L'Union européenne contre nos retraites: Un projet qui vient de loin
Par Roseline Vachetta le Dimanche, 27 Juillet 2003

La politique libérale de refonte des systèmes de retraite ne se cantonne pas à la France. Elle vise l'ensemble des pays membres de l'Union européenne, dont les gouvernants doivent respecter le droit supra-national qu'ils ont eux-mêmes mis en place.

La philosophie générale de l'Union européenne (UE) en matière de politique relative aux retraites repose officiellement sur trois axes principaux :

- sur le plan social, il s'agit de faciliter la vie des travailleurs qui se déplacent au sein de l'Union européenne. Cela se traduit par la protection des droits acquis dans les périodes de travail effectuées dans plusieurs Etats membres, notamment pour le calcul des pensions ;

- sur le plan juridique, il s'agit d'encourager l'égalité de rémunération et du montant des pensions entre les femmes et les hommes et de respecter la concurrence ;

- sur le plan économique, il s'agit de favoriser le marché unique des capitaux, y compris ceux détenus par les régimes de retraite par capitalisation, et de mettre en oeuvre la libre prestation des services.

On s'en doute, ces trois axes ont des portées différentes. Le premier tend à inciter à la mobilité des salariés très qualifiés (2 % en 2000) au gré des besoins des entreprises. Le premier terme du second axe est un leurre : il n'a jamais permis de s'attaquer à l'inégalité des salaires et des montants de pension entre les hommes et les femmes - l'écart entre les salaires demeure de 27 % en moyenne et 80 % des retraites les plus faibles sont versées à des femmes.

En revanche les entraves à la concurrence ont été sévèrement réprimées. Mais c'est bien le troisième axe qui va être le plus utile pour démolir le système de retraite par répartition là où il existe et pour développer le système par capitalisation partout.

Ces trois axes n'ont qu'une seule logique : faire baisser au maximum le coût du travail et bâtir un capital économique et financier européen dans le cadre de la mondialisation libérale.

Dans la logique de la mondialisation capitaliste

Dans cette optique, le rapport de 1994 qui fait toujours référence en matière de politique de retraite et qui a été inspiré par la Banque mondiale est éloquent. Partant de l'hypothèse présente dans tous les discours des chefs d'Etat, de gauche comme de droite, que "le monde est à la veille d'une crise du vieillissement à laquelle les systèmes de retraites existants ne sont pas aptes à faire face", le texte se fixe comme objectifs la réponse à la crise démographique et le développement de la croissance. Pour les atteindre, il préconise la mise en place de trois niveaux :

l'assistance, financée par l'impôt et gérée par l'Etat, "ne doit avoir qu'un rôle des plus restreints, c'est-à-dire fournir un simple filet de sécurité". Il s'agit d'un minimum vieillesse dont le rôle serait d'atténuer la grande pauvreté parmi les personnes âgées ;

* l'épargne privée obligatoire serait gérée par le privé. Rien de moins que la retraite par capitalisation totale pour tous ;
* l'épargne privée facultative bénéficie d'"incitations fiscales" pour les privilégiés qui auront déjà les moyens de se payer une retraite dorée.

Pour que ce soit bien clair, le rapport précise que le seul pays au monde qui ait réussi à passer rapidement et sans contestations sociales d'un régime de retraite par répartition à un régime de retraite par capitalisation, c'est... le Chili de Pinochet en 1980 !

Ce texte fondateur de la doctrine libérale en matière de retraites ouvre la voie à la destruction totale du régime de retraite par répartition qui se base sur la solidarité intergénérationnelle, sur un financement par des cotisations sur le travail faisant de la protection sociale, dont la retraite, un salaire socialisé. Ce rapport débouchant sur des prescriptions à l'usage des gouvernants des Etats et de l'Union européenne n'est évidemment pas resté lettre morte.

L'UE, bonne élève de la Banque mondiale

En mars 2002, lors du sommet de Barcelone, les chefs d'Etat réunis en Conseil européen décidaient à l'unanimité qu'"il faudrait chercher d'ici 2010 à augmenter progressivement d'environ cinq ans l'âge moyen effectif auquel cesse, dans l'Union européenne, l'activité européenne". Ou encore, moins connu mais aussi intéressant, "ce n'est que grâce à un marché européen de capitaux intégré et efficace que les consommateurs comme les entreprises pourront tirer pleinement profit de l'euro.

Par conséquent le Conseil européen réaffirme qu'il est résolument engagé à mettre en oeuvre le plan d'action en faveur des services financiers et à réaliser l'intégration totale des marchés des valeurs mobilières et des capitaux à risque d'ici 2003. [Le Conseil de l'Europe] demande au Conseil et au Parlement européens d'arrêter le plus tôt possible les directives sur les fonds de pension de retraite".

La directive permettant la création de fonds de pension pour l'ensemble des entreprises dans l'Union européenne a été votée le 13 mai 2003, jour où deux millions de Français et des dizaines de milliers d'Autrichiens défilaient contre les projets en cours.

Ce même jour, le Parlement a également adopté la recommandation de la Commission européenne concernant les grandes orientations des politiques économiques (les Gopes). Pour la période 2003-2005, la Commission recommande de modifier profondément le marché du travail, au nom du renforcement de l'économie de l'UE : "Veiller à ce que les hausses de salaires nominaux restent modérées [...] ceci afin de permettre des marges bénéficiaires de nature à soutenir la croissance. [...] Veiller aux réglementations trop rigides, protégeant les salariés en place mais décourageant les entreprises de procéder à de nouvelles embauches rejetant beaucoup de personnes sur les marges du marché du travail. [...] Promouvoir une organisation du travail plus souple et revoir la législation du travail, notamment celle relative aux contrats de travail en tenant compte des besoins de flexibilité [...] Favoriser un allongement de la vie professionnelle, accroître la capitalisation et adapter les régimes de retraite à la flexibilisation croissante de l'emploi."

Au programme donc pour les salariés : salaires bloqués, conventions collectives et statuts remis en cause, flexibilité maximale, destruction de la retraite par répartition...

Dans cette recommandation, chaque pays se voit ensuite souligner les efforts qu'il lui faut accomplir. La France, par exemple, doit "faire en sorte que le nouveau système d'assurance chômage s'accompagne d'exigences adéquates et d'incitations à la recherche d'un emploi [d'où la création du revenu minimum d'activité (RMA)], entreprendre sans tarder une réforme complète de son système de retraite afin d'en assurer la viabilité financière et d'élever l'âge effectif de la retraite tout en adaptant ce système à des schémas d'emploi et de carrière plus flexibles ainsi qu'aux besoins individuels, surveiller l'efficacité des mesures prises pour enrayer la spirale des dépenses de santé et ramener leur évolution à un niveau plus supportable voire d'adopter de nouvelles mesures si nécessaire".

Une riposte sociale et politique

Quand les grévistes du printemps 2003 affirment par leur mobilisation que la question des retraites est décisive et qu'il y a là un véritable enjeu de société, ils ont raison. Il s'agit bien d'une exacerbation du conflit d'intérêts entre les possédants et les autres, une bataille acharnée entre deux mondes possibles. Le leur, dans lequel la majorité d'entre nous sera condamnée à travailler très tard ou, pour ceux qui survivront, à vivoter d'une aumône publique financée par les impôts (c'est-à-dire par nous tous).

Ou le nôtre. Un monde de solidarité dans lequel la santé et la protection sociale - dont la retraite - seront des biens communs, et non pas des marchandises. Un monde de droits : à l'emploi, à un salaire correct, à l'égalité entre les hommes et les femmes, à une retraite décente acquise au plus tard après 37,5 ans de travail et à 60 ans. Celle-ci doit être financée par la cotisation sociale sur le travail car elle constitue notre salaire indirect. Et il nous appartient !

L'urgence pour l'Union européenne de se positionner face à la volonté hégémonique des Etats-Unis de dominer le monde l'incite à accélérer la création d'un Etat supranational. Et la Constitution que, lors d'un nouveau traité de Rome en décembre 2003, les chefs d'Etat vont signer est l'aboutissement d'un processus déjà bien engagé. Rappelons que l'UE possède déjà un territoire - qui s'élargit -, une monnaie, une armée et bientôt un parquet...

Elle conduit une politique qui s'impose de façon quasi identique partout en Europe (60 % des législations nationales sont des applications de décisions européennes). Cette simultanéité et la brutalité des politiques antisociales peuvent favoriser la nécessaire riposte de l'ensemble des travailleurs européens. Une lutte sur l'ensemble des Etats de l'UE pour la conquête de nos droits. Et ce combat social est au coeur de la bataille politique. Il reste un long chemin à parcourir pour que les peuples provoquent la rupture avec cette Europe du capital et avec ses traités. Par nos luttes nous perturbons l'unification de l'empire européen économique et financier.

L'année prochaine sera une année décisive puisque les luttes sont déjà annoncées dans plusieurs pays et que la campagne pour les élections de juin 2004 permettra de proposer de vraies alternatives anticapitalistes à cette Europe-là.


Qui dirige l'Union européenne ?

L'Union européenne, on le sait, est formée de trois institutions : le Conseil, la Commission et le Parlement. Le pouvoir politique est entre les mains du Conseil européen, c'est-à-dire des quinze chefs d'Etat, demain 25, qui forment l'UE. Ce Conseil se réunit officiellement lors de sommets qui impulsent les orientations politiques générales dans tous les domaines : social, économie, finances, défense, immigration, politique étrangère... La présidence, pour le moment, tourne tous les six mois.

Ce sont donc exactement les mêmes qui conduisent des politiques défavorables à leurs peuples à la tête des Etats et de l'Europe. Evidemment, les citoyens sont tellement tenus à l'écart du fonctionnement de l'UE qu'il est très pratique d'affirmer que "c'est la faute à Bruxelles", entendez à la Commission européenne.

La Commission européenne n'est pas indépendante : rappelons que les commissaires sont nommés par les gouvernements. Elle traduit les orientations du Conseil en propositions législatives (recommandations, directives, règlements) qui sont ensuite débattues, amendées et votées par le Parlement et le Conseil.

Le rôle du Parlement reste assez marginal. Des domaines essentiels - l'agriculture, la fiscalité et toutes les questions ayant trait à la politique de sécurité - demeurent sous la seule autorité du Conseil. Dans ce cas le Parlement est seulement consulté. Pour les autres sujets il s'agit toujours de codécision, ce qui revient à dire que le Parlement ne décide rien seul.

Il est vraiment temps de dénoncer l'illégitimité de cette Europe : celle de chefs d'Etat et de gouvernement qui n'ont pas été élus pour diriger l'Europe et qui imposent dans le secret de réunions feutrées leurs politiques opposée aux besoins de plusieurs centaines de millions de citoyens.

Voir ci-dessus