par définition, le Parlement ne peut pas le faire tomber. Ici, ce n'est pas le Roi qui est couvert par le gouvernement, c'est le gouvernement en affaires courantes qui se cache derrière le Roi. "La nation" est donc tout simplement hors-circuit. C'est complètement anti-démocratique. Parler d'Etat fort peut sembler paradoxal, étant donné la crise de régime, mais c'est bien de cela qu'il s'agit, et la crise facilite précisément l'opération: en réalité, on quitte le champ de la démocratie parlementaire bourgeoise pour entrer en catimini dans un régime d'imposition par en-haut de la volonté des "marchés", c'est-à-dire du grand capital, via le chantage des agences de notation.

Ceci met à nu la réalité du pouvoir de classe, la nature des institutions et la soumission à ce pouvoir de tous les acteurs politiques sans exception. Inutile de revenir sur le rôle de l'UE, instrument taillé sur mesure pour les capitalistes. La monarchie apparaît vraiment dans sa fonction clé de dernier recours du pouvoir bourgeois. Le parlement - les "représentants de la nation"! - donne carte blanche à un gouvernement qu'il n'a pas désigné et qu"il ne contrôle pas. Et tous les partis applaudissent! La NVA applaudit: son combat n'est pas un combat pour le "peuple flamand" mais pour les patrons flamands qui veulent une super-austérité (par la porte flamande ou par la fenêtre fédérale). Le PS applaudit: ce parti est tellement converti au néolibéralisme qu'il est prêt, s'il le faut, à piétiner le suffrage universel, pour lequel la classe ouvrière a dû mener trois grèves générales (à l'initiative du POB et de sa "Commission syndicale", d'ailleurs!). Idem pour le SP.A. Et les Verts applaudissent: ce parti est tellement converti au néolibéralisme que son slogan "faire la politique autrement" débouche sur un appui à la dictature des marchés.

A quand l'offensive des travailleurs?

Les forces progressistes et, en particulier, les organisations syndicales, portent une lourde responsabilité. La situation est dangereuse, elle fait le jeu potentiellement de forces populistes encore plus réactionnaires et autoritaires que celles qu'on connaît aujourd'hui. N'ayant pris aucune initiative pour organiser une mobilisation massive, autour de revendications claires pour la défense des droits sociaux, de la sécu, contre le racisme, le sexisme et le nationalisme, le mouvement syndical, par sa passivité, a ouvert la voie à des initiatives douteuses, comme la manifestation Shame! qui rassemblait jusqu'aux fascistes de Nation.

Dans ces conditions, il est plus que jamais indispensable et urgent que le mouvement syndical fasse entendre la voix des deux millions et demi de syndiqués, comme nous ne cessons de le répéter depuis des mois. La lutte contre l'accord interprofessionnel doit être saisie à pleines mains comme le moyen de lutter contre la super-austérité néolibérale et pour une alternative sociale. Les grandes lignes de celle-ci sont bien connues: prendre l'argent là où il est, amélioration de la sécurité sociale, extension du secteur public, stop à la flexibilité et à la précarité, réduction du temps de travail sans perte de salaire, etc.

Le peuple tunisien l'a montré: la lutte des exploité-e-s et des opprimé-e-s peut arracher des victoires démocratiques et sociales, même dans un petit pays de dix millions d'habitant-e-s et dans le contexte de la mondialisation. Il suffit de vouloir, il suffit d'oser, il suffit de se lever tou-te-s ensemble pour dire "non à la misère, non à l'injustice, non à la précarité, aux patrons et aux banquiers de payer". Une lutte commune des travailleurs-euses flamands, wallons pour des objectifs anticapitalistes est le meilleur moyen de créer les conditions d'une réforme de l'Etat démocratique et juste, respectueuse à la fois des peuples et des personnes.

Céline Caudron est porte-parole de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)


Voir ci-dessus