Chômage ; Précarité, Exploitation : ASSEZ ! Dossier sur La lutte contre le CPE
Par Rouge le Vendredi, 07 Avril 2006

Lycéens, étudiants, salariés, tous ensemble... » : la réponse La démocratie est dans la rue...de la rue à la mascarade de Chirac, Villepin et Sarkozy est une nouvelle gifle au pouvoir. La vague du 28 mars, une déferlante jeune et populaire a rassemblé plus de trois millions de personnes, à travers 258 manifestations. Si la grève a marqué le pas dans le public, elle a gagné dans le privé et l’ampleur des manifestations, leur dynamisme, leur organisation, le mélange des lycéens, des étudiants avec leurs professeurs et les salariés, les mots d’ordre repris avec enthousiasme et impertinence soulignent la politisation du mouvement. Ceux qui espéraient que la ridicule manœuvre de Chirac, le mirage du dialogue façon Sarkozy, « sans tabou », freineraient la mobilisation en sont pour leur frais. Le 4 avril a été une nouvelle démonstration de force.

La démocratie est dans la rue

Lycéens, étudiants, salariés, tous ensemble... » : la réponse La démocratie est dans la rue...de la rue à la mascarade de Chirac, Villepin et Sarkozy est une nouvelle gifle au pouvoir. La vague du 28 mars, une déferlante jeune et populaire a rassemblé plus de trois millions de personnes, à travers 258 manifestations. Si la grève a marqué le pas dans le public, elle a gagné dans le privé et l’ampleur des manifestations, leur dynamisme, leur organisation, le mélange des lycéens, des étudiants avec leurs professeurs et les salariés, les mots d’ordre repris avec enthousiasme et impertinence soulignent la politisation du mouvement. Ceux qui espéraient que la ridicule manœuvre de Chirac, le mirage du dialogue façon Sarkozy, « sans tabou », freineraient la mobilisation en sont pour leur frais.

Le 4 avril a été une nouvelle démonstration de force. Les manifestations ont exprimé une maturation politique : la prise de conscience que, par-delà le contrat première embauche (CPE), la lutte remettait en cause le contrat nouvelles embauches (CNE), la loi sur l’égalité des chances et, plus généralement, la précarité et le chômage. L’irruption de la jeunesse sur la scène sociale et politique pose la question de l’avenir, en condamnant et en rejetant vingt ans de politique de régression sociale, de précarisation menée par tous les gouvernements, de droite comme de gauche. Ubu roi, ou plutôt président, a surpris son monde, en promulguant une loi pour aussitôt s’empresser de demander à ses ministres de faire diligence pour ne pas l’appliquer et à ses parlementaires de discuter d’une nouvelle loi annulant la première...

Ce petit tour de passe-passe n’avait d’autre but que de tenter de sauver la droite en perdition. En promulguant une loi qu’il ne fera pas appliquer, Chirac voulait sauver la mise à Villepin tout en passant la main à Sarkozy. L’élu du quiproquo du 5 mai 2002 continue d’exceller dans son domaine de prédilection : l’hypocrisie et le mensonge, l’équivoque et l’ambiguïté, la duplicité jusqu’au ridicule. Sauver ce qui peut l’être pour la majorité, voilà sa seule préoccupation. Lui, Villepin, Sarkozy et leurs amis se moquent éperdument des jeunes et des travailleurs. Ils les méprisent. Ils invoquent la République et la démocratie mais n’agissent que pour leurs ambitions et leur pouvoir. Désavoué par l’opinion, rejeté par la majorité de la population, ce gouvernement illégitime voudrait imposer une loi réactionnaire qui instaure l’apprentissage à 14 ans, le travail de nuit dès l’âge de 15 ans et prévoit un « contrat de responsabilité parentale » pouvant conduire à la suppression des allocations familiales. Les aménagements du CPE ne changeraient rien quant au fond.

Personne ne veut d’un CPE-bis dont la période d’essai serait réduite à un an et où le futur licencié aurait le droit de connaître, oralement, le motif de son licenciement. Le 4 avril, après le 28 mars, montre que la convergence entre les étudiants, les lycéens et les salariés, les précaires et les chômeurs devient une force qui peut gagner. La petite manœuvre de Chirac pour éviter la déroute de la droite révèle la faiblesse et le désarroi d’un pouvoir aux abois. Elle pourrait bien préparer sa débâcle. La présidente du Medef, Laurence Parisot, s’inquiète : la France serait « en danger ». Patronat et gouvernement craignent que les jeunes et les salariés ne réussissent à changer le rapport de force. Au lendemain du 4 avril, le président du groupe parlementaire UMP prétendait renouer le dialogue social.

La droite, qui a dressé contre elle l’ensemble des classes populaires, est acculée à remballer son CPE en désavouant Villepin. Peut-être tentera-t-elle de reprendre la main en invitant les « partenaires sociaux » à ouvrir un grand débat sur l’emploi, un Grenelle de l’emploi. Elle peut ainsi espérer obliger la gauche comme les directions des confédérations syndicales à s’inscrire dans des négociations sur la flexibilité-sécurité, c’est-à-dire à accepter la précarité en échange de quelques concessions. Nous verrons ce que seront les nouvelles manœuvres de la droite et du pouvoir pour tenter de sortir de leur crise.

Mais, quels que soient les calculs, le formidable mouvement de la jeunesse, sa capacité à s’adresser aux salariés et à leurs organisations ont changé la donne : la démocratie réelle, l’intervention directe des intéressés pour faire entendre leur voix, leur volonté, leur dignité, leurs exigences, a mis en échec le pouvoir. La force des manifestations du 4 avril, après celle du 28 mars, a mis en discussion, dans les lycées, les facultés et les entreprises, les moyens de construire la grève reconductible pour l’abrogation du CPE et du CNE, l’abrogation de la loi sur l’égalité des chances, et de chasser ce gouvernement pour mettre un coup d’arrêt à la généralisation de la précarité et à la régression sociale. Oui, chacun a droit à un emploi stable et à un revenu garanti. Demain on continue... « Chirac, Villepin, Sarkozy, votre période d’essai, elle est finie. »

Yvan Lemaitre


JOURNEE DU 4 AVRIL ET SES SUITES

Mobilisation permanente

La journée du 4 avril est au moins aussi forte que celle du 28 mars. De multiples initiatives interprofessionnelles enracinent le mouvement et peuvent décupler sa puissance subversive.

Encore raté pour le trio Chirac-Villepin-Sarkozy ! Aucune démobilisaton le 4 avril. Et plusieurs villes font en-core plus fort : comme Nantes (75 000 personnes), Pau (40 000, un record depuis la Libération), Bordeaux (10 000 de plus, selon les RG), ainsi que dans de nombreuses villes plus petites (9 000 à Evreux, 10 000 à Roanne, etc.). L’effet Chirac, c’est aussi la politisation (joyeuse) du mouvement. Villepin n’est plus la seule cible. Tout le pouvoir est visé par des slogans méchants et frondeurs : « Non à la monarchiraquisation », « Nettoyons la Chiracaille » (Paris).

Dans les assemblées générales (AG) étudiantes, comme à Brest, on parle d’« insurrection », de « désobéissance civique », et même de « changement de Constitution ». À Paris, on chante sur un air populaire : « J’ai vu un gouvernement chuter. » Dans presque tous les cortèges syndicaux, même les plus tranquilles habituellement (CFTC, entre autres), on s’amuse sur « la période d’essai terminée » des gouvernants. Certes, les taux de grève dans les services publics (La Poste, France Télécom, SNCF...) ont notablement chuté, parfois de moitié.

Mais le secteur privé est beaucoup plus présent, pas toujours avec des débrayages très massifs, mais avec un plus grand nombre d’entreprises. C’est ce que notent nos correspondants de Bordeaux, de Rennes (une quarantaine de banderoles du privé, dont la CGT-Citroën, ce qui est un signe), de Pau, de Grenoble (Schneider Electric, Alstom, Ascometal, Hewlett-Packard, le pôle chimique de Pont-de-Claix), de Marseille (Shell, la pétrochimie, RTM, Renault Michelet Marseille, le commerce et les services, avec Printemps, Heineken, Haribo, les banques).

À Paris, les enseignes de commerce sont plus nombreuses que le 28 mars : on remarque plusieurs librairies et magasins de chaussures, Atika, ainsi que les Galeries Lafayette, le Printemps, le BHV. Dans le cortège combatif de la métallurgie CFDT, on signale des délégations de la Snecma, Hispano, Sagem, Thalès et Alcatel. À Citroën Aulnay (Seine-Saint-Denis), environ 150 salariés (plus que le 28 mars) sont venus en manifestation, avec la CGT, la CFDT et SUD. Dans le Nord, à Douai, 500 jeunes et 2 000 métallos ont participé à un défilé de 3 500 personnes. Extension

La progression multisectorielle et intergénérationnelle du mouvement constitue le fait nouveau. Cela a mis du temps, mais on a dépassé le stade de la simple juxtaposition des sigles syndicaux, pour enraciner la lutte entre jeunes et salariés, avec des actions ciblées sur des lieux de pouvoir ou des centres névralgiques. Une cascade d’initiatives est prévue. À Lille, une assemblée interprofessionnelle s’est mise en place. Avec étudiants, lycéens, parents d’élèves, intermittents, sans-papiers, et plusieurs syndicats : SNU-FSU-ANPE, CGT (cheminots, métaux, Éducation, La Redoute, union locale Seclin), Solidaires (SUD-santé, etc.). PCF et LCR y participent aussi, ainsi qu’AC ! et le DAL.

Plusieurs actions ont été menées : popularisation d’une lutte contre les licenciements chez le sous-traitant automobile Ingeplast, opérations escargots, aide à l’association Secours populaire, etc. L’assemblée avait mandaté Vladimir Nieddu, de Sud-santé, pour lire une déclaration à la coordination étudiante, réunie le week-end des 1er et 2 avril, où il fut « ovationné », comme le décrit la Voix du Nord.

À Poitiers, l’intersyndicale au complet titrait « Grève totale » pour le 4 avril et elle posait le débat sur la grève reconductible. Tous les syndicats devaient se retrouver à la fac, le 5 avril à 6 h 45, en vue de bloquer la ville. La radicalisation est le résultat d’une configuration où le forum social départemental (avec la LCR, le PCF, les Alternatifs et des syndicalistes), qui équivaut au Collectif du 29 mai, joue un rôle de politisation. Le mouvement jeune et ses porte-parole locaux étaient très présents dans un meeting unitaire de toute la gauche. À Bordeaux, les jeunes ont décidé de faire des rassemblements toutes les nuits place de la Victoire.

À Saint-Nazaire, des salariés du port ont bloqué le terminal marchandises et le terminal méthanier. À Rennes, à Vannes et au Mans (avec la CGT), la gare a été envahie et le trafic bloqué pendant plusieurs heures. À l’aéroport d’Orly, une initiative (jeudi 6 avril) était en construction avec les syndicats CGT et SUD-aérien, réunissant salariés d’Air France, localités voisines, étudiants et entreprises sous-traitantes, pour manifester autour des terminaux et bloquer les routes d’accès depuis le pont de Rungis.

Enfin, à Lyon, la permanence du front de la gauche s’affermit encore, avec une déclaration en débat (LO, PRG, LCR, AGA, PS, MRC, PCF, Verts, Alternatifs), posant la question de la légitimité de la rue face à celle du pouvoir et de l’Assemblée nationale, discutant d’une nouvelle répartition des richesses et d’une confrontation publique à venir sur l’emploi.

Dominique Mezzi avec correspondants


LYCÉES

Chroniques de la mobilisation

La mobilisation contre le CPE ne se limite pas seulement aux grandes manifestations. C’est aussi une multitude d’initiatives quotidiennes qui révèlent, entre autres, la massivité du mouvement, l’imagination des étudiantes et étudiants, lycéennes et lycéens, et la volonté de faire la jonction avec les salariés. En voici quelques exemples.

À Orléans, alors que la fac était bloquée depuis quatre semaines, les lycéennes et les lycéens sont entrés dans le mouvement et ont mis en place une coordination. Plus d’une douzaine de lycées ont été bloqués lors des journées de manifestations et de mobilisation, ainsi que deux lycées privés. Mais, alors que la mobilisation est en phase ascendante, certains parents d’élèves viennent jusqu’aux portes des lycées pour exiger leur réouverture de manière à permettre à leurs « chers petits » de suivre les cours. Au lycée de Sèvres (Hauts-de-Seine), le premier blocage a eu lieu le 23 mars, à l’initiative d’une trentaine de personnes, le proviseur décidant rapidement de fermer le lycée pour la journée.

Même scénario cinq jours plus tard et le jeudi 30 mars, les flics intervenant gaz lacrymogènes à l’appui. Le lycée est rouvert pour l’après-midi. Pas pour longtemps, puisque le vendredi 31 mars, suite à la validation du CPE par le Conseil constitutionnel, les lycéens décident d’un blocage passif : les opposants au CPE se mettent devant le bahut, les banderoles sont déployées, mais chacun est libre d’aller ou non en cours. Suite à une assemblée générale (AG) houleuse ce jour-là, le proviseur décide de nouveau de fermer le lycée pour deux jours. Ce développement quelque peu chaotique de la mobilisation révèle les difficultés qui peuvent exister dans certains établissements pour convaincre la majorité des élèves de participer aux blocages et aux manifestations, et l’importance du travail de conviction.

Moins de problèmes rencontrés au lycée Jean-Cocteau de Miramas, l’un des précurseurs de la mobilisation lycéenne dans les Bouches-du-Rhône. Bloquant le lycée depuis plus de trois semaines, les jeunes de Miramas ont multiplié les expériences : occupation, blocages de bâtiments publics, rassemblement, auto-organisation, coordination, parfois avec des échecs, mais le plus souvent avec des victoires.

Cette lutte a vite appris à ses protagonistes l’importance de l’unité, encore un pari réussi qui s’est concrétisé par des professeurs en grève, par des actions communes avec des parents d’élèves, des professeurs, des travailleurs et des élèves des lycées avoisinants.

L’investissement de chacune et chacun est si intense que cette colère des jeunes des lycées contre le CPE s’est vite transformée en rage face aux provocations incessantes du chef de l’État et de son gouvernement. Avec une idée fixe : gagner le retrait de la loi sur l’égalité des chances, mais aussi la démission de Villepin.

À Metz, les étudiantes et les étudiants ont constitué des équipes pour diffuser un tract spécifique aux portes de quelques usines de l’agglomération. Difficile réveil à 4 heures du matin, bien vite effacé par l’enthousiasme de tracter devant les boîtes, d’engager des discussions avec les salariés sur la nécessité de la grève générale, d’assemblées générales interprofessionnelles mettant en place des liens solides avec les étudiants et les lycéens en lutte.

Dans le même registre, à Clermont-Ferrand, le mouvement étudiant entretient une forte unité avec le mouvement syndical. Ainsi, s’organisent des actions étudiantes en direction des salariés, en lien avec les syndicats. Vendredi 31 mars, s’est tenue une réunion rassemblant l’ensemble des forces syndicales (à l’exception de FO), des organisations de jeunesse et des forces politiques de gauche (à l’exception du Parti des travailleurs et de LO), afin de discuter de perspectives communes après le 4 avril, d’autant plus enthousiasmantes que l’intersyndicale a appelé à la grève reconductible dans le département.

Raphaël Duffleaux avec correspondants répression


Mouvement étudiant :Régénérescence

Qu’est-ce qui fait la spécificité du mouvement étudiant et lycéen d’aujourd’hui ? La massification de la population étudiante et la précarisation du monde du travail ont amené de nouvelles formes d’organisation.

Qu’ils affirment s’en démarquer ou le prendre comme modèle, Mai 68 demeure une référence quand on parle des mouvements étudiants. En réalité, Mai 68 a été bien plus qu’une mobilisation de la jeunesse : ce fut la plus grande grève générale du XXe siècle, ayant failli renverser le régime. Ces événements constituent une référence traumatisante pour les gouvernants. Premier ministre en 1986, Chirac retire le projet de réforme Devaquet, comme Balladur retire le contrat d’insertion professionnelle (CIP) en 1994, par crainte de la jonction entre luttes étudiantes et mobilisation sociale dans les entreprises.

En 1995, si Juppé accorde très vite des budgets supplémentaires à plusieurs universités mobilisées pour tenter d’éteindre un mouvement étudiant s’amplifiant, c’est que commence la grève dans le secteur public. D’autres mobilisations dans les universités, tout aussi importantes, sont restées confinées : grève générale de 1972 des étudiants en lettres contre la réforme des centres de formation des maîtres, grève générale des étudiants, aux côtés des lycéens qui en sont la colonne vertébrale et des collégiens, contre la loi Debré (réforme des sursis) et l’instauration du Deug. En 1976, une très longue grève débute à Nantes, en janvier, se généralise et se prolonge jusqu’en avril, s’opposant à la « réforme du deuxième cycle ». Coordination Au-delà de l’objet manifeste de chacune de ces grandes luttes, s’exprime un même contenu latent. Ces mouvements protestent tout d’abord contre la situation de la jeunesse : répression policière en 1968, embrigadement dans l’armée en 1973, sporadiquement dans les lycées autour du « l ycée caserne » et du régime disciplinaire, pour la liberté d’expression.

À d’autres moments, le plus souvent, il s’agit du refus de réformes sélectives : déjà, en 1968, l’insurrection étudiante est précédée de la contestation de la réforme Fouchet. Enfin, il ne faut pas oublier les mobilisations moins homogènes, plus sporadiques, car concernant des réformes devant s’appliquer et s’adapter localement, comme celle des premiers cycles universitaires, en 1984, ou la mise en place du nouveau système dit LMD1 s’étalant sur quatre ans. Certaines mobilisations ont lieu en « positif » : pour l’augmentation de budget, des créations de postes, des dédoublements de cours, etc. Mais, par nature, ce sont des enjeux locaux difficilement nationalisables, sauf quand la pénurie touche tout le monde, comme en 1995.

Enfin, et c’est le cas du CIP en 1994 et du contrat première embauche (CPE) en 2006, ce qui touche au code du travail, et donc à la situation et aux statuts professionnels des étudiants devenant des salariés. Entre 1968 et aujourd’hui, le nombre d’étudiants est passé de 500 000 à 2,5 millions. Même si massification n’équivaut pas à démocratisation, de nombreuses couches sociales accèdent à l’université.

Ainsi, dans chaque famille, il y a un chômeur et un étudiant, ce qui ne permet plus - comme l’avaient fait en 1968 les bureaucraties ouvrières - d’enfermer les étudiants dans un ghetto au nom de leur origine et devenir de classe. « On ne va pas se laisser donner des leçons par ceux qui seront nos futurs patrons », pouvait-on alors entendre par ceux qui craignaient le mélange détonant. Si 30 à 40 % des étudiants, aujourd’hui comme hier, travaillent pour financer leurs études, cela signifie qu’ils sont aujourd’hui plus de 600 000 à être déjà salariés, soit 5 % du salariat du privé. La main-d’œuvre étudiante satisfait de nombreux secteurs : restauration rapide, Virgin, etc.

Tout cela représente un enjeu majeur pour le mouvement syndical, à la fois parce que le « job étudiant » est devenu le modèle du travail précaire pour les non-étudiants, et pour renouveler le syndicalisme lui-même. L’auto-organisation, sous la forme de coordinations de délégués élus dans leurs assemblées générales (AG), est entrée dans le répertoire d’action collective de la jeunesse scolarisée depuis 1971 et 1972. Ce qui était « invention » est devenu naturel, « tradition ». Ce fut d’abord une réponse à l’absence de syndicats, comme en 1971 dans les lycées. Le rapport des syndicats étudiants à l’auto-organisation dépend des situations. D’abord opposés, puis devant « faire avec ».

En 1976, les deux Unef sont dans les coordinations, mais elles mènent seuls les entrevues avec le ministère, tout en en rendant compte. Il est vrai que la coordination étudiante refuse de rencontrer le ministre ailleurs que sur un plateau de télévision... En 1986, le mouvement est suffisamment fort pour que ce soit la coordination en tant que telle qui assure à la fois un rôle d’organisation de la lutte et de représentation auprès des pouvoirs publics, condamnant toute « négociation parallèle ». Les syndicats s’y plient... officiellement. Blocages Cette année, il y a eu des accrochages : les cinq confédérations vont à Matignon sans discuter avec toute l’intersyndicale ; la coordination demande à être représentée dans l’intersyndicale, ce qui est désormais admis.

Mais il apparaît peu de tensions - en tout cas publiquement visibles - ce qui tient sans doute à l’obstination gouvernementale. Tant que ne se pose pas la question concrète de négociations, il n’y a pas de débats sur la forme (qui va représenter le mouvement ?) ni sur le contenu (que dit-on, que propose-t-on ?). Enfin, dans le mouvement actuel, l’exigence démocratique est permanente. Dans les facs en grève, comme à Reims, un ministre peut venir parler et débattre.

Le « blocage » est plus systématiquement utilisé comme tactique, car la vie étudiante a changé : toujours plus de contrôles et d’examens partiels, plus de présence obligatoire, la semestrialisation et, donc, plus d’anxiété à manquer ses examens... Le blocage met ainsi les étudiants sur un pied d’égalité. Il est employé quand le mouvement est suffisamment, mais pas assez, fort. Aujourd’hui, les AG sont très massives. On y entend les opposants à la grève et au blocage. L’UNI, syndicat de droite pro-CPE et antiblocages, peut parler. Les votes organisés sur le blocage respectent des formes qui n’étaient que peu appliquées auparavant : listes d’émargement et de vote, urnes, parfois organisées par les administrations. Les étudiants d’aujourd’hui inscrivent la démocratie dans plusieurs espaces de légitimité : celui du vote et celui de la rue, qui ne sont pas contradictoires.

Après tout, beaucoup ont l’expérience d’avoir fait opposition à Le Pen par les urnes et par la rue, il y a quatre ans. Ils ont renouvelé l’expérience de la lutte dans les lycées l’année dernière. Un bel exemple de combinaison entre formes de démocratie représentative et démocratie directe, qui donne à réfléchir.

Robi Morder

  1. Licence-Master-Doctorat.

Contre le CPE/CNE, six mesures d’urgence pour un emploi stable et un salaire garanti

Sur les plateaux télévisés, on ne cesse de voir de gentils patrons qui se félicitent du contrat première embauche (CPE) et qui disent que les jeunes des cités et des banlieues espèrent voir s’appliquer au plus vite ce nouveau contrat, censé créer des centaines de milliers d’emplois. Les grèves seraient le fait des étudiants nantis qui, eux, n’ont pas besoin du CPE pour trouver un boulot. Face à toutes ces balivernes patronales, nous avançons quelques exigences simples pour remettre les pendules à l’heure. S’affronter au chômage et à la précarité, c’est d’abord s’affronter à ceux qui en sont responsables : les patrons et les actionnaires capitalistes.

1. Allocation pour la jeunesse

Plus de 700 000 étudiants et des dizaines de milliers de lycéens sont obligés de travailler pour financer leurs études et obtenir les moyens d’un minimum d’autonomie. Les jeunes qui travaillent sont corvéables à merci : conditions de travail lamentables, horaires flexibles, salaires de misère, etc. Des milliers ne trouvent aucun boulot parce qu’ils sont noirs ou beurs. 900 000 jeunes se retrouvent exclus du système scolaire et sans emploi. Ils n’ont même pas le droit de toucher le RMI, réservé aux plus de 25 ans. Du coup, 20 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. Cette société refuse aux jeunes un droit qui devrait être fondamental : l’autonomie.

-  Allocation d’autonomie de 800 euros par mois pour les jeunes

- C’est la possibilité d’étudier sans avoir à accepter des petits boulots de merde. Pour n’être ni dépendants de ses parents, ni totalement exploités par des patrons, et pouvoir aller aussi loin qu’on le souhaite dans ses études.

2. Un CDI pour toutes et tous

Depuis des années, patronat et gouvernement n’ont cessé d’inventer des contrats précaires : TUC, SIVP, CES, CDD... Mais ces contrats n’ont pas fait baisser le chômage, ni pour les jeunes ni pour les autres. En revanche, cela a permis aux patrons de payer moins cher et de précariser de plus en plus les salariés. Les CDD permettent d’embaucher et de licencier selon le bon vouloir patronal. L’emploi est un droit pour tous, pas une opportunité économique. Tous les contrats précaires et les temps partiels imposés pour les femmes doivent être supprimés.

- Un seul contrat de travail pour tous, le CDI, y compris pour les jeunes.

- Un CDI à temps plein, sans dérogation vis-à-vis du code du travail et des conventions collectives. Tous les départs à la retraite, soit plusieurs centaines de milliers d’emplois pour chacune des années à venir, doivent être remplacés. Le temps de travail doit être réduit, avec embauches correspondantes et augmentation des salaires : cela permet de travailler moins longtemps pour travailler tous. Les 35 heures doivent être appliquées partout, et il faut avancer rapidement vers les 32 heures.

3. Interdiction des licenciements

La première réponse au chômage est de combattre les licenciements : il y a eu 700 000 licenciements individuels et collectifs pour l’année 2005. Dans les grands groupes industriels et commerciaux, la loi des actionnaires entraîne suppressions d’emplois, de filiales d’établissement, pour grossir les montants des dividendes et le niveau de l’action.

- Interdiction des licenciements. Garantie du maintien du contrat de travail tout au long de la vie professionnelle.

- Le patronat est collectivement responsable du maintien des emplois au niveau du groupe, de la région, de la branche ou au niveau national. Les salariés ne sont pas des marchandises jetables. Imposons le droit de la société à réquisitionner les entreprises en cas de licenciement collectif ou de fermeture, de remonter des sous-traitants qui licencient jusqu’au donneur d’ordre. Ainsi, Alstom, sur les chantiers de Saint-Nazaire, a été rendu responsable des exactions de ses sous-traitants.

4. Droit à la formation

La formation est un droit. Un droit tout au long de la scolarité, évidemment, mais aussi tout au long de la vie professionnelle. Aujourd’hui, les patrons veulent jouer sur les deux tableaux : d’un côté, exploiter les apprentis et les stagiaires en les payant peu ou pas du tout lorsqu’ils travaillent ; de l’autre, obliger les salariés à suivre les formations, même celles que leur entreprise leur demande, en dehors du temps de travail.

- La formation est un droit, elle doit continuer, pour les salariés, à être partie intégrante du temps de travail et rémunérée comme telle par le patronat.

- Les chômeurs doivent aussi pouvoir suivre des formations qualifiantes et non pas des mini-stages bidons.

5. Des emplois pour le service public

La société manque de centaines de milliers d’emplois dans les services publics pour satisfaire les besoins sociaux de santé, d’enseignement et de transport, notamment. Dans la santé, les syndicats demandent 300 000 embauches, alors que le gouvernement supprime des lits et des hôpitaux entiers. Dans l’Éducation nationale, 90 000 postes supplémentaires sont nécessaires.

- 300 000 embauches pour la santé. 90 000 pour l’Éducation nationale.

- Il est également nécessaire de réintégrer dans le secteur public, les entreprises et les activités privatisées depuis vingt ans, dans les transports, l’énergie, les télécommunications, le traitement et la distribution de l’eau.

6. Stopper la ségrégation sociale

Sous prétexte de répondre à la révolte des jeunes des quartiers de novembre 2005, le gouvernement a mis en place le CPE et l’apprentissage à 14 ans. C’est évidemment ajouter la misère à la misère. Les vraies questions, dans les quartiers, pour les jeunes, c’est d’en finir avec une scolarité faite de filières poubelles, de discriminations au faciès, de ségrégation sociale entre établissements scolaires. C’est aussi dénoncer le racisme patronal du refus de stages ou de CV parce que Noir ou Beur, ou habitant un quartier mal vu.

- Arrêt des filières poubelles, des discriminations au faciès et de la ségrégation sociale.

- Il faut aussi lutter contre le démantèlement des services sociaux et des services publics, leur privatisation et leur disparition, qui touchent en premier lieu les quartiers où le taux de chômage est le plus élevé. Le premier respect auquel tout jeune, tout habitant d’un quartier a droit, c’est que son lieu de vie bénéficie des mêmes services, des mêmes investissements que les autres, et même davantage, pour rétablir le déséquilibre créé par des décennies d’abandon.

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