Crise politique: Le mouvement ouvrier entre tout doucement en résistance
Par Paul Van Pelt le Jeudi, 28 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

L’interminable formation du gouvernement, mais surtout le fait que les médias voient ce processus avec des lunettes de plus en plus communautaires, crée un mécontentement croissant dans les rangs du mouvement ouvrier. De plus en plus de syndicalistes commencent à voir que les frictions entre les partenaires potentiels d’une coalition ne portent pas tant sur la réforme de l’Etat que sur la remise en cause de “l’Etat providence”, donc des acquis sociaux des soixante dernières années.

Au comité national de la FGTB, le 8 octobre, on a entendu plusieurs plaidoyers en faveur d’une intervention syndicale proactive dans le débat. Le fait que les mystificateurs du VOKA (patonat flamand des PME) et de l’UNIZO (classes moyennes flamandes) disposent dans les médias d’un porte-voix toujours plus fidèle en la personne de Bart De Wever, tandis que le mouvement ouvrier semble subir les événements passivement, heurte de plus en plus les cadres syndicaux. Cette demande d’une intervention syndicale proactive a été formulée surtout par les régionales flamandes. C’est compréhensible, dans la mesure où c’est surtout en Flandre que la gauche en général, et le mouvement ouvrier en particulier, sont confrontés à des rapports de forces défavorables.

Un refus intenable

Une partie de la direction de la FGTB (incarnée par le président Rudy De Leeuw) était assez opposée à une intervention syndicale trop explicite sur le terrain politique. Pour ce courant, « le politique n’a qu’à faire son boulot » et la FGTB devrait « laisser aux politiciens le temps d’arriver à un résultat ». Le fait que le président de la FGTB est membre du bureau du SP.a, donc parfaitement au courant du déroulement des négociations gouvernementales, n’est évidemment pas étranger à cette attitude. Cette partie de l’appareil syndical tient à ne pas mettre en difficultés les « amis politiques » du PS et du SP.A. Mais maintenant que les résultats attendus ne se concrétisent pas, et que le discours médiatique glisse toujours plus à droite, cette attitude est devenue intenable.

Une autre partie de l’appareil syndical FGTB commence tout doucement à se rendre compte que la stratégie qui consiste à s’appuyer sur les “amis politiques” est en train d’atteindre ses limites. C’est ainsi qu’Erwin De Deyn, du SETCa, a déclaré, lors du récent congrès de cette centrale, que “le mouvement ouvrier aujourd’hui n’a plus de prolongement politique”.

Pris entre l’enclume de la partie de l’appareil favorable à une attitude plus militante et le marteau d’une opinion publique flamande qui va de plus en plus à droite, l’appareil de la FGTB a choisi de glisser sensiblement vers la gauche. Cela s’exprime dans deux documents récents.

Glissement à gauche

D’une part il y a le programme de revendications (1) que la FGTB met en avant pour la revendication d’un Accord Interprofessionnel. Conformément aux décisions du congrès de la FGTB de juin dernier, ce programme de revendications exige, pour la première fois depuis longtemps, qu’il « soit mis fin aux réductions de cotisations sociales et aux cadeaux fiscaux vu qu’ils ne vont pas de pair avec la garantie d’une modernisation de l’appareil productif ou avec la création d’emplois de qualité”.

De plus, le syndicat demande des marges, notamment pour “une hausse des salaires bruts (et non des salaires nets, comme lors du précédent AIP)”. Il rejette résolument toute attaque contre le système d’indexation ainsi que les « formules interprofessionnelles tout compris » (2). Enfin, selon la FGTB, « il ne peut être question de modération salariale et d’assainissement pour les travailleurs et les allocataires sociaux”. Au lieu de cela, la FGTB exige “des salaires décents, des emplois de qualité, de meilleures allocations sociales (notamment des pensions plus élevées) et des impôts plus justes”.

D’autre part il y a la campagne ‘pour la solidarité et contre le nationalisme’(3). Cette campagne se concrétise à travers une affiche qui dit : « On vous trompe : la régionalisation des impôts = plus de misère et plus d’inégalités”. En quatre paragraphes sont présentés les arguments “contre le nationalisme et la pensée unique de la NVA et des nationalistes”. Plus concrètement, un avertissement sévère est lancé contre la régionalisation de l’impôt des personnes physiques, de l’impôt des sociétés et du marché du travail. Le texte se prononce par contre pour imposer “l’élite financière et riche” afin de “financer les services publics et la sécurité sociale”.

La FGTB sur le terrain politique

C’est la première fois depuis très longtemps que la FGTB intervient aussi explicitement sur le terrain politique. Une bonne chose, car il va de soi que la FGTB aurait bien de la peine à traduire le programme du PS et du SP.a vers sa propre base… La question doit plutôt être retournée: pourquoi ces partis ne traduisent-ils pas le programme de la FGTB sur le terrain politique ?

Cette question est d’autant plus prégnante que la FGTB appelle aussi la gauche progressiste à former un front contre la pensée unique de la droite. Un appel qui est dirigé explicitement non seulement à la social-démocratie mais aussi à l’aile gauche démocrate-chrétienne (l’ACW, MOC flamand) et à Groen !

Helas, nous ne vivons pas comme le héros de Voltaire, le Dr. Pangloss, « dans le meilleur des mondes possibles » (4). Le tournant de la FGTB vers la gauche et vers une politique plus proactive reste ambivalent, en dépit de tous ses aspects positifs. Pourquoi la campagne est-elle dirigée seulement contre la NVA? Pourquoi les ‘amis politiques’ ne sont-ils pas chapitrés sur leur volonté bien affirmée de trouver un compromis avec la “pensée unique” nationaliste?

Et la CSC ?

L’attitude de la CSC est évidemment un élément important. Le syndicat chrétien tenait le week-end dernier son congrès d’orientation. Le but de ce congrès n’était pas de se prononcer explicitement sur la situation politique. Il s’agissait plutôt de tracer les grandes lignes de forces de l’action syndicale pour les dix à vingt années devant nous, voire davantage. Un exercice intellectuel intéressant, mais qui n’a pas pu empêcher l’actualité de s’inviter au menu des discussions. Le président Luc Cortebeeck a exprimé clairement une idée qui est largement partagée par la FGTB : “Devons-nous accepter sans rien dire les plans visant à construire en Flandre un paradis pour employeurs sur un cimetière social, sur base des plans tracés par le VOKA et l’UNIZO?”(5). Cependant, là où la FGTB s’engage explicitement sur le terrain politique, la CSC se contente de lancer un appel au conciliateur royal afin qu’il “ramène l’équilibre”.

Cortebeeck justifie cette réserve en disant que “ce message est difficile à délivrer en tant que mouvement syndical. Parce qu’il faut se heurter à ces faiseurs d’opinion qui nous prétendent depuis des années que le démantèlement de l’Etat fédéral nous donnera accès au paradis. Et que les gens ne ressentent pas encore dans leur chair les dégâts que cela peut occasionner ». Pourtant, si Cortebeeck et son syndicat sont sérieux dans leur opposition à ceux qui veulent “utiliser la réforme de l’Etat comme un levier pour dessiner une politique qui fera plaisir essentiellement aux entreprises et à ceux qui gagnent gros”, alors la CSC elle aussi devra tôt ou tard chercher des alliés. Et où ceux-ci pourrait-elle les trouver, si ce n’est à la... FGTB ?

Un long chemin

C’est clair: un long chemin reste à parcourir, tant pour la FGTB  que pour la CSC. Pourtant, il est permis d’espérer que les premiers pas sont franchis en direction d’une différenciation nette par rapport à la pensée unique de droite. Il s’agit maintenant de faire en sorte que cette résistance s’enracine dans la base syndicale au sens large ainsi que dans l’opinion publique.

Pour ce faire, le mouvement ouvrier doit lancer une grande « Opération Vérité », afin que les gens entendent enfin autre chose que le bombardement médiatique. L’idéal serait évidemment que cette campagne soit menée en front commun. C’est dans ce sens que les syndicalistes de gauche dans les deux organisations devraient agir.

Paul Van Pelt, 25/10/2010

Annexes:

Le tract de la campagne FGTB

L'argumentaire détaillé de la campagne

Notes:

(1) Voir en annexe

(2) Le concept de ‘formules tout compris’ renvoie au fait que les augmentations de salaire sont limitées à un certain plafond par la norme de compétitivité. L’augmentation salariale due à une hausse de l’index est explicitement comprise dans ce calcul. D’où l’expression « tout compris »

(3) Voir: http://www.fgtb.be/code/fr/fram004.htm

(4) Dr. Pangloss est le personnage du roman satirique ‘Candide ou l’optimisme’, dans lequel Voltaire met en scène l’absurde philosophie conformiste de Leibnitz, qui s’inclinait systématiquement devant l’ordre établi, tout insupportable que celui-ci puisse être.

Voir ci-dessus