Troupes belges hors d'Afghanistan!
Par Ataulfo Riera le Mercredi, 10 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Pas un sou, pas un homme pour la sale guerre de Washington!

 

Le gouvernement Leterme, qui se montre incapable de résoudre la crise institutionnelle ou de répondre à l'aggravation de la situation sociale en Belgique, semble par contre d'une efficacité redoutable lorsqu'il s'agit de se mettre au garde à vous devant l'Oncle Sam en envoyant plus de troupes soutenir sa sale guerre en Afghanistan.

Près de 400 militaires belges étaient déployés en Afghanistan jusqu'à l'été et ils viennent d'être notablement renforcés par une centaine d'autres ainsi que par 4 chasseurs-bombardiers F-16. Telle a été la volonté du Ministre va-t-en guerre Pieter De Crem (CD&V), une décision avalisée sans sourciller par le gouvernement Leterme et pratiquement sans réel contrôle ni débat parlementaire ou public digne de ce nom. Coût de l’opération: 30 millions d’euros, un chiffre certainement sous-estimé comme d’habitude et qui représente l’équivalent de la moitié du budget consacré à « l’aide humanitaire » belge en Afghanistan.

L'ex-Ministre PS de la Défense André Flahaux a beau jeu de « s'offusquer » de cette décision, notamment parce qu’elle installe les F-16 dans la région de Kandahar, un fief de la résistance. C'est pourtant sous sa responsabilité que les premières troupes belges ont participé au bourbier afghan et c'est sous son mandat que des F-16 avaient déjà été envoyé là-bas en 2005. Outre ses crises d'amnésie, il doit souffrir de schizophrénie puisque son propre parti participe au gouvernement actuel et partage donc pleinement la responsabilité politique de cette décision. Quant à la critique du choix de la zone d’opération, elle est dérisoire puisque pratiquement aucune région du pays n’est épargnée par le conflit.

Ecolo pour sa part mène une opposition pour le moins discrète à la présence militaire belge en Afghanistan. Sauf via la voix de ses parlementaires, Josy Dubié avant tout, on ne peut pas dire que l'ex-parti pacifiste se mobilise activement sur le sujet. A la différence de la défense du Tibet ou des Birmans, nettement plus consensuelles. Mais les Afghans? Qui s'en soucie? S'agit-il une fois de plus, comme lors de la guerre du Kosovo, de démontrer son caractère de parti « responsable » afin de gagner un ticket d'entrée au pouvoir?

L'envoi de renforts belges dans le cadre des missions de l'ISAF (Force internationale d'assistance à la sécurité, déployée par l'OTAN) intervient pourtant au moment où l'on assiste à une recrudescence des actions militaires de la résistance afghane contre les troupes d'occupation, qu'elles soient sous contrôle de l'OTAN ou plus directement des Etats-Unis. (1)

Le nombre d'attaques des « insurgés » a augmenté de 400% entre 2002 et 2006. (2) En 2007, selon un rapport du Secrétaire général des Nations Unies, quelques 566 « incidents » étaient enregistrés en moyenne chaque mois contre 425 en 2006. D'après les données de l'ONU, 1.115 civils seraient morts au cours des 7 premiers mois de l'année 2008, soit 24% de plus que les 902 victimes enregistrées au cours de la même période précédente. (3) D'après Tim Bogaert de l'ONG Pax Christi, en 2007 l'OTAN a largué 3.500 bombes en Afghanistan, soit plus qu'en Irak (4). De « front secondaire » dans la « lutte contre le terrorisme », l'Afghanistan est en passe de devenir le front principal.

Englués en Irak, les Etats-Unis font flèche de tout bois afin d'y rameuter un maximum de renforts, notamment en « sollicitant » l'augmentation des moyens et des effectifs des pays « alliés ». Avec diligence et servilité, De Crem et le gouvernement Leterme ont donc claqué des talons, bombé le torse, relevé le menton et répondu «présents !».

Une véritable « sale guerre »

La mort de 10 soldats français le 19 août dernier illustre bien qu'il ne s'agit pas d'une simple opération de police contre quelques groupuscules de terroristes isolés. D'ailleurs, à quoi bon peuvent servir des F-16 pour « lutter contre le terrorisme »? Il s'agit donc bien pour eux de participer à une guerre contre-insurrectionnelle de haute intensité dont la cible n'est autre qu'une bonne partie de la population afghane.

Cette dernière participe de manière massive et sous de multiples formes à la résistance à l'occupant: manifestations (fort peu médiatisées ici), actes de désobéissance civile, sabotages et enfin soutien direct ou indirect à la résistance armée qui est en partie composée par les Taleban et ses proches alliés (Al-Qaeda, le Hezb-I-Islami D'Hekmatyar), mais pas seulement. Les médias et les puissances impérialistes utilisent le terme « Taleban » pour recouvrir toutes les formes d'opposition et groupes de résistance, armée ou non, afin d'empêcher toute sympathie envers elles. (5)

La résistance populaire afghane est largement alimentée par les crimes des occupants contre les civils, qui sont les victimes des soi-disant « dommages collatéraux » provoqués par les bombardements d'appareils tels que les F-16. L'ONU a officiellement reconnu le massacre de 96 civils, dont 15 femmes et 60 enfants au cours d'une seule opération de bombardement le 22 août dernier, alors que l'ISAF n'admettait officiellement que la mort de 5 civils.... Les chiffres des victimes sont ainsi systématiquement sous-estimés, ce qui, pour les Afghans, ajoute l'ignominie à l'horreur. Depuis le début de l'occupation étrangère, le bilan dépasse les milliers de morts, de blessés ou de mutilés, certaines sources évoquant le nombre de 20 à 25.000 morts depuis 2001.

Au lieu de s'abriter dans les bases surprotégées de l'ISAF lorsqu'il voyage dans ce pays, De Crem ferait bien mieux d'expliquer directement aux Afghans comment les militaires occidentaux pourraient être là pour les aider et les protéger contre les terroristes alors que chaque jour qui passe ces mêmes militaires tuent leurs enfants.

Les massacres de civils par les bombardements alliés sont tellement fréquents et massifs que le président-marionnette Hamed Karzaï, installé par Washington à Kaboul, s'est cru obligé de protester publiquement en demandant de « renégocier les termes de la présence des forces internationales » afin de « mettre fin aux frappes aériennes visant des cibles civiles, aux perquisitions et aux détentions illégales ». Il faut dire que la popularité du régime en place est pour le moins en berne et que des élections présidentielles auront lieu en 2009 et des législatives en 2010. Rien de tel donc pour un régime aux abois que de tenter de se distancier verbalement de ses encombrants protecteurs. Mais personne n'est dupe, la « présence » étrangère n'est pas remise en cause; « Nous voulons une meilleure coopération dans la lutte contre le terrorisme » (6).

Les opérations militaires menées par les deux coalitions occidentales ressemblent comme deux gouttes d'eau à celles menées en Irak ou dans toutes les sales guerres entre occupants étrangers et résistance nationale qui ont émaillé l’histoire; patrouilles de ratissage, embuscades, attentats, bombardements aveugles, fouilles et destructions des maisons, arrestations arbitraires massives, torture... Sans parler de l'attitude quotidienne des troupes d'occupation. Les militaires US qui circulent à des vitesses folles dans leurs véhicules blindés ont par exemple l'ordre formel de ne pas s'arrêter pour porter secours à un enfant qu'ils ont renversé, même si celui-ci est en danger de mort.

Techniquement et politiquement, la Belgique est donc complice et impliquée jusqu'au cou dans une véritable sale guerre.

Déni démocratique et discours néocolonial

Que vont faire des militaires belges dans une telle galère? Ce n'est certainement pas De Crem et Cie qui nous l'expliqueront en toute franchise. Lorsque le débat sur le déploiement belge en Afghanistan à été mis à l'agenda de la commission du sénat au mois de juin dernier, De Crem a tout bonnement préféré s'éclipser à Kaboul pour répondre à l'invitation d'un général US plutôt que de répondre à un exercice de contrôle démocratique. On ne saurait mieux symboliser où se trouvent ses véritables allégeances.

Quand il n'applique pas la politique de la chaise vide, notre adjudant-ministre De Crem se limite à produire, en étroite complicité avec le Ministre VLD des affaires étrangères Karel De Gucht, une loghorée d'arguments justificatifs qui sentent la naphtaline de la bonne vieille propagande coloniale ou qui ressemble à s'y méprendre à celle de la défunte Union soviétique qui, elle aussi, a dû trouver de pauvres prétextes pour justifier son occupation de l'Afghanistan.

Dans une carte blanche publiée en juillet dernier (7) le tandem De Crem/De Gucht a entre autres affirmé être guidé par de purs principes philanthropiques: « Il est de notre devoir de porter assistance aux citoyens du monde, quel que soit l'endroit où ils sont nés ». Se prennent-ils pour des Che Guevara? En tout les cas, il s'agit d'un « internationalisme » pour le moins à géométrie variable puisque, dans ce cas, à quand le déploiement de F-16 belges dans la Bande de Gaza afin de protéger le peuple palestinien contre le blocus, les bombardements israéliens et pour faire respecter les résolutions des Nations Unies?

Cette dernière organisation est clairement instrumentalisée afin de donner un « verni » suffisamment légitime à l'envoi de troupes belges en Afghanistan; « Notre pays répond ainsi à la demande adressée par les Nations Unies à la communauté internationale de contribuer à la reconstruction » disent-ils. Tout le monde sait que des chasseurs-bombardiers sont un outil indispensable dans la construction...

En réalité, l'ONU n'a jamais demandé explicitement à la Belgique d'envoyer 4 F-16. C'est l'SAF, et donc l'OTAN - et derrière elle les Etats-Unis - qui en ont fait la demande. Lors du départ des renforts belges, De Crem l'a d'ailleurs admis en déclarant que par cet acte la « Belgique veut être un partenaire fiable de l'OTAN ». Que cet organisme hors de tout contrôle démocratique et créé pendant la guerre froide soit l'instrument idéal pour agir en Afghanistan, cette question ne les effleure même pas.

Pour ceux et celles qui se moquent comme de leur première chaussette de « porter assistance aux citoyens du monde », De Crem/De Gucht assènent un argument qui se veut massue; « Notre propre sécurité trouve sa source à l'étranger ». Le sous-entendu est clair; « On se bat en Afghanistan pour que nous soyons en paix ici ». C'est pourtant l'inverse qui est vrai; c'est en participant à des opérations militaires néocoloniales à l'étranger qu'on renforce partout le terrorisme. Les madrilènes et les londoniens en savent quelque chose. « Nous détruisons plus que nous construisons (...) En Afghanistan, on alimente le terrorisme » a ainsi affirmé avec raison le journaliste néerlandais Arnold Karsken lors de son audition par la commission parlementaire de la Défense le 16 juin dernier. (8)

On peut d'ailleurs faire remarquer que, après avoir été chassé du pouvoir en 2001 par les troupes afghanes de l'Alliance du Nord et par l'intervention US, les Taleban étaient restés cantonnés dans quelques fiefs montagneux, isolés et détestés par la majorité des Afghans du fait de leur régime despotique, du caractère ultra-rigide de leur conceptions religieuses et surtout parce qu'ils sont uniquement issus du peuple Pachtoune et ont toujours opprimé les autres composantes nationales (Tadjiks, Hazaras, Ouzbèks, Balouchtes, etc.). Or, sept ans plus tard, les 70.000 soldats occidentaux - et autant de collaborateurs locaux de l'armée et de la police afghanes - ont réussi l'exploit de les faire revenir en force dans plus de la moitié du pays et d'occuper une position importante dans la résistance armée. On ne saurait mieux illustrer que c'est la « guerre contre le terrorisme » elle-même qui alimente et renforce le « terrorisme » .

De manière assez grotesque, nos ministres minimisent la gravité de la situation afghane en affirmant sans rire qu'« En 2007, 70% des incidents de sécurité se limitaient aux districts n'abritant pas plus de 6% de la population ». Ce n'est pourtant pas ce que dit le propre site internet du ministère de De Gucht qui, dans ses « Conseils aux voyageurs » belges en Afghanistan, prévient que « 60% du pays est inaccessible pour les étrangers civils vu le danger extrême ». (9), ce qui est confirmé par des sources de l'ISAF qui admettent que près des deux tiers du territoire ne sont pas sous contrôle.

Toujours dans l'objectif de minimiser leur complicité dans une guerre criminelle, De Crem/De Gucht annoncent que « Ce n'est que dans des situations tout à fait exceptionnelles, « in extremis », que nos F-16 pourraient venir en aide à des soldats alliés en danger de mort, à condition qu'aucun autre soutien ne soit possible ». Le problème c'est que les situations « exceptionnelles » ont tendance à se multiplier et à devenir monnaie courante en Afghanistan.

Le porte-parole de l'ISAF a d'ailleurs sautillé de joie et tapé des deux mains à l'annonce de l'arrivée des F-16 belges en déclarant qu'ils étaient « plus que bienvenus » car « à chaque fois que nos troupes au sol n'arriveront pas à contrer une attaque des rebelles, les F-16 pourront leur venir en aide et tirer ». (10) Le cas de l'embuscade ayant causé la mort des 10 soldats français en est un exemple classique; des appareils de l'OTAN ont effectivement été envoyé pour les soutenir, ont manqué leur cible et tué 15 civils.

Mourir pour un narco-régime fantoche, corrompu et intégriste?

Ce n'est pas non plus pour défendre un « Etat de droit démocratique naissant » qu'on expédie au casse-pipe des militaires belges. Le président afghan Hamed Karzaï n'est qu'un chef d'Etat fantoche installé par la seule volonté de l'Oncle Sam et sous la protection de ses baïonnettes. Au propre comme au figuré puisque, doutant même de la loyauté de sa propre armée, ce sont des « marines » US qui assurent la sécurité de son bunker présidentiel au coeur de Kaboul. Lors de sa visite au parlement canadien en septembre 2006, un parti de gauche a pu révéler, preuves à l'appui, que le brouillon du discours de Karzaï avait été rédigé par des responsables militaires canadiens... (11)

Le curriculum vitae de Karzaï est édifiant; exilé aux Etats-Unis dans les années '90, il y a été employé par la « RAND Corporation » (un think tank néoconservateur) et par la multinationale Unocal, liée au Vice-Président Dick Cheney, qui l'avait mis en avant comme candidat présidentiel afin qu'il garantisse la construction d'un gazoduc d'exportation du gaz de Turkménistan vers le Pakistan en passant par l'ouest de l'Afghanistan. C'est d'ailleurs le refus des Taleban d'accorder les concessions nécessaires à ce projet pendant la période où ils dominaient le pays qui a précipité la fin de leur lune de miel avec Washington.

Issu de l'ethnie Pachtoune comme les Taleban, Karzaï a en outre étroitement collaboré un moment avec eux – il a failli être leur représentant auprès de l'ONU - à l'époque de cette lune de miel. Contrairement aux déclarations matamoresques d'un Sarkozy, selon lequel « on ne négocie pas avec des gens qui coupent les mains des femmes parce qu'elles mettent du verni à ongle » (un bobard créé de toute pièce soit dit en passant), Karzaï quant à lui vient de lancer une campagne de « réconciliation nationale » et il se dit prêt à négocier avec les Taleban et à les faire participer au pouvoir, ce qui a suscité l'approbation immédiate de Washington. Il faut remarquer qu'il ne s'agit pas d'une « première » puisqu'en décembre 2001, une bonne partie des Taleban défaits se sont déjà ralliés à Karzaï et ont depuis pleinement intégré son appareil d'Etat, son armée et sa police. Seule la fraction talebane dirigée par le Mollah Omar poursuit actuellement le combat.

Le grand démocrate Karzaï a été effectivement élu, mais sa campagne a notoirement bénéficié de l'argent de la drogue apporté par son frère Ahmed Wali Karzaï, connu par tous comme l'un des principaux narcotrafiquants du pays. Et les 55% de voix qu'il a obtenus aux élections d'octobre 2004 ne doivent pas faire illusion: outre une importante abstention, la plupart de ces voix ont été directement achetées aux chefs des tribus qui ont fait voter dans le sens voulu tous les membres de leurs clans par un système de « caciquisme » et de clientélisme classique.

Servile envers ses protecteurs occidentaux, Karzaï exerce par contre un régime à poigne contre ses compatriotes et applique un islamisme politique et religieux pur et dur, qui condamne à mort un journaliste de 23 ans coupable d'avoir cité des sourates du Coran favorables aux femmes ou des citoyens qui se sont convertis à une autre religion. Le sinistre et très orwéllien Ministère du Vice et de la Vertu instauré par les Taleban a été rétabli sous le gouvernement Karzaï. De Crem et de De Gucht sont donc pour le moins des hypocrites lorsqu'ils feignent de déplorer « qu'en de nombreux endroits, le droit islamique (la sharia) est encore appliquée » ou lorsqu'ils déclarent qu'il ne faut pas laisser le pays tomber « aux mains des fondamentalistes ». Ils « oublient » de préciser que c'est ce même régime afghan qu'ils soutiennent pleinement qui a adopté une constitution établissant qu'aucune loi ne saurait être contraire à la sharia.

Le parlement afghan quant à lui a été élu par le même type de pratiques que le président et constitue une parodie grotesque du parlementarisme bourgeois. D'après le propre site internet du ministère des affaires étrangères françaises, « La machine parlementaire donne des signes de grippage préoccupants (pauvreté de l’agenda législatif, absentéisme massif des parlementaires, bloquant l’adoption des projets) ». L'agenda législatif, aussi pauvre soit-il, se caractérise tout de même par sa qualité; en mai 2008, le parlement afghan s'est penché sur un projet de loi visant à interdire les t-shirts, la musique forte, les rassemblements publics mêlant hommes et femmes, le billard, les jeux vidéo, le maquillage pour les femmes, la danse en public... (12). Enfin, sa composition a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête puisqu'il s'agit d'un rassemblement hétéroclite de seigneurs de la guerre, de narcotrafiquants, d'anciens Taleban, de djihadistes ou de personnages corrompus issus de l'ancien régime pro-soviétique. Selon Human Right Watch, 70% des membres de ce parlement sont accusés de crimes de guerre…

Parmi les institutions les plus corrompues et inefficaces du régime figurent également la police et la justice, qui ont pourtant bénéficié de bien des efforts de la « communauté internationale » à leur mise sur pied. Un rapport de l'ONU établi que « La corruption et le clientélisme semblent toucher la police de manière particulièrement grave ». Le jugement sur la Justice est encore moins nuancé puisqu'elle souffrirait « de corruption institutionnalisée ». Une résolution du Parlement européen estime que le système judiciaire « n'est toujours pas capable de garantir des procès équitables » et que la police n'est pas précisément caractérisée par son respect des droits de l'Homme.

Il faut souligner que cette question sert de prétexte à l'Union européenne en tant que telle pour prendre pleinement pied dans l'occupation du pays et participer à la guerre puisque depuis le mois de juin 2008 une mission « EUPOL-Afghanistan » a été lancée; 190 policiers européens étant mis à pied d'oeuvre afin de « réformer » la police afghane.

Emanciper les femmes afghanes, vraiment?

Pour De Crem, « Les femmes afghanes subissaient le mépris (avant l'occupation occidentale) ». L'argument de la « défense du droit des femmes contre l'obscurantisme des Taleban » revenant régulièrement sur le tapis, il est important de savoir que le régime protégé par les forces occidentales enferme des femmes, souvent très jeunes, à près de 20 ans de prison pour « activités sexuelles interdites », c'est à dire pour adultère ou parce qu'elles ont été violées! Dans un reportage publié par le journal The Independant, un haut responsable régional du régime a pleinement assumé ces enfermements en affirmant qu'il s'agissait « d'une bonne chose » puisque « la relation sexuelle hors mariage est un crime, que cette relation soit forcée ou non ». (13)

Un rapport de l'ONU publié en novembre 2007 (14) indique que 30% des femmes sont en prison « pour des infractions qui ne sont pas de nature pénale » et qu'une autre « tranche de 30% » sont détenues pour adultère. Autrement dit, 60% des femmes emprisonnées n'ont commis aucun crime. Ajoutons encore que, s'il ne les applique pas directement, le régime tolère sans réagir les lapidations, les coups de fouets, le fait que 60% des mariages sont forcés et que 57% des épouses ont moins de 16 ans.

Le droit à la scolarisation des femmes a bel et bien été reconnu, on exige d'elles une tenue un peu moins stricte que la burqua et elles ont également le droit d'accéder à un travail et à des fonctions politiques. Mais tous ces droits restent largement virtuels pour l'immense majorité des femmes afghanes du fait de la misère, des inégalités sociales, de la violence exercée à leur égard et de l'absence de volonté manifeste des autorités d'appliquer réellement ces droits. Ainsi, les femmes peuvent effectivement travailler, mais seulement si quelqu'un leur offre un emploi et beaucoup de familles ne scolarisent pas leurs enfants par manque de moyens ou par peur de la violence.

De Crem ose affirmer que « 5 millions d'enfants dont 38% de filles vont désormais à l'école ». Ce n'est pas l'avis d'Oxfam International qui estime que seulement 1 fille sur 5 fréquente l'école primaire et 1 sur 20 le secondaire (15). Rien n'est fait non plus pour l'alphabétisation des femmes plus âgées, ce qui fait qu'à peine 14% des femmes de plus 15 ans savent lire et écrire. Le régime de Karzaï ne fait rien non plus pour assurer la sécurité des femmes contre les nombreux meurtres et rapts, qui restent largement impunis, et dont le nombre est plus élevé que sous les Taleban.

L'oppression et l'impunité sont telles que le nombre de suicides de femmes par immolation est en augmentation constante, tout comme celui des prostituées ou des toxicomanes. Bref, dans la pratique, pour les femmes afghanes, la différence avec le régime des Taleban est plutôt mince. Comme l’a dénoncé avec force et courage la députée féministe et socialiste afghane Malalai Joya ; « Le gouvernement américain a effectivement renversé le régime des Talibans, avec son esprit médiéval et ses maîtres d’Al Quaeda. Mais ils ont permis à l’Alliance du Nord d'accéder à nouveau au pouvoir. Ce groupe ressemble aux Talibans sur le plan des croyances, et est aussi brutal et anti-démocratique que les Talibans. Parfois encore pire. (...) Lorsque le pays tout entier vit à l’ombre des armes à feu et des seigneurs de la guerre, comment ses femmes peuvent-elles jouir des libertés les plus fondamentales ? Contrairement à la propagande diffusée par certains médias dans l’Ouest, les hommes et les femmes en Afghanistan n’ont pas été “libérés” du tout. (16)

En réalité, l’émancipation des femmes afghanes est tout bonnement impossible sous l'occupation occidentale car cette dernière, pour asseoir sa domination et trouver des collaborateurs, s'est étroitement associée à des élites et des secteurs plus réactionnaires les uns que des l'autres.

Les fruits amers de la « reconstruction »

Après 7 années de « reconstruction », aucun des besoins élémentaires de la population tels que le logement, l'eau, la santé, les transports ou l'électricité n'ont été satisfaits. Une résolution du Parlement européen reconnaît que « les conditions de vie d'une partie considérable de la population afghane ne se sont pas améliorées ». (17)

Contrairement aux affirmations de nos ministres, le système de santé est déplorable et fait que « Le pays affiche le deuxième taux de mortalité le plus élevé chez les nourrissons, après le Sierra Leone, avec 165 décès pour 1000 naissances vivantes selon un rapport de l'UNICEF de juin dernier. » (18). L'espérance de vie reste inférieure à 45 ans.

De Crem claironne avec satisfaction que « 4 millions de réfugiés afghans sont rentrés dans leur pays » alors que le chiffre exact est de 3,69 millions. Mais surtout, il « oublie » de signaler qu'ils s'entassent dans des conditions déplorables dans les bidonvilles de Kaboul et d'ailleurs et que 3,5 millions d'exilés croupissent toujours dans des camps au Pakistan et en Iran.

Malgré tous les beaux discours sur la soi-disant « reconstruction » du pays, cette « oeuvre humanitaire » s'est surtout limitée à la remise en état des routes, des bâtiments et des communications nécessaires aux déplacements et au logement des occupants et de leurs collaborateurs locaux ou à quelques parties de Kaboul.

Nettement insuffisante - bien loin du « Plan Marshall » promis par Bush en 2001 – l'aide internationale est en outre souvent conçue uniquement dans l'intérêt des entreprises étrangères et non pour satisfaire les besoins sociaux. Les téléphones mobiles ne constituent pas exactement un bien de première nécessité; or on en trouve partout et c'est la compagnie privée de téléphonie mobile « Roshan », constituée par des capitaux de multinationales occidentales, qui est la principale entreprise « nationale », le principal employeur (800 travailleurs) et le premier investisseur du pays. (19)

On peut également mesurer l'efficacité de la « reconstruction » du pays au regard de la situation sociale et économique. Plus de la moitié des Afghans vivent en dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 40%. La misère extrême est inouïe et devient aujourd'hui plus aiguë encore du fait de l'actuelle hausse des prix énergétiques et alimentaires. Le salaire moyen d'un travailleur est de 20 dollars alors que la location d'une maison peut s'élever à 100 dollars.

La question du logement figure parmi les plus dramatiques, avec les milliers de maisons de détruites par les guerres successives et les millions de déplacés et réfugiés qui s'entassent dans les villes. Tandis que la nouvelle élite se construit des palaces luxueux avec les fonds et le matériel détournés de l'aide internationale - et sous la protection des troupes occidentales - plus de 1.000 personnes sans-abri sont mortes de froid au cours de l'hiver 2007-2008 . (19)

Dans leur exercice de « State building », les occupants impérialistes appliquent bien entendu les recettes néolibérales les plus chimiquement pures, rejetant toute politique de subsides ou de création de services publics étendus et accessibles à tous. De ce fait, aucune aide publique massive pour l'industrie ou l'artisanat, aucun subside (sans même parler d'une réforme agraire avec redistribution des terres à la clé) en faveur de l'agriculture. Or, ce secteur, qui occupe 85% de la population, a également été ravagé par les guerres ou les sécheresses et est extrêmement inégalitaire dans sa répartition. Pour pouvoir survivre, 14,3% des Afghans se consacrent à la culture du pavot et à la production de l'opium. Le pays produit ainsi aujourd'hui 93% de la production mondiale d'opium, ce qui représente une manne équivalente à 70% du PIB afghan!

Les déclarations de De Crem/De Gucht selon lesquelles il ne faudrait pas « abandonner » ce pays « aux producteurs de drogues » prennent ainsi une étrange résonnance puisque c'est précisément depuis l'occupation (la culture du pavot était interdite sous les Taleban) que la production d'opium a littéralement explosée, progressant sans cesse année après année: 6.100 tonnes en 2006, 8.200 tonnes en 2007, soit +35% en un an. (20).

Tolérée par les occupants - surtout étatsuniens - encouragée par les élites fantoches, les seigneurs de la guerre locaux et de purs narcotrafiquants qui engrangent l'essentiel des profits, la production de drogue ne laisse aux paysans que les restes de cette manne. Et ils sont les seuls victimes des quelques velléités d'éradication de la part troupes occupantes puisque ces dernières pratiquent la fumigation chimiques des champs de pavot, mettant en danger la santé des populations et plongeant dans la ruine des paysans pauvres endettés jusqu'au cou.

Le résultat final est que, pour le Programme des Nations Unies sur le Développement, l'Afghanistan figure toujours tout en bas du classement, à la 172e place sur 177. Avec un tel rythme de « reconstruction », il faudra attendre plusieurs siècles avant que l'Afghanistan ne sorte des rangs des pays les plus sous-développés du monde !

Face à un bilan aussi désastreux, on ne peut s'empêcher de penser que les choses auraient pu être sensiblement distinctes si les 173 milliards de dollars dépensés par les Etats-Unis en 7 ans de guerre dans le pays avaient été employé pour satisfaire réellement les besoins sociaux de la population - et sous le strict contrôle démocratique de celle-ci. Pour les Afghans, la misère, les inégalités sociales – surtout au regard de la corruption des élites et du train de vie des occupants occidentaux -; les besoins non satisfaits malgré les belles promesses, tout cela contribue à renforcer la résistance et à décridibiliser définitivement le gouvernement Karzaï et ses soutiens occidentaux.

Troupes belges hors d’Afghanistan !

Les troupes belges en Afghanistan ne sont que de vulgaires forces supplétives de l'armée US en soutien à un régime fantoche, corrompu et non-démocratique. Leur présence ne contribue pas à la sécurité des peuples afghans, elle l'empire, tout comme elle renforce la montée des intégrismes et empêche toute réelle amélioration de la situation des Afghans par les Afghans eux-mêmes.

Leur seule contribution est d'aider à la principale mission qui motive l'impérialisme US; le contrôle d'une région stratégique (le pays est un carrefour entre l'Iran, la Chine et l'Asie centrale et ses richesses en hydrocarbures); la défense des intérêts de quelques multinationales et les profits du complexe militaro-industriel qui se frotte les mains à chaque fois qu'une bombe ou un missile à 1 million de dollars la pièce y est employé. En échange de leur participation et du sang versé par leurs soldats dans le bourbier afghan, les gouvernements européens espèrent bien sûr recueillir de Washington quelques miettes du gâteau pour leurs propres capitalistes.

L'histoire nous apprend depuis toujours qu'on n'impose pas la « démocratie » à un peuple contre sa volonté et à la pointe des fusils. Encore moins en occupant son pays, en rasant ses maisons, ses cultures et en massacrant des familles innocentes entières afin d'assurer sa « sécurité ». L'indépendance et la liberté du peuple afghan sera conquise par le peuple afghan lui-même avec comme seule « intervention étrangère » la solidarité active du mouvement ouvrier, des mouvements populaires et sociaux du monde entier. La LCR exige donc le retrait immédiat des troupes belges et étrangères hors d'Afghanistan et appuie toutes les nécessaires mobilisations unitaires qui iront dans ce sens.

Notes:

(1) A l'origine, l'ISAF n'était qu'une mission de maintien de paix limitée à Kaboul et déployée sous la seule responsabilité des Nations Unies, elle ne comptait que quelques milliers d'hommes. Sous la pression des Etats-Unis, en 2003, l'OTAN en a pris le contrôle et en 2005 son mandat a été considérablement élargi afin que l'ISAF collabore pleinement aux opérations militaires menées par les troupes US de « l'Opération Liberté Immuable ». Il s'agit là d'un précédent dangereux qui permet à l'OTAN de « légitimer » sa première opération de guerre hors de ses limites « naturelles ».

(2) The State of the Afghan Insurgency » Seth G. Jones, Testimony presented before the Canadian Senate National Security and Defence Committee on December 10, 2007, RAND Corporation, http://www.rand.org/pubs/testimonies/2007/RAND_CT296.pdf

(3) El Pais, 07 septembre 2008, http://www.elpais.com/articulo/internacional/

Afganistan/hunde/caos/elpepuint/20080907elpepiint_3/Tes

(4) Le Soir du 17 juin 2008 http://www.lesoir.be/actualite/monde/

afghanistan-le-parlement-2008-06-17-607201.shtml

(5) C'est un secret de polichinelle que leur résurrection est également due au soutien matériel et financier massif qu'ils bénéficient de la part des services secrets pakistanais. Leurs sanctuaires, leurs principales bases d'entraînement et arsenaux se trouvent essentiellement au Pakistan, allié de Washington mais puissance impérialiste et nucléaire régionale ayant ses propres intérêts. Islamabad utilise les Taleban afin de garder en main une carte à jouer dans le « Grand Jeu » géostratégique régional ainsi que pour déstabiliser le régime afghan qui s'est étroitement associé avec l'Inde rivale. S'ils le voulaient réellement, les Etats-Unis pourraient aisément liquider définitivement les Taleban en supprimant leurs bases arrières, et cela en exerçant la pression nécessaire sur le Pakistan. Même des collaborateurs afghans des Etats-Unis doutent désormais publiquement de la volonté de Washington d’éradiquer les Taleban puisque cela supprimerait le principal prétexte à leur présence dans le pays.

(6) Dépêche AFP du mercredi 27 août 2008

(7) Le Soir 7 juillet 2008 http://www.lesoir.be/forum/cartes_blanches/

carte-blanche-pourquoi-la-2008-07-02-612316.shtml

(8) http://www.diplomatie.be/fr/travel/countrydetail.asp?COUNTRYID=76

(9) Le Vif/Belga, 28 août 2008

(10) Le Soir, mardi 17 juin 2008.

(11) http://www.cyberpresse.ca/article/20070925/

CPACTUALITES/70925221/1019/CPACTUALITES

(12) http://www.canoe.com/infos/chroniques/richardmartineau/

archives/2008/06/20080604-070701.html

(13) http://www.independent.co.uk/news/world/asia/

the-afghan-women-jailed-for-being-victims-of-rape-900658.html

(14) http://www.parl.gc.ca/information/library/PRBpubs/prb0726-f.htm

(15) http://www.csotan.org/textes/texte2.php?theme=F&art_id=396

(16) http://fr.wikipedia.org/wiki/Malalai_Joya

(17) « Résolution du parlement européen du 8 juillet 2008 sur la stabilisation en Afghanistan »

http://www.europarl.europa.eu/news/expert/infopress_pag

e/030-33588-189-07-28-903-20080707IPR33587-07-07-2008-2008-true/default_fr.htm)

(18) http://www.csotan.org/textes/texte2.php?theme=F&art_id=396

(19) http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo_833/

afghanistan_529/presentation-afghanistan_919/economie_7025.html

(20) Idem

(21) Idem

Voir ci-dessus