Grève chez Auto 5 : La direction envoie les huissiers !
Par Guy Van Sinoy le Dimanche, 04 Septembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Ce samedi 2 septembre, la CNE organisait une grève sur les sièges AUTO 5 de Bruxelles et de Wallonie (voir l’article ci-dessous sur les causes de cette grève). Dès 7h30 les militants organisaient des piquets aux portes de différents sièges, qui se trouvent très souvent sur le même site que les hypermarchés Carrefour. La direction a prévu d’envoyer des huissiers sur place avec des ordonnances (prises par des juges en référé) sous peine de lourdes astreintes.

Au siège d’Auderghem, l’huissier s’est présenté avec le texte d’une ordonnance qui prévoyait une astreinte de mille euros pas membre du piquet qui « faisait obstruction directement ou indirectement au libre accès au siège » (aux clients éventuels comme au personnel). Le montant de l’astreinte variait cependant d’un siège à l’autre, selon le juge qui avait pris l’ordonnance en référé.

Dans la mesure où aucun/e des militant/es sur place ne voulait décliner son identité, l’huissier a fait appel à la collaboration de la police de la zone Auderghem-Boisfort. Sur place, une demi douzaine de policiers se sont donc présentés pour tenter d’intimider le piquet, en demandant de dégager le parking (où étaient pourtant garées correctement les voitures des militants) et à laisser le libre accès au magasin. C’était quelque peu surréaliste car les portes du magasin étaient grandes ouvertes et quiconque qui voulait y enter pouvait le faire sans problème car le piquet était là pour discuter avec les clients éventuels et expliquer le motif de l’action syndicale et le caractère arbitraire des licenciements.

Les policiers ont finalement exigé que la plupart des militant/es présents au piquet exhibent leur carte d’identité et, en toute illégalité, ils ont transmis les données (nom, adresse, n° national) à l’huissier. C’est totalement illégal car en vertu de la séparation des pouvoirs les forces de polices ne peuvent être soumises à l’autorité d’un huissier qui est un officier ministériel dépendant du pouvoir judiciaire.

Pis. Un secrétaire syndical que les policiers trouvaient sans doute trop combatif a été purement et simplement menotté dans le dos et embarqué sans ménagement dans une voiture de police. Il a été relâché quelques heures plus tard. Au total, malgré l’envoi d’huissiers à tous azimuts, une demi douzaine d’Auto 5 sont restés fermés le samedi 2 septembre.

Cet envoi massif d’huissiers à la veille d’une rentrée sociale, qui s’annoncera sans doute chaude dès que le plan d’austérité du prochain gouvernement sera arrêté, devrait sonner comme un tocsin aux oreilles des organisations syndicales. Il faut mettre fin aux irruptions du pouvoir judiciaire dans les conflits sociaux.

La procédure judiciaire pour casser les piquets de grève est en effet vicieuse sur plusieurs plans. D’abord il existe de nombreux cas de jurisprudence où des tribunaux se sont déclarés incompétents pour intervenir dans les conflits sociaux (ex : aux ACEC en 1979). Ensuite parce que la procédure en référé ne permet pas le débat contradictoire indispensable à une procédure judiciaire qui veut satisfaire à un minimum de droits démocratiques : l’ordonnance est en effet prononcée en l’absence de la partie adverse (les travailleurs et leurs syndicats).

En principe, la procédure en référé est prévue pour faire face à des situations urgentes de détresse réellement existantes (ex : une personne abandonnée et sans ressources en danger). L’utilisation de cette procédure pour des conflits sociaux est donc un abus de droit. De plus, les ordonnances n’ont pas été rendues le samedi 2/9 mais au cours des jours précédents, c’est-à-dire de manière préventive, AVANT que les faits qui auraient pu éventuellement motiver le recours à une telle procédure existent. De surcroît, les ordonnances ont été rendues dans un flou juridique total car certains piquets sont sur la voie publique, d’autres sur une propriété privée (le parking). Enfin, la police n’est placée de manière hiérarchique sous l’autorité d’un huissier.

En recourant à un tel abus de droit, le patronat entend rétablir indirectement l’article 310 du Code pénal. Cet article scélérat du Codé pénal prévoyait en effet des amendes et des peines de prison contre les grévistes. Cet article a été abrogé en 1921, au même moment que l’instauration de la journée des huit heures et du suffrage universel pour les hommes. A l’époque, dans le cadre de la Révolution d’Octobre et de l’éclatement de situations révolutionnaires dans plusieurs pays d’Europe, la bourgeoisie avait compris qu’il fallait lâcher du lest. Aujourd’hui, la bourgeoisie fourbit ses armes pour les combats à venir.

Les organisations syndicales ne peuvent rester les bras ballants face à cette provocation. C’est en direction du pouvoir judiciaire qu’elles doivent donner un signal résolu pour montrer qu’il n’est pas question de rétablir l’interdiction du droit de grève par le biais d’ordonnances en référé.

Pas la peine de faire confiance au patronat quand il promet de ne pas recourir aux astreintes, comme il l’avait promis lors d’un accord interprofessionnel précédent. Il est temps d’envoyer un signal résolu au pouvoir judiciaire. Pourquoi ne pas organiser, dans un premier temps, des assemblées générales d’information dans les entreprises en vue de préparer, dans un deuxième temps, un arrêt de travail, un après-midi, avec manifestation et concentration des grévistes devant les palais de justice ?

Guy Van Sinoy





















Quand la police et l'huissier travaillent main dans la main...


Auto 5 : Quatre travailleurs, dont un délégué, arbitrairement licenciés

Ce samedi, tous les centres intégrés Auto 5 de Wallonie et de Bruxelles étaient fermés, par solidarité avec le centre Auto 5 de Waterloo. Les travailleurs apportaient ainsi leur soutien complet à Giuseppe Di Verde, délégué CNE, et 3 de ses collègues, tous licenciés abusivement ce mercredi 24 août.

Lors de la conférence de presse de ce samedi matin, Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE, a d’abord replacé le dossier dans son contexte : « Nous sommes à quelques mois des élections sociales, la protection des délégués est donc au plus bas. Ce qui se passe chez Auto 5, c’est ce qu’on appelle « la chasse aux délégués » (1) : l’entreprise tente de se débarrasser de son contre-pouvoir, au moment où c’est le plus avantageux », explique-t-il.

La direction d’Auto 5 a créé l’amalgame entre le licenciement des 4 travailleurs et une affaire de harcèlement qui remonte à décembre 2010, à coups de communiqués de presse habiles. Jean-Raymond Demptinne, secrétaire permanent régional, a donc ensuite remis les choses au clair en rappelant les faits : « En décembre 2010, un travailleur dépose plainte auprès de sa direction, pour harcèlement moral. Après enquête du conseiller en prévention, la direction reçoit un rapport indiquant que des faits de harcèlement avaient été commis. Le travailleur accusé est convoqué, en présence de son délégué, Giuseppe Di Verde. La direction, le travailleur accusé et le délégué concluent un accord sur la sanction adéquate et mesurée au regard des faits : une note au dossier du travailleur accusé. L’affaire est bouclée. Et puis, s’inquiétant de ne pas voir arriver cette note dans le dossier du travailleur concerné, Giuseppe m’appelle. Après quelques semaines, non seulement la direction revient sur sa parole, mais en plus elle décide de licencier 3 autres travailleurs jusque là non impliqués, dont Giuseppe. »

Giuseppe Di Verde raconte alors « l’opération commando » menée par la direction pour avertir les 4 travailleurs de leur licenciement : " Le directeur général d’Auto 5, Monsieur Lebourgeois, est venu me trouver dans l’atelier. J’étais en train de travailler sur un véhicule, lorsqu’il m’a demandé de le suivre pour discuter. Je l’ai suivi dehors, pensant que nous allions discuter de la note au dossier qui n’arrivait pas.

Après quelques mètres, je m’étonne de la direction que nous prenons : Monsieur Lebourgeois m’emmène vers l’hôtel Ibis un peu plus loin, disant que l’endroit est plus calme pour discuter. Arrivé devant l’hôtel, Monsieur Lebourgeois m’entraîne au club de tennis juste derrière, et je m’aperçois que Madame Kinif DRH, nous attend. Ils m’annoncent tous les deux que la collaboration s’arrête là. Pensant toujours qu’ils parlaient du travailleur mis en cause dans l’affaire de harcèlement et déjà sanctionné, j’essaie de discuter. C’est à ce moment qu’ils me disent : « Monsieur Di Verde, nous parlons de notre collaboration avec vous. » J’étais estomaqué.

Au même moment, deux de mes collègues reçoivent la visite de quatre personnes responsables de l’entreprise, envoyées par la direction. Ces personnes avaient attendu que je quitte le centre avec le directeur, dans une voiture sur le parking, pour annoncer à mes collègues qu’ils étaient également licenciés sur le champ. Monsieur Lebourgeois m’a simplement dit qu’en Belgique, la loi permet à l’entreprise de licencier un travailleur comme elle le veut, du moment qu’elle paie les indemnités de rupture. J’ai répondu que ça ne se passerait pas comme ça.

La quatrième personne, qui ne travaillait pas ce jour-là pour cause d’accident de travail, a reçu le lendemain sa notification de renvoi immédiat. Mes trois collègues et moi-même sommes licenciés pour motifs graves, avec paiement d’indemnité de rupture pour nous tous ce 24 août 2011 à 12h 30."

Jean-Raymond Demptinne a ensuite relevé l’hypocrisie de la direction : « La direction a reçu le rapport début juillet. Pourquoi n’a-t-elle pas engagé la procédure de licenciement pour faute grave à l’encontre de Giuseppe à ce moment-là ? Parce qu’elle savait pertinemment que dans ce cas, c’est le tribunal du travail qui aurait tranché, et que la faute grave aurait dû être prouvée. Au contraire, elle a directement proposé à Giuseppe de lui payer son indemnité de rupture, sa protection syndicale et l’outplacement sans discuter ! »

L’entreprise considère ainsi qu’elle peut renvoyer des travailleurs non fautifs sur le champ, puisqu’elle donne de l’argent. Giuseppe n’en veut pas : « C’est une question de principe ! Ni moi, ni mes collègues ne méritons d’être licenciés, même si on nous paie ! »

Accusé d’insubordination par la direction dans sa lettre de licenciement, Giuseppe tient encore à répondre, manifestement ému : « Si insubordination veut dire défendre le respect des travailleurs, du règlement de travail, de la loi et des acquis, si insubordination veut dire contester les mauvaises décisions de l’entreprise, si insubordination veut dire constituer un contre-pouvoir face à la direction, alors oui, je suis coupable d’insubordination. Mais c’est mon boulot de délégué. Et ça fait 30 ans que je le fais. »

La CNE exige donc la réintégration des 4 travailleurs et prévoit des actions dans les prochains jours, notamment auprès du groupe français Norauto, auquel appartient Auto 5. Le centre Auto 5 de Waterloo sera quant à lui fermé toute la semaine prochaine, suite au choix unanime des 11 collègues de Giuseppe.

Article publié sur le site de la CSC-CNE, le 27/8/2011

http://www.csc-en-ligne.be/

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