Etat espagnol : privatisation de la santé et résistances en Catalogne
Par Sergi Raventós * le Mercredi, 03 Avril 2013

La Catalogne est l’une des premières communautés autonomes à avoir mis en œuvre des politiques d’austérité en matière de santé : fermetures d'hôpitaux, de salles d’opération, de services d’urgence, de soins nocturnes, de certains centres de santé, paiement d’un euro par prescription et privatisation de certains services de santé, parmi bien d’autres agressions.

7 décembre 2012

Pour comprendre la situation que nous avons à la fin de 2012 il faut rappeler d’où nous venons. La politique de santé, conduite au fil des années en Catalogne par Convergence et Union (CiU), avec la complicité du Parti socialiste, a clairement été celle d’un modèle mixte public-privé de services sanitaires. Cette « convergence sociale » a mis en place les fondements d’une relation de promiscuité de la santé publique avec les centres privés, les mutuelles et d’autres entreprises, très peu transparente et ayant déjà des problèmes avec la justice. Des histoires et des ruses de toutes sortes (1) ont été mis à jour par certains médias et attendent d’être examinés par la commission d’enquête mise sur pieds par le Parlement, qui, malheureusement, a été suspendue à la suite des élections catalanes du 25 novembre 2012, mais que, si rien ne l’empêche, devrait reprendre ses travaux.

Sans nier les aspects clairement négatifs de ce système mixte et les inégalités dans la distribution territoriale du budget, qui ne correspond pas aux inégalités sanitaires, il y a un accord (2) pour dire que l’accès universel et gratuit à la plupart des prestations ainsi que les programmes pour les groupes les plus vulnérables, ayant des besoins spécifiques, ont permis de ne pas accentuer les inégalités liées à la santé et même de les réduire, au fil des années de leur fonctionnement.

La population dans son ensemble (y compris ceux qui ont une assurance complémentaire) a toujours reconnu, dans différentes enquêtes, que le système public est meilleur dans toutes les dimensions de soins cliniques et qu’il n’est dépassé par le système sanitaire privé uniquement en ce qui concerne les aspects tels que le confort et les temps d’attente pour des soins non urgents.

Démantèlement du système de santé publique

Au cours des dernières années, le gouvernement CiU a avancé de manière évidente la privatisation des soins de santé et, sans nier le rôle de Marina Geli, l’ex-conseillère socialiste du gouvernement tripartite des gauches (rappelez-vous son insistance sur l’application de la quote-part aux patients, lorsqu’elle gouvernait), il y a un avant et un après dans les politiques de démantèlement du système de santé publique après les élections de novembre 2010 en Catalogne.

Comme on le sait, le Conseiller de la Santé, Boi Ruiz, a été président de la Unió Catalana de Hospitales (UCH), qui regroupe les hôpitaux sous-traitants et autres établissements de santé privés qui gèrent les services publics. Au cours de son mandat il a ouvertement privilégié le modèle privé au prix de l’érosion du système public. Ses performances sont déjà bien connues au sein de la population catalane et son prestige s’est effondré ces derniers temps.

Sans vouloir faire un examen exhaustif citons quelques-unes de ses performances : l’ouverture des salles d’opération des hôpitaux publics le soir au profit des mutuelles privées est devenue une pratique de certains hôpitaux. L’un des hôpitaux où cela se fait, bien connu parce que il y a quelques mois le monarque espagnol y a été opéré, est l’Hospital Clínic de Barcelone, au sein duquel Barna Clínic, le très coûteux groupe privé, opère le soir (3). Un autre cas similaire c’est l’hôpital de Terrassa. Et aussi l’Hôpital de Sant Pau, qui est actuellement au centre des actualités du fait de la lutte de ses travailleurs, car aujourd’hui, il est fermé depuis déjà plus d’une semaine. Dans cet hôpital, depuis avril 2011, 84 lits restent fermés, avec ce que cela implique comme saturation des urgences, les renvois précipités des patients, l’allongement des listes d’attente. De plus, il y a eu d’importantes coupes du budget de la pharmacie hospitalière, des prothèses et des cathéters, des coupes dans la radiothérapie, la radiologie, la médecine nucléaire et l’ hémodynamique, ainsi que la fermeture des salles d’opération dans l’après-midi, ce qui représente une réduction d’environ 713 interventions chirurgicales par an. Mais selon les travailleurs eux-mêmes, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et qui a conduit à sa fermeture c’est l’annonce par le gouvernement catalan de la réduction du budget de la santé pour 2013. Cette réduction sera de 200 millions d’euros, ce qui représente une réduction de l’activité sanitaire de l’ordre de 15 % et 20%. Cette coupure si brutale représentera une réduction des services, une diminution des salaires et des licenciements collectifs possibles dans les entreprises de santé qui ont des accords avec le gouvernement.

Une autre affaire récente — un appui clair au secteur privé et à la recherche du profit — a été la concession pour dix ans au groupe privé Eulen de la gestion du Centre des soins de santé primaires de la population de L’Escala et de sept consultations médicales de la zone. Eulen a remporté la concession au prix de 2,4 millions d’euros par an, une offre moins chère de… 10.000 € seulement. Ce fut la raison pour céder la concession à un groupe spécialisé principalement dans la sécurité et la propreté, qui n’a pas l’expérience de gestion de la santé contrairement à l’entité qui en avait précédemment la charge : la Fundación Salut Empordà de l’Hospital de Figueres, une fondation à but non lucratif appréciée par la population. Le maire de L'Escala a considéré ce dénouement comme « une mauvaise nouvelle non seulement pour L'Escala, mais pour l'ensemble de la santé catalane » et a déclaré qu’il fera appel.

Ces cas, ainsi que beaucoup d’autres qui ne peuvent pas être traités faute de place, correspondent à une compréhension de la santé par le ministre régional comme « un bien privé qui dépend de vous, et non l’État, car il dépend du code génétique, de vos antécédents familiaux et de vos habitudes », selon les déclarations faites le 25 Octobre 2011 par Boi Ruiz. Certaines déclarations qui ont été contestées par Amnesty International et qui vont à l’encontre du rapport 2008 de la Commission des déterminants sociaux de l’OMS elle-même, qui considère que l’accumulation toxique de facteurs sociaux injustes et évitables — tels que l’inégalité économique, la précarité de l’emploi, la pollution de l’environnement, l’insécurité alimentaire, l’absence d’un logement adéquat ou le manque de participation et de démocratie — endommagent la santé et créent l’iniquité. La Commission estime que ces déterminants et d’autres, comme les pensions, le niveau d’éducation, les inégalités entre les hommes et les femmes (en particulier le travail de reproduction et de violence contre les femmes) et la participation sociale et politique, sont les « causes des causes » de la santé et de ses inégalités.

Luttes d’opposition et de résistance

La lutte des travailleurs de l’Hôpital de Sant Pau a pris le relais des autres luttes qui ont eu lieu dans le secteur catalan de la santé depuis plusieurs mois contre les coupures budgétaires et les démantèlements des services. Des luttes du personnel hospitalier comme à l’Hospital Vall d’Hebron de Barcelone, à l’hôpital universitaire Bellvitge de Barcelone ou à l’Hospital Dos de Maig de Barcelone, Mais aussi celles des utilisateurs et des patients dans les Centres de soins primaires (CAP), comme les habitants du quartier ouvrier de Bellvitge voisins, qui ont occupé leur CAP pendant des semaines pour défendre les soins de santé publique et pour éviter sa fermeture

Une autre action est en cours, pour tenter d’arrêter le pillage du système de santé publique au profit des patrons et amis du conseiller Ruiz Boi. Le 19 novembre 2012 la PARS, la Ligue du syndrome de fatigue chronique, ATTAC Acordem, ATTAC Catalunya, IAC -CATAC-CTS-IAC et Dempeus per la Salud Pública ont déposé une plainte contre Boi Ruiz et son équipe gouvernementale devant la Cour Suprême de Justice de la Catalogne. Les plaignants considèrent que les articles du Code pénal qui font référence à l’empêchement d’exercer les droits civiques (art. 542), à la non-assistance aux personnes en dangers (art. 196), au trafic d’influence (article 428) et aux négociations et activités interdites aux fonctionnaires (art. 441) ont été violés. Ils considèrent que le droit à la santé, un des piliers de base de l’État social, n’a pas été respecté.

Récemment, une nouvelle fois la revue Café amb llet a découvert dans la ville de Mataró un cas où d’importantes charges médicales de la Generalitat, également négociées avec le privé, ont été accordées à des entreprises de manière illégale. Et ce n’est pas le premier cas. L’un des plus connus a été dévoilé par la CUP (4) de Reus, qui a dévoilé toutes les affaires du président de l’Institut Català de la Salut, Josep Prat, qui passe pour le personnage clé du processus de privatisation en Catalogne. Il est difficile de comprendre comment ce dernier peut faire partie de la filiale espagnole de la multinationale United Surgical Partners, du grand groupe Onnova qui domine Reus et être, en même temps, le principal gérant de la santé catalane. Ce cas est maintenant dans les mains de la justice.

Ces luttes, et d’autres pour la défense de la santé publique catalane, sont un bon exemple de résistance, mais elle ne sont toujours pas suffisantes pour arrêter l’offensive menée par le patronat et la droite néolibérale qui gouverne la Catalogne pour s’approprier la santé publique.

Il faut donc construire la convergence des luttes de tous les secteurs de santé et des citoyens en général, de tous ceux qui sont touchés par les coupes budgétaires de 2013 et par le processus de privatisation d’un système de santé publique qui, jusqu’à tout récemment, était un des meilleurs au monde.

Notes :

1. La revue Café amb llet a rendu public certains d’entre eux. Ses vidéos se sont propagées à travers le réseau. Ses journalistes, Albano Dante et Marta Sibina, ont été récemment condamnés à une amende 10 000 euros pour avoir dénoncé dans des vidéos la corruption de certains dirigeants de Convergence et Union (CiU). Ils ont immédiatement annoncé que cette condamnation n’arrêtera pas leurs activités.

2. Document de travail préparé en décembre 2011 par certains professionnels de la santé et des citoyens des organisations Dempeus per la Salut, Fòrum Català d’atenció primària, Associació catalana de defensa de la sanitat pública, Grup de recerca en desigualtats en salut UPF, Fundació Congrés Català de salut mental.

3. Un article qui fournit des données : http://www.eldebat.cat

4. La Candidature d’unité populaire - Alternative des gauches (CUP-AE) est entré au Parlement de Catalogne, avec trois députés lors des élections régionales du 25 novembre 2012, cf. Inprecor n° 588/589 de novembre-décembre 2012.


* Sergi Raventós travaille dans une Fondation à but non lucratif de la santé mentale et est membre du collectif Dempeus pour la Santé publique. 

Source : http://orta.dynalias.org/inprecor/

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