Interview d'Olivier Besancenot : « Notre responsabilité militante est d'œuvrer à la convergence des luttes européennes »
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Propos recueillis par Sébastien Brulez

Olivier Besancenot, militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France), a participé à l'Ecole anticapitaliste de Printemps organisée par la Formation Léon Lesoil du 26 au 28 mai dernier à Wépion. Nous l'avons rencontré et abordé avec lui la situation sociale et la dynamique des luttes en France et en Europe. 

Entretien publié dans La Gauche n°58 du juin-juillet 2012


Quelle a été la dynamique politique en France entre les élections présidentielles et législatives?

La situation des élections législatives en France est un entre-deux. C'est d'abord le service après-vente de la présidentielle, donc ça ne passionne pas énormément. C'est souvent l'occasion de confirmer ou d'infirmer, mais en général, ça confirme le résultat de l'élection présidentielle. La seule discussion politique qui transparaît, en gros, c'est de savoir si oui ou non François Hollande aura une cohabitation de droite dans sa majorité législative (cet entretien a eu lieu le 26 mai 2012, donc avant le premier tour des législatives françaises, ndlr).

Mais ce n'est pas la question qui nous préoccupe. Le problème, c’est que la situation politique change complètement dans le cadre de l'Europe et cela se fait sentir en France. C’est lié à la crise économique, la crise financière, à tout ce qui est en train de se passer en Grèce, etc. On a l'impression qu’une fin de cycle électoral est en train d'aboutir avec l'élection législative et présidentielle, et que la nouvelle donne est en train de s'inviter avec la crise de la zone euro et les plans d'austérité. Et ça redistribue complètement les cartes.

En gros, on assiste à une dynamique de recomposition, une espèce de course de vitesse cynique à la droite de la droite, pour savoir qui du FN ou de l'UMP, nouvelle ou ancienne version, aura le leadership d'une droite raciste, xénophobe et populiste. Et puis il y a un gouvernement de gauche avec ses alliés d'Europe Ecologie les Verts et d'une partie ou pas du Front de Gauche (FDG) ; ça on ne le saura qu'à l'issue des législatives, puisque la participation au gouvernement ou à la majorité présidentielle fait encore débat au sein du FGD.

Tout le dilemme politique pour nous, du strict point de vue de la situation française, c'est de faire apparaître une opposition à la gauche de ce gouvernement. C'est à dire ne pas laisser le leadership de l'opposition à Marine Le Pen. La proposition que nous avons formulée à la fin de l'élection présidentielle, au moment des législatives, et sur laquelle nous allons militer dans les semaines et les mois à venir, c'est la construction de cette opposition unitaire.

On rencontre toutes les organisations de la gauche radicale qu'on a sollicitées, on prend des initiatives vis-à-vis des organisations du monde social pour essayer de donner un peu de matière à cette opposition, c'est-à-dire lui donner un contenu et des revendications face à l'austérité passée ou à venir, à la question de l'Europe libérale et l'adoption des nouveaux pactes européens de stabilité budgétaire ainsi que face à l'extrême droite. Ce sont là les trois axes qu'on essaie de faire apparaître pour une opposition qui soit capable de susciter des mobilisations.

Quelles réponses avez-vous reçues en retour?

Pour l'instant peu, si ce n'est pas du tout. Avec Lutte ouvrière ça risque d'être de nouveau une fin de non-recevoir assez rapide, on verra. On a rencontré l'Alternative libertaire, on va rencontrer les Alternatifs, on va rencontrer le Front de Gauche. Dans le FGD il y a beaucoup d'inconnues, d'équations et de questions en suspens avec beaucoup d'éléments qui ne dépendent pas de nous. Le PC (Parti communiste) ne laisse pour l'instant aucun scénario de côté, y compris une éventuelle participation gouvernementale. Mélenchon dit qu'il n'ira pas dans un gouvernement socialiste, mais, par exemple, il refuse de dire qu'il sera partie prenante d'une éventuelle opposition. Il parle d'une « autonomie conquérante ».

Pour nous c'est une bataille, parce cette situation un peu compliquée ouvre tout de même des perspectives. Tout d'abord, on va au-devant de grand chamboulements sociaux, politiques et économiques partout en Europe, y compris en France. Toutes les attaques qui avaient été retardées par  la campagne électorale sont en train d'être menées : les premiers plans de licenciements sont déjà en train de tomber. Aussi, du point de vue social, on peut espérer, sans toutefois se raconter d'histoires, qu'il y aura une radicalisation politique un peu à l'image de ce qu'on peut voir en Grèce, en Allemagne autour de la manif de Francfort, en Espagne, etc. Et il faut être prêts à ce que ça arrive chez nous.

Ensuite, à travers la dynamique du Front de Gauche, par exemple, la question qui se pose pour nous est d'avoir une proposition unitaire qui puisse permettre à ceux qui ont pris ou repris espoir dans cette campagne, parce qu'il y en a eu beaucoup, d’avoir un cadre unitaire pour continuer à militer sur ce sur quoi il se sont révélés, réveillés ou engagés dans la campagne. On ne peut pas se contenter d’attendre de pouvoir jouer à la voiture balai dans les mois à venir pour ramasser tous ceux qui auront eu des désillusions. Parce que des désillusions il y en aura, mais en général rien de bon ni de massif n’en sort.


« Rien ne nous sera donné sous le gouvernement Hollande, si ce n'est des mauvais coups »


Idéalement ce regroupement se ferait dans la rue principalement? Une opposition forte à ce qui vient du côté de chez Hollande?

Rien ne nous sera donné sous le gouvernement Hollande, si ce n'est des mauvais coups. Mais ça c'est pas pour tout de suite, je crois que c'est une question de tempo politique. Donc tout ce que l’on gagnera, il faudra l'arracher. Le problème politique c'est d'établir la dynamique d'un rapport de force pour passer de grèves défensives à des grèves offensives, qui nous permettent d'arracher de nouveaux droits afin que, par une série de victoires partielles, on reprenne confiance en nous-mêmes. Parce que le problème pour nous en France c'est que non seulement les plans de rigueur étaient bloqués par la campagne électorale mais en plus on a mis longtemps à digérer et à ingurgiter la défaite sur la mobilisation des retraites, qui a été massive mais battue.

Maintenant nous faisons une proposition unitaire d'opposition sociale et politique, qui ne sera pas qu'un front de résistance, qui ne sera pas qu'un front de lutte, dans lequel il y aura aussi une dimension politique. Comme on a pu être amené à le faire en France au moment par exemple du non de gauche au traité constitutionnel européen en 2005, au moment de la mobilisation même sur les retraites où, à l'appel de collectifs comme ATTAC ou Copernic, des comités de base avaient été construits avec des tribunes et des estrades communes où les questions politiques sont traitées. Pour nous c'est une politique unitaire, de front unique mais avec une dimension politique, c'est un peu ça l'enjeu.

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Est-ce qu'il n’est pas plus difficile parfois de mobiliser contre la social-démocratie que contre la droite?

Je crois que, de  toute façon, il n'y a pas de théorie, il n'y a rien de mécanique dans aucun pays, dans aucune circonstance. Ca dépend des circonstances. Et la réalité en France c'est qu’une situation inédite peut s'ouvrir, celle d'un gouvernement de gauche avec des mobilisations sociales. Pour les bureaucraties syndicales ce sera quand même plus compliqué de réfréner y compris des mobilisations qui peuvent échapper à leurs propres canaux, de mouvements de « type indignés ». Quand je dis de « type indignés » c'est avec tout ce que ça peut impliquer.


« Un débouché politique, ce n'est pas forcément un relais institutionnel »


La question qui se pose c'est d'être disponibles socialement, politiquement pour avoir l'intelligence de comprendre que le but du jeu c'est de donner un débouché politique à ces radicalisations-là. Et un débouché politique ce n'est pas forcément un relais institutionnel. Je sais que chaque pays a ses débats, ses discussions et la réalité de ses propres mouvements ouvriers. Mais nous on milite activement pour que dans cette donnée internationale-là, il n'y ait pas cette division qui consiste à dire que le social s'occupe de la rue et que la politique est une chose sérieuse qui donc s'occupe des institutions. On pense que dans le social il y a de la politique au bon sens du terme et que des partis politiques de la gauche anticapitaliste sont aussi légitimes que d'autres à agir sur le terrain social.

En ce qui concerne le NPA, la direction du courant « Gauche Anticapitaliste » s'est prononcée en faveur du FDG au premier tour des présidentielles. Quelle est la situation en interne?

On a une série de discussions internes qui vont nous mener jusqu'au congrès à la fin de l'année pour essayer de refaire -enfin, c'est ce que j'espère- la synthèse d'une orientation qui soit à la fois unitaire et radicale. Qui ne soit pas plus unitaire, qui ne soit pas plus radicale mais qui fasse la synthèse des deux.

Faire la synthèse de tout ça, ces deux dernières années ça a été compliqué parce que la situation sociale et politique en France ne se prêtait pas à ça. Il y avait le reflux des luttes sociales, l'apparition du Front de Gauche. Et, entre guillemets, les solutions les plus simplistes ont toujours le vent en poupe dans ces cas-là. Celles qui consistent à dire : « on se protège et puis on réaffirme les positions de parti en fermant les écoutilles », d'un côté; et puis de l'autre celles qui consistent à dire : « on va rentrer dans le Front de Gauche », en lâchant la proie pour l'ombre et en renonçant de fait, du coup, à construire une organisation anticapitaliste indépendante.


« Il faut maintenir le cap d'une orientation unitaire et radicale, et en même temps internationaliste »


Je crois que dans les nouvelles coordonnées qui sont celles de la situation politique et économique européenne - et la France commence à vire au même rythme - on a la possibilité de donner plus de lisibilité à cette orientation-là. En tout cas c'est ce que je crois, parce qu'il y aura plus de grain à moudre au niveau social, parce qu’aussi un certain nombre d'éclaircissements politiques vont se faire. Ne serait-ce que parce que la gauche sera au pouvoir et que le PS faisant de la politique il ira voir tous ces partenaires en leur disant: est-ce que vous faites partie ou pas de la majorité présidentielle? Et ne pas être dans la majorité présidentielle ça a un coût aux yeux du Parti socialiste, qui le fera payer chèrement, pas simplement à cet élection-là mais aux élections suivantes, y compris municipales. Et en général ça fait réfléchir pas mal de directions politiques. Donc il faut maintenir le cap d'une orientation unitaire et radicale, et en même temps internationaliste. Parce qu'on voit bien que c'est de toute façon à l'échelle européenne que ça se joue et que là il y a la percée de l'extrême droite partout et que maintenant il y a cette course de vitesse à laquelle on est confrontés. Là malheureusement, dans l'enjeu de la gauche radicale ou du mouvement ouvrier en France on constate un repli souverainiste, nationaliste, chauvin qui est en train de s'affirmer de plus en plus et qui touche aussi la gauche radicale.

Actuellement tous les yeux sont braqués sur la Grèce et la montée de Syriza. Comment analysez-vous cela au NPA?

Pas qu'au NPA : en France on a vraiment les yeux braqués sur ce qui se passe en Grèce parce que ça renvoie à la construction européenne et au rôle que la France et l'Allemagne sont en train de jouer là-dedans. Les banques françaises sont directement impliquées dans la crise des dettes souveraines en Grèce, donc il y a un impact immédiat. La classe politique, pratiquement à l'unisson, explique qu'en gros la responsable de tous les maux, c'est la Grèce. Donc là il y a une responsabilité de solidarité immédiate. Et je crois que ce qui se passe en Grèce est un concentré de tout ce qui touche à la crise du capitalisme qui a débuté avec la crise des « subprimes » en 2008. On est en train d'atteindre la seconde phase de la crise économique, celle du coût social et politique. Un peu avec un effet différé mais on est vraiment en plein dedans.

Je crois qu’un processus politique est en train de s'ouvrir en Grèce avec la percée de Syriza et de la gauche radicale, mais la percée de Syriza en particulier, qui va être confrontée aussi à des choix politiques. Parce qu'entre l'option institutionnelle d'un côté et l'option du rapport de force, plus on va s'avancer dans le temps au sortir des législatives - où Syriza va probablement réaliser un gros score, et moins on pourra tortiller. Car les autorités européennes vont probablement jouer la carte de Syriza comme un interlocuteur malgré tout de la sortie de crise, et donc Syriza sera obligée de choisir. Ce sera soit ça, soit le rapport de force social et jouer la carte d'autre chose. Mais tout ça ne dépend pas que des choix de la direction de Syriza ou de Synaspismos, donc ça veut dire qu'une nouvelle situation s'ouvre avec beaucoup d'inconnues mais avec des chamboulements importants en perspective. Et l’une des clés de quelque chose de constructif et de positif qui pourrait sortir de la Grèce, c'est la solidarité qui peut s'organiser en dehors de la Grèce. Et ça c'est notre responsabilité commune, à vous ici, à nous là-bas, pour faire en sorte que le mouvement de solidarité avec la Grèce, c'est à dire pour l'annulation de la dette grecque par exemple, devienne une réalité imposée par les mouvements sociaux européens.

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Concrètement comment pourrait s'exprimer cette solidarité?

Cette solidarité je crois qu'elle peut s'organiser de deux manières. Tout d'abord par une vraie campagne européenne unitaire pour l'audit sur la dette et l'annulation de la dette illégitime, et notamment avec une dimension immédiate pour la Grèce. Deuxièmement qu’une pression faite sur nos gouvernements respectifs pour qu'on arrête, et c'est une des responsabilités particulières qu'on a en France, de permettre aux banques françaises de continuer à se gaver sur le dos des déficits publics grecs. Et puis troisièmement c'est de travailler, œuvrer, avec toute la gauche sociale et politique européenne à la coordination des luttes. Puisqu'il n'y a jamais eu autant de luttes en aussi si peu de temps à la fois dans autant de pays, même si ce n’est pas coordonné. Donc là il y a une responsabilité de militants à travailler à cette convergence-là, pour qu'il y ait des mouvements sociaux européens, des mobilisations sociales européennes. Je pense que le moyen le plus logique ce sera de se greffer sur le calendrier des luttes et des mobilisations du peuple grec lui-même.

Tu as parlé des indignés, on voit aussi le mouvement des étudiants au Québec qui a surgi là où on ne l'attendait pas. Mais comment concrétiser quelque chose à partir de manifestations massives comme celles-là?

Je crois que le problème n'est pas de chercher forcément à concrétiser dans un premier temps; c'est d'y être, d'y être disponibles, d'être au cœur de ces mouvements-là pour les féconder de quelque chose dont on n'a pas forcément l'idée de ce à quoi ça pourrait aboutir. Je crois qu'il faut mettre de côté la plupart des schémas préétablis qu'on pouvait avoir sur un ensemble de trucs. Par contre, dans ces moments-là il faut consolider des outils politiques qui établissent une mémoire dans la durée, au-delà des fluctuations sociales et politiques et des rapports de forces. Une direction, une conscience collective qui soit une espèce de quartier général permanent de toutes ces expériences-là. Parce qu'il y a des moments de grandes irruptions sociales et politiques et puis des moments de reflux. Et plus que jamais on va au-devant de ça, c'est-à-dire au-devant de mouvements probablement très saccadés. Et là on a besoin d'une espèce de stabilité militante. Et pour nous, l'idée de construire et de maintenir la perspective d'outils anticapitalistes indépendants, y compris avec la perspective d'en construire un qui soit européen, c'est le meilleur moyen de maintenir cette mémoire-là. Ça je crois que c'est la première chose.

Et la deuxième chose en effet, sans être madame Irma ou lire dans le marc de café, je pense quand même que quand on a autant d'éléments à la fois (le mouvement étudiant au Chili, ce qui se passe actuellement au Québec, les révolutions arabes, ce qui se passe en Grèce, en Espagne, en Grande-Bretagne, les mouvements de grève générale que vous avez connu même d'un jour, etc.), on sent qu'il y a quelque chose qui est une donnée de la période. Mais ça comme on le sait ça ne se décrète pas, le bouton magique n'existe pas. Par contre le problème c'est d'être disposés pour éviter deux travers: celui de l'organisation qui lâcherait la proie pour l'ombre et n'aurait de regards que du côté institutionnel. Parce que, dans une situation de chaos politique, il y aura des succès électoraux de différentes formules de la gauche radicale, dans lesquels il faut être. Il faut être en phase avec ça mais ne pas avoir les yeux braqués uniquement sur l'optique institutionnelle. Cela, ce serait le premier travers. Le deuxième travers ce serait d'être une organisation de professeurs rouges, qui regarde les évènements en donnant des leçons à partir de ses manuels, en expliquant ce qu'il faut faire et ne pas faire, et passer à côté de l'histoire. Et ces deux options-là, pour chacun de nos pays, elles sont toujours possibles. On doit essayer de définir une orientation qui essaie de faire la synthèse du social et du politique, de l'unité et de la radicalité, dans des coordonnées qui changent. Et le meilleur moyen de comprendre ces changements-là c'est justement d'être en contact les uns avec les autres parce que c'est ça qui permet de comprendre la complexité de la période dans laquelle on se trouve.

Retrouvez la vidéo complète de l’intervention d’Olivier Besancenot lors de l’Ecole anticapitaliste de Printemps de la FLL sur notre site www.lcr-lagauche.be

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