Quelques remarques historiques pour comprendre les révolutions arabes de 2011
Par Rashid Khalidi le Jeudi, 28 Avril 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le printemps révolutionnaire arabe a surpris les populations concernées elles-mêmes et à l'étranger. Que ce soit une certaine gauche sloganesque et superficielle, qui ne parvient pas à se défaire de schémas anti-impérialistes archaïquement nationalistes et étatistes, jusqu'à la droite pro-impérialiste, divisée dans ses buts et ses intérêts, déconcertée face à la contestation politique et sociale de grande portée à laquelle nous assistons. Rashid Khalidi, le grand spécialiste de l'histoire du Proche Orient et héritier du marxisme internationaliste du regretté Edward Saïd, nous offre dans ce texte une réflexion très intéressante pour comprendre de manière critique ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe (LCR-Web)

Vers la fin de sa longue et riche vie, en 1402, le célèbre historien arabe Ibn Khaldoun se trouvait à Damas. Il n'a pas laissé de description du siège de la ville par Tamerlan ni de sa rencontre avec le conquérant du monde. Aucun d'entre nous ne peut se comparer à Ibn Khaldoun, mais tout historien arabe qui observe en 2011 les révolutions en cours sera cependant saisi par le même sentiment de stupeur admirative qu'a du ressentir notre ancêtre: nous assistons à un bouleversement du monde de grande amplitude.

Il se peut que ces événements soient sans précédent dans l'histoire arabe moderne. De fait, des régimes despotiques solidement au pouvoir depuis plus de 40 ans apparaissent comme vulnérables. Deux d'entre eux – à Tunis et ensuite au Caire – se sont effondrés sous nos yeux en quelques semaines. Les vieillards qui dominaient la situation ont subitement révélé leur âge véritable; la distance qui les séparait de leurs populations, nées plusieurs décennies après eux, n'a jamais été si grande. Une situation politique apparement gelée a fondue comme neige au soleil à la chaleur de l'insurrection populaire.

Nous sommes les témoins privilégiés d'un de ces rares moments dans l'histoire universelle dans lequel les vérités les plus établies et solidifiées s'évanouissent alors que de nouvelles forces et potentialités surgissent. Peut être pourrons-nous dire un jour ce que disait Wordsworth de la Révolution française: « Ce fut une grande chance d'être encore en vie pour assister à cette aurore, mais être jeune, c'était être le ciel lui-même ».

Ces révolutions sont faites par de simples gens qui exigent la liberté, la dignité, la démocratie, la justice sociale, la responsabilité et le respect des droits. On a pu voir que les jeunes arabes ont les mêmes espoirs et idéaux que les gens qui ont contribué aux transitions démocratiques en Europe de l'Est, en Amérique latine ou en Asie. Ces voix ont seulement supris ceux qui s'accordaient avec la propagande de ces régimes ou des médias occidentaux, centrés de manière obsessive sur le fondamentalisme religieux et le terrorisme islamique dès qu'il s'agissait du Proche Orient.

Ainsi, il s'agit d'un moment important, non seulement pour le monde arabe, mais aussi pour la manière dont les arabes sont vus par les autres. Un peuple systématiquement disqualifié depuis des décennies par l'Occident est aujourd’hui en première ligne sous les projecteurs d'une lumière positive.

Rien n'est encore décidé dans ces révolutions arabes. Et les tâches les plus complexes sont encore devant nous. Cela a été difficile d'abattre un tyran intouchable et son entourage, à Tunis comme au Caire. Mais il sera encore plus difficile de renverser complètement le régime et de construire un système démocratique qui fonctionne. Et ce sera une tâche herculéenne pour un nouveau régime démocratique et populaire d'atteindre la justice et l'égalité sociales, le développement économique, un enseignement et du travail de qualité, un logement digne et toutes les infrastructures publiques nécessaires. Les vieux régimes ont tous échoués dans ces domaines: en Égypte, ceux qui vivent avec moins de 2 dollars par jour sont passé de 39% à 43% de la population dans la dernière décennie du règne de Moubarak.

Un échec dans l'accomplissement de ces tâches herculéennes pourrait bien ramener au pouvoir les forces ténébreuses de la réaction et de la répression: la contre-révolution arabe est, en effet, active en Libye, au Bahreïn et ailleurs. Cet échec pourrait également provoquer un chaos tel qu'en Irak depuis l'occupation étatsunienne. Et nous ne devons jamais oublier que l'on parle du Proche Orient, la région la plus convoitée du monde, celle qui est la plus influencée par des intérêts étrangers. Elle est vulnérable, comme elle le fut tout au long de son histoire, à une intervention étrangère qui pourrait facilement distordre les résultats.

Malgré tout, ce qui a commencé à Tunis et au Caire a ouvert des horizons qui, depuis très longtemps, semblaient fermés. C'est toute l'énergie, le dynamisme et l'intelligence de la jeune génération dans le monde arabe qui s'est libérée, après avoir été réprimée par un système qui la traitait avec mépris et qui concentrait le pouvoir entre les mains d'une génération beaucoup plus âgée. Comme sortis du néant, les jeunes ont montré une confiance, une sécurité et un courage tels qu'ils ont fait trembler les régimes policiers les plus craints, autrefois considérés comme invincibles.

Mais, n'y a-t-il vraiment aucun précédent similaire à cette insurrection révolutionnaire? Le monde arabe a été le théâtre de soulèvements et de révoltes tout au long de son histoire moderne. Pendant l'occupation napoléonienne, la population du Caire s'est révoltée de manière répétée, parvenant de manière provisoire à libérer la ville en 1800.

L'Égypte s'est à nouveau rebellée contre la domination étrangère dans les années qui ont suivi 1882; elle s'est révoltée contre les Britanniques lors de la grande révolution de 1919 et à nouveau en 1952. Pendant la révolte syrienne de 1925-1926, expulsés de Damas, les Français ont sauvagement bombardé la ville. Les exemples abondent: la résistance libyenne contre les Italiens, qui a commencé en 1911 et a duré plus de 20 ans; la révolution irakienne de 1920; celle du Maroc en 1925-1926; la révolte palestinienne de 1936-1939: tous ces épisodes ont déclenché une campagne de répression coloniale féroce. Ils ont marqué le début d'un sombre chapitre de l'histoire humaine; la première utilisation de l'aviation de bombardement contre des civils a eu lieu en Libye en 1911 et la première utilisation de gaz contre des civils eu lieu en Irak en 1920.

Mais alors, qu'est-ce qui distingue le soulèvement révolutionnaire actuel dans le monde arabe de ces nombreux précédents? L'une des différences apparentes c'est qu'en Tunisie, en Égypte, au Bahreïn et ailleurs, les choses se sont passées, jusqu'à présent, de manière relativement pacifique. « Silmiyya, silmiyya », chantaient les masses sur la Place Tahrir. Mais ce fut également le cas dans de nombreux soulèvements arabes dans le passé; bon nombre d'épisodes des longues luttes égyptiennes et irakiennes pour mettre fin à l'occupation militaire britannique; les révoltes syriennes, libanaises, marocaines et tunisiennes pour en finir avec l'occupation coloniale française, sans parler de la première Intifadah contre l'occupation israélienne entre 1987 et 1991. Les tactiques « non violentes » amplement utilisées lors des récents soulèvements en Égypte et ailleurs ne constituent pas une nouveauté dans les révoltes arabes, qui ont une longue et dense histoire de protestations non violente ou, du moins, non armée.

On a également dit que ce qui distingue ces révolutions d'autres dans le passé dans le monde arabe c'est qu'aujourd'hui elles se centrent sur la démocratie et le changement constitutionnel. Il est vrai que cela constitue des revendications centrales. Mais cela aussi n'est pas une nouveauté historique. Il y a eu une effervescence constitutionnelle soutenue en Tunisie et en Égypte à la fin des années 70 du XIXe siècle, sous l'occupation britannique et française de ces pays, en 1881 et 1882. Des débats analogues ont mené à l'adoption d'une constitution dans l'Empire Ottoman en 1876, avec des discussions qui se sont poursuivies, avec quelques interruptions, jusqu'en 1918. Tous les régimes qui ont succédé à l'Empire Ottoman ont été profondément influencés par cette expérience constitutionnelle mouvementée. En 1906, l'Iran instaure un régime constitutionnel, bien qu'il fut très vite éclipsé. Dans la période de l'entre-deux-guerres et postérieurement, les pays semi-dépendants et indépendants du Proche Orient ont généralement été gouvernés par des régimes constitutionnels.

Il s'agissait, en tous les cas, d'expériences constitutionnelles qui ont échouées face aux énormes obstacles constitués par les intérêts des puissants, de l'autoritarisme des dirigeants et de l'analphabétisme et de la misère qui régnaient dans les masses. Au final, des nombreux problèmes auxquels s'affrontaient ces sociétés, bien peu furent résolus. Mais les échecs survenus dans les tentatives d'établir des régimes constitutionnels durables ne s'expliquent pas seulement par ces facteurs internes. C'est également parce que ces régimes furent systématiquement sabotés par les puissances occidentales, dont les ambitions étaient freinées par des parlements démocratiques et une, bien que petite, presse d'opinion publique qui insistait sur la défense de la souveraineté nationale et sur une juste répartition des richesses.

À partir de la fin du XIXe siècle, ce schéma va se répéter. Loin de venir en aide aux gouvernements démocratiques du Proche Orient, les puissances occidentales se sont au contraire employées à les saboter et à conspirer avec les élites locales anti-démocratiques, préférant traiter avec des autocrates soumis à leurs intérêts et bien disposés à la corruption.

De tout cela découle que leur nature démocratique ne constitue pas la nouveauté historique des soulèvements révolutionnaires de 2011. Les révolutions qui ont eu lieu entre 1800 et les années 50 du XXe siècle visaient prioritairement à mettre fin à l'occupation étrangère. Ces révolutions de libération nationale ont finalement expulsé les vieilles puissances coloniales et leurs bases militaires dans la majorité du monde arabe. De ces révolutions sont nés des régimes nationalistes qui se maintiennent encore au pouvoir en Algérie, Libye, Soudan, Syrie et Yémen. Celui d'Irak a été renversé par une invasion et une occupation qui ont laissé un pays dévasté. Ce n'est qu'en Tunisie et en Égypte, pour l'instant, qu'ils ont été abattus par leurs propres peuples, un résultat, cependant, qui est encore loin d'être consolidé.

Ce qui distingue réellement les révolutions de 2011 avec celles du passé, c'est qu'elles signifient la fin de la vielle période de lutte de libération nationale contre la domination coloniale et qu'elles sont, aujourd’hui, avant tout centrées sur les problèmes internes des sociétés arabes. Il faut rappeler que c'est pendant la Guerre froide que le vieux colonialisme classique a disparu, cédant la place à une forme plus sournoise d'influence extérieure, d'abord de la part des deux super-puissances et, au cours des vingt dernières années, de la part des États-Unis seulement. Tout le système régional arabe a été modelé par cette hyper-puissance, dont le soutien était crucial pour la survie de la majorité des régimes dictatoriaux qui tremblent aujourd’hui sur leurs bases face à leurs peuples.

Bien que ce facteur extérieur est toujours présent en arrière-fond, il n'en est pas moins exact que la source des révolutions de 2011 est centrée sur les problèmes internes, dans la démocratie, les constitutions, les libertés et l'égalité.

Il y a cependant une autre revendication caractéristique des révolutions de 2011. C'est celle de la dignité. Et cela doit se comprendre dans deux sens; la dignité des individus et la dignité collective, celle du peuple et de la nation. L'exigence de dignité individuelle est aisément intelligible. Face à de terribles États policiers qui écrasent les individus, c'est une exigence naturelle. Les violations incessantes des droits humains perpétrés par ces États autoritaires contre la dignité de tous et de chacun des citoyens arabes, ainsi que les déclarations méprisantes des dirigeants, ont été à ce point internalisées qu'elles ont généré une véritable pathologie sociale. C'est à la source de la négation de la dignité individuelle par ces régimes que s'exprimait, entre autres choses, les tensions religieuses sectaires, les agressions sexuelles fréquentes envers les femmes, la criminalité, et une incivilité corrosive éloignée de tout esprit public.

L'un des pires aspects de ces régimes arabes autoritaires, mis à part leur négation de la dignité individuelle, c'est le mépris affiché par les dirigeants envers leurs peuples. À leurs yeux, le peuple est immature, dangereux et incapable de démocratie. Le ton paternaliste et patriarcal de Moubarak dans ses derniers discours caractérise à la perfection ces régimes: c'est le même ton que nous entendons aujourd’hui dans la bouche de Kadhafi, qui dit tout haut ce que les autres autocrates de la région pensent aujourd’hui tout bas: que leurs peuples sont facilement trompés et menés comme du bétail, autrement dit qu'ils n'ont aucune dignité.

Ce qui nous amène à l'exigence de la dignité collective qui a été mise en avant par les révolutions de 2011. L'absence d'un sentiment de dignité collective dans le passé a beaucoup à voir avec la situation dans le monde arabe, l'une des rares régions qui n'a pas été affectée par des transitions démocratiques au cours de ces 30 dernières années. Mais, subitement, les arabes ont démontré qu'ils ne sont pas différents des autres. Ces révolutions ont créé un sentiment de dignité collective qui a été bien illustré par l'orgeuil montré par les Tunisiens et les Égyptiens après la chute de leurs tyrans respectifs. « Lève la tête, tu es un Égyptien! » chantaient les masses sur la place Tahrir. C'était la dignité collective du peuple égyptien et, avec elle, celle du peuple arabe dans son ensemble, qui s'affirmait ainsi.

Et cela met également en lumière le rôle des États-Unis et de leur protégé, Israël, dans la région. Derrière les beaux discours, les régimes policiers arabes ont bénéficié des équipements et de l'entraînement des puissances européennes et états-uniennes. Des bombes lacrymogènes « made in USA » ont été utilisées à profusion contre les manifestants à Tunis ou au Caire, comme ce fut le cas également il y a quelques années contre les manifestants palestiniens de villages tels que Bil'in dans la Bande Gaza. Les gardes-chiourmes de Ben Ali et de Moubarak entretenaient de parfaites relations avec les services secrets des États-Unis et des pays européens. Ce que représentait réellement le soutien occidental à la « satibilité » dans la région, c'était le soutien à la répression, à la corruption, à la frustration des revendications populaires et à la subversion de la démocratie. Cela signifiait aussi la subordination des pays arabes aux diktats de la politique états-unienne et aux exigences d'Israël. L'exigence de dignité collective est un appel à mettre fin à cette situation.

Les révolutions arabes de 2011 posent de nombreuses questions. Après une nuit qui semblait sans fin, c'est un souffle de libération qui parcourt le monde arabe et il est impossible de dire encore s'il parviendra à persister suffisament longtemps que pour surmonter les terribles problèmes structurels de ces pays et mettre en déroute les forces de la réaction qui luttent pour préserver le statu quo. Bien que les élites aient été rudement secouées en Tunisie et en Egypte par la vague révolutionnaires, elles ne céderont pas facilement leurs privilèges. En outre, d'autres élites encore au pouvoir font tout leur possible pour freiner cette vague.

La question clé est de savoir si ce qui a commencé en Tunisie et en Égypte a un potentiel suffisant que pour mettre à bas d'autres tyrannies. Au-delà de toutes les ressemblances entre leurs régimes, chaque pays arabe est différent d'un autre. Les populations de bon nombre d'entre eux, surtout en Jordanie, Algérie, Yémen, Bahreïn et Irak, sont moins homogènes que celles d'Égypte et de Tunisie et sont traversées par des segmentations ethniques, régionales ou religieuses que les classes au pouvoir peuvent utiliser pour « diviser pour régner ». Et dans certains cas, notoirement ceux de l'Algérie, de l'Irak et de la Jordanie, il existe une mémoire des affrontements civils pugnaces qui, encore tout récemment, ou moins récemment, ont dégénérés dans le sang dans ces sociétés, ce qui pourrait inhiber aujourd’hui la protestation populaire. Tous ces facteurs ont été mis en branle par les forces réactionnaires arabes, qui opèrent au-delà des frontières, afin de soutenir les systèmes anti-démocratiques et discriminatoires.

Mais en dépit de cela, le nouvel esprit qui a enflammé le monde arabe s'est révélé contagieux, et les exigences démocratiques face aux pouvoirs en place qui ont débuté en Tunisie et en Égypte s'entendent désormais au Maroc, en Algérie, au Soudan, en Syrie, au Yémen, en Irak et dans les pays du Golfe. Le slogan le plus utilisé par les révolutionnaires tunisiens et égyptiens est repris aujourd’hui de l'Atlantique jusqu'au Golfe Persique: « Al-sha’b yurid isqat al-nizam » (« le peuple veut la chute du régime »).

Quel que soit le résultat, ce qui se passe aujourd’hui est une confirmation spectaculaire, non pas des aspirations communes de liberté et de dignité de toute une génération de jeunes arabes, mais bien de l'existence d'une sphère publique arabe commune. Bien que cela soit du en bonne partie aux moyens de communication modernes, ce serait une erreur que de la réduire exclusivement aux spécificités de la technologie, qu'il s'agisse de Facebook, de Twitter, des téléphones portables ou de la télévision par satellite. Cette sphère publique commune existait déjà dans le passé, reposant alors sur des technologies plus anciennes, comme la presse écrite ou la radio. Comme c'est le cas dans toute révolution, cette dernière n'est pas le résultat de la technologie, mais bien des luttes sociales, celles menées par des syndicalistes, des groupes de femmes, des activistes pour les droits de l'Homme, des islamistes, des intellectuels, des combattants pour la démocratie et de nombreux autres, qui ont payé très cher leurs idéaux. S'il y a quelque chose de radicalement nouveau, ce sont les formes capilaires et non hiérarchisées d'organisation qui se sont développées dans bon nombre de ces groupes.

Ce nouveau moment historique au Proche Orient rend les choses plus difficiles pour Washington, Tel Aviv et pour les capitales arabes: ils ne peuvent plus continuer comme avant leur vieilles affaires. Le régime de Moubarak était un pilier central tant pour la domination régionale états-unienne que pour celle d'Israël, et il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de le remplacer totalement. Les autres pouvoirs absolutistes arabes, même s'ils parviennent à se maintenir en place, ne pourront pas continuer à ignorer l'opinion publique comme ils l'ont invariablement fait dans le passé. Les politiques impopulaires qui tendaient à se soumettre aux directives de Washington dans sa guerre froide contre l'Iran ou dans sa protection d'Israël face à n'importe quelle pression hostile à la colonisation et à l'occupation armée du territoire palestinien, seront de plus en plus difficiles à imposer. Le poids de l'opinion publique dans la détermination de la politique extérieure des États arabes est encore à venir. Mais on peut raisonnablement s'attendre à ce que l'époque où les tyrans pouvaient l'ignorer et s'accomoder du traitement brutal infligé par Israël au Palestiniens est définitivement révolu.

Personne à Washington ne peut se sentir confiant dans la poursuite de la soumission complaisante à Israël et aux États-Unis des régimes arabes, ce qui constituait l'un des traits clés de l'ordre dominant qui s'était figé dans la région et qui se voit aujourd’hui partout remise en question. Ce qui viendra la remplacer sera déterminé dans les rues, – et non dans les cyber-cafés – dans les syndicats, dans les journaux libéré de la censure, dans les groupes de femmes et dans les foyers de millions de jeunes. Ces derniers ont déjà fait savoir qu'ils ne tolèrent plus d'être traités avec le mépris qu'on affiché au cours de toute leur vie les gouvernements en place. Ils l'ont annoncé: le peuple veut la chute du régime. Ce qui veut dire les régimes qui, dans chacun des pays arabes, ont volé la dignité de leurs citoyens. Mais ils veulent dire aussi: un régime en tant que système d'ampleur régionale, dont la pierre de touche a été la soumission humiliante aux diktats des États-Unis et d'Israël et qui volait à tous les arabes leur dignité collective.

Rashid Khalidi est professeur à la « Chaire Edward Said d'études arabes » à l'Université de Columbia (New York). Il a enseigné à l'Université du Liban, à l'American University de Beyrouth, à la Georgetown University et l'Université de Chicago. Il a été président de l'Association d'études sur le Proche Orient. Khalidi est l'auteur de six livres: « Sowing Crisis: American Dominance and the Cold War in the Middle East » (2009); « The Iron Cage »: « The Story of the Palestinian Struggle for Statehood » (2006); « Resurrecting Empire: Western Footprints and America’s Perilous Path in the Middle East » (2004); et « Palestinian Identity: The Construction of Modern National Consciousness » (1997; réédité en 2010). Il est l'auteur de plus de cent articles sur l'histoire du Proche Orient.

Publication originale dans www.jadaliyya.com le 21 mars 2011. Traduction espagnole pour www.sinpermiso.info par Miguel de Puñoenrostro. Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be

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