Danemark : une erreur majeure de l’Alliance Rouge Verte
Par Michael Voss le Mercredi, 19 Décembre 2012

Pour la deuxième fois, la direction de l’Alliance Rouge-Verte a décidé de voter le budget du gouvernement de centre gauche dirigé par les sociaux-démocrates. Pourtant ce budget, prolongation d’une politique libérale, limite l’indemnisation des chômeurs.  

Au cours de conférences de presse séparées, le 11 novembre dernier, le gouvernement danois et l’Alliance Rouge Verte (Enhedslisten) ont annoncé un accord sur le budget national pour 2013. Deux semaines plus tard, à l’issue d’une réunion nationale de militant-e-s, le Parti socialiste des travailleurs (Socialistisk Arbejderparti, SAP, section danoise de la IVe Internationale), un des trois partis à l’origine de l’Alliance, a caractérisé ce choix comme « une erreur majeure de l’Enhedslisten ».

Il s’agit du second budget national depuis la constitution d’un gouvernement de centre-gauche en septembre 2011. Enhedslisten avait déjà soutenu le budget pour 2012 et cela n’avait quasiment pas provoqué de débats en son sein. Mais en 2012, une forte opposition est apparue dans l’Alliance rouge-verte. Dans les deux cas, comme le statut de l’Alliance le stipule, c’est la direction nationale qui a pris la décision. Mais, cette fois-ci, le vote indique l’importance des désaccords : le choix n’a été adopté que par 15 voix contre 9. Les militants critiques du parti ont mis en avant deux arguments principaux.

Les allocations de chômage

Le premier argument concerne l’indemnisation des chômeurs. Le précédent gouvernement de droite néolibéral a modifié la loi concernant l’indemnisation du chômage, en limitant la période au cours de laquelle les chômeurs peuvent recevoir les allocations du régime d’assurance-chômage administré par les syndicats. Cette modification entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2013. Elle a suscité la colère et des protestations, en particulier des syndicats et des électeurs des deux principaux partis ouvriers, le Parti social-démocrate (SD) [1] et le Parti socialiste populaire (SF) [2], qui gouvernent actuellement avec la Gauche radicale (RV, un parti bourgeois libéral) [3]. Durant des mois, la plus importante proposition d’Enhedslisten pour le budget 2013 visait la création d’emplois pour les chômeurs ou le prolongement de la durée de paiement des allocations chômage. Elle était présentée comme une condition non négociable pour que ses députés votent le budget. Mais l’Alliance a fini par accepter beaucoup moins. Les opposants au sein du parti ont soutenu avec vigueur que, ce faisant, le parti minait les mobilisations et affaiblissait les possibilités de construire un mouvement de masse, car ce qui est accepté est en deçà du minimum admissible.

Rupture ou continuité ?

Le second argument contre le vote du budget par Enhedslisten est que ce budget ne respecte pas les conditions fixées par une décision du Congrès national de l’Alliance Rouge Verte de mai 2010, donc avant les élections et avant la mise en place du nouveau gouvernement de centre-gauche. La résolution adoptée par ce Congrès stipulait : « Enhedslisten encourage le nouveau gouvernement à une rupture — fondée sur l’égalité sociale, la solidarité et le développement soutenable — avec les politiques du gouvernement précédent. Un budget qui marquera une telle rupture pourra compter également sur notre soutien. Mais nous ne pourrons en aucune circonstance soutenir un budget qui comprendrait des retours en arrière, ne comporterait pas d’amélioration significatives, serait le résumé d’une année de politiques d’austérité décidées en commun avec les partis de droite. »

Les opposants au soutien au Budget 2013 ont souligné qu’il inclut des coupes visant certains groupes de travailleurs et de pauvres. De plus, il s’agit d’un budget qui résume la politique d’austérité conduite depuis un an. Depuis le vote du premier budget national, celui de 2012, d’importantes contre-réformes ont été adoptées, sans le soutien d’Enhedslisten, mais avec le vote des députés du Parti libéral (Venstre) et du Parti populaire conservateur (KF) [4].

Ces contre-réformes sont clairement fondées sur une orientation néolibérale. Elles visent à accroître la productivité du travail et les écarts de revenus entre les chômeurs et les salariés. Conformément à cette approche, le capital et les couches disposant des revenus les plus hauts sont dispensés de payer les frais de la crise.

Il s’agit, d’une part, d’une réforme fiscale qui a réduit les impôts des revenus les plus hauts. D’autre part, une réforme de la sécurité sociale a rendu encore plus difficile la recherche d’un emploi financé par l’État pour les personnes en difficulté.

De plus, une politique expansionniste, qui pourrait améliorer la situation sociale et créer des emplois dans le secteur public ne se trouve pas dans le budget 2013 qui ne comprend non plus aucune disposition pour faire payer les riches.

Lors des négociations sur ce budget, Enhedslisten a réussi à obtenir quelques soulagements pour les personnes les plus défavorisées ou subissant des problèmes de santé. Mais rien qui modifierait l’orientation politique générale. A la suite des propositions d’Enhedslisten, quelques financements supplémentaires de la « politique verte » ont été ajoutés ainsi que quelques autres améliorations mineures. Mais lorsque la direction nationale de l’Alliance Rouge Verte a accepté de voter en faveur du budget sans obtenir une véritable solution pour les chômeurs, la dernière d’obtenir des améliorations majeures a été perdue.

Moindre mal ?

Le groupe parlementaire et la majorité de la direction nationale affirment qu’ils ont été surpris lorsque Venstre a commencé les négociations sur le projet gouvernemental — après que ce parti ait longuement déclaré qu’il n’était pas prêt d’aider le gouvernement à obtenir une majorité parlementaire pour le vote du budget.

Cela a fait craindre à la direction et au groupe parlementaire que le gouvernement pourrait conclure un accord budgétaire avec les libéraux. Ils ont craint que Enhedslisten ne soit critiqué par son électorat parce que des exigences non négociables de l’Alliance auraient forcé le gouvernement à se soumettre à Venstre. Plusieurs au sein de la majorité de la direction de l’Alliance ont même affirmé qu’Enhedslisten devait soutenir ce budget pour empêcher une accord budgétaire entre le gouvernement et le Parti libéral [5], qui serait encore pire… C’est l’argument du « moindre mal ».

Le SAP, section danoise de la IVe Internationale, fait partie de l’Alliance Rouge Verte depuis sa création en 1989. Ses membre sont actifs dans la construction de l’Alliance et de son organisation de jeunesse SUF [6]. Une conférence nationale du SAP était prévue pour le week-end, deux semaines après la signature de l’accord sur le budget. Son ordre du jour a été modifié de manière à laisser le temps à la discussion sur la question budgétaire et à l’adoption d’une résolution [7].

Le titre de la résolution adoptée par la Conférence nationale du SAP résume son attitude : « L’accord sur le budget national a été une erreur majeure ». La résolution conclut que les conditions nécessaires pour soutenir un tel budget n’ont pas été respectées. Elle souligne également que l’abandon de l’exigence concernant la sécurité de l’emploi est une erreur tactique sérieuse, d’autant plus grave que l’Alliance a lancé une campagne en défense des allocations de chômage et des emplois.

La résolution appelle toute l’Alliance à accélérer l’engament militant dans cette campagne, en particulier pour tenter de mobiliser les sections locales des syndicats autour de ces revendications de manière à mettre le gouvernement sous pression.

En outre, le SAP appelle toutes les organisations locales de l’Alliance Rouge Verte à débattre sur la décision adoptée par la direction nationale et à adopter des motions critiques.

Le SAP s’engage à préparer le prochain Congrès national de l’Alliance Rouge Verte, qui aura lieu en mai 2013, en vue que ce Congrès considère comme négative la décision de soutenir le budget 2013 et réaffirme les principes originels qui ont été négligés cette année. Enfin le SAP appelle à élire au sein de la nouvelle direction nationale de l’Alliance seulement ceux qui se sont opposés au budget 2013 [8].

Notes

[1] Parti social-démocrate (SD). Parti présidé par le Premier ministre Mme Helle Thorning-Schmidt et présidente du parti. Elections : 15/09/2011 : 24,9% 44 députés (43 en 2007).

[2] Parti populaire socialiste (SF). Parti créé en 1958 par l’ancien secrétaire général du PC, Aksel Larsen exclu pour son opposition à l’intervention soviétique contre les conseils ouvriers en Hongrie. Le SF a accepté le Traité de Maastricht. Allié de façon étroite aux sociaux-démocrates SD, il fait partie pour la première d’un gouvernement. Attitude très populiste sur la question de l’immigration, abandonnant la défense des droits des immigrés et des demandeurs d’asile. Elections : 1960 : 6 % des suffrages et 11 députés. 1987 : 27 élus (15 %). 2005 : 6%. 2007 : 23 députés, 13%. 2011 : 16 sièges avec 9 % des votes (recul de 4 %).

[3] Det Radikale Venstre (RV). « La Gauche radicale ». Parti bourgeois libéral-démocrate. Néolibéral en économie, mais avec une vision humanitaire en ce qui concerne les immigrés et les réfugiés, opposé aux pressions de l’extrême droite populiste dans ce domaine. Défend le droit de migrants et des réfugiés mais reste sur une ligne très libérale sur toutes les questions de politique économique. Mme Margarethe Vestager. 
Parti qui est issu d’une scission de Venstre-Danmarks Liberale Parti (La Gauche- Parti liberal du Danemark) de 1905 (les libéraux bourgeois au Danemark portent le nom de « gauche » car au XIXe siècle la « droite » c’était les conservateurs). Elections : 2011 : 17 députés (+ 8).

[4] Det Konservative Folkeparti (KF). Parti populaire conservateur. Elections : 2011 : 8 députés.

[5] Parti libéral. Principal parti d’opposition de droite. Parti de l’ancien Premier ministre : Lars Loekke Rasmussen.

[6] Socialistisk UngdomsFront (SUF, Front de la Jeunesse Socialiste) est une organisation de jeunesse en solidarité politique avec l’Alliance Rouge Verte.

[7] Nous en publierons une traduction dès que possible.

[8] Les députés d’Enhedslisten, membres du SAP, ont appliqué au Parlement la décision majoritaire de la Direction nationale de l’Alliance Rouge Verte, tout en étant en désaccord avec elle, par respect pour les règles de fonctionnement du nouveau parti.

* Traduction Inprecor. http://orta.dynalias.org/inprecor/

* Michael Voss est militant de l’Alliance Rouge Verte (Enhedslisten) et membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs (SAP, Socialistisk Arbejderparti, section danoise de la IVe Internationale). En tant que représentant du SAP il a pris part aux discussions qui ont abouti à la création de l’Alliance. Entre 1995 et 2006 il a travaillé comme journaliste et attaché de presse du groupe parlementaire d’Enhedslisten.

Cet article a été publié sur http://www.europe-solidaire.org

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