Le calvaire des chômeurs à l'ère Di Rupo Ier
Par Une chômeuse anonyme, Hainaut le Mercredi, 20 Février 2013

Il y a un temps que le gouvernement « très socialiste » Di Rupo, comme d’ailleurs ses amis en Grèce ou en France, a décidé de s’attaquer aux victimes de la crise au lieu de s'attaquer à ceux qui l'ont causée et ceux qui en profitent : les banquiers, les spéculateurs financiers et les millionnaires qui ne payent pas l'impôt.

Ce choix imposé par l’Europe des riches et des patrons vise les travailleurs/reuses et les plus faibles parmi nous, notamment les femmes et les jeunes, les sans-emploi… Il se traduit par les licenciements massifs, l’attaque aux fins de carrière, les restructurations, les assainissements de toutes sortes, les coupes budgétaires pour les services publics...

Les chômeurs seront privilégiés ! Alors que le marché de l’emploi est en faillite (il suffit de consulter les chiffres de l’ONEM), le gouvernement va se servir d’un véritable couteau suisse pour « solutionner » le problème de l’emploi : de la traque des chômeurs, aux multiples contrôles, à la mise sous contrat… mais surtout la dégressivité rapide de leurs allocations de chômage, une mesure qui a jeté des milliers de chômeurs/euses, essentiellement des jeunes, et autant de familles dans la précarité...

Que de la misère au quotidien et un sombre avenir que nous promets ce gouvernement antisocial.

La LCR continuera à dénoncer et à lutter contre les "mesures anti-chômeurs" et toutes les mesures austéritaires antisociales du gouvernement Di Rupo. Mais considère que seule une alternative politique anticapitaliste est à même de résister à cette offensive néolibérale. Une alternative au service des démunis, qui permettra de penser, d’organiser et de mener l'action pour défendre nos acquis et en arracher d'autres. Un alternative pour imposer une réduction du temps de travail sans perte de salaire, et la mise en œuvre d'une politique créatrice de l'emploi, au service de la population dans son ensemble et  garante de la dignité humaine...

Il est temps que, nous tous/TES, les gens d'en bas, prenons notre destin en main.

Nous publions ci-dessous un témoignage anonyme sur ce qu’endurent les chômeurs/euses de la part d’une machine lancée contre eux/elles et que l’on cherche chaque jour à perfectionner pour faire plus de victimes… sociaux. (LCR-Web)


Ce témoignage est long mais bouleversant… Lisez-le et disons-nous, après ça, qu’au Forem, c’est pas tous des ennemis mais que la machine est bel et bien à proscrire, ce que ce texte démontre terriblement.

Trouvé ce jour sur facebook, ça se passe en Belgique…Hommage à cette “chômeuse anonyme”…

“Je suis au chômage. En mars, si je n’ai pas retrouvé d’emploi, mes allocations seront rabotées au minimum. Ca n’est pas grave, je n’ai pas peur. Parce que la misère, celle où on n’a pas de quoi se chauffer ni même de manger, je connais : je l’ai déjà vécue. Des accidents de vie qui se succèdent, puis la maladie : je suis tombée au fond du gouffre. Un gouffre de plusieurs années.

Puis, j’ai retrouvé du boulot. Un CDI dans la fonction publique, au salaire pas mirobolant mais qui paraissait être des monts d’or par rapport à mes allocations de chômage minimales. C’était au Forem, en 2005. A l’entretien d’embauche, j’ai demandé à ne pas être en contact avec les demandeurs d’emploi. Parce que je ne cautionnais pas le « plan d’accompagnement des demandeurs d’emploi » encore récent, mais que j’avais subi en tant que chômeuse déjà, et , qu’ayant déjà fait de l’accompagnement, je savais que c’est dur pour le moral. Il faut avoir le cœur bien accroché, et quand on est sensible, et que votre compassion vous submerge d’ émotions, on ne peut juste pas le faire, à moins de devenir aigri.

Ils en ont tenu compte et me voilà devenue conseillère en recrutement. Le poste consistait à rédiger les offres d’emploi pour les employeurs désireux de recruter. J’ai aimé mon métier, au début. Les tâches étaient variées et on pouvait avoir le sentiment d’apprendre pendant quelques années. Le contact avec les employeurs n’était pas déplaisant non plus. Les premières années, le tout a été agrémenté de très nombreux modules de formation dont le contenu, malgré leur intitulé, est davantage destiné à vous forger à la culture d’entreprise Forem, très présente, qu’à vous donner des compétences métier.

Celles-ci ne s’enseignent pas, elles s’apprennent sur le tas. Au début vous êtes coaché par un collègue, puis par votre supérieur. Si vous vous intéressez, que vous passez du temps à lire, à essayer de comprendre, de faire des liens pour pouvoir mieux cerner votre fonction, vous la maîtrisez de mieux en mieux. C’était mon cas : j’étais curieuse et consciencieuse, et j’ai réussi à devenir un élément efficace. C’est aussi ce qui, plus tard, ne m’a pas permis de pouvoir continuer à faire ce métier.

La rédaction des offres s’accompagne d’autres tâches connexes qui permettent de leur donner de la visibilité. Parmi celles-ci : le mailing ciblé. On interroge la base de données pour voir si des candidats correspondent au profil, et on leur envoie un courrier avec l’offre et un talon réponse.

Au début, cette tâche n’était pas obligatoire et était laissée à l’appréciation de l’agent. Puis, elle est devenue de plus en plus présente. On nous a demandé de faire du chiffre dessus, avec des objectifs à atteindre, qui augmentent chaque année. Ces objectifs étaient collectifs, pour l’équipe, mais chacun recevait également un tableau avec les résultats de chacun, noms masqués. On savait donc où on se classait dans l’équipe. Et on faisait aussi des spéculations sur « qui est la tête du peloton » ou « qui est le dernier ». Emulation à l’américaine dans le service public. Diviser pour mieux régner. On avait en outre des entretiens individuels d’évaluation avec la hiérarchie, où on nous poussait à faire toujours plus de chiffre.

Pendant quelques années, je l’ai fait de bon coeur. Parce que, la propagande organisée par le Forem lui-même pour ses agents étant très efficace, on nous avait persuadé que ce que nous faisions était utile à la société, bon, juste. Que grâce à cela, on pourrait sauver la sécurité sociale en luttant contre les abus. Qu’on permettait aussi, en proposant des offres aux personnes, de les aider à retrouver un emploi plus facilement. Bref, je me sentais utile, et ce que je faisais ne me déplaisait pas trop.

De plus, au début, ces propositions d’offres étaient libres. C’était une simple information aux demandeurs d’emploi qui pouvaient être les plus concernés par l’offre. Puis on a vu la mise en place de flux informatiques, grâce auxquels les résultats des talons réponse étaient systématiquement envoyés à l’Onem. Au début, je n’ai pas compris, toujours persuadée d’aider à endiguer les abus.

Puis, petit à petit, j’ai vu. Des personnes qu’on savait en fraude parce qu’ils nous l’avaient dit ne pas se faire sanctionner. J’ai compris que ce plan d’accompagnement ratait sa cible. J’ai vu, sur l’ordinateur, les premières sanctions apparaître suite à mes envois ciblés. Des personnes n’ayant pas répondu, ou mal, à mon talon réponse. Certains d’entre eux avaient réellement postulé, mais omis de renvoyer le talon réponse. D’autres, de bonne foi, l’avaient mal rempli car ils connaissaient mal leurs droits et obligations. D’autres encore étaient hors délai, attendant la réponse de l’employeur pour renvoyer le talon. D’autres encore, au logement précaire, n’avaient pas reçu l’offre, envoyée en envoi simple.

Les envois se faisant plus systématiques, les sanctions y-liées le sont devenues aussi. Mais je me disais que c’étaient « de mauvais chômeurs qui ne cherchaient pas » qui se faisaient sanctionner. On m’aidait beaucoup à le penser, aussi. L’endoctrinement d’Etat est une machine puissante.

Puis, avec l’apparition de la gestion des métiers en pénurie, les envois ciblés sont devenus, en termes de charge de travail, la moitié de mon temps de travail. Les envois étaient systématiques, et on avait des règles et procédures à respecter pour leur mise en place.

Systématiquement, aussi, je passais le plus clair de ma journée à répondre au téléphone le lendemain d’un envoi massif sur certains métiers, comme celui d’aide ménagère. Un nombre considérable de personnes me téléphonait pour me dire que je les avais convoqué, mais, qu’ayant perdu la convocation, elles n’en connaissaient pas le jour. Je ne convoquais pas les gens. Jamais. De plus, pour avoir mon numéro de téléphone, il fallait être en possession du document envoyé.

Au début, je n’ai pas compris. Puis, oui. J’ai alors cessé de pouvoir dormir. Ces gens, une bonne partie d’entre eux ne savait pas lire. 25% d’illetrisme dans ma région, selon les statistiques de l’Asbl Lire et Ecrire. Certaines personnes me suppliaient pour que je supprime l’envoi dans l’ordinateur, parce qu’elles connaissaient l’employeur avec lequel elles devaient prendre contact, et ne voulaient pas aller travailler là. Je ne savais pas le faire : techniquement ça n’est pas possible.

Ca a muri dans ma tête : si on m’envoyait postuler à un endroit que ma conscience réprouve, disons chez Shell ou chez Coca-Cola dans mon cas, quelle serait ma réaction ? N’a-ton pas le droit de s’épanouir dans son travail, tous ? N’a-t-on pas le droit de choisir le métier qu’on veut faire, et de se sentir fier et heureux de le faire ? J’étais en train de faire à ces gens ce que je n’aurais pas voulu qu’on me fasse. Et j’étais payée pour ça. Je voyais sur l’écran la valse des sanctions.

Parfois, quelqu’un me téléphonait, fâché, comme pour soulager sa colère. Pour me faire savoir que, à cause de mon courrier, ses enfants n’auront pas de quoi manger à leur faim ce mois-ci. Ca n’arrivait pas souvent, mais ça arrivait. Parce que les chômeurs ne font pas d’esclandre, en principe. Ils ont honte. La société les stigmatise pour qu’ils aient honte. Ils se cachent.

Alors, j’ai compris qu’il n’y avait ni bon ni mauvais chômeur. Qu’il n’y avait que des victimes de ce système néo-libéral complètement inique. Qu’il n’y avait que des gens tombés au fond du gouffre, comme moi, quelques années auparavant. Tombés tellement bas qu’ils n’ont plus ni la force ni l’espoir de pouvoir se relever un jour. Des gens englués comme des mouches dans leurs situations, dans leurs pièges à l’emploi, dans les égoûts du système. Des gens qui n’ont rien demandé à personne et qui préfèreraient souvent avoir une autre vie.

J’ai aussi compris que ce système soit-disant méritocratique mis en place pour les chômeurs a quelque chose de totalitaire : ceux qui peuvent suivre survivront, les autres n’ont pas le droit d’avoir de quoi se loger, se chauffer, se nourrir et se soigner. Ils n’ont pas le droit de vivre. Arbeit macht freï. Que, que l’on cherche assidûment un emploi ou pas, cela ne dispense personne de devoir se loger, se nourrir, se chauffer, se soigner. Et que donc, penser qu’il faut sanctionner les « mauvais chômeurs », c’est penser qu’il faut les empêcher de pouvoir subvenir à leurs besoins vitaux, donc les laisser crever ou les condamner à devenir des délinquants. Et que les gens, monsieur et madame tout le monde, quand ils parlent des chômeurs, être un bon ou un mauvais chômeur ne dépend pas du comportement objectif de la personne, mais bien du lien qui nous lie à elle. Les personnes qu’on connaît bien et dont on connaît le train de vie, les difficultés quotidiennes, sont toujours de bons chômeurs. Le mauvais chômeur, c’est l’autre, celui dont on ne sait rien et sur lequel on fantasme toutes sortes de trucs. Le voisin d’en face, la cousine du voisin, le voisin de la cousine du cousin. Celui qu’on imagine paresseux, tricheur, voleur faute de pouvoir se dire que l’Etat ne nous protège pas, et que demain, ça sera peut-être nous.

Le soir, je rentrais, seule, chez moi, dans ma maison achetée à crédit, et je pleurais. Je buvais, aussi. Beaucoup trop parfois. Ca me permettait de dormir un peu pour pouvoir y retourner le lendemain. A ce stade, j’ai commencé à essayer de négocier avec cette réalité. Mon chiffre a commencé à baisser considérablement. Je faisais de plus petits envois, ne ciblant que la moitié des personnes, par exemple. Des fois, je lançais le mailing mais j’ « oubliais » de l’envoyer à temps. Il fallait alors annuler tout l’envoi. Je faisais le plus souvent possible aussi, des mailings d’information, sans envoi à l’Onem, contournant ainsi des procédures pourtant rigides.

La hiérarchie et les collègues s’en sont aperçus, et n’ont pas apprécié. Je faisais baisser le chiffre de l’équipe. Le harcèlement a commencé. J’ai commencé à sombrer, n’étant plus soutenue par personne au sein de mon équipe. La médecine du travail l’a acté. La personne de référence pour le harcèlement au sein de mon administration n’a pas voulu m’aider. J’ai commencé à tomber de plus en plus souvent malade, et de plus en plus longtemps. Je n’avais même plus la force de chercher un emploi ailleurs. J’étais vidée de tout. Je n’étais plus moi-même.

A mon retour, j’ai eu un avertissement. On pointait mon manque de professionnalisme, et mon agressivité. J’en ai profité pour dire à mon chef que dorénavant, je refuserais de faire des mailings sur lesquels des gens sont sanctionnés. Que je travaillerais davantage s’il le faut, mais que je ne ferais plus ça. Il l’a accepté, mais m’a demandé de ne pas en parler à mes collègues. Elles s’en sont très vite rendues compte. Ca s’est envenimé. J’ai passé les trois derniers mois à ne pouvoir rien faire, et à pleurer toute la journée sur mon bureau.

Au début, c’étaient des crises de larmes passagères. Puis, elles se sont amplifiées jusqu’à remplir toute ma journée. Puis ça a commencé dans le train, le matin, pour se prolonger le soir au retour, puis le soir et la nuit. Puis je n’ai plus pu. J’ai été suivie par une conseillère interne pour envisager un changement de poste. J’ai aussi cherché du travail ailleurs. J’ai même fort bien réussi un examen écrit. J’ai été conviée à l’oral, mais je n’ai pas pu m’y rendre. J’avais pourtant passé de nombreux jours à le préparer. J’ai craqué nerveusement. Je n’ai même pas eu la force d’appeler le recruteur pour prévenir.

On m’a mise en arrêt maladie, longtemps cette fois. Le médecin conseil m’a interdit de reprendre le travail. Il avait pris contact avec le médecin du travail qui avait acté mon harcèlement, et aussi avec mon médecin traitant. Des démarches ont été entreprises pour que je sois licenciée pour raison médicale.

Aujourd’hui, je suis à nouveau au chômage, de l’autre côté de la barrière. Je sais à nouveau ce que ça fait d’être considérée comme une bonne à rien, une profiteuse, un rebut de la société. J’ai suivi une formation d’un an pour pouvoir changer de métier. Mais, à quarante ans, recommencer une vie professionnelle à zéro, sans expérience dans le domaine, ce n’est pas si facile qu’on pourrait le croire.

Et pourtant, je suis heureuse, car je suis fière de moi : j’ai obéi à ma conscience. Aujourd’hui, je dors bien la nuit. Je ne suis plus dépressive, malgré les probables ennuis d’argent qui ne tarderont pas à arriver. Aujourd’hui, je me regarde sans honte dans le miroir. Aujourd’hui, je lis cette petite maxime, et elle me laisse un petit sourire au coin des lèvres :

« Ne fais jamais rien que ta conscience réprouve, même si l’Etat te le demande ». (Albert Einstein).

Une chômeuse anonyme, Hainaut 

Ce témoignage a été publié sur  http://riposte-cte.tumblr.com


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