Grèce : Ce n'est qu'un début, le combat continue...
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Nous publions ci-dessous trois appréciations des élections d'hier en Grèce: une interview avec un camarade de l'OKDE (section grecque de la IVe Internationale), une analyse par Giorgos Mitralias (Comité grec contre la dette) et un reportage écrit à chaud, sur place, par un camarade catalan d'Izquierda Anticapitalista, Josep-Maria Antestas. LCR-Web


Grèce : une victoire à la Pyrrhus


Par HILARIS Dimitris, GILARDI Paolo, 19 juin 2012         

« Ce n’est pas sur la peur, mais sur l’espoir que nous fondons notre futur ». C’est par ces mots que Alexis Tsipras a commenté la défaite électorale de Syriza, la coalition de la gauche radicale qu’il dirige.

Car, au-delà de la victoire de la droite, rien n’est résolu pour le peuple grec, mais rien ne sera non plus facile pour les partis appelés à gouverner dans le cadre d’un cabinet d’union nationale. De plus, paradoxalement, l’échec de Syriza semble être un facteur non pas de démoralisation, mais, justement, d’espoir.

Explications avec Dimitris Hilaris de l’organisation communiste OKDE-Spartakos.


Paolo Gilardi : Pas trop déçu, Dimitris, de cette victoire de la droite lors des élections du 17 juin ?

Dimitris Hilaris : C’est une victoire à la Pyrrhus. Durant la campagne électorale les médias ont joué sur la peur, de la sortie de l’euro, des effets du non respect des mémorandums signés avec l’UE, de l’instabilité gouvernementale. La droite a ainsi réussi à capter les voix des couches sociales terrorisées par cette instabilité. Alors que Syriza a fait le plein des voix chez les travailleurs et les jeunes, la droite a engrangé les voix des classes moyennes et d’une partie plus âgée de la population. Mais, ni le parti de la nouvelle démocratie, vainqueur avec 29,66%, ni Syriza avec ses 26,89% n’ont réussi à mobiliser les 35% d’abstentionnistes. Syriza a pris ses dix points supplémentaires par rapport au 6 mai aux autres forces de gauche. La ND en a fait de même à droite.

Et maintenant ?

C’est là qu’on va voir que c’est une victoire à la Pyrrhus. Un gouvernement d’union nationale comprenant la ND, le PASOK et la gauche démocratique va être traversé par les mêmes contradictions qui traversent la société grecque. De plus, on n’a jamais connu, sauf pour de courtes périodes, de gouvernement d’union nationale en Grèce. Et celui-ci sera chargé d’appliquer les potions de la Troïka. Et avec, pour la première fois, une très forte opposition dans le parlement et dans la rue.

Justement, les mobilisations de rue…

Le résultat de Syriza, a donné confiance. Confiance en une dynamique sociale, celle des mobilisations des trois dernières années, mais aussi confiance dans la possibilité de faire exister, quelles que soient les ambiguïtés de Syriza, une force de gauche radicale.

Ainsi, cette situation favorise la discussion sur les alternatives car une exigence se fait jour de sortir de la protestation pour postuler à des solutions alternatives. Cela stimule la politisation, et ça, ce n’est pas bon pour le gouvernement.

C’est une dynamique sociale et politique qui est en cours. Et elle est à l’heure actuelle plus importante que la tentation, qui existe, de se reposer sur une forte représentation parlementaire de la gauche radicale. Il faut cependant se garder d’une division du travail entre mouvements, censés protester, et partis de gauche qui font de la politique.

Expression électorale des luttes, Syriza fait figure de modèle en Europe.

Comme le disent ses dirigeants, Syriza est « un parti de la normalité démocratique ». Mais, si Syriza respecte la légalité bourgeoise, cette dernière ne respecte aucunement Syriza. Et c’est dans cette dynamique que des choses peuvent se passer. Il ne suffit pas de dénoncer les ambiguïtés de Syriza –son programme est bien plus modéré que ses slogans– mais nous devons stimuler l’émergence d’un débat dans la gauche sur une alternative politique.

Nous, les forces de la coalition anticapitaliste, devons tirer les leçons de cette expérience. Nous avons besoin d’être partie prenante d’une dynamique sociale et politique qui veut le changement. Elle doit aboutir à un front unique avec Syriza et le Parti communiste, le KKE, autour de l’idée d’un gouvernement de gauche qui ne soit pas un gouvernement de gestion mais de rupture.

Ce qui veut dire ?

Ce qui veut dire annuler les mémorandums, rompre avec l’euro et l’Union européenne. Pas pour revenir à la drachme, mais pour priver la troïka de l’instrument de menace et chantage qu’est l’euro. En effet, comment parler de nationalisation des banques – ou de simple contrôle public de celles-ci come le fait Syriza – si nous ne sommes pas maîtres de la création de la monnaie ? C’est à nous de renverser la menace : si vous continuez avec vos diktats, nous pouvons sortir de l’euro. Et pour cela il faut convaincre les masses qu’il y a une vie au-delà de l’euro, mais pas en termes nationalistes.

Justement, à ce propos, l’extrême droite confirme sa présence.

C’est pourquoi c’est dans la rue qu’on doit la combattre, en replaçant la conflictualité sur le terrain social, pas national.

Certaines estimations parlent de 560 milliards d’évasion fiscale pour la seule année 2010. Que peut-on faire en Europe en soutien au peuple grec ?

La solidarité internationale nous est précieuse. On se sent moins seul au moment où l’on voudrait nous faire croire qu’on est un cas à part en Europe. Et puis, si vous pouvez mettre sous pression les banques pour qu’elles révèlent l’ampleur des dépôts des riches grecs…

Paolo Gilardi (Commentaire) : Le Conseil fédéral a bien donné la liste de 4000 citoyens américains titulaires de comptes en Suisse ; qu’attend-t-on pour exiger qu’il rende publics les noms des milliardaires grecs qui planquent leurs avoirs en Suisse ?

  • Interview : Paolo Gilardi . A paraître en Suisse dans l’Anticapitaliste n° 72 du jeudi 21 juin 2012.
  • Publiée également sur http://www.europe-solidaire.org



 


La peur a triomphé en Grèce, mais l’espoir est toujours debout


Par ANTENTAS Josep Maria, 18 juin 2012

La Troïka a poussé un soupir de soulagement : il y aura un nouveau gouvernement pro-Mémorandum en Grèce. Le maillon le plus faible de la zone euro ne s’est pas encore brisé. L’oligarchie financière, ces 1% pointés du doigt par Occupy Wall Street, avait vue avec inquiétude ces derniers jours comment ce spectre surgissait à nouveau. Hier, ils ont sans doute gagné un peu de temps en parvenant à éviter de manière précaire que leur édifice ne s’écroule. Mais le spectre est revenu pour rester.

La réalité, c’est que la crise économique et sociale s’est transformée en crise politique généralisée. En termes gramsciens, c’est une crise d’hégémonie et une « crise organique de l’Etat ». Les politiques d’ajustement structurel ont fait imploser le système des partis traditionnels en Grèce et la brèche ne va pas se combler facilement.

La peur, alimentée par une véritable campagne de terreur médiatique par la droite et par le chantage néocolonial de la Troïka, a triomphé sur l’espoir. Mais la joie de la Troïka sera sans doute éphémère. Le nouveau gouvernement sera faible, composé par des partis discrédités ayant peu de légitimité, et il a comme mandat de poursuivre des politiques impopulaires qui provoqueront de nouvelles mobilisations déterminées.

Après sa victoire, les déclarations de Samaras, candidat de la Nouvelle Démocratie, affirmant qu’il dirigera le pays « dans le chemin de la prospérité » ne sont rien d’autre qu’un exercice de cynisme et elles seront rapidement démenties par la réalité.

« No future », c’est la seule chose que les politiques de la Troïka et de ses vassaux peuvent offrir au peuple grec. Bien que fatigué par deux années de résistance tenace, ce dernier est décidé à ne pas succomber sans avoir livré bataille, il ne veut pas abdiquer de manière indigne. Dos au mur et malgré l’accumulation de défaites, le peuple grec a paradoxalement récupéré sa meilleur arme : sa confiance dans sa capacité de vaincre.

La montée de Syriza, sur les cendres d’un PASOK décomposé et en ruine, repose sur sa capacité à combiner une crédibilité politique et sociale avec une crédibilité électorale, dans un contexte de soulèvement social prolongé. La clé de son succès réside en ce qu’elle apparaît comme une formation « différente » et sans tache face à l’austérité. On ne peut lui reprocher d’avoir collaboré avec l’infâme PASOK, ni d’avoir gouverné avec lui dans les régions ou les municipalités en appliquant des coupures budgétaires.

Sa proposition de former un gouvernement de gauche anti-Mémorandum pendant la campagne pour les élections du 6 mai dernier fut le levier qui l’a électoralement propulsée et qui a modifié les coordonnées du débat électoral. Tout d’un coup, la possibilité d’un « gouvernement de gauche » est apparue comme une issue concrète et réalisable face au cauchemar de l’austérité, comme une formule quasi magique à laquelle une partie du peuple grec s’est cramponné au milieu de l’incertitude généralisée.

L’étonnante et positive progression de Syriza n’a pas seulement représenté un rayon d’espoir pour les travailleurs grec. Elle a aussi captivé l’imagination d’une gauche européenne dépourvue de références et d’expériences pratiques victorieuses et consciente que c’est en Grèce que se livre la bataille la plus décisive dans la lutte globale contre les plans du capital financier.

Il convient cependant de ne pas idéaliser Syriza de manière acritique. C’est une coalition plurielle dans laquelle coexistent des orientations différentes, certaines très modérées, d’autres plus conséquemment anticapitalistes. Ses faiblesses organisationnelles et d’implantation sociale sont énormes et ses revendications programmatiques et discours politiques présentent des limites et des incohérences importantes. Du 6 mai au 17 juin, on a pu noter un léger déplacement des propositions de Syriza sur le Mémorandum, la dette et d’autres questions clés vers des formulations un peu plus ambiguës et moins en rupture, bien qu’elle a maintenu un profil clair d’opposition à la logique de l’ajustement structurel sur lequel elle cimente sa crédibilité et son identité politique.

Dans ce nouveau panorama, le renforcement de l’auto-organisation sociale dans les quartiers et les entreprises continuera d’être la variable clé car on ne pourra pas initier une quelconque logique de rupture avec les politiques d’ajustement structurel sans une société civile mobilisée et organisée. Il reste également, comme autre tâche cruciale dans cette nouvelle étape contre le gouvernement de Samaras, à chercher les formes d’unité et de collaboration entre les principales composantes de la gauche grecque, en particulier entre Syriza et la coalition anticapitaliste Antarsya, électoralement plus faible (0,33% hier) mais avec une implantation sociale équivalente, voir supérieure, à la première. Sans oublier le KKE (4,4%), le principal parti de la gauche en terme de militants et qui a pratiqué jusqu’à présent une politique d’isolement sectaire qui a clairement échouée.

« L’avenir n’appartient pas à ceux qui ont peur, mais bien à ceux qui portent l’espoir » a déclaré Tsipras hier soir après l’annonce des résultats. Dans son discours final devant des centaines de membres et de sympathisants - un peu déçus par ce qui aurait pu être et n’a pas été, mais conscients que le combat sera long – il a annoncé sa ferme intention de s’opposer à l’austérité et la nécessité de poursuivre la mobilisation.

Une bataille a sans doute été perdue hier, mais l’affaire est loin d’être terminée. Après la fin du discours de Tsipras, la voix de Patti Smith s’est faite entendre par les haut parleurs pour adresser un message direct à la Troïka : « people have the power ! ».

D’Athènes, Josep Maria Antentas, professeur de sociologie à l’UAB


* Article originellement publié sur Publico.es  Source : http://www.anticapitalistas.org

* Traduction : Ataulfo Riera

* Publié également sur http://www.europe-solidaire.org



 


Syriza triomphe et… perd les élections. Mais, peut être ce n’est que partie remise…

 

Par MITRALIAS Yorgos, Athènes 19 juin 2012

Il a fallu d’un rien ou de 2,77% des voix pour que la Coalition de la Gauche Radicale (SYRIZA) gagne les élections grecques et parachève triomphalement l’extraordinaire montée en flèche de son score électoral qui est passé de 4,5% à presque 27% en moins de 3 ans ! Cependant, la droite coalisée de Nouvelle Démocratie et ses acolytes de tout bord (les vieux sociaux-libéraux du PASOK et les apprentis sociaux-démocrates de la Gauche Démocratique) ont tout droit de pousser un ouf de soulagement : la menace de la formation d’un gouvernement de gauche abolissant les mesures d’austérité vient de s’éloigner, au moins pour l’instant…

Le soulagement est d’ailleurs générale parmi ceux d’en haut qui nous gouvernent et nous affament. L’euro s’envole, les marchés respirent, Mme Merkel exulte et l’Internationale dite « socialiste » des Papandreou et Hollande se félicite de la « défaite » de ces empêcheurs de tourner en rond nommés Tsipras & Co. Alors, fin du cauchemar qui a vu les cobayes grecs se révolter et occuper le « laboratoire Grèce » ? La réponse est un Non catégorique. Le cauchemar est ici pour y rester et tout indique que le nouveau gouvernement grec sera fragile et faible, miné par ses contradictions internes, la crise qu’il ne maitrise pas et, surtout, par la résistance grandissante du peuple grec…

D’ailleurs, une analyse un peu plus approfondie des résultats électoraux de SYRIZA témoigne des lendemains qui déchantent pour les partisans des plans d’austérité. SYRIZA prend le large dans les tranches d’âge de 18 a 45 ans et s’assure un vrai triomphe dans les grands centres urbains comme le grand Athènes, Le Pirée ou Patras où vit et travaille plus de la moitie de la population grecque. En somme, SYRIZA s’assure le soutien de la population active et jeune tandis que les partisans de la Troïka et de l’austérité (La Nouvelle Démocratie et PASOK) survivent grâce à l’appui de la grande majorité des gens âgés (+ 65 ans) et de la campagne grecque. Une réalité sociale politique de très mauvais augure pour la réaction grecque et ses patrons internationaux si on pense que ce sont exactement ces tranches d’âge et ces populations urbaines qui traditionnellement font l’histoire des pays du Nord…

S’il y a donc une leçon à tirer de ces élections grecques, c’est que SYRIZA domine désormais chez les travailleurs et les chômeurs, la jeunesse et les quartiers populaires, les bastions historiques de la gauche communiste, là où le PC grec (KKE) gardait jusqu’à peu une présence incontestée. Le changement est de taille, il est historique, vue que ce KKE qui dominait SYRIZA jusqu’il y a encore 2-3 mois, est maintenant réduit a une influence électorale marginale (4,5%) après avoir subi une véritable hémorragie de militants et sympathisants au profit de la Coalition de la Gauche Radicale.

A vrai dire, la recomposition de fait du paysage de la gauche grecque est presque totale, si on ajoute une autre, et encore plus grande hémorragie, celle subie par la coalition des organisations d’extrême gauche ANTARSYA au profit toujours de SYRIZA. Etant réduit à un éloquent 0,33% des voix, ANTARSYA doit maintenant tout faire pour éviter que sa crise ne conduit à un dramatique gâchis de milliers de militants révolutionnaires au moment où toute la gauche radicale grecque en a le plus besoin…

Cependant, il serait totalement faux de croire que SYRIZA aura désormais la vie facile, qu’elle peut se prévaloir de la fidélité permanente de ses 2 millions d’électeurs. Au moindre faux pas de sa direction, SYRIZA risque de tout perdre à un temps record car l’écrasante majorité de ses électeurs l’a soutenue non pas pour des raisons « idéologiques » mais pour qu’elle donne –et applique – des solutions radicales à ses problèmes vitaux. C’est pourquoi d’ailleurs, SYRIZA a énormément accéléré sa montée en flèche du moment qu’il a mis comme objectif de sa campagne de gagner les élections et de former un gouvernement de gauche qui allait abroger tout de suite les mesures d’austérité. Et c’est, à l’inverse, pourquoi SYRIZA a perdu, pendant les derniers trois jours de la campagne, son avance – et avec elle les élections – parce que sa direction a tenté d’amadouer ses adversaires en rendant son programme et son discours moins radical.

Attention donc au « faux pas » car les conséquences en seraient maintenant cataclysmiques : ceux qui profiteraient ne seraient pas les ex-grands partis traditionnels, mais les tueurs néonazis « qui sont ici pour y rester ». Pas seulement dans les urnes mais surtout dans les rues où ils multiplient déjà les agressions assassines contre les immigrés et les militants de gauche. Malheureusement, l’impréparation de la gauche grecque devant la peste brune a permis que le serpent néonazi soit désormais bien sorti de son œuf. Il n’est jamais tard que cette gauche grecque se décide au plus vite à affronter le monstre naissant rien que pour assurer sa propre autodéfense…

Tout ça étant dit, il reste à tirer 2-3 grandes leçons de l’expérience de ce SYRIZA formé, il y a bientôt 9 ans, de l’alliance ou plutôt du « mariage » d’un parti réformiste de gauche (Synaspismos) avec une douzaine d’organisations et courants d’extrême gauche. La première leçon est que l’unité est possible. La deuxième que cette unité paye. Et la troisième, que l’unité est possible et payante à condition que c’est une unité fondée sur la radicalité ! Par les temps qui courent, une expérience comme celle de SYRIZA mérite toute notre attention et – évidemment – notre solidarité internationaliste active. Car en Grèce la victoire de la gauche radicale reste possible, et peut n’être que partie remise…

Article à consulter également sur http://www.europe-solidaire.org


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