Thaïlande: Ni loi martiale, ni état d’urgence, ni coup d’État ! La démocratie et la justice sociale. Déclaration de la IVe Internationale
Par Quatrième Internationale le Jeudi, 15 Avril 2010 PDF Imprimer Envoyer

Cela fait maintenant un mois que les « chemises rouges », principalement des travailleurs, des paysans et des pauvres de Thaïlande, manifestent à Bangkok pour réclamer la démission du gouvernement et des élections anticipées. La crise actuelle prend ses racines dans le coup d’État de 2006 qui a renversé le gouvernement démocratiquement élu de Thaksin Shinawatra. Le gouvernement actuel d’Abhisit Vejjajiva est illégitime. Il a été mis en place par les militaires à la faveur d’un renversement d’alliance au parlement. Il est l’émanation des élites traditionnelles thaïlandaise : les militaires, les élites bureaucratiques et la monarchie.

Après un mois de manifestations et de crise, le gouvernement a cherché à museler l’opposition, en instaurant l’État d’urgence à Bangkok et dans les provinces avoisinantes. Des mandats d’arrêts contre les principaux dirigeants des « chemises rouges » ont été émis. La « chaîne de télévision du peuple (PTV) » très populaire parmi les « chemises rouges » ainsi que 36 sites internet indépendants, qui ne relayaient pas la propagande gouvernementale, ont été fermé. Dans le même temps, la chaîne de télévision ASTV, des « chemises jaunes » (forces réactionnaires royalistes), a continué d’émettre ses appels à la haine et à la violence contre les manifestants. Une fois de plus les élites thaïlandaises ont montré leur véritable nature, au service des puissants et des bien-nés.

Ces mesures n’ont fait qu’augmenter la détermination des manifestants à lutter pour plus de justice sociale et la démocratie. Ils étaient encore plusieurs dizaines de milliers vendredi et samedi dans les rues de Bangkok à réclamer la démission d’Abhisit et la tenue d’élections législatives anticipées. Samedi, les militaires ont férocement réprimé les manifestants désarmés, certains tirants à balles réelles. Un bilan officiel parle de 21 morts et plus de 850 blessés. La plupart sont des « chemises rouges ». C’est la pire répression qu’ait connu la Thaïlande depuis le coup d’État de 1992.

Aujourd’hui les « chemises rouges » se battent pour mettre fin à plusieurs décennies de « démocratie version thaï » : la concentration des pouvoirs entres les mains des militaires, de la haute bureaucratie et de la monarchie, qui n’acceptent le résultat des urnes que quand il leur est favorable.

La Quatrième Internationale est solidaire de la lutte pour la justice sociale et la démocratie que mènent les « chemises rouges ». La répression des manifestants à Bangkok n’a pas entamé leur détermination. Abhisit, responsable du bain de sang, doit démissionner et convoquer des élections législatives au plus tôt.

Un terme doit être mis à la répression, à la censure des medias et à la négation des libertés démocratiques. Le droit d’organisation, d’association, de grève et de manifestation doivent être respecté.

Bureau exécutif de la Quatrième Internationale, le 14 avril 2010


Il faut résoudre la crise par la démocratie, pas par la repression

Déclaration régionale commune du Socialist Party of Malaysia (PSM, Parti socialiste de Malaisie), Working People’s Association (PRP, Association des travailleurs) d’Indonésie, People’s Democratic Party (PRD, Parti démocratique du peuple) d’Indonésie, Turn Left Thailand (Tournez la Thaïlande à gauche), Partido Lakas ng Masa (PLM, Parti de la force des masses) des Philippines et de la Socialist Alliance (Alliance socialiste) d’Australie.

Nous sommes profondément préoccupés par la situation actuelle en Thaïlande où le premier ministre Ahbisit Vejjajiva soutenu par les militaires a décrété l’état d’urgence et a commencé une répression sanglante suite à l’escalade des protestations appelant à de nouvelles élections.

La situation est inquiétante car le gouvernement thaïlandais a fermé tous les médias d’opposition et a donné de nouveaux pouvoirs étendus aux forces de sécurité en vue de se préparer à une violente répression des manifestants chemises rouges. Les troupes thaïlandaises emploient une force excessive, y compris des chars et des balles réelles contre des manifestants pro-démocratie à Bangkok.

Le Front Uni pour la Démocratie contre la Dictature (UDD), plus connu sous le nom de mouvement des chemises rouges a relancé des protestations massives depuis le mois de mars contre le gouvernement non élu d’Ahbisit installé par les militaires. Ce mouvement pro-démocratie, composé de pauvres ruraux et urbains, a prit position contre ce régime oligarchique soutenu par l’armée.

La crise actuelle a commencé en septembre 2006, lorsque les militaires ont organisés un coup d’Etat contre le gouvernement de Thaksin Shinawatra, annulés la Constitution populaire de 1997 et l’ont remplacés par une constitution entérinée par eux meme. Les chemises jaunes royalistes et fascistes ont commencé à organiser des manifestations quand le parti pro-Thaksin a remporté les élections de 2007. Le gouvernement actuel d’Ahbisit a été installé par l’armée après les manifestations des chemises jaunes fascistes et un coup d’Etat judiciare.

Le gouvernement, l’armée et les chemises jaunes ont peur d’affronter de véritables élections démocratiques, car ils savent qu’ils perdraient, puisque la majorité des pauvres soutiennent les chemises rouges. Ahbisit et l’élite dirigeante refusent d’appeler à des élections et tentent de gagner du temps et préparent même une violente répression. Il devient clair qu’Ahbisit et la vieille élite conduisent le pays vers une dictature fasciste.

La Thaïlande a entamé une nouvelle phase de la guerre de classe. La vieille élite dirigeante, avec le soutien de l’armée essaye par tous les moyens de supprimer la démocratie en Thaïlande. Les chemises rouges pro-démocratie composé de la majorité de la classe ouvrière, de la paysannerie et des pauvres, ont montrés leur réelle popularité et leur force de mobilisation qui a définitivement ébranlé les royalistes et les militaires. Avec l’élargissement de l’appui des masses populaires pour les Chemises rouges, ce pourrait être une nouvelle étape importante de la lutte du peuple de Thaïlande pour la restauration de la démocratie et de la justice sociale.

Nous demandons :

- La démission immédiate du gouvernement d’Ahbisit installé par les militaires et la tenue de nouvelles élections démocratiques.

- De mettre un terme à toutes les formes de répression violente contre les manifestants chemises rouges. Respecter le droit du peuple de s’organiser, de protestation et de grève.

- La fin de la répression des droits démocratiques et de la censure des médias.

Au gouvernement thaïlandais de ne pas recourir à un coup d’Etat militaire. La crise actuelle en Thaïlande ne peut être résolue que par une véritable démocratie et un pouvoir populaire. Nous étendons notre soutien et notre solidarité à tous les travailleurs, les paysans et les pauvres de Thaïlande, qui lutte contre le gouvernement anti-démocratique et pour la restauration de la démocratie réelle.

10 avril 2010. Traduction de l'anglais de la revue "Links" (Australie).


Thaïlande : Nouvelle étape dans la "guerre de classe"

Cela fait maintenant plus d’une semaine que les « chemises rouges » manifestent dans les rues de Bangkok. Venus principalement des provinces du nord et de l’est, jusqu’à 150 000 manifestants ont défilé toute la semaine dans le calme et la bonne humeur pour demander la tenue d’élections législatives anticipées et le retour de la démocratie.

Les manifestants sont regroupés sous la bannière du « Front uni pour la démocratie et contre la dictature » (UDD), un mouvement large composé de supporters de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra (chassé par un coup d’État en septembre 2006), de républicains et de militants pour la restauration de la démocratie.

Cette « guerre de classe », comme la nomment les manifestants, est révélatrice de la profonde crise que traverse la Thaïlande depuis le coup d’État de septembre 2006. Le pays reste plus que jamais divisé entre les élites de Bangkok et les milieux populaires et les pauvres, principalement des paysans et des ouvriers qui vivent dans les provinces du nord et de l’est du pays.

En fomentant un coup d’État en 2006, les militaires thaïlandais, avec l’aval de la monarchie, avaient pour objectif de rétablir l’ancien ordre politique – accaparé par la monarchie, la bureaucratie, les militaires et le parti démocrate - et sérieusement ébranlé par 5 ans de gouvernement Thaksin : Arrivé au pouvoir pour défendre ses propres intérêts de milliardaire, Thaksin avait réussi en quelques années à dominer la vie politique et économique. Dans un pays où business et politique sont étroitement mêlés, Thaksin menaçait directement les intérêts économiques et financiers de la famille royale et de « grandes familles financières » non liées à son clan. Dans le même temps, il avait eu l’habileté de mener une politique en faveur des plus démunis, ce qui n’était jamais arrivé en Thaïlande. Cela lui a valu un soutien indéfectible des classes populaires, soutien qui rentrait directement en concurrence avec la popularité du roi et cela, les élites de Bangkok ne pouvaient le supporter. Le roi est le garant de « l’unité du pays », ce qui dans les faits s’est jusqu’à récemment traduit par un étouffement de toutes revendications des classes populaires et le maintien du système en faveur de l’establishment. Thaksin a appris à ses dépens qu’il est difficile et risqué de bouleverser les équilibres de pouvoir dans le système politique thaïlandais. Les élites ne sont pas prêtes à accepter le verdict des urnes s’il ne va pas dans le sens du maintien de l’ordre traditionnel.

Depuis le printemps 2006, trois gouvernements démocratiquement élus, tous liés à Thaksin, ont été renversés par les militaires ou le pouvoir judiciaire avec l’appui de la monarchie. Le gouvernement actuel, dirigé par le chef du parti démocrate Abhisit Vejjajiva a été mis en place par les militaires en favorisant un renversement d’alliance au sein du parlement en décembre 2008. Ce parti est minoritaire dans le pays et n’a pas remporté d’élections depuis plus d’une décennie. Il a soutenu le coup d’État de 2006. Depuis, Abhisit s’est révélé un précieux allié de l’armée sur de nombreux sujets. Mais, pour l’armée et la royauté, les problèmes sont à venir. Dans un an, des élections législatives auront lieu et le parti démocrate ne semble pas en mesure de les remporter.

C’est, dans ce contexte politique, qu’il faut comprendre la décision de justice rendue à la fin du mois de février : 46,6 des 76,6 milliards de baths de Thaksin et de son ex-femme Pojama, gelés depuis le coup d’État de 2006, ont été saisis par la justice. C’est un nouvel épisode dans la lutte que l’establishment mène contre Thaksin. Les militaires ont d’abord cherché à détruire le parti de Thaksin en ayant recours au pouvoir exorbitant de la justice thaïlandaise. La nouvelle constitution de 2007, écrite sous la dictée des militaires, offre en effet la possibilité de dissoudre un parti si la justice considère que l’un de ses membres a commis une faute. Cette possibilité a déjà été utilisée deux fois depuis 2006 à l’encontre de Thaksin et de son parti, le Thai Rak Thai (TRT- les Thaï aiment les Thaï) et ensuite de son héritier le People’s Power Party (PPP - Parti du pouvoir du peuple). Malgré son exil, les militaires et la monarchie n’ont pas réussi à faire disparaître Thaksin de la vie politique thaïlandaise, ils cherchent donc maintenant à s’attaquer à son autre instrument de pouvoir, l’argent, afin d’empêcher l’émergence de toute autre alternative politique.

Cette condamnation judiciaire a été vécue dans les classes populaires comme profondément injuste et montrant combien la justice thaïlandaise est à deux vitesses. Celle-ci n’a toujours pas traduit en justice les responsables de la prise d’assaut de l’aéroport Suvarnabhumi, il y a plus d’un an et demi maintenant, tous des soutiens du coup d’État.

C’est à la suite de ce verdict que les dirigeants de l’UDD ont décidé d’organiser les mobilisations actuelles. L’objectif numérique affiché, réunir 1million de manifestants à Bangkok, est loin d’être atteint et le gouvernement ne cédera pas à la demande de dissolution de l’assemblée. Mais, contrairement à ce qu’écrivent de nombreux commentateurs qui relaient l’information des classes dominantes, ce mouvement a atteint de nombreux objectifs politiques de première importance. En premier lieu, les « chemises rouges » sont définitivement entrées sur la scène politique nationale et les vieilles élites ne peuvent plus ignorer leur poids et leurs revendications. En rassemblant 150 000 personnes, l’UDD a montré sa capacité de mobilisation et sa réelle popularité. Un tel mouvement, historique selon certains analystes, n’avait jamais été vu depuis que le pays est devenu une monarchie constitutionnelle en 1932. Autre avancée, le Front a été capable d’élargir sa base sociale. On ne peut plus dire que cette lutte oppose les « rouges enragés » et « hordes rurales » des campagnes aux élites et classes moyennes de Bangkok. Ces qualificatifs méprisants ont été employés par le « Bangkok Post » pour parler des « chemises rouges ». Une partie de ces classes moyennes a pris conscience du coût élevé qu’à représenté le coup d’État, tant en termes politiques qu’économiques et elle soutient maintenant un mouvement qui cherche à rétablir la démocratie. Le système politique actuel est en pleine décomposition et la mort du roi, qui à l’âge de 82 ans est depuis plusieurs mois hospitalisé pour insuffisance respiratoire, pourrait précipiter son effondrement. Les « chemises rouges » ne sont plus les seuls à penser que seule une élection libre et un minimum de dévolution du pouvoir aux provinces permettraient d’apporter des solutions à la crise politique.

La popularité acquise par les « chemises rouges », l’élargissement des soutiens au mouvement, sont une étape nouvelle dans la longue lutte pour le rétablissement de la démocratie et de la justice sociale. Les événements actuels montrent qu’il ne s’agit plus d’une opposition entre différents secteurs de la bourgeoisie ou une opposition ville/campagne comme cela a souvent été présenté. Les divisions sont profondes et basées sur une remise en cause des privilèges des classes dominantes, autrement dit sur des différences de classe. Reste que les classes populaires thaïlandaises sont orphelines d’un parti politique qui représente réellement leurs intérêts. Ce mouvement est un premier pas qui met fin à l’exclusion des travailleurs de la sphère politique. Mais pour qu’il y ait une réelle démocratisation de la société thaïlandaise, il leur faudra s’affranchir complètement des populistes du type Thaksin et élaborer un véritable programme de transformation sociale.

Danielle Sabaï

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