Contre une Belgique séparée en deux. Pour un fédéralisme social et solidaire
Par Chris Den Hond le Jeudi, 04 Octobre 2007

Contre la droitisation, le racisme et le xenophobie, pour la solidarité et le respect des droits culturels pour des minorités, nous proposons:

  1. un fédéralisme lié aux personnes dans des régions avec une population mélangée
  2. de nouveau "nationaliser" les compétences qui ne sont pas liées aux personnes. Sauvons la solidarité.

Un peu d'histoire

La Belgique est restée de 1830 à 1970 – assez récent – un Etat unitair stricte, surtout francophone. Même la bourgeoisie flamande s'exprimait en français. La conscience latente de l'oppression du peuple flamand dans cet Etat belge fait un grand bond en avant après la 1ère guerre mondiale quand les soldats flamands, qui recevaient des ordres en français, reviennent du front. Ce sont surtout les instituteurs et les prêtres dans les paroisses qui dénoncent ouvertement cette oppression. Dans une série de 5 réformes d'Etat (1970, 1980, 1988, 1993, 2001) la Belgique devient un Etat fédéral avec trois communautés et trois régions.

Toute la lutte flamande vient d'une frustration culturelle. La lutte pour l'émancipation du peuple flamand était très liée à la lutte sociale. Les Flamands luttaient contre la discrimination, pas contre un autre peuple, mais contre la classe dominante qui parlait français. L'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur se faisaient en français. Ce n'est qu'après 100 ans d'existence de la Belgique que des droits très élémentaires sont reconnus avec la fondation d'une université en Néerlandais.

Ce qui a joué en Wallonie dans l'émergence d'une conscience nationale wallonne est la détérioriation de l'industrie. En Flandres la lutte pour la langue maternelle était importante, contre la discrimination, en Wallonie le facteur économique jouait un rôle important. Un moment donné, la Wallonie avait la 2ème industrie la plus importante dans le monde! La grave crise économique des années 50 et 60 mène à la grève générale de 60-61. Cette grève était plus forte en Wallonie qu'en Flandres. Plusieurs dirigeants syndicaux propagaient une Wallonie indépendante pour mieux stimuler l'économie. C'était le moteur de la conscience nationale wallonne. Les dirigeants du mouvement ouvrier flamand commettaient l'erreur de sousestimer la lutte pour les droits culturels, tandis que le mouvement flamand était essentiellement un mouvement très démocratique. Même Marx l'a souligné. Il insistait sur le fait que le mouvement des travailleurs devait soutenir la lutte des peuples opprimés, dont les Irlandais et les Flamands. En Flandres, le lien entre la lutte sociale et la lutte pour les droits nationaux du peuple flamand n'a pas été établi. D'où le fait que le mouvement flamand est resté limité à la petite bourgeoisie flamande.

Jusqu'à la 2nde guerre mondiale en 1940, l'expansion économique, la croissance industrielle se situait en Wallonie, dans les mines et les zones industrielles wallones. Il y avait des flux migratoires de travailleurs flamands vers la Wallonie et la France. Après la 2nde guerre mondiale, l'industrie se déplace vers les ports. L'importance des mines diminue. La grande usine sidérurgique Sidmar s'installe à Zelzate, en Flandres. L'industrie sidérurgique s'installe là où les matières premières arrivent des colonies dans les ports, qui se trouvent en Flandres. Donc, à côté de la bourgeoisie belge se développe une bourgeoisie flamande autonome, qui cherche des liens avec le grand capital allemand et français. Comme le poids économique de la Flandres devient plus important, le poids politique de cette bourgeoisie flamande dans la Belgique unitaire augmente également.

Bruxelles était en 1830 une ville flamande: 15 % de la population seulement y parlait français. Ce rapport s'est progressivement inversé : équilibre 50/50 en 1880, plus de 85% de francophones aujourd'hui. Lors des nombreuses réformes de l'État belge, le problème de Bruxelles, isolée en territoire flamand, a été le plus difficile à résoudre. Depuis 1989, la capitale belge est toutefois une région à part entière. La Région de Bruxelles-Capitale a été limitée à 19 communes dès 1963, lors du tracé de la frontière linguistique. En dehors de la région de Bruxelles, les communes dans lesquelles vit une forte minorité linguistique, reçoivent le statut de "communes à facilités". Pour être minorité, il faut quand même représenter 30% de la population. Il y a des communes à facilités dans toutes les régions du pays. Autour de Bruxelles, 6 communes à facilités francophones. En Wallonie, 4 communes à facilités néerlandophones et 5 communes à facilités germanophones. Enfin, toutes les communes de la Communauté germanophone offrent des facilités aux francophones qui y habitent. On doit cependant déplorer qu'un dernier recensement n'eut pas lieu à l'occasion de la fixation "définitive" de la frontière en 1963. On peut supposer qu'un recensement tenu en 1962-63 aurait fait apparaître des minorités francophones de plus de 30 % (donc droit à des facilités) dans les communes avant fusion d'Alsemberg, de Beersel, de Leeuw-St-Pierre, de Dilbeek, de Strombeek-Bever, de Woluwé-St-Etienne, de Sterrebeek, tandis que dans plusieurs des six communes à facilités, les francophones auraient sans doute atteint et dépassé le taux de 50 %, permettant de les joindre à l'agglomération bilingue de Bruxelles. Donc, il faut noter et souligner que pour fixer les limites entre Bruxelles et la périphérie, en 1963, on reprit les limites administratives héritées, en 1954, du recensement de 1947.

Le compromis de 1963 réduisait Bruxelles à un territoire trop exigu et il laissait sans aucun droits linguistiques une importante population francophone vivant dans la périphérie flamande, en dehors de six communes à facilités. A partir de là, des listes francophones destinées à protester et à défendre sur le terrain local les droits des francophones se présentèrent aux élections communales. A chaque étape de cette évolution institutionnelle vers un régime fédéral, officialisé en 1993, la "frontière linguistique" fut confirmée et devint progressivement plus qu'une limite administrative interne d'un Etat unitaire - ce qu'elle était à l'origine - puisqu'elle servait de plus en plus à circonscrire le champ territorial de compétence des entités fédérées. Sur cette base, de nombreux responsables politiques flamands prétendent la considérer aujourd'hui comme une " frontière d'état ".

  1. Pour un fédéralisme lié aux personnes dans des régions avec une population mélangée. Pour l'élargissement de la région de Bruxelles, incluant les communes avec une forte minorité linguistique.

Le fédéralisme territorial signifie qu'on démarque un territoire qui est ensuite géré par un gouvernement. C'est la conception traditionnelle que chaque Etat ait son territoire. Mais cette conception devient problématique parce que dans la réalité actuelle il est de plus en plus difficile de tracer des frontières entre les gens et les peuples. Très vite apparaissent de nouvelles minorités . Dans des régions avec une population mélangée, il est donc mieux d'appliquer un fédéralisme lié aux personnes. Cela veut dire que chaque communauté organise ses propres institutions concernant des matières qui sont liées aux personnes. Des matières liées aux personnes sont l'enseignement (de la crèche à l'université, dépendant de la taille de la région) et culture (radio et télévision, langue, arts, patrimoine culturel, musées, bibliothèques). Des matières qui ne sont pas liées aux personnes sont par exemple l'énergie, le transport, l'emploi, la sécurité sociale, la politique étrangère, l'environnement. La santé se trouve entre les deux. Dans une région où on applique le fédéralisme lié aux personnes, les différentes communautés ont droit à des crèches et l'enseignement dans leur propre langue et ils peuvent obtenir des documents dans leur langue à la commune.

Mais appliquer un fédéralisme lié aux personnes partout en Belgique n'a pas de sens. Ceci impliquerait qu'à n'importe quel endroit en Belgique, un citoyen aurait le droit à des institutions de sa propre communauté. Par exemple un francophone à Gand ou à Turnhout aurait droit à envoyer ses enfants à une école ou à une crèche francophone ou un Flamand à Charleroi aurait le droit d'exiger de l'enseignement en Néerlandais ou des documents en Néerlandais à la commune. Le fédéralisme belge n'est pas allé aussi loin, sauf donc à Bruxelles où on a combiné un fédéralisme territorial avec un fédéralisme lié aux personnes. Le problème se pose dans des communes autour de Bruxelles ou autour de la frontière linguistique où une évolution démographique a eu lieu et où il y a des communes, officiellement en Flandres, avec une importante minorité francophone. Dans chacun des 6 communes "flamandes" à facilités pour les francophones autour de Bruxelles, on compte plus de 50% de francophones: Wemmel, Wezembeek-Oppem, Crainhem, Drogenbos, Linkebeek, Rhode St.Genèse. Dans 16 des autres communes "flamandes" autour de Bruxelles vie une minorité francophone de 10% à 40% sans facilités linguistiques. Ceci n'est pas conforme au Traité européen du Conseil de l'Europe pour la protection des langues régionales ou des minorités. La Belgique a bien signé ce Traité en 1995, mais ne l'a jamais ratifié.

Cette absurdité est la conséquence de la frontière linguistique, fixée sur base d'un sondage qui date de 1947. Vu l'évolution démographique, il est difficile aujourd'hui de maintenir cette frontière linguistique et en plus nier les droits culturels d'une minorité francophone importante dans des communes flamandes, en sachant que les 15% de Flamands dans la région de Bruxelles ont les mêmes institutions que les 85% francophones. Nous proposons donc d'inclure ces communes à la région de Bruxelles où existent des institutions pour les deux communautés. On peut même aller plus loin: on peut appliquer le fédéralisme lié aux personnes pour chaque communauté en Belgique. Concrètement, dès qu'il y a une minorité linguistique (par exemple à partir de 15%), elle aura droit à des institutions culturelles et éducatives dans sa propre langue dans la commune. On pourrait appliquer ce principe à des communautés comme les Arabes à Bruxelles, des Chinois à Anvers ou des Turcs à Gand. Ceux qui trouvent que la Flandres doit rester "flamand", même là où se trouve une minorité francophone de plus de 15%, 30% et parfois même plus de 50%, doivent argumenter pourquoi Bruxelles ne serait pas "francophone" avec plus de 85% de francophones.

Pas tout est résolu avec ce type de fédéralisme. Des Flamands qui arrivent dans un hôpital à Bruxelles rencontrent un vrai problème de langue. Il n'y a pas suffisamment de juristes à Bruxelles etcétéra. Mais ce type de problèmes peut être résolu avec un peu de bonne volonté de deux côtés. Les francophones pourraient faire un peu plus d'efforts pour apprendre le Néerlandais (obligé dans l'enseignement francophone). Le modèle fédéral belge est un système assez compliqué. Beaucoup de gens ne savent plus quel ministre est compétent pour quelle matière.

  1. De nouveau "nationaliser" les compétences qui ne sont pas liées aux personnes. Sauvons la solidarité.

Une des principales revendications de la droite flamande est plus de transfert des compétences vers les régions et les communautés. La bourgeoisie flamande utilise la fédéralisation pour continuer à mettre face à face les communautés en Belgique. Le système fédéral belge est opaque avec 7 gouvernements et parlements. Plus personne ne sait quel ministre est compétent pour quelle matière. Pour renouveler un chemin de fer d'Ostende à Liège, il faut l'approbation d'au moins 4 gouvernements. Ceci mine la solidarité des travailleurs en Belgique et l'organisation de la vie publique devient une caricature. Le pas vers deux Etats séparés (quoi avec Bruxelles?) n'est pas loin.

Au lieu de continuer à scinder des compétences, nous mettons en avant le principe de la solidarité. Il est absurde que 3 ou 4 ministères en Belgique soient compétents pour des matières comme de l'énergie, l'urbanisme, l'environnement, l'emploi, l'économie, les logements, l'agriculture et la pêche, la fiscalité, les travaux public et le transport. Nous proposons de garder ou de retransférer ces compétences au niveau fédéral (donc belge et si possible au niveau européen), pourque le mouvement des travailleurs puisse peser avec tout son poids sur des décisions importantes et que la solidarité entre les travailleurs puisse fonctionner à plein, contre les intérêts corporatistes de la bourgeoisie nationale. Cece ne fait pas de nous des "belgicistes". La première mesure que nous prendrons si nous avions le pouvoir, c'est abolir le royaume et proclamer la république.

Il est possible qu'une oppression nationale soit résolue dans le cadre institutionnel bourgeois, comme cela a été le cas pour les Flamands en Belgique. Mais il ne serait pas la première fois dans l'histoire qu'un peuple opprimé se trouve ensuite dans la position d'oppresseur. La politique nationaliste et raciste de la classe politique de droite flamande va dans ce sens. Contre cette évolution, nous avançons la solidarité des travailleurs au-delà des frontières. Une solution démocratique de la question nationale en Belgique ne pourra être fructueuse si on trouve une solution au niveau européen, avec une Europe solidaire des peuples et des travailleurs. Une Belgique socialiste et fédérale dans une fédération socialiste à l'échelle européenne avec comme perspectif la fédération mondiale des Etats socialistes.

Chris Den Hond (Bruxelles), octobre 2007

Voir ci-dessus