Le nucléaire en Belgique : à la botte d’Electrabel
Par Daniel Tanuro le Dimanche, 18 Septembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Depuis la catastrophe de Fukushima, les responsables politiques belges s’efforcent de rassurer l’opinion publique. Le 15 mars, le Conseil des ministres décrétait un moratoire d’un an sur le nucléaire, afin que des tests de sécurité soient effectués sur les centrales. "Aucune décision ne sera prise quant au nucléaire tant que les résultats de ces tests ne seront pas connus", déclarait Paul Magnette, le ministre de l’énergie. Cette décision n’était qu’un écran de fumée. Derrière celui-ci, le gouvernement en affaires courantes et les principaux partis œuvrent sans relâche pour prolonger la vie de Doel et de Tihange au-delà des échéances prévues par la loi de 2003. Parce qu’il est impossible de se passer de cette énergie de mort ? Non, parce que GDF Suez ne veut pas renoncer à ses super-profits et… que les politiques sont à la botte d’Electrabel.

Est-il vraiment besoin de tester la sécurité des centrales nucléaires en Belgique ? Techniquement, non. Fin 2010, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire rendait public un rapport sur la prolongation de Doel 1 et 2 et de Tihange 1 au-delà de 2015. Conclusion de l’AFCN : en 2010, 43 problèmes de sécurité ont concerné ces trois réacteurs. La ministre de l’Intérieur, Annemie Turtelboom (VLD), refusait d’en dire plus. Dans une interview à Humo, le chimiste nucléaire Alain de Halleux donnait deux indications : « Doel 1 est dangereux car il n’y a pas de fondation en béton solide sous la centrale et le couvercle de la cuve du réacteur de Tihange 1 est fragile » [1]. Dormez en paix, bonnes gens.

Un écran de fumée

Est-il vraiment besoin de tester la sécurité des centrales nucléaires en Belgique ? Politiquement, oui. Pour faire croire à la population que le gouvernement agit en bon père de famille, soucieux de la protection des citoyennes et des citoyens. Or, il n’en est rien. En octobre 2009, le gouvernement Leterme passait un pacte avec GDF Suez : la prolongation de la vie des centrales en échange d’une contribution annuelle au budget de l’Etat. Tous les experts le disent : conçus pour fonctionner une vingtaine d’années, les réacteurs présentent, avec l’âge, de plus en plus de risques de défaillance. Selon cet accord, les réacteurs les plus anciens seront poussés jusqu’à quarante ans. Pourtant, dans ce deal avec les électriciens, la question de la sécurité n’était même pas évoquée. Pas une ligne, pas un mot !

Derrière l’écran de fumée des stress tests : la course au profit maximum. Une fois qu’une centrale est amortie, le prix de revient de l’électricité est très bas. Or, en Belgique, les consommateurs paient le courant 15 à 30% plus cher que dans les pays voisins. De plus, les pouvoirs publics ont massivement soutenu –et continuent de soutenir- le lobby nucléaire. Ces deux éléments ont permis à Electrabel d’amortir les centrales en 20 ans, sans le moindre effort de la part des actionnaires. En contrepartie, l’entreprise avait promis de baisser ses prix après amortissement, mais elle n’a pas tenu parole. Résultat : en plus du profit, les électriciens empochent un surprofit. C’est ce qu’on appelle la rente nucléaire. La CREG (la commission de régulation de l’électricité et du gaz) l’estime entre 2 et 2,7 milliards d’Euros par an.

La poule aux œufs d’or atomique

Dès lors, on le comprend aisément : au plus Electrabel prolonge la vie de ses centrales amorties, au plus ses profits s’accroissent de surprofits juteux. Place aux chiffres : selon la société, le prolongement de Doel 1 et 2 ainsi que de Tihange 1 (les trois plus anciens réacteurs, qui doivent fermer en 2015 selon la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire) coûterait 800 millions d’Euros aux actionnaires. Le prolongement des quatre autres réacteurs coûterait probablement plus cher, car leur capacité est plus élevée. Mais, comme le note le Mouvement Ouvrier Chrétien, ‘ces montants sont largement couverts par les bénéfices attendus d’un prolongement des centrales, estimés par la CREG à 12 milliards d’Euros en cas de prolongation de 10 ans et à près de 17 milliards dans le cas d’une prolongation de 20 ans’ [2]. Notez-le bien : 12 à 17 milliards d’Euros de rente. Donc de surprofits, en plus des profits. Ceux-ci sont estimés à 27 milliards d’Euros pour Electrabel en cas d’une prolongation de 20 ans [3]. La poule aux œufs d’or…

Rappel : Electrabel a payé en 2010 35 millions d’euros d’impôts sur un bénéfice de 808 millions (un taux d’imposition de 4,33%) [4]. Plus fort : en 2008, l’entreprise avait retouché 94 millions de l’Etat. En 2009, elle payait à peine 0,04% d’impôt (un demi-million d’euros sur un bénéfice d’un demi-milliard). Tout cela grâce à l’ingénierie fiscale, alors que le taux de base de l’impôt des sociétés s’élève à 33,99%. Dans ce contexte, la contribution d’Electrabel au budget de l’Etat, que Magnette propose de fixer à 250 millions/an, est en fait une bonne affaire pour les électriciens : elle leur permet de se présenter comme de généreux donateurs, alors qu’ils pillent la collectivité sans scrupules… Avec la complicité active du ministre PS, plus prompt à dénoncer les estimations de la rente par la CREG qu’à mettre en accusation GDF Suez et Albert Frère, son principal actionnaire privé.

Les mensonges de Magnette

Pour dissimuler son soutien à Electrabel, le ‘socialiste’ Magnette fait comme si la prolongation des centrales était le meilleur choix du point de vue économique, social et environnemental : « On peut décider de fermer quand même en 2015, mais il faut alors assumer d’être structurellement importateur d’électricité venant de France, où elle est produite à partir du nucléaire, et de construire très rapidement des centrales au gaz. Cela a un coût très important, demande des permis, et augmentera de façon importante nos émissions de CO2. (…) Le report de la fermeture répond à des impératifs pratiques et non idéologiques » [5].

C’était avant Fukushima. Après la catastrophe, le ministre a infléchi son discours pour se présenter comme un antinucléaire… obligé, contre son gré, d’essuyer les plâtres des imperfections de la loi de 2003. « La loi de 2003 décrète la sortie du nucléaire. Elle ne l’organise pas. Elle a un défaut originel », déclarait-il sur les ondes de la RTBF. Pourquoi ne pas s’être attelé à corriger ce défaut, demande le journaliste ? Réponse : « On était tout près avant la chute du gouvernement. Il a fallu un débat de 2,3 ans. Fukushima, de ce point de vue, a eu un effet (…). Le principe de la sortie du nucléaire est réaffirmé et ça, c’est une bonne chose. Reste un débat technique et socio-économique sur le calendrier » [6]. Quel culot, de la part d’un homme qui n’a rien fait d’autre, pendant toutes ces années, que se coucher devant Electrabel !

Fukushima ou pas, la ligne du gouvernement belge reste inchangée : on prolonge la vie des centrales. On la prolonge au mépris de la vie des millions de gens dont la santé serait gravement affectée si un accident comme celui du Japon devait se produire à Doel ou à Tihange [7]. On la prolonge en dépit du fait qu’il est possible de s’en passer. On écarte les alternatives parce qu’on refuse de mettre en question le productivisme et la dictature des sangsues capitalistes du secteur énergétique. On la prolonge pour « des impératifs pratiques et non idéologiques », comme dit Magnette. En effet. Sur ce point, nous sommes d’accord avec le ministre : d’idéologie, lui et ses collègues n’en ont pas plus que d’éthique dans le crâne d’un spéculateur. Seul compte pour ces gens « l’impératif pratique » du profit qui, faute de révolte sociale, condamne l’humanité à d’autres Tchernobyl, d’autres Fukushima.

Notes :

[1] Le Soir, 4/4/2011.

[2] MOC, « Motion relative à la production d’électricité et à l’énergie nucléaire » (BP du 16 juin 2011).

[3] Trends, 23/9/2009

[4] De Morgen 23/5/2011.

[5] La Libre, 11 et 15/5/2010.

[6] RTBF, Matin Première, 28/6/2011.

[7] Declan Butler dans Nature, 21 avril 2011


Ne pas confondre « risque » et « probabilité »

On que le risque nucléaire serait limité. C’est une contre-vérité absolue. Le risque se définit comme le produit de la probabilité par les conséquences. La probabilité de fusion d’un réacteur est faible (plus élevée pourtant que la chance de gagner au Lotto !), mais les conséquences sont incommensurables. Le risque est donc inacceptable.


On peut s’en passer… mais pas sans mesures anticapitalistes !

Plusieurs études montrent la possibilité de sortir du nucléaire. Les lecteurs intéressés se réfèreront utilement à celle que l’APERE a réalisée à la demande du GRAPPE, ou à celle que ‘Zero Emissions solutions’ a produite à la demande de Greenpeace. D’une manière générale, cependant, ces travaux ont une faiblesse : ils sous-estiment les objectifs climatiques. En effet, ils s’inscrivent dans le cadre du ‘paquet énergie climat’ de l’Union Européenne, qui vise une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20% en 2020. Un objectif insuffisant. Pour avoir une chance de ne pas trop dépasser 2°C de réchauffement, il convient, selon le GIEC, d’atteindre 25 à 40%. Les 40% s’imposent, vu la sous-estimation de la dislocation des calottes glaciaires.

Au niveau de l’UE, selon le scénario ‘Energy Revolution’ réalisé par des spécialistes allemands, sortir du nucléaire tout en sauvant le climat nécessite de réduire de moitié, au moins, la demande finale d’énergie. Ce n’est pas possible sans une remise en cause du productivisme et du profit. Cela implique notamment la nationalisation sans indemnités du secteur énergétique. Le pouvoir de GDF-Suez, E.ON, RWE, etc. doit être brisé. Les richesses accumulées par les trusts doivent être transférées au secteur public. Lui seul peut mener une transition aux renouvelables qui soit socialement juste et écologiquement efficace.


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