La Libération conditionnelle de Michelle Martin instrumentalisée pour renforcer l’appareil répressif
Par David Martens le Jeudi, 13 Septembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

Michèle Martin, l’ex-femme de Marc Dutroux, a été libérée conditionnellement par le tribunal d’application des peines. Depuis 2006, elle était admissible à une telle mesure, soit 6 ans déjà. En juin 2007, en octobre 2008, en décembre 2009, sa demande avait été rejetée par le tribunal. En mai 2011, elle avait été accordée, puis retirée, avant même d’être mise à exécution. C’est donc après trois refus et un octroi retracté que, lors du cinquième examen par le tribunal, la libération conditionnelle est octroyée : tout sauf de la précipitation et du laxisme.

Et pourtant cette libération conditionnelle est instrumentalisée pour faire passer les projets répressifs et sécuritaires les plus réactionnaires et les plus liberticides. Reculer la date légale d’admissibilité à la libération conditionnelle (du tiers à la moitié de la peine pour les condamnés primaires et des deux tiers aux trois quarts de la peine pour les condamnés récidivistes), favoriser la mise à disposition du tribunal après l’expiration de la peine, introduire des peines incompressibles, donner aux victimes un rôle actif dans la décision d’octroi ou de refus de la libération conditionnelle, construire de nouvelles prisons, louer de l’espace carcéral aux Pays-Bas, développer la surveillance électronique sous toutes ses formes (bracelet, reconnaissance vocale, GPS), proclamer la tolérance zéro, faire exécuter à tort et à travers toutes les peines, les plus petites soient-elles, au nom de la lutte contre l’impunité. Cette impunité à deux vitesses, qui ne s’applique pas de la même façon aux criminels en col blanc et aux incivilités des gamins des rues. Le premier ministre en tête y va de sa petite personne : « Les fautifs doivent sentir dans leur chair qu’ils ont commis un acte répréhensible et qu’ils en subissent les conséquences ». Va-t-on rétablir les châtiments corporels et les supplices ?

Cet emballement n’est pas un hasard. La libération conditionnelle de Michelle Martin est l’occasion de faire passer ces mesures autoritaires en surfant sur les réactions émotionnelles entretenues et amplifiées par les médias, quand elles ne sont pas construites de toute pièce. Car l’information aussi, ça se construit.

Hormis le renforcement de l’appareil répressif d’un Etat qui impose l’austérité (voir aussi l’article de Daniel Tanuro dans ce même journal), toutes ces mesures n’ont aucune raison d’être. Il n’y a pas lieu de rendre plus difficile l’accès à la libération conditionnelle alors que celle-ci est un atout important de notre système juridique, un instrument utile qui permet d’individualiser chaque condamnation, d’adapter la modalité d’exécution de la peine, de réduire les dommages causés par l’intervention de la machine pénale, de favoriser la réinsertion sociale et de diminuer les risques de récidive. Elle sert aussi bien les auteurs d’infractions que les victimes et la société dans son ensemble. Réduire l’accès à un outil utile faisant ses preuves : bêtise ou sabotage délibéré ?

Développer la surveillance électronique tous azimuts : répandre la logique d’enfermement jusque dans les chaumières, à domicile, et arroser d’argent public les multinationales qui vendent la technologie de Big Brother. Y a-t-il meilleure métaphore du système capitaliste : la classe possédante à la tête de l’industrie privée comme de l’Etat s’organise pour que la première vende très cher au second les instruments de répression qui permettent à celui-ci d’empêcher toute action contraire à leurs intérêts. On est loin de Michelle Martin, petit pion récupéré pour servir à de bien plus grandes ambitions. Elle aussi est instrumentalisée par une justice de classe.

Ne nous trompons pas de combat. Auteurs, victimes ou simples citoyens, nous avons tous le plus grand intérêt à ce que la libération conditionnelle de Michelle Martin soit une réussite. A ce que toutes les libérations conditionnelles soient des réussites. Car l’échec serait un nouvel alibi pour durcir encore le système pénal et développer la surveillance généralisée des populations. Tandis que la réussite apporte la preuve vivante qu’un arsenal plus répressif n’est pas nécessaire. Qu’il vise d’autres buts, tenus sous silence. Le retour réussi d’un ou d’une libéré(e) conditionnelle dans la société, sans récidiver, constitue le meilleur signal possible pour tous les condamnés encore détenus, qu’il reste un avenir, qu’il y a moyen de s’en sortir, que la récidive n’est pas une fatalité. Nous avons tous tout à y gagner. Mettre des bâtons dans les roues d’une libération conditionnelle, c’est porter une très lourde responsabilité. Et c’est préparer dans les esprits la légitimation d’un Etat policier, carcéral, sécuritaire étouffant les libertés et criminalisant les populations victimes de l’austérité. Défendre la libération conditionnelle, dénoncer les manœuvres de surpénalisation en cours, refuser le modèle d’une justice d’oppression, bras armé d’un Etat incarnant les intérêts du capital : voilà le combat à mener. C’est un affrontement direct avec la politique de la ministre de la Justice, Annemie Turtelboom, et du gouvernement, comme avec une partie des revendications de certains portes-parole des victimes. Face à ce qui apparaît comme un rouleau compresseur, rappelons-nous la détermination de Gramsci : « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté » !

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