Elections présidentielles françaises : un dossier de « Rouge »
Par Rouge le Jeudi, 03 Mai 2007

Dans ce dossier réalisé par nos camarades français du journal « Rouge », hebdomadaire de la Ligue Communiste Révolutionnaire, sont analysés les résultats de leur candidat Olivier Besancenot ainsi que ceux du PCF, de José Bové ou encore Lutte Ouvrière. Des analyses également sur la nouvelle situation ouverte par le 1er tour, les positions de la social-démocratie et les perspectives pour le 2er tour et l’après campagne.

Les résultats de la LCR : une vraie réussite...

Malgré la pression du vote utile, le candidat de la LCR, Olivier Besancenot, a atteint 4,08% des suffrages, l’équivalent de 1,5 million de voix.

La candidature d’Olivier Besancenot a donc réuni près de 1,5 million (1 498 835 pour être exact) d’électeurs et d’électrices, soit 4,08 % des suffrages exprimés. Dans un contexte de très forte pression au vote utile, et au regard des résultats des autres candidats à gauche du PS, c’est une belle réussite. En 2002, le résultat était de 1,2 million de voix (4,25 %). Il s’agit donc d’une progression substantielle en voix - 290 000 voix supplémentaires, soit une augmentation de 24 % -, mais d’un léger tassement en pourcentage, avec une baisse de 0,12 %.

Pression du vote utile

Olivier Besancenot est le candidat qui a le mieux résisté aux sirènes du vote utile. Au-delà du dynamisme de sa campagne, de son image très positive dans les milieux salariés et dans la jeunesse, il est celui qui a gardé le plus clairement le cap d’une campagne contre la droite et l’extrême droite, tout en affirmant vigoureusement son indépendance vis-à-vis du Parti socialiste.

Pour autant, il n’en demeure pas moins que nous avons, nous aussi, subi les conséquences de cette pression. Dans les meetings, sur le blog, autour de nous, nous connaissons des sympathisants qui ont renoncé à un vote de conviction au profit d’un vote Royal. Un sondage CSA (échantillon de 5 009 personnes), sur la composition et les motivations du vote, indique que seul un électeur de 2002 sur trois a revoté Besancenot. La moitié d’entre eux a voté Ségolène Royal (36 %) ou François Bayrou (13 %). Il semble d’ailleurs que cette pression ait été particulièrement forte dans ce qu’il est convenu d’appeler « les classes moyennes ».

Autre élément qui confirme le poids du vote utile et indique, pour partie, un certain potentiel électoral, c’est la réponse à la question « Pour quel autre candidat avez-vous envisagé de voter ? » Suivant les tranches d’âge, entre 8 et 12 % de l’électorat répond Olivier Besancenot. Il apparaît que, d’une élection à l’autre, s’il y a bien sûr des éléments de continuité, il existe de profonds changements de notre électorat. C’est probablement plus de 1 million d’électeurs qui ont voté Besancenot pour la première fois.

Composition de l’électorat

Il faudra croiser l’analyse réalisée par CSA avec les études d’autres instituts. Une certaine prudence s’impose donc. Mais, malgré ces réserves, il semble qu’à l’image des meetings de la campagne, l’électorat Besancenot soit jeune et populaire. Précisons tout d’abord qu’il s’agit d’un vote à 55 % féminin. 49 % de l’électorat a moins de 35 ans (21 % de 18-24 ans et 28 % de 25-34 ans). Il faut ajouter, et c’est une modification par rapport à 2002, que 33 % du vote en faveur d’Olivier Besancenot concerne les 45-64 ans. Plus pertinent est de s’intéresser à ce que les sondeurs appellent « le vote en pénétration ». Selon la même étude, 10 % des 18-24 ans et 8 % des 25-34 ans auraient voté Besancenot à cette présidentielle. Les scores tombent à 4 % pour les 35-44 ans comme pour les 45-64 ans, ils deviennent ensuite insignifiants pour les plus de 65 ans (1 % pour les 65-74 ans et 0 % au-delà de 75 ans). Cette réalité n’est pas une surprise et confirme les résultats obtenus en 2002.

La dimension populaire du vote est une évidence. Il suffit, pour s’en convaincre, d’étudier les scores des différentes agglomérations. Les résultats traduisent un relatif affaiblissement dans les centres-villes au profit d’un net renforcement dans les banlieues. La carte des départements où nous dépassons les 5 % est aussi éclairante. Pour l’essentiel, il s’agit de départements très fortement ancrés à gauche et ayant eu une forte implantation du PCF. C’est en particulier le cas pour les départements du Nord-Pas-de-Calais, de la Picardie, mais aussi pour ceux d’Auvergne ou du Limousin. Il est probable qu’une partie de l’électorat d’Arlette Laguiller ou de Robert Hue (dans une moindre mesure) de 2002 se soit reportée sur le vote Besancenot en 2007

Chez les chômeurs, Olivier Besancenot obtient son meilleur résultat, avec 8 %. Il réalise 6 % chez les ouvriers et 6 % aussi parmi les employés. Plus globalement, les études indiquent que le résultat obtenu parmi les salariés s’élève à 6 %, que ce soit - et c’est une évolution intéressante - dans les secteurs public ou privé. Autre évolution significative, qui confirme un enracinement populaire, le niveau de diplôme. En effet, c’est chez les titulaires d’un BEPC/CAP/BEP que le candidat de la LCR réalise son meilleur résultat, soit 6 % (5 % pour les titulaires du bac et 3 % pour les autres catégories). Ces derniers représenteraient même plus de la moitié des électeurs de 2007 (52 %). Par rapport à 2002, si ces chiffres étaient confirmés, il s’agirait d’une inversion de tendance.

Les motivations du vote

Plus connu qu’en 2002, la candidature Besancenot a bénéficié d’un intérêt certain tout au long de ces derniers mois, avec une accélération dans les dernières semaines. Du coup, les raisons du vote apparaissent plus solides à cette élection. Ainsi, selon une étude Ipsos concernant la motivation du choix du candidat, il apparaît que, pour 50 % des électeurs de la LCR, le programme a déterminé le vote. Viennent ensuite la personnalité du candidat (33 %) et, enfin, son appartenance politique (17 %).

Autre élément qui mérite d’être mis en avant, ce sont les thèmes de campagne qui ont conduit au vote pour Olivier Besancenot. Dans une campagne où nous avons beaucoup insisté sur la redistribution des richesses, les trois points retenus prioritairement par nos électeurs sont, selon Ipsos, la question du chômage (55 %), du pouvoir d’achat (58 %) et de l’exclusion/précarité (42 %). L’étude de CSA sur les motivations du vote fait apparaître les mêmes conclusions puisque, selon cet institut, les principaux éléments avancés sont les inégalités sociales (65 %), l’emploi (55 %), le pouvoir d’achat (37 %) et le logement (35 %).

Dans les jours et les semaines à venir, il faudra affiner ces premières remarques à l’aide des différentes études qui ne manqueront pas d’être publiées. Il faudra aussi prendre le temps d’analyser certains résultats, bureau de vote par bureau de vote. Mais si nous avons globalement résisté au vote utile, c’est en raison de l’orientation fondamentale de la campagne d’Olivier Besancenot, qui a développé un programme sérieux et argumenté tout en maintenant une claire démarcation vis-à-vis du Parti socialiste. La sympathie ainsi gagnée, même si elle n’est pas quantifiable, va bien au-delà du million et demi d’électeurs en faveur d’Olivier Besancenot. Au mo-ment où Ségolène Royal tend la main à François Bayrou, elle est surtout porteuse d’espoir pour préparer les résistances et les luttes à venir.

Guillaume Liégard


Résultats LCR : quelques chiffres...

Dans 22 départements, la barre des 5 % est dépassée. Dans dix-huit autres, les résultats sont compris entre 4,4 % et 5 % (cf. la carte ci-contre) 

On citera en particulier, le Pas-de-Calais (6,21 %), la Somme (5,88 %), la Seine-Maritime (5,78 %), la Sarthe (5,72 %) ou encore la Haute-Vienne (5,49 %). A contrario, les scores les plus faibles en France métropolitaine sont obtenus à Paris (2,10 %), dans les Alpes-Maritimes (2,40 %), dans les Hauts-de-Seine (2,52 %) et dans les Yvelines (2,77 %). Nul besoin d’une connaissance très fine de la réalité sociale française pour connaître les différences entre ces deux groupes de départements. Il apparaît assez incontestable, notamment dans les départements du nord et de l’est de la France qu’Olivier Besancenot a bénéficié d’un électorat populaire votant traditionnellement pour le PCF ou Lutte ouvrière. Au final, dans l’ensemble des 95 départements métropolitains, Olivier Besancenot devance Marie-George Buffet. Il en va de même en Outre-mer, à l’exception de l’île de la Réunion. Dans certaines villes, les résultats sont prometteurs. Ainsi, au Havre (76) avec 6,28 %, à Tergnier (02) avec 8,48 %, à Morlaix (29) avec 6,32 %, à Saint-Pierre des Corps (37) avec 7,28 %, à Grande-Synthe (59) avec 7,42 %, à Calais (62) avec 7,15 %, à Hérouville-Saint-Clair (14) avec 6,69 %, etc. Cette liste, ne demande qu’à être enrichie, n’hésitez donc pas à nous communiquer les plus intéressants, cela fait toujours plaisir.

Enfin, notons, même si les scores demeurent modestes, une progression spectaculaire de nos résultats en Corse et dans les DOM-TOM. Ainsi, Olivier Besancenot passe de 500 voix à 4 276 en Guadeloupe, de 421 à 4 045 en Martinique, de 4 500 à 9 416 à la Réunion et de 2 983 à 5 941 en Corse. Tous ces résultats doivent beaucoup à l’investissement de nos camarades du Groupe révolution socialiste (GRS) aux Antilles, à ceux de Maron à la Réunion et à ceux d’A Manca naziunale en Corse.


José Bové : faible score...

José Bové a recueilli 1,32 % des voix : sa candidature est loin d’avoir créé une dynamique. Alors qu’en octobre 2006, José Bové était sorti de la course à la candidature unitaire à la présidentielle dans le cadre du collectif national antilibéral, il annonçait sa candidature, le 1er février, suite à un mouvement pétitionnaire sur Internet la sollicitant. Il s’est alors présenté, de façon abusive, comme le candidat unitaire antilibéral...

José Bové représente un courant que l’on peut qualifier d’alternatif-écologiste et, s’il était logique que ce courant soit représenté à l’élection présidentielle, il ne pouvait légitimement prétendre représenter les collectifs unitaires antilibéraux et affirmer que sa candidature en était l’émanation. D’ailleurs, pendant sa campagne, bon nombre de collectifs antilibéraux ont estimé qu’il ne pouvait représenter les collectifs et, le plus souvent, ont fait le choix de ne pas « choisir » entre Buffet, Bové et Besancenot.

Le résultat n’est donc pas à la hauteur de ce qu’espérait cette mouvance alternative-écolo. L’analyse des motivations de ceux et celles qui ont voté Bové montre que 88 % d’entre eux l’ont choisi pour ses positions sur l’écologie.

La campagne que José Bové a menée a été ponctuée d’attaques de sa part contre « les appareils bureaucratiques du PCF et de la LCR », mettant sur un pied d’égalité deux organisations qui n’ont ni la même histoire, ni les mêmes pratiques... ni le même « appareil ». Se présentant comme le seul candidat - sur les douze ! - incarnant une autre façon de faire de la politique, il a privilégié cet aspect identitaire au détriment des questions de fond.

L’explication de l’échec de sa candidature qu’il a commencé à avancer - celui-ci serait dû « aux diviseurs dont la LCR fait partie » - ne nous convainc pas. Car, si nous portions la responsabilité de cet échec, comment comprendre qu’Olivier Besancenot ait eu une telle écoute et le résultat que l’on connaît ?

Anne Leclerc


Lutte ouvrière : net recul...

Avant tout commentaire, un coup de chapeau à Arlette Laguiller, pour ses six campagnes électorales présidentielles depuis 1974. Elles auront marqué ces 30 dernières années. Arlette a apporté au mouvement révolutionnaire, y compris à la LCR, une manière de s’adresser à des millions d’électeurs, qui aura fait progresser une série d’idées fondamentales au monde du travail. C’était sa dernière campagne présidentielle, mais nous savons qu’Arlette est une militante que nous retrouverons dans les combats et débats à venir...

Cette élection aura néanmoins enregistré un net recul des positions de Lutte ouvrière (LO) : en 2002, 1 630 118 voix se portaient sur la candidature d’Arlette ; en 2007, elle ne réunit que 488 119 suffrages (1,33 %). Comme toutes les candidatures à la gauche du PS, elle a souffert du vote utile. Mais comment expliquer cette perte de plus de 1 million de voix, alors qu’Olivier et Arlette ont développé, chacun à leur manière, des thèmes communs : augmentation du Smic à 1 500 euros net, interdiction des licenciements, suppression des aides publiques, contrôle des salariés et de la population, etc. ?

Sans doute, LO n’a pas su saisir des changements de la situation sociale et politique, l’émergence de nouvelles générations, la nécessité d’un renouvellement de certaines propositions et porte-parole. Plus substantiellement, une vision trop pessimiste de la situation et l’extériorité de LO par rapport à certains événements socio-politiques - luttes de jeunes salariés précaires, mouvement altermondialiste, campagne du « non » au référendum - l’ont empêché de créer les conditions d’un vrai dialogue avec des secteurs importants de la jeunesse et des classes populaires. S’auto-affirmer comme la seule candidate représentant le camp des travailleurs n’a pas arrangé les choses...

Une inflexion de sa ligne politique, afin d’interpeller la candidate socialiste pour qu’elle applique des mesures d’urgence, a également pu brouiller le message de LO. Comme si la campagne sociale-libérale de la candidate socialiste pouvait donner prise à ce type de demande. Cette orientation explique peut-être aussi la manière si peu critique avec laquelle Arlette a appelé à voter pour Ségolène Royal contre Sarkozy.

François Sabado


Parti communiste : résultats désastreux...

Le PCF a rassemblé seulement 1,93 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Un résultat qui plonge le parti dans une crise majeure.

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle témoignent d’une pression exceptionnelle du « vote utile » sur toutes les listes à la gauche du PS. C’est vrai pour le PCF, mais cela n’explique pas complètement sa déroute électorale. En 2002, le score de Robert Hue (3,37 %) avait soulevé une profonde inquiétude dans le parti, mais les militants en rejetèrent la responsabilité sur la très mauvaise campagne du candidat, qui dut quitter son poste de secrétaire général.

Par la suite, Marie-George Buffet, bien mieux acceptée dans le parti, fit une bonne campagne en faveur du « non » au référendum, et elle contribua à redonner une sorte d’identité au parti. On vit ainsi renaître une certaine mobilisation pour les meetings, avec un public, certes souvent relativement âgé, mais qui était resté passif pendant des années. Ceux qui avaient enterré ce parti virent alors que cette organisation, forte de ses centaines de municipalités et de ses 12 000 élus, avait encore une capacité d’intervention, qui allait se manifester un peu plus tard dans les comités unitaires antilibéraux

La création de dizaines de comités liés au parti, l’invasion de comités déjà existant, les référendums internes au PCF, mobilisant quelques dizaines de milliers de militants, afin de présenter Marie-George Buffet comme candidate à l’élection présidentielle de 2007 viendront confirmer ce constat. Cette aventure unitaire dans les comités du « non », puis parmi les antilibéraux, permit à quelques milliers de militants de découvrir la gauche radicale, notamment la LCR, et d’y prendre goût, après les expériences malheureuses de la gauche plurielle.

Mais cette nouvelle pratique unitaire allait susciter l’opposition des principaux courants oppositionnels du parti : les partisans de Robert Hue, qui rêvent d’un rapprochement avec le PS et redoutent toute alliance avec les « gauchistes », et les nostalgiques, regroupés autour du député André Gerin ou de la fédération du Pas-de-Calais, qui veulent une affirmation solitaire du parti mais, eux aussi, sans les « gauchistes ». C’est en s’appuyant sur cette majorité hétéroclite que la direction du PCF a fait la campagne Buffet. Sa seule opposition ? Le petit courant des Refondateurs, surtout composé d’élus dont une minorité a choisi de soutenir José Bové. Durant cette campagne présidentielle, on a retrouvé la même mobilisation que lors du référendum, avec encore plus d’enthousiasme. Mais la mobilisation militante ne remplace pas la crédibilité. Le message de Marie-George Buffet expliquant qu’il fallait un gouvernement de toute la gauche, du PS à la LCR, sur une base antilibérale était inaudible : la direction du PS antilibérale ? Qui pouvait y croire ?

Dimanche 22 avril, les électeurs ont tranché : 707 327 voix (1,93 %), le score est sans appel. Plus de 200 000 voix et 1,40 % de moins que le résultat de Robert Hue en 2002. En dehors de l’île de la Réunion, présidée par Paul Vergès, secrétaire général du Parti communiste réunionnais, Marie-George Buffet obtient, dans chaque département, un score inférieur à celui d’Olivier Besancenot, y compris dans les bastions du PCF comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne. À Calais, avec plus de 7 %, ou à Saint-Denis, avec plus de 5 %, Olivier Besancenot est en tête de la gauche antilibérale, et là où des élus PCF ont soutenu José Bové, comme Patrick Braouezec ou Jacques Perreux, le score du leader paysan ne progresse pas.

Un tel échec va susciter un débat de fond dans le PCF, où toutes les tendances vont se déchaîner contre la direction sortante, au risque de l’éclatement. Pour le moment, à la veille du second tour, les couteaux sont restés aux vestiaires lors du conseil national du 24 avril. Le débat de fond est fixé au 9 mai, avec la perspective d’un congrès extraordinaire à la fin de l’année. Mais le rapporteur, Olivier Dartigolles, a tout de même réussi à ne pas dire un mot sur l’épisode des comités antilibéraux, ou sur les raisons de la défaite, si ce n’est « la grande fragilité de notre influence dans le contexte d’un vote utile exacerbé » et le « vieillissement ». En revanche, il note le « recul de 4,65 % des trois candidats d’extrême gauche »... Il fallait oser ! Quant à nous, nous sommes prêts à tirer ensemble, avec les militants communistes, tous les bilans et, surtout, à envisager toutes les actions communes, notamment contre Sarkozy si par malheur il gagnait les élections.

Alain Krivine


SARKOZY-LE PEN La copie et l’original...

La forte mobilisation électorale a largement profité à Sarkozy, qui recueille 31,18 % des suffrages, soit plus de 11 millions de voix. Le Pen, lui, chute : 10,44 % des voix. Sarkozy a réussi son pari : la rupture avec la période Chirac pour affaiblir le FN à son profit. Une page est tournée.

« Les Français ont préféré l’apparence du changement au changement réel », a déclaré avec dépit Le Pen, le soir du premier tour, devant la faiblesse de ses scores. L’extrême droite perd, en additionnant les scores de Le Pen et de Mégret en 2002, près d’1,5 million de voix par rapport à l’élection présidentielle précédente. Cette chute de Le Pen, qui prépare probablement, à plus ou moins long terme, le déclin du FN, est pour une large part due au fait que Sarkozy a repris à son compte les thèmes privilégiés de l’extrême droite. Flattés dans le sens de leurs préjugés, bon nombre d’électeurs d’extrême droite ont voulu assurer la présence de Sarkozy au second tour dans le meilleur rapport de force possible.

Ce dernier a réussi son pari d’absorber une partie de l’électorat FN afin de s’imposer comme le candidat de la rupture avec l’époque Chirac, celle de la cohabitation, dont Le Pen a été l’enfant. À l’issue des années 1990, alors que Chirac avait été Premier ministre de Mitterrand, puis Jospin celui de Chirac, Le Pen avait su détourner à son profit le mécontentement suscité par les reniements et le libéralisme de la gauche, mécontentement que la droite, partageant le pouvoir avec elle, ne pouvait capitaliser. En rompant avec cette période, Sarkozy a reconquis une partie de cet électorat en s’affirmant comme une vraie droite, décomplexée, dure, se nourrissant des mêmes préjugés que l’extrême droite.

Cette première étape achevée, il lui faut, parallèlement, gagner la bataille au centre. Ainsi reprend-il, pour le second tour, la chanson de Bayrou : « Je ne souhaite qu’une chose : rassembler le peuple français autour d’un nouveau rêve français. » Nicolas Sarkozy arrondit les angles, déclare son « respect » pour Ségolène Royal et termine sa déclaration d’après premier tour en déclarant : « Cette France fraternelle, c’est elle qui m’a tout donné. Je lui dois tout. Il est venu le temps de tout lui rendre à mon tour. J’invite tous les Français de bonne volonté, quels que soient leurs origines, leurs croyances, leurs partis, à s’unir à moi pour qu’ensemble nous puissions bâtir. » Et ses officiers de multiplier les appels du pied en direction de Bayrou et de ses électeurs. 

Face à cela, Royal semble vouloir mener sa campagne sur le terrain des personnalités, des caractères des deux candidats espérant ainsi attirer des électeurs de Bayrou qui pourraient être repoussés par l’arrogance de Sarkozy... Elle prend l’initiative de proposer au leader centriste « un dialogue ouvert et public », se mettant encore une fois en position de concurrence avec Sarkozy sur le même terrain que lui. La logique présidentielle conduit les deux adver-saires à chasser sur les mêmes terres du centre, en soulignant les convergences de fond qui existent entre eux, par-delà les personnalités. Il n’est pas dit que Sarkozy ne soit pas le perdant de ce petit jeu. Son ambition de capter des voix à la gauche, au centre et à l’extrême droite, pourrait se révéler un piège et se retourner contre lui. Sauf que son score se nourrit de la pression à droite qu’exercent l’ensemble des forces politiques, y compris le PS, leur capitulation devant les exigences des grands actionnaires et du Medef.

C’est ce dont se flattait Le Pen : « Nous avons gagné la bataille des idées. La nation et le patriotisme, l’immigration et la sécurité ont été mis au centre de la campagne de nos adversaires. » Que Le Pen puisse ainsi se flatter d’avoir réussi à enfermer le débat politique dans le cadre de préoccupations réactionnaires travaille pour Sarkozy. Le recul électoral du FN ne pourra se transformer en un réel retour du balancier politique à gauche en réponse au 5 mai 2002 que si émerge une nouvelle force capable d’imposer dans le débat, la démocratie, le progrès, l’urgence sociale et démocratique, la nécessaire alternative anticapitaliste dont la société a besoin. C’est pourquoi, agir pour battre Sarkozy, c’est au second tour, dans la continuité du premier, exercer la pression la plus forte possible, la plus à gauche possible.

Yvan Lemaitre


Ségolène Royal : la tentation centriste...

En réunissant 9 501 295 suffrages (25,87 %), Ségolène Royal a lavé l’échec de Jospin en 2002. Dans le cadre d’un scrutin qui a enregistré un record de participation, la candidate du Parti socialiste a rassemblé près de 5 millions de voix de plus que son prédécesseur à la présidentielle précédente.

Les études sorties des urnes - qui permettent d’analyser la sociologie et les motivations du vote - confirment ce que nous pressentions sur le terrain. Jamais le score d’un candidat socialiste n’a été autant nourri plus par le rejet de la droite que par le soutien à son programme. D’ailleurs, lorsque les sondeurs posent la question aux électeurs de Royal « Pour qui d’autre avez-vous sérieusement envisagé de voter ? », le nombre de celles et ceux qui répondent Olivier Besancenot est impressionnant. La peur de la réédition du scénario de 2002, largement alimentée par la direction du PS au point d’en devenir le seul argument en faveur du vote Royal dans les deux dernières semaines, a fonctionné à plein.

Il faut dire que le programme du PS penchait sérieusement vers la droite. Sur le terrain social, un programme très light avec comme « mesure phare », l’augmentation du Smic à 1 500 euros... mais brut et dans cinq ans ! Il ne faut ainsi pas s’étonner si de plus en plus d’électeurs ne font plus la différence entre le programme du PS et celui de l’UDF, et si une fraction des électeurs de gauche n’a ainsi pas trouvé incongru de voter Bayrou au premier tour, au nom de la recherche de l’efficacité face à Sarkozy.

L’équation Bayrou

Les dirigeants PS ont gagné la première manche et, par contrecoup, ont réduit à rien le vote en faveur de leurs ex-partenaires gouvernementaux - PCF et Verts -, limitant aussi la poussée électorale de la LCR, sans réussir toutefois à la juguler. Reste que le PS ne sait pas trop comment il doit s’y prendre pour l’emporter au second tour. Le total droite-gauche est très favorable à la droite. Les reports de voix, avec une faible possibilité de croissance de la participation au second tour par rapport au premier, n’ont jamais été aussi aléatoires. Quid de l’électorat de Bayrou ? Les études sorties des urnes montrent que cet électorat est difficile à cerner. Si ses électeurs adhèrent pour la plupart d’entre eux aux thèmes qu’a défendu le candidat, leur vote au second tour se partagera entre Sarkozy et Royal. Mais dans quelle proportion ?

Gagner sur sa droite, sans trop perdre sur sa gauche, voilà la difficile équation et la cause de l’embarras et des tiraillements au sommet de la direction socialiste. Royal a eu logiquement du mal à caler son discours le soir du premier tour, repoussant son intervention à plusieurs reprises. L’appel du pied est resté elliptique ce soir-là : « [...] Je dois aller au-delà, bien sûr, en rassemblant toute la gauche et les écologistes mais aussi, encore au-delà, pour rassembler une majorité de Français qui veulent vraiment que ça change, que ça change vraiment. »

Lundi 23 avril, François Hollande déclarait : « Dans l’électorat de François Bayrou, des hommes et des femmes [...] ont voulu le changement [et] croyaient même, en votant Bayrou, battre Sarkozy. » À l’opération de séduction de l’électorat centriste, a déjà rapidement succédé le lancement de tractations avec Bayrou et les dirigeants de l’UDF. Poussant la logique, le socialiste Arnaud Montebourg a indiqué, quant à lui, que les socialistes étaient « exactement dans [le] projet de reconstruction défendu au premier tour par François Bayrou ». Quant à Ségolène Royal, en meeting à Valence, lundi 23 avril, elle se faisait beaucoup plus précise en proposant « un dialogue public » à l’ancien candidat centriste.

De quoi faire pousser des cris de contentement aux Rocard et autres Cohn-Bendit, qui avaient devancé l’appel avant le premier tour. Kouchner en a rajouté une louche, en proposant de constituer un gouvernement qui irait de Bayrou à Besancenot - ben voyons ! -, à l’image du gouvernement italien d’alliance gauche-centre droit, conduit par Romano Prodi. Les signaux se multiplient. On ressort Jacques Delors des placards. On invite Prodi à tenir meeting avec Ségolène Royal.

L’ouverture à droite n’est pas un concept nouveau. Il taraude les dirigeants socialistes depuis longtemps. C’était la volonté exprimée, dès 1981, par Rocard, qui au moins a de la suite dans les idées. C’était en germe également en 1988, avec la « Lettre aux Français », écrite par Mitterrand, qui se posait en rassembleur au-delà des frontières droite-gauche. Enfin, c’est aussi une conséquence du virage à droite de tous les courants socialistes et sociaux-démocrates dans le monde, avec comme maîtres d’œuvre Blair au Royaume-Uni et Schröder en Allemagne.

Dans cette lignée, Royal cherche à concrétiser ce vieux projet en France. Cela n’annonce rien de bon pour les couches populaires. Ce second tour prendra nécessairement l’allure d’un référendum anti-Sarkozy, tant la politique qu’il entend mener représente un danger redoutable pour les travailleurs et pour les libertés publiques. Mais rejeter Sarkozy n’est pas donner un chèque en blanc à Royal...

Frédéric Borras

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