" Le Rap se veut un vecteur des mouvements sociaux "
Par Sébastien Brulez le Mardi, 18 Avril 2006

En décembre dernier, deux membres du groupe de rap Starflam enregistraient un album avec des élèves d'écoles secondaires liégeoises comptant de nombreux jeunes issus de l'immigration. Aidés par le FIPI (Fonds d'impulsion pour la politique des immigrés) et l'asbl Animation et Création, Seg et Akro ont accompagné ces jeunes durant plusieurs semaines dans le cadre de leur cours de français. La Gauche a profité de l'occasion pour rencontrer les deux rappeurs à la Maison des Jeunes de Thier...

Qu'est-ce qui vous motive à participer à ce genre d'initiatives ?

Seg : Pour nous c'est un peu transmettre la flamme qu'on nous a donné il y a 15 - 20 ans. On a fait nos débuts dans cette Maison de jeunesse. On bénéficiait à l'époque d'un petit local derrière pour répéter et peu à peu on a commencé à se faire connaître. Cela a profité à la Maison des Jeunes qui a pu revendiquer le travail qu'ils avaient fait avec nous. Elle a ainsi pu obtenir des subsides afin de monter un petit studio qui est celui dans lequel nous travaillons avec les jeunes actuellement. C'est donc une continuité. Le but n'est pas d'en faire des musiciens ni des rappeurs confirmés mais plutôt de leur montrer qu'ils sont aussi capables d'écrire des phrases censées. Parce que souvent ce qu'ils entendent à longueur de journée c'est qu'ils ne sont capables de rien. Et nous on voulait leur montrer que faire du rap, ça n'est pas si compliqué. Ils savent parler, ils savent écrire, c'est la même chose. Il y a juste une réflexion différente à avoir au départ. Et je pense qu'il seront fiers de ce qu'ils ont fait et c'est bien là le but. Et c'est aussi pour leur montrer qu'il y a encore des gens qui pensent à eux, qu'il a quand même des choses qui se font concrètement dans leur quartier. Parce qu'en général on travaille dans des quartiers qui sont un peu à l'abandon. A côté de ça on fait aussi des ateliers avec des enfants, avec des mineurs délinquants dans des centres fermés, etc.

Avez-vous commencé à rapper dans le but de faire passer un message ou le fait de rapper a-t-il entraîné, par la suite, l'envie de dire des choses engagées ?

Akro : On n'a pas commencé par faire du rap, on baignait déjà dans l'environnement hip-hop et on a commencé par des choses plus abordables comme le tag ou le break. L'écriture et le rap sont venu bien après. Je pense que cela provient des influences et de l'environnement que nous avions à l'époque, qui était un rap fort à message. Ce qui nous a donné envie d'écrire des textes plus censés plutôt que d'écrire juste des trucs simples. Au niveau français on écoutait beaucoup Assassins, NTM ou MC Solaar qui avaient des textes avec un contenu. Et même au niveau des rappeurs américains, ces gens avaient des convictions. Nous, on ne vivait pas du tout dans la même réalité (leurs chansons décrivaient l'émancipation des afro-américains qui étaient mis sur le côté, etc.) mais on avait aussi des problèmes sociaux à dénoncer.

Seg : Malheureusement, aujourd'hui, le rap revêt de plus en plus de messages néolibéraux, où l'on met de plus en plus en avant les marques de vêtements, l'argent, etc.

Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?

Seg : Dans notre cas, nous nous positionnons par rapport à un système dans lequel on est. On ne veut pas cracher sur tout et dire qu'on est mieux. On est comme tout le monde, on est dans le système et on fait partie de ce système.

Mais je pense qu'il y a moyen de le démontrer avec intelligence. Comme je dis dans l'un de mes textes : "Nike Air aux pieds, ça ne m'empêche pas de faire défiler mes idées". Ce n'est pas parce que j'ai des Nike aux pieds que je ne vais pas partir en manif quand il y a quelque chose qui ne me plait pas. C'est le paradoxe de cette chanson et d'autres. Comme dans "Ma Parade", où l'on explique qu'on est une génération qui a "le cul entre deux chaises". Cela se ressent avec les mouvements contestataires contre la mal-bouffe, contre la mondialisation, etc. Ce sont les contradictions de note époque. On n'est pas directement responsable de ces contradictions, on est né en plein dedans et on en a revêtu tous les aspects. Je pense que chacun doit essayer de trouver sa logique personnelle dans ce foutoir.

Quel est la place du rap dans la contestation ? Peut-il être un outil pour dénoncer les inégalités sociales ?

Akro : C'est une espèce de punching-ball au niveau du verbe, on lâche des choses. Peut-être que quand on commence à écrire vers 15 - 16 ans, on est naïf et on ne sait pas si ça va toucher juste notre voisin ou plus de monde. Mais l'important c'est qu'on puisse lâcher un truc et le canaliser dans un texte. Ce sera soit un couplet, soit une chanson, soit une idée d'album avec une ligne de conduite.

Seg : Je crois que le rap est en phase avec son époque. Si l'époque est difficile et qu'il y a des mouvements sociaux importants, il se fera le vecteur de ses mouvements sociaux. Je pense que la démarche principale du rap est de décrire une société donnée à un temps T.

Comment voyez-vous ce qui s'est passé en 2005 dans les banlieues françaises ?

Akro : Ce que je trouve un peu dommage par rapport à d'autres mouvements (comme en 68 par exemple ou d'autres soulèvements de populations jeunes), c'est que j'ai l'impression que, de part et d'autre du problème en France, il n'y a pas de discours. Les gens n'ont rien à dire. Les politiques n'ont rien à dire, ils veulent donner dans le répressif pur et dur. Et les jeunes n'ont rien à dire non plus.

Vous voulez dire qu'il n'y a pas d'idées derrière ?

Seg : Disons qu'il y a une pulsion qui vient d'un problème qui est là. Le sentiment de révolte est légitime, mais la manière de l'exprimer manque franchement de fond et de conviction. Cela rend peu crédible et c'est peut-être là tout le problème. Ce qui s'est passé dans les banlieues se passait déjà il y a 25 ans. En gros il y a une espèce de décalage permanent entre la situation de gens qu'on a envoyé vivre dans des zones qui sont franchement invivables et le politique qui est complètement à côté de la plaque et qui propose des solutions alternatives qui ne sont pas du tout en phase avec le problème.

D'un autre côté, on se retranche derrière le fait que le rap véhicule un message et une réalité pas toujours belle à entendre. Et aujourd'hui on essaie de nous faire croire que c'est le rap qui est le déclencheur de ce qui s'est passé dans les banlieues. C'est faux, le rap ne fait que résumer ce que les gens vivent au quotidien. Il ne crée pas une nouvelle situation de vie, il ne fait que déplorer celle que les gens vivent au jour le jour. Affirmer que le rap est responsable de ça c'est complètement hallucinant ! Ca veut dire que le politicien ne voit pas ses responsabilités en face et ne reconnaît pas que si les jeunes ont des textes aussi désespérants et parfois aussi agressifs, c'est que leur quotidien l'est tout autant. Et que c'est ça qu'il faut changer pour que les textes de rap changent. Ces jeunes ont envie qu'on leur donne un autre avenir. Mais on n'envisage que des voies de garage pour eux et après on s'étonne qu'ils se révoltent.

La copie de cd et le téléchargement de musiques sur internet permettent de toucher un nombre croissant de jeunes. Quelle est votre opinion sur ce phénomène ?

Akro : On est un peu entre les deux. Nous, on avait les cassettes et que ce soit le cd le nouveau support, ça n'est pas très grave. La diffusion de la musique, pour nous, peut être gratuite pour qu'un maximum de monde en profite et peut-être vienne à nos concerts. Parce que, un artiste, on ne pourra jamais le télécharger. On est donc partagé entre le fait que cette musique, c'est très bien qu'elle soit gratuite et accessible à un maximum de gens. Mais d'un autre côté, on est artistes avant tout et il est clair que quand on voit qu'entre un album et l'autre ça chute parce qu'il y a deux ou trois années qui sont écoulées et que depuis il y a de plus en plus de téléchargement, surtout en Hip-Hop et R&B, ça fait mal.

Seg : Je pense que le débat est super large. Et pour moi il y a différents problèmes. Prenons simplement le fait que quand nous avons sorti nos deux albums chez EMI, la société se plaignait que le deuxième album se vendait moins que le précédent, à cause du téléchargement. Mais qui est le détenteur du brevet de la licence mp3 ? C'est EMI ! C'est eux qui ont acheté cette technologie, c'est eux qui l'ont répandue et propagée. Donc ce qu'ils perdent d'un côté, ils le récupèrent de l'autre(1). Même chose pour Sony Music qui dit qu'avec le téléchargement et la copie de cd ils vendent moins d'articles. D'accord, mais ils vendent des cd vierges et des graveurs cd. Donc rien n'est perdu pour eux. Les seuls perdants dans l'histoire ce sont les artistes. Parce que eux vendent moins de cd et ce sont les seuls qui dépendent directement de la vente de cd.


(1) "Hours" de David Bowie). Au premier semestre 2005, les ventes digitales de EMI atteignaient 44,6 millions de Livres (environ 65 millions d'euros) et représentaient 4,9% des revenus du groupe. Ce qui signifie une augmentation de 191,9% par rapport à 2004. Source : www.emigroup.com

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