Quand Bernard Wesphael se pose en Mélenchon wallon
Par Daniel Tanuro le Samedi, 28 Avril 2012

L’ex-chef de groupe ECOLO au Parlement wallon, Bernard Wesphael, a claqué la porte de son parti. Il continue de siéger à Namur et annonce la formation d’une nouvelle formation : le Mouvement de la Gauche démocrate, laïque, écologique et citoyenne. Wesphael ambitionne de marcher sur les traces de Jean-Luc Mélenchon et celui-ci le soutient. Selon le leader du Front de Gauche français, le Mouvement de Wesphael pourrait s’insérer dans le projet de construction d’une force politique européenne anti-austérité. Martine Billard, coprésidente du Front de Gauche : « Je suis contente qu’il (B. Wesphael) ait fait le pas. Nous le suivions depuis un petit temps. Il peut amener un renouveau en reliant écologie et social. Maintenant, c’est aux Belges de décider, pas à nous. Mais nous l’aiderons s’il se lance dans une telle démarche » (La Libre Belgique, 28/03/2012). Alors, en route vers le Front de Gauche wallon ? Au risque d’apparaître comme des rabat-joie, nous disons : non, pas comme ça.

Wesphael le sauveur ?

Tout d’abord, la démarche de Bernard Wesphael est étonnante. On ne s’étendra pas ici sur ses motivations personnelles et les raisons qu’il a d’estimer avoir été mal traité par son parti. L’essentiel est ailleurs. L’essentiel, c’est la contradiction entre la méthode politique dont Bernard Wesphael se réclame en théorie, d’une part, et la manière dont il procède en pratique, d’autre part. Dans ses écrits, ses interviews, Wesphael dénonce la « particratie », dit sa foi dans la « démocratie participative » et appelle à une nouvelle formation politique qui ne soit pas seulement un parti mais aussi un « mouvement d’éducation permanente », car il faut cesser de mépriser les citoyens (Le Vif, 20/04/2012). Très bien. Sauf que, en pratique, il se présente comme le Sauveur et fonde tout seul un Mouvement de Gauche dont il choisit le nom et écrit le Manifeste. Ce n’est pas comme ça, selon nous, qu’il s’agit de procéder pour créer une alternative politique permettant de rassembler les forces à gauche du PS et d’ECOLO.

Vous avez dit : « capitalisme »?

Ensuite, l’orientation politique de Bernard Wesphael mérite une sérieuse discussion. Il n’est pas encore question de programme, OK. Mais le Manifeste du Mouvement de Gauche ébauche une analyse et en déduit une ligne générale sur laquelle on peut se prononcer. Or, disons-le tout net : cela ne nous convient pas.

Commençons par l’analyse. La crise, pour Wesphael, s’explique par le fait que « le monde politique » « se soumet aux diktats des intérêts financiers », « instaure un modèle économique qui ne bénéficie qu’à quelques-uns », et « a permis la mise en place de sociétés transnationales à ce point puissantes qu’elles se placent au-dessus des lois », de sorte que l’Europe a dérivé « loin de ses idéaux fondateurs ». Dans cette vision des choses, la nature fondamentalement perverse du système économique disparaît. La critique du capitalisme en tant que mode de production et en tant que société divisée en classes sociales est totalement absente du Manifeste de Wesphael. Le mot « capitalisme » n’apparaît même pas une seule fois dans le document. On va voir que ce « détail » ne reste pas sans conséquences.

« Les gouvernements sont aux ordres des marchés et les parlements soumis aux gouvernements et aux partis », écrit Wesphael. Il dénonce le fait que « les travailleurs – salariés ou indépendants – et les PME ploient sous l’impôt » auquel les « très riches et les transnationales » échappent. Ceci montre clairement que, pour lui, il n’y a pas le monde du travail d’un côté et le monde du capital de l’autre : il y a d’une part une masse de salariés, d’indépendants et de petits patrons qui souffrent et, d’autre part, une oligarchie de parasites financiers qui s’engraissent. Résultat de cette vision : l’austérité, le chômage, les licenciements et les fermetures ne sont pas dénoncés en tant que tels – comme des conséquences de la course au profit capitaliste – mais comme une partie des problèmes dont les politiques ne « protègent » plus les citoyens comme ils devraient le faire.

Des réponses inconsistantes…

Le programme qui découle de cette analyse est forcément inconsistant sur le plan économique. En effet, une analyse qui escamote le capitalisme ne peut aller au-delà de phrases creuses sur la nécessité d’une « révolution démocratique et citoyenne » et de belles intentions en faveur d’un « changement de régime démocratique qui replace le citoyen et le parlement au centre du débat démocratique ». Le Manifeste en est truffé. Par contre, on y chercherait en vain une réponse au chômage de masse. Faut-il réduire le temps de travail ? Avec ou sans perte de salaire ? Mystère.

Libérer la société de l’emprise du capital financier est sans aucun doute la question clé du point de vue démocratique et social. Or, que dit Wesphael à ce sujet ? Il avoue avoir espéré en 2008 qu’un « peu de bon sens et d’honnêteté intellectuelle ramèneraient la raison dans les échanges internationaux » et « remettraient le monde financier au service de l’économie réelle ». Il admet aujourd’hui que ces « illusions » se sont « envolées ». Mais quelles conclusions en tire-t-il ? Faut-il nationaliser le crédit ? Sinon, comment casser le pouvoir de la finance ? Pas l’ombre d’une réponse… Wesphael se contente de conclure ce point de son Manifeste en disant qu’il « va falloir se retrousser les manches pour imposer une réforme en profondeur des institutions et des structures génératrices d’inégalités et d’injustices sociales ». Et d’ajouter que « ce sera un rude combat ! » C’est un peu court.

… et de dangereux glissements

« Nous souhaitons un Etat régulateur et protecteur », écrit Wesphael. N’ayant aucune compréhension de ce qu’est le capitalisme, il n’a forcément – on vient de le voir – qu’une idée très vague de la manière dont « la puissance publique » pourrait « retrouver son rôle moteur dans la régulation des marchés »… Par contre, il a une conception précise de la manière dont l’Etat devrait « protéger » les citoyens sur d’autres terrains. C’est là que la pensée de Wesphael devient dangereuse car cette protection, selon lui, devrait se concrétiser principalement sur quatre axes : l’immigration, l’insécurité, la laïcité et la mondialisation. En soi, cette énumération est déjà significative. Elle ne place pas Wesphael sur la gauche d’ECOLO mais sur sa droite. Dangereusement sur sa droite.

Sur l’immigration, le député liégeois dénonce « une convergence entre une certaine extrême gauche qui demande l’ouverture des frontières et certains grands patrons qui se réjouissent d’exploiter de la main d’œuvre illégale à bon marché. Arrêtons cette logique de naïveté en pensant que l’immigration est forcément une bonne chose ! » (Le Vif, 12 février 2012).

Sur l’insécurité, il considère qu’il « faut renforcer la prévention, mais ne pas oublier non plus la sanction. Des délinquants pris sur le fait qui sortent trois heures plus tard du commissariat, sans être réellement inquiétés, ce n’est pas normal ». (Idem) « C’est en intégrant cette réalité du besoin de sécurité physique que (nous) pourrons contrer le plus efficacement ceux qui surfent sur le sentiment d’insécurité (…) pour masquer leur désintérêt du champ social » (Manifeste du Mouvement de la Gauche).

Sur la laïcité, Wesphael – comme Mélenchon – charge l’Etat, qu’il veut « neutre et actif », de « contrôler que l’expression des convictions religieuses et philosophiques ne trouble pas l’ordre public et ne remette pas en cause l’égalité de tous et toutes devant la loi ». « Nous voulons une société qui repose sur l’universalité des droits et un fond partagé de valeurs communes de liberté, d’égalité, de tolérance, de citoyenneté et de démocratie », ajoute-t-il.

Face à la mondialisation, enfin, Wesphael écrit ceci : « L’Europe est confrontée à la concurrence des pays émergents. Notre déclin n’est pas une fatalité (…). La seule vraie condition pour que l’Europe s’en sorte par le haut est que nous ne nous comportions pas comme des naïfs suicidaires. » Et de plaider pour qu’un « protectionnisme adapté aux frontières de l’Union compense la concurrence déloyale du moins disant écologique, fiscal et social ».

« Etat protecteur » ou lutte des classes?

Ces quatre axes ne tombent pas du ciel. Ils focalisent le désarroi et les peurs des populations qui, faute d’alternative à la crise globale du système, désignent des boucs émissaires ou s’accrochent à de fausses solutions. Face à cela, au lieu de contribuer à une alternative, Wesphael se campe en « protecteur » qui veut renforcer l’Etat. Il n’est pas le seul dans la gauche à réagir de la sorte, en Belgique et ailleurs (en France, le thème de la « protection » est omniprésent dans les débats politiques). Mais nous crions « casse-cou » ! La campagne électorale pour les présidentielles chez nos voisins du Sud montre que cette approche fait inévitablement le jeu de la droite et de l’extrême-droite. Au soir du premier tour, en France, une Marine Le Pen jubilante a appelé les vrais Français, « les patriotes de gauche comme de droite », à se rassembler autour du FN, en vue des législatives de juin. Les quatre axes de l’insécurité, de la laïcité, de l’immigration et de la mondialisation sont au cœur de son discours. N’est-ce pas suffisamment clair?

La réponse au désarroi et aux peurs ne consiste ni à renforcer un « Etat protecteur » ni à plébisciter des hommes (ou des femmes !) providentiels qui se posent en « protecteurs » de « ceux qui souffrent » – sur le mode « je vous ai compris, aidez-moi, votez pour moi ». La réponse consiste en un programme anticapitaliste permettant aux exploité-e-s et aux opprimé-e-s de se protéger eux-mêmes, par la lutte, tous ensemble. Cela implique par voie de conséquence de combattre le nationalisme, le racisme, l’islamophobie, le sexisme et tout ce qui divise les exploité-e-s et les opprimé-e-s.

« Protection de ceux qui souffrent » ou lutte de classe ? Protection de « notre culture », de « notre mode de vie », de « nos entreprises » ou internationalisme ? Alliance des salariés avec les petits patrons contre la « concurrence déloyale de l’étranger », ou front international des exploité-e-s contre leurs exploiteurs? Renforcement de l’Etat ou affaiblissement du capital ? Ce sont deux logiques opposées. Elles se déploient indépendamment de la volonté de ceux et celles qui les portent.

Il est significatif que « protéger », « protection », « protectionnisme » sont parmi les mots qui reviennent le plus souvent dans le Manifeste du Mouvement de la Gauche. Nous ne soupçonnons pas Bernard Wesphael de xénophobie, mais la logique de sa position sera d’approuver la limitation du nombre d’étrangers en Europe. Il se défendra de tout sexisme, mais la logique de sa position est d’interdire le libre choix des femmes musulmanes de porter le foulard, ou pas. Il se défendra de vouloir un Etat policier, mais la logique de sa position est d’augmenter le nombre de policiers dans les rues et de donner plus de moyens à la justice. Il se défendra de soutenir les patrons européens dans leur guerre de concurrence contre leurs rivaux, mais la logique de sa position est bien celle-là. D’ailleurs, il l’écrit en toute lettre : l’Europe peut encore « marcher la tête haute » en « tenant son rang dans le monde » ; « le protectionnisme raisonné et la planification écologique nous permettront de renforcer l’industrie européenne ».

Tiens ?! Et l’écologie?

N’en déplaise à Martine Billard, citée au début de cet article, Bernard Wesphael n’amènera pas de « renouveau en reliant l’écologie et le social ». Pourquoi ? Parce que sa volonté d’entendre les peurs des victimes de la crise pour mieux les « protéger » le conduira à donner toujours moins de place à la question environnementale qui, dans ce cadre, apparaît comme secondaire. Ce recul est déjà très clair dans le Manifeste du Mouvement pour la Gauche. Les grands problèmes écologiques y occupent fort peu de place et les réponses apportées – l’internalisation des coûts – ne sont pas celles de la gauche, mais celles du « capitalisme vert ». Ce n’est pas un hasard, mais l’expression du fait que le social et l’environnemental ne peuvent être reliés que par l’anticapitalisme… Or, celui-ci fait défaut chez Bernard Wesphael autant que chez ECOLO.

Pas comme ça !

Nombreuses sont les personnes dans notre pays qui souhaitent une alternative politique à gauche du PS et d’ECOLO. De plus en plus de voix s’élèvent dans ce sens, notamment dans les syndicats. Beaucoup de syndicalistes voient dans le Front de Gauche français un espoir et la preuve qu’une nouvelle force politique peut émerger, rendre l’espoir et contribuer à changer les rapports de forces. Tout cela est très positif. Mais ce n’est pas une raison pour que tout un chacun se mette à se réclamer de Jean-Luc Mélenchon en escamotant les problèmes politiques soulevés par certains aspects du message et du programme du Front de Gauche. Or, ce sont justement ces aspects qui sont exacerbés dans le discours de Bernard Wesphael. C’est pourquoi nous pensons que le PTB a tort de lui faire de l’œil. « L’unité des forces de gauche » que son porte-parole appelle de ses vœux doit se construire dans la clarté, en y associant les militant-e-s des mouvements sociaux. Notamment les syndicalistes, car ils sont les premiers concernés par l’élaboration d’un programme anticapitaliste.


 

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