Polémiques sur une candidate du NPA portant le foulard: tempête dans un verre d'eau ou révélateur de certains stéréotypes?
Par Dossier le Vendredi, 05 Février 2010 PDF Imprimer Envoyer

La décision – courageuse dans le contexte actuel de «chasse aux sorcières» sur ce thème – du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) français de présenter la camarade Ilham Moussaïd, une jeune femme portant le foulard, aux élections régionales dans le Vaucluse, a suscité de très vives réactions. Militante anticapitaliste, féministe et trésorière du NPA local, Ilham a semble-t-il le tort d'être croyante et se retrouve victime de critiques et de stéréotypes qui la jugent sur son apparence plutôt que sur ses actes.

Cette candidature suscite d'une part des débats internes, qui se veulent sereins, au sein du NPA. Il y a peu également, nos camarades danois du SAP ont été confrontés aux mêmes discussions suite à la présentation d'une candidate portant le foulard sur une liste de l'Alliance Rouge et Verte. Nous publions ci-dessous un article qui revient sur ces débats.

Sur un autre plan, venant de la gauche social-libérale, de la droite et de l'extrême droite racistes et réactionnaires, les attaques les plus virulantes contre la décision du NPA n'ont bien entendu rien d'étonnant, c'est une nouvelle fois l'occasion de ressortir l'étiquette fabriquée de toute pièce «d'islamo-gauchisme», comme d'autres parlaient «d'hitléro-trotskysme» à une autre époque.

Certaines déclarations venant de la gauche sont par contre honteuses et inquiétantes, car elles traduisent un glissement dangereux et une perte de repères. Pour Marie-George Buffet, du PCF (Parti communiste français), la candidate du NPA est la preuve d'un «recul des droits des femmes» (...) «Des femmes qui redeviennent un objet d'instrumentalisation». On peut se demander en quoi la candidature d'une jeune femme d'origine immigrée qui s'engage en politique au sein d'un parti anticapitaliste constituerait un tel «recul»? En outre, Buffet dénie aux femmes portant le foulard toute forme d'autonomie ou de conscience politique puisqu'elles sont considérées comme forcément «instrumantalisées», et bien entendu soumises et incapables d'agir de leur propre chef.

Buffet ajoute en outre qu'«Il faut arrêter de jouer avec les femmes, de faire peur avec les femmes». Rappelons que cette polémique sur la candidature d'Ilham surgit sur fond de débats passionnés sur la question de l'interdiction du port de la burqa dans l'espace public et que la commission parlementaire qui se penche sur cette interdiction a été initiée par un député... du PCF! Ce dernier a été immédiatement soutenu avec fracas par Sarkozy dans le cadre de son « débat sur l'identité nationale », lancé dans le seul but de stigmatiser les citoyens/nes français/es de confession musulmane et l'immigration en général.

Jean-Luc Mélenchon, leader du Parti de Gauche (PG), a déclaré quant à lui que le NPA faisait une «erreur» et que son choix était «régressif», ajoutant que «Lorsqu’on veut être élu, il faut pouvoir représenter tout le monde, c’est donc une erreur de se présenter à une élection en affichant une appartenance religieuse qui rend impossible cette représentation du souverain dans son ensemble ».

Dans une lettre ouverte que nous publions dans ce dossier, Philippe Marlière répond à ces propos démesurés. Nous pourrions également ajouter que l'indignation de Mélenchon est bien sélective. Fervent partisan du président vénézuélien Hugo Chavez qui, dans tous ses discours, parle de Dieu, de Jésus  Christ et brandit régulièrement la Bible ou un crucifix, le leader du PG ne s'est pourtant jamais fendu de la moindre critique sur un tel «affichage d'appartenance religieuse qui rend impossible cette représentation du souverain dans son ensemble ». Il faut croire que lorsque l'on est une femme arabo-musulmane, cela n'est pas permis.

Malgré tout, les choses ont un peu évolué à gauche et parmi les féministes françaises depuis la loi sur l'interdiction du port du foulard à l'école en 2004. Comme le souligne le sociologue Jean Baubérot dans le dernier numéro de la revue «Politique» (qui consacre un dossier très intéressant sur le thème du féminisme et de la multiculturalité); «En 2004, le féminisme prohibitionniste était dominant. Mais c'était plutôt un féminisme de classes moyennes aisées, assez conformiste. Le féminisme hostile à l'interdiction était bien réel, mais outre qu'il était minoritaire, son discours n'a absolument pas été pris en compte dans les médias. Aujourd'hui, avec l'affaire de l'interdiction de la burqa, les lignes bougent. Une partie du féminisme et une partie de la laïcité ont pris conscience qu'il y avait derrière l'idée d'interdiction généralisée une question de libertés publiques.» Nous publions, pour clôre ce dossier, une prise de position de Josette Trat, militante féministe de longue date, sur ce sujet. (LCR-Web)


Déclaration d’Olivier Besancenot. Rectificatif à propos d’un article du Figaro

Le Figaro m’a fait tenir des propos caricaturés à propos de la candidature d’Ilham Moussaïd sur nos liste régionales PACA. Le choix du NPA du Vaucluse après un débat sérieux et complexe a été d’inclure sur ses listes féministes anticapitalistes et internationalistes une de ses membres qui estime devoir porter le voile en raison de ses convictions religieuses.

Notre parti accueille des jeunes, chômeurs, précaires, salariés de tous horizons qui se reconnaissent dans ses idéaux. La foi est une question privée qui ne saurait faire obstacle à la participation à notre combat dès lors que les fondamentaux laïcs, féministes et anticapitalistes de notre parti sont sincèrement partagés.

J’ai donc simplement dit au Figaro « Ilham est la preuve qu’on peut être au NPA et porter le voile ».

Le NPA est un parti qui lutte contre toute forme d’oppression et d’exclusion. Un débat sur l’émancipation et la place de la religion- et toutes ses formes d’expression- existe au sein du NPA dans la perspective de son prochain congrès.

Le 3 février 2010.


Communiqué d’une minorité de membres du NPA Vaucluse à propos de la candidate portant le voile

Avec une minorité de camarades, nous n’avons pas voté pour la présence sur la liste du NPA d’une candidate affichant une appartenance religieuse. Nous avons néanmoins respecté la décision majoritaire prise dans notre département. Mais nous estimons que l’apparition publique de notre parti doit se centrer sur son message politique et humaniste, et les convictions religieuses demeurer dans la sphère privée. Même si des camarades ont une interprétation progressiste de leur Foi, que nous saluons, il n’empêche que les systèmes religieux demeurent de terribles instruments d’oppression sur les femmes, la jeunesse, les homosexuel/les, les dominés en général. En porter les signes au nom de notre parti, c’est créer une ambiguïté qui nous semble inopportune. Ce débat traverse toute notre Histoire, nous le poursuivrons sereinement au sein du NPA.

3 février 2010

Dominique Gaubert - Jean-Luc Romero


Profession de foi de Ilhem Moussaïd aux élections régionales 2010:

Face à un système capitaliste mondial qui enrichit 20% de personnes au détriment des 80% autres, qui maintient un tiers de la population sous le seuil de pauvreté et qui ne permet pas à un quart de la planète d’accéder à l’eau potable. Face à un système capitaliste mondial qui met en péril l’équilibre de la planète ; l’augmentation de la température, la fonte des glaces, la disparition de nos espèces animales, végétales, minérales et qui épuise nos ressources minières, forestières, énergétiques, nous devons réagir et inventer tous et toutes un autre système où les enfants étudieraient au lieu de travailler, où les employées ne se suicideraient pas à cause de la pression des patrons, où des personnes ne dormirait pas dehors alors qu’il y a des milliers d’appartements, d’immeubles vides, où l’argent ne serait pas roi.

C’est dans cette optique que je me suis engagée au NPA et que je présente ma candidature sur la liste des régionales. La gratuité des transports publics, la formation des jeunes, la récupération des subventions publiques accordées aux entreprises qui licencient alors qu’elles font des bénéfices, le développement du tissu associatif et non du clientélisme, la création d’emplois, de logements, autant de sujets qui me tienne à coeur et qui fonde mon engagement.

Née à Avignon, âgée de 21 ans, militante féministe, internationaliste et anticapitaliste, je lutte contre les discriminations, le racisme dans les quartiers populaires, contre l’apartheid et l’injustice en Palestine, j’espère apporter à Avignon, au Vaucluse et à la région ma pierre pour un nouvel ordre dominant, la liberté, la paix, la justice, le respect, la tolérance et la fraternité.

Ilhem Moussaïd

Interview d'Ilhem Moussaïd sur Dailymotion

Interview sur Europe1


Voile et NPA: «Cher Jean-Luc Mélenchon, tu dérapes!»

Dans une interview accordée à Marianne, Jean-Luc Mélenchon a commenté la candidature aux régionales d'Ilham Moussaïd. Cette jeune femme voilée est candidate sur la liste NPA du Vaucluse. Pour le sénateur, cette candidature, ce « n'est franchement pas une bonne idée » et « tout ça est régressif ». Bloggeur sur Rue89 et militant au NPA, Philippe Marlière, lui répond.

Cher Jean-Luc,

Nous avons eu droit à la grand messe sur l'identité nationale des sécuritaires Besson-Hortefeux (un « débat » pour attrape-nigauds ou pour fachos de tout poil). Puis, ce fut au tour du couple Gérin-Raoult, les pieds-nickelés de l'ordre républicain (et « éradicateurs » de burqas). Aujourd'hui, nous enchaînons avec la chasse à la candidate « islamiste » du NPA. Manque de pot, cette fois-ci, c'est toi qui lance la meute contre Ilham Moussaïd. Que tu le fasses à partir d'une feuille réactionnaire (la mal-nommée Marianne) ajoute encore au trouble.

Tu dis que cette candidature est « régressive ». Qu'en sais-tu ? Connais-tu la candidate ? As-tu discuté avec elle de ses opinions politiques ? Qu'est-ce qui te permet de douter de son engagement féministe, laïque et de gauche ?

Tu affirmes que cette candidature est «immature». Pourquoi ? En quoi le choix d'une femme dont les parents sont issus de l'immigration serait «immature»? Cette initiative que tu qualifies subtilement de « racoleuse » vise en réalité à présenter une jeune femme d'origine populaire et qui est politiquement active dans sa région. Où est le mal ?

En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ?

On peut opposer cet acte pleinement politique à la pitoyable drague des « minorités visibles » par les partis de gauche (un terme hypocrite et impropre, car on sait bien que l'on s'intéresse ici au caractère ethnique des personnes). Dans ce cas, contre la mise en scène de la couleur sur une liste, des partis de la gauche laïque cèdent quelques strapontins à des minorités normalement invisibles. Qu'as-tu à dire de cette tartufferie électorale ?

Plus fort encore : tu affirmes que le NPA « entraîne le débat sur le terrain religieux ». En quoi Ilham Moussaïd est-elle une candidate religieuse ? Rien dans son discours public de militante ne te permet d'étayer cette accusation gratuite.

Allons, cessons de tourner autour du pot : ce qui te pose problème, ce n'est ni la candidate, ni ses origines ethniques ou sociales, mais le fait qu'elle porte un foulard. Un foulard ! Quelle horreur ! Et te voilà déclinant le prêt-à-penser soi-disant laïque : le foulard, c'est mal, ce n'est pas républicain, ce n'est pas progressiste, etc.

Tu es l'un des rares hommes politiques français qui lit, réfléchit, débat, tente de comprendre et d'interpréter le monde tel qu'il est. Quelle déception de te retrouver attablé au café du communautarisme laïcard. Le foulard est un « signe de soumission patriarcale » assènes-tu. Qu'en sais-tu ?

Le foulard n'a intrinsèquement rien à voir avec cela. Dans certaines situations, une femme voilée peut en effet être soumise à la domination masculine, mais c'est loin d'être une règle générale. Inversement, nombre de femmes en apparence « libérées » et « modernes » vivent sous le joug tyrannique de conjoints.

La domination patriarcale s'inscrit avant tout dans les rapports hommes-femmes au quotidien. Une femme qui a librement décidé de porter le voile et qui mène une existence autonome sera toujours plus libre que celle sans voile qui, du foyer au bureau, sera cantonnée à des rôles mineurs, parce que femme. Cette laïcité est celle de l'intolérance et du refus de la différence.

Nous avons toi et moi longtemps appartenu au Parti socialiste, où il est de bon ton de stigmatiser les «voilées». C'est dans ce parti que j'ai pu observer les manifestations les plus machistes et misogynes, sans que cela ne suscite aucun tollé chez les éléments masculins : blagues sexistes, intimidations physiques et, last but not least, infractions délibérées à la loi sur la parité. C'est drôle, dans ces cas-là, personne ne s'élève contre la «domination patriarcale».

Tu affirmes enfin qu'Ilham Moussaïd «divise» et qu'il lui faut «tirer les leçons de l'Histoire de France (…) parce que nous avons connu trois siècles de guerre de religion». Si ce n'est pas un dérapage de ta part, cela y ressemble de près.

En quoi le foulard d'Ilham serait-il comparable à nos guerre de religions, à la déportation des juifs par la police française ou encore à la «mission émancipatrice» laïco-chrétienne en Algérie ? Il faut garder le sens de la mesure, Jean-Luc !

La laïcité qui décide comment il faut s'habiller sur la voie publique, qui prétend interpréter le sens que l'on donne à son apparence physique et qui exclut les têtes (et les voiles ! ) qui dépassent, ce n'est pas la laïcité : c'est l'intolérance et le refus de la différence. Jean-Luc, laisse cela aux Besson, Hortefeux, Gérin et Raoult.

Avec mes salutations amicales et navrées.

Philippe Marlière, Maître de conférences à Londres, Rue89, le 04 février 2010


Les musulmans, la gauche et les féministes auto-proclamés

Toutes sortes de spectres sont apparus dans la gauche danoise l’année où une femme musulmane a été élue comme candidate au parlement pour l’Alliance Rouge-Verte. [1] En prenant son inspiration chez des penseuses féministes actuelles comme dans les critiques de la religion par Marx et Lénine, cet article est une interprétation des conflits qui ont émergé sur la question du socialisme et de la religion en général, et sur celle de la gauche et de l’islam en particulier, ainsi que sur la question des stratégies féministes dans le débat sur le foulard au Danemark en 2007-2008.

Par Nina Trige Andersen [2]

Un vif débat a été suscité à la fois au sein de l’Alliance Rouge-Verte (ARV) comme dans la sphère publique par la candidature au parlement pour un parti de la gauche radicale d’une femme s’identifiant comme musulmane. Un débat sur la religion, le féminisme, et les stratégies pour le socialisme – pour dire les choses gentiment. Quand la candidate, Asmaa Abdol-Hamid, née palestinienne apatride, a été élue par l’assemblée nationale de l’ARV, tout le monde s’attendait à des réactions clairement islamophobes, sexistes et racistes de la part des médias bourgeois et des partis de droite. Mais nous n’avions pas tous prévu à quel point la même dynamique allait frapper la candidate depuis l’intérieur du parti et de la gauche en général.

Les multiculturalistes et les « paniqueurs moraux »

Le débat dans la sphère publique est d’un intérêt moindre, car la plupart des gens de gauche peuvent probablement imaginer les attaques classiques de la bourgeoisie, de la gauche réformiste et des néo-fascistes – par conséquent seuls les débats internes de l’ARV seront esquissés dans cet article. Les différentes positions dans le débat sur la question de savoir si oui ou non il était approprié qu’un parti socialiste ait pour candidate une personne «visiblement» religieuse peuvent être divisées en deux catégories principales :

- Les multiculturalistes: C’est un projet progressiste en soi que La Femme Musulmane (traduction une personne identifiée comme femme, immigrée, portant un foulard) soit représentée.

- Les paniqueurs moraux: Le foulard est oppressif en soi, donc le fait qu’une femme portant un foulard représente l’ARV envoie le signal que nous sommes pour le patriarcat (dans sa version spécifique islamo-arabe).

La deuxième catégorie était divisée en deux :

-Les athées, qui utilisaient la version marxiste vulgaire de la citation «la religion est l’opium du peuple»

-Les socialistes chrétiens qui croient que comme l’islam n’a pas connu une Réforme et les Lumières comme le christianisme, l’islam est toujours une religion fondamentaliste et répressive, à la différence du christianisme qui a une base ainsi qu’un potentiel progressiste.

Ces deux subdivisions semblent croire que le patriarcat, sous sa forme «islamo-arabe», est un phénomène distinct d’autres formes patriarcales: plus fort, plus pathologique et plus maléfique que le patriarcat en général. Dans ce courant du «féminisme» occidental, l’oppression des femmes – quand il s’agit de femmes «musulmanes» – est vue comme quelque chose qui provient d’abord de l’islam. La religion devient l’explication principale de l’oppression des femmes, quand on parle de l’islam et des femmes en relation avec l’islam. L’islam comme «religion» – ou plus souvent l’islam comme «culture» – est conceptualisé comme ayant une essence spécifique, immuable et profondément réactionnaire de manière plus radicale que d’autres religions ou «cultures».

Dans cette rhétorique, la «culture démocratique occidentale» est souvent mise en valeur comme l’antipode de la «culture islamique». Autrement dit, les droits des «femmes musulmanes», et ce que font les «femmes musulmanes» de leur corps sont des marqueurs centraux des nouvelles formes d’identité et de géopolitique qui sont apparues dans la rhétorique néoconservatrice du «choc des civilisations». Certains courants du «féminisme occidental» sont influencés par cette rhétorique. Ce type de «féminisme occidental» participe ainsi à la production du langage et des structures du nouvel impérialisme. [3]

Dévoilement

En conséquence, le phénomène «religion» – ou « une religion spécifiquement maléfique» - est vu comme une entité en soi avec un pouvoir en soi. Il s’ensuit que la religion engendre la pratique (sociale) – le contraire d’une compréhension marxiste, comme elle apparaît par exemple dans l’introduction à la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel. Ici la «religion» et la critique de la religion sont comprises en sens inverse: «Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci: L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. La religion est en réalité la l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore trouvé, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme n’est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion (…)»

Nous reviendrons à ce que Marx et plus tard Lénine avaient à dire sur le socialisme et la religion vers la dernière partie de cet article.

Un autre point intéressant dans les dynamiques de l’ARV est que – depuis les subdivisions des paniqueurs moraux, des athées comme des chrétiens – les nouveaux convertis au « féminisme » semblaient sortir de terre comme des champignons ; tout à coup très inquiets de savoir si la candidate était elle-même opprimée par le patriarcat islamique, ou si l’avoir comme représentante du parti signalait à la population que l’ARV approuvait le patriarcat islamique. Les paniqueurs moraux étaient aussi fortement engagés dans le dévoilement de ce que Asma Abdol-Hamid pensait réellement des droits des LGBT, alors qu’elle avait déclaré qu’elle soutenait le programme politique de l’ARV – y compris la partie sur la libération de genre et la libération sexuelle. Ces soupçons étaient souvent exprimés par des gens qui n’avaient jamais auparavant pris la peine de combattre le patriarcat ou l’homophobie.

Seulement son genre et son foulard

Les multiculturalistes tout comme l’armée qui s’est dressée contre l’islamo-patriarcat ont empêché dans une large mesure un débat sur la manière dont le profil politique de cette candidate spécifique pouvait être utilisé stratégiquement dans une perspective socialiste. Asmaa Abdol-Hamid est jeune, c’est une femme, et elle est née au Liban, fille de réfugiés palestiniens – il y a dans ces catégories sociales un potentiel représentationnel évident. Elle travaille depuis des années comme conseillère sociale dans un des quartiers les plus pauvres du Danemark, a fait du travail de terrain avec de jeunes femmes migrantes dans son quartier, et du travail parlementaire pour l’ARV dans sa municipalité.

Toute cette expérience politique et personnelle aurait pu être mise en forme dans une campagne électorale pour contrer l’islamophobie, le sexisme et le racisme et rendre visibles les formes de la société de classes au Danemark. Cette troisième position dans l’ARV qui n’a pas été mentionnée jusqu’ici est ce que nous pouvons appeler la position marxiste-féministe, qui met en avant une analyse historiquement spécifique. Une des raisons pour lesquelles cette position n’a pu ni réussir, ni se rendre clairement visible, c’est la force avec positions mentionnées ci-dessus – et surtout: elles avaient le consensus public avec elles. Asmaa Abdol-Hamid n’a jamais été acceptée ou traitée comme une figure politique. Elle était son foulard et son genre, pour ses opposants – l’armée contre le patriarcat islamo-arabe – comme pour ses soutiens multiculturalistes. Les deux tendances se sont unies paradoxalement dans leur obsession envers la «religion» et la «culture» ainsi que les marqueurs et champs de bataille favoris: le corps et les signes corporels de la « femme musulmane».

Le foulard est le foulard ?

Cette courte présentation d’un cas spécifique dans un contexte danois servira dans le cadre de cet article d’introduction à la discussion de ce que l’on peut dire sur les rapports entre socialisme, religion et féminisme à un niveau analytique plus général.

D’un point de vue féministe et marxiste, il y a tout d’abord deux points importants à avoir à l’esprit : Notre analyse doit toujours prendre son point de départ dans le contexte social/sociétal et historiquement spécifique qu’il essaie de comprendre et dans lequel il se donne comme but d’agir politiquement. Les discours et les pratiques ne peuvent pas être isolés du contexte dans lequel ils ont lieu. Cela veut dire par exemple, que porter un voile en Iran aujourd’hui ne veut pas nécessairement dire la même chose que de porter un voile ou un foulard au Danemark aujourd’hui. Brièvement, en Iran ceux qui détiennent le pouvoir punissent les femmes si elles ne portent pas le voile, au Danemark les femmes sont punies si elles le portent.

Que l’on soit d’accord ou non avec l’utilisation du foulard comme forme de protestation politique contre la marginalisation et la persécution des individus identifiés comme « arabes/musulmans », nous devons au moins analyser le port du foulard comme (aussi) une réaction contre le racisme et la marginalisation, et non seulement comme un marqueur religieux ou culturel de l’oppression des femmes et de la ségrégation des genres.

Les femmes ont toujours été jugées et traitées selon leur apparence. En tant que féministe on doit prêter une attention particulière quand les corps des femmes et ce que les femmes font avec leur corps devient un champ de bataille – comme c’est le cas du foulard pour les islamistes réactionnaires et les impérialistes occidentaux.

Neelam Hussein, de Simorgh, une organisation féministe (et laïque) basée au Pakistan, formule ainsi les choses : «Le voile est devenu un marqueur identitaire, même au Pakistan. Mais surtout en Europe, où il y a l’expérience du racisme, de la violence, et des préjugés anti-musulmans, le voile n’est pas tellement une affirmation religieuse. Il est devenu un acte politique, et doit être compris en tant que tel. Personnellement, je ne suis pas en faveur du voile, mais je défendrai tout de même le droit d’une femme de porter une mini-jupe ou des talons hauts si elle le veut, et de porter le voile, si elle le veut. Il faut considérer les choses de manière plus adulte qu’une réaction immédiate. Mais en tant que féministe, je ne peux pas forcer une femme à sortir de chez elle ou à enlever le voile, simplement parce que je ne suis pas d’accord. Il faut qu’elle soit convaincue de sa propre libération. [4]»

La prostituée et la femme voilée

En observant les réactions venues à la fois de la droite et de l’intérieur de la gauche envers Asmaa Abdol-Hamid pendant les élections, il était frappant de voir les similitudes entre la façon dont on parle des femmes qui portent un foulard et des femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe, souvent appelées prostituées : «Elles» sont opprimées à cause de ce qu’elles font ou de ce qu’elles laissent les autres faire avec leurs corps, elles ne savent pas ce qu’elles disent, ou elles essaient peut-être de se protéger, elles ne savent pas ce qui est bon pour elles, mais «nous» savons ce qui est bon pour elles, et nous allons donc décider de comment elles peuvent être libérées. En même temps, avec cette approche, les femmes qui portent un foulard, comme pour les femmes dans l’industrie du sexe, sont encore plus marginalisées – non seulement parce qu’on leur dénie leur propre droit à la parole, mais de par la façon dont s’organise la société (la régulation des espaces publics, l’accès à l’éducation, l’accès à certains secteurs du marché du travail, l’accès aux droits civiques et à la sécurité sociale, etc.).

Citons encore Neelam Hussein: «Si vous voulez vraiment défier le patriarcat, vous devez reconnaître le fondamentalisme et l’oppression sous toutes ces formes, pas seulement au sein de l’islam. En tant que féministe, il est important de toujours se souvenir d’un point central: soyez critiques envers toutes les idées, même les vôtres. Mais c’est difficile si vous vous êtes convaincus que d’autres personnes ne peuvent pas penser pour elles-mêmes. [5]»

Spectres coloniaux

Paradoxalement, la notion selon laquelle les droits des femmes et la libération sexuelle sont des phénomènes «occidentaux» est brandie à la fois par les fondamentalistes islamiques et par les néoconservateurs et les néolibéraux occidentaux – ainsi que par beaucoup de féministes auto-proclamées à gauche.

Vivienne Wee, professeure au département d’Etudes Asiatiques et Internationales à l’Université de la ville de Hong Kong, a exprimé cette idée ainsi, dans sa critique du livre Great Ancestors – Women Asserting Rights in Muslim Contexts: «Il existe une croyance très répandue dans les sociétés post-coloniales selon laquelle toutes les valeurs progressistes, comme les droits humains, les droits des femmes, la justice sociale ou le développement durable, nous ont été transmises comme une partie du «fardeau de l’homme blanc» qui était de nous civiliser.

Du coup, ces valeurs tendent à être connues comme des «valeurs occidentales», comme si avant la colonisation européenne, il n’y avait pas eu de notion indigène de la justice ou des droits dans les sociétés qui ont été colonisées. En fait, nous devrions nous rendre compte que ce mythe a été construit précisément pour légitimer la présence coloniale comme un «processus civilisateur». (…) Ce type de discours provient d’un processus d’«altérisation» qui dépeint l’Autre non-occidental en termes de «despotisme oriental » ou d’une autre forme de barbarie duquel les femmes non-occidentales doivent être « sauvées». Il y a une grande ironie à ce que des nationalistes post-coloniaux souscrivent à présent à ce mythe colonial et s’identifient à des personnes qui ne donnent aucune valeur aux droits des femmes. [6] »

Sherene Razack, une professeure de sociologie basée à Toronto, née à Trinidad dans une famille d’origine indienne musulmane, pointe aussi le danger du spectre du colonialisme et de l’impérialisme dans le débat sur la libération des femmes musulmanes: «Le genre est devenu le marqueur décisif, qui sépare les civilisés des non-civilisés, ceux qui méritent, et ceux qui ne méritent pas. C’est pourquoi le féminisme et l’égalité des genres deviennent tout à coup de telles priorités. La logique est que le manque d’égalité des genres dans les communautés musulmanes légitime la violence occidentale et la rend nécessaire. La femme musulmane opprimée doit être libérée de l’homme musulman, dangereux et violent. [7]»

La religion est l’opium du peuple

Nous allons maintenant nous tourner vers ce que Marx et Lénine avaient à dire sur la critique socialiste de la religion – en-dehors de la citation usée «la religion est l’opium du peuple» que, parmi d’autres, la «plate-forme athée» de l’ARV a brandi avec rigueur durant le débat sur la légitimité de la candidature d’Asmaa Abdol-Hamid.

Comme il a été mentionné plus haut, il est toujours utile de voir les choses dans le contexte où elles ont lieu, et la même chose peut être dite sur la citation à propos de l’opium (tirée de l’introduction à la Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel) qui dans sa totalité est: «La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.

Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé a une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.»

En bref : le problème n’est pas la religion en elle-même, le problème est l’état du monde qui fait que les gens désirent que la religion apaise leur souffrance – d’où la métaphore de l’opium.

Lénine a décrit la relation entre la religion et l’organisation de la société ainsi dans son texte Socialisme et Religion: «L’oppression économique qui pèse sur les ouvriers, provoque et engendre inévitablement sous diverses formes l’oppression politique, l’abaissement social, l’abrutissement et la dégradation de la vie intellectuelle et morale des masses. [8]» Quand Lénine écrit: «La foi en une vie meilleure dans l’au-delà naît tout aussi inévitablement de l’impuissance des classes exploitées dans leur lutte contre les exploiteurs que la croyance aux dieux, aux diables, aux miracles naît de l’impuissance du sauvage dans sa lutte contre la nature», ceci peut nous donner une indication sur la raison pour laquelle par exemple le fondamentalisme religieux est fort dans des ex-colonies, ou pourquoi certains migrants, qui n’étaient pas très religieux dans leur pays natal, deviennent fondamentalistes en vivant dans une Europe raciste.

Sur le terrain

Ce que Marx a écrit dans ses Thèses sur Feuerbach est un outil très utile pour développer des stratégies pour combattre l’oppression masquée derrière la religion: «Le fait, notamment, que la base temporelle se détache d’elle-même, et se fixe dans les nuages, constituant ainsi un royaume autonome, ne peut s’expliquer précisément que par le déchirement et la contradiction internes de cette base temporelle. Il faut donc d’abord comprendre celle-ci dans sa contradiction pour la révolutionner ensuite pratiquement en supprimant la contradiction. Donc, une fois qu’on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c’est la première qu’il faut anéantir sur le plan de la théorie et de la pratique. [9]»

Pour conclure, le combat pour la libération sexuelle et de genre, tout comme le combat pour le contrôle populaire des moyens de production, ne se fait pas « dans les nuages », sur le champ de bataille abstrait du brouillard religieux. Le combat est sur terre. Et la notion quasi- religieuse – masquée en critique de la religion – que la religion et les symboles religieux ont un pouvoir en eux-mêmes – n’a pas plus les pieds sur terre que les fondamentalistes qu’elle prétend combattre.

En tant que socialistes nous ne combattons pas pour qui que ce soit, nous organisons des gens pour qu’ils se battent pour eux-mêmes. C’est aussi valable pour les femmes qui s’identifient comme musulmanes. En gardant cela à l’esprit le risque de s’aligner sur des forces de droite, laïques ou religieuses, est au moins diminué.

[1] L’Alliance Rouge-Verte (Enhedslisten) est une formation large de la gauche radicale danoise, qui s’est formée au début des années 90.

[2] Nina Trige Andersen fait partie de la direction du SAP – la section danoise de la Quatrième Internationale, et milite au sein de l’Alliance Rouge-Verte, en premier lieu dans la commission Queer.

[3] Cette analyse s’appuie sur les analyses féministes critiques faites par des féministes telles que Nighat Said Khan (Pakistan), Sherene Razack (Canada), Gunilla Edemo (Suède) et Mette Buchardt (Danemark, ex : http://www.modkraft.dk/spip.php?art… ).

[4] Pakistansk feminist : stop med at belære os, Dagbladet Information, 25 janvier 2008.

[5] Idem.

[6] Extrait d’une critique sur le site Internet de l’AWID - Association pour le droit des femmes et le développement. Le réseau international de solidarité Femmes Sous Lois Musulmanes (FSLM) et le collectif de femmes basé à Lahore Shirkat Gah (qui agit aussi comme bureau régional de coordination de FSLM pour l’Asie) ont entrepris un travail pionnier de recherche historique. Leur but est de mettre en lumière l’activisme pour les droits des femmes dans les sociétés musulmanes. Critique du livre par Anissa Helie.

[7] Atvarer mot rasisme i feminismens navn, interview sur le site Internet du centre norvégien de recherche sur le genre, Informasjonssenter for kjønnsforskning.

[8] http://www.trotsky.org/francais/len…

[9] http://www.marxists.org/francais/ma…


Non à une loi contre le voile intégral

En parallèle à la campagne sur «l’identité nationale», les partisans d’une loi contre le voile intégral cherchent à rallier dans un unanimisme de façade les laïques, les féministes et de vrais racistes. Ratisser large, tel est l’objectif à la veille des prochaines élections. C’est André Gerin, député PCF des Bouches-du-Rhône, qui a été à l’initiative de cette campagne, recevant immédiatement le renfort de la droite.

Y aurait-il urgence ? Quelques centaines de femmes dissimulées des pieds à la tête mettent-elles en danger la République ?

On peut être choqué, révolté, lorsqu’on croise ces oiseaux de mort. On peut être convaincu (et nous le sommes) que le voile intégral porte atteinte à la dignité humaine, à l’égalité entre femmes et hommes et qu’il ne faut pas le banaliser. Mais ce n’est certainement pas par une loi inapplicable et liberticide que l’on combattra ce phénomène. Va-t-on interdire à ces femmes de circuler librement dans la rue au risque de les enfermer dans leur maison et d’accentuer l’arbitraire et la présence policière dans la vie quotidienne?

De plus, une telle loi transformerait en martyres ces femmes et risquerait de susciter de nouvelles vocations… et renforcerait enfin la stigmatisation des musulman-e-s dans leur ensemble en favorisant l’amalgame entre islam, fondamentalisme et… terroristes en puissance.

En concoctant une nouvelle loi de circonstance, Sarkozy ne défend en aucun cas la dignité des femmes qu’il bafoue quotidiennement en démantelant les services publics, en asphyxiant les associations de défense des droits des femmes ou en développant la précarité. Il ne défend pas non plus la laïcité, lui qui attaque l’école publique au profit des écoles privées, du primaire au supérieur. Avec cette loi, le gouvernement veut seulement faire diversion par rapport aux problèmes fondamentaux (emploi, logement, santé, transports publics etc.).

C’est pourquoi la gauche doit refuser de mettre le petit doigt dans cette campagne, et même de voter la moindre résolution qui laisserait penser qu’elle partage les mêmes valeurs que ce gouvernement.

Josette Trat

Voir ci-dessus