Les enjeux de la révolution syrienne
Par Ghayath Naïsse le Vendredi, 13 Avril 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le 1er avril s’est tenue à Istanbul la deuxième réunion « des amis de la Syrie ». Elle a rassemblé 83 pays, en présence d’Hilary Clinton et Alain Juppé.

Dans leur déclaration finale, les représentants des États reconnaissent le Conseil national syrien (CNS) comme « représentant légitime des Syriens » et représentant « principal » de l’opposition syrienne, au grand dam du CNS qui n’a pas été reconnu en tant que « représentant légitime et unique du peuple et de la révolution » comme il prétend l’être. L’appel des pays comme l’Arabie saoudite à armer l’opposition, en tant que « devoir » n’a pas été retenu clairement, mais le droit des Syriens à la « légitime défense » a été évoqué.
Cette réunion vient au lendemain d’une autre, tenue elle aussi en Turquie, après l’invitation des gouvernements qatari et turc à quelques fractions de l’opposition syrienne à « unifier l’opposition syrienne sous l’égide du CNS ». Hormis le document final de cette réunion qui stipule la volonté de constituer une Syrie libre et démocratique, la réunion a complètement échoué dans sa mission d’unifier l’opposition, car la plupart des forces d’opposition n’ont pas été invitées ou ont refusé de participer. Pire, le CNS est en train d’imploser, la dernière scission remontant au 28 mars quand le bloc nationaliste kurde a démissionné. Aujourd’hui, il n’y a plus de représentation kurde au sein du CNS.

Le même jour, la deuxième composante de l’opposition, « le comité de coordination pour le changement démocratique » a tenu à Damas une réunion de son conseil central pour élire une nouvelle direction – quasiment inchangée – et adopter un document qui accepte une négociation avec le régime pour une « transition démocratique » et qui appelle à la constitution d’un gouvernement « d’union nationale ».
Sur le terrain, le régime accentue sa répression, bombarde, investit plusieurs villes dans le pays, poursuit une campagne d’arrestations massives, avec des dizaines de tués chaque jour et un déplacement massif des populations. La situation est dramatique pour plus d’un million et demi de personnes.

La rébellion armée prend de l’ampleur face à la barbarie de l’oligarchie. Les affrontements s’étendent à la majeure partie de la Syrie. Les groupes de soldats déserteurs et les civils armés se multiplient, la plupart sous le nom d’ « Armée syrienne libre » (ASL). En réalité, ces groupes révolutionnaires armés sont séparés et isolés et il leur manque un commandement militaire unifié et une direction politique. La déclaration de Burhan Ghalioun lors de la réunion « des amis de la Syrie » selon laquelle le CNS aurait décidé de payer un salaire mensuel à chaque soldat déserteur, grâce aux énormes aides financières que le CNS a reçu des pays arabes et occidentaux, vient un peu tard et est paradoxale : les coordinations sur place ont dénoncé l’absence d’aide humanitaire du CNS, et de son côté l’ASL a déjà déclaré n’avoir rien reçu.

La sauvagerie du pouvoir, la colère des masses révoltées, l’augmentation du nombre des soldats déserteurs et l’immense souffrance d’une grande partie de la population laisse planer un danger d’enlisement dans la situation et l’ombre d’une guerre civile. Car la dictature laisse un seul choix : la dictature de la famille Assad ou la guerre civile.

Les manifestations et les grèves n’ont pas faibli, en dépit de la présence de l’armée et des forces de sécurité. Le peuple révolutionnaire est plus que jamais déterminé à renverser le régime. Les masses laborieuses et populaires sont les forces motrices de la révolution. Elles créent dans le processus révolutionnaire leurs structures d’auto-organisation et d’autogestion.

Le caractère social de la révolution syrienne explique les manœuvres de récupération des puissances réactionnaires arabes et impérialistes.

Une direction politique révolutionnaire de masse a vu le jour en Syrie : la coalition « Watan » qui rassemble des groupes de gauche révolutionnaires actifs dans les luttes loin de toute médiatisation. Elle est composée aujourd’hui de dix-sept forces et groupes militants issus d’horizons différents alors qu’elle était, lors de la déclaration de sa constitution il y a moins de deux mois, composée de sept forces politiques et coordinations révolutionnaires.

La formation de cette direction révolutionnaire de masse en Syrie est une question majeure. Il en va de l’issue même de cette révolution.

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 143 (05/04/12)

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