Italie : les femmes rompent les digues
Par Flavia d'Angeli, Franco Turigliatto le Jeudi, 24 Février 2011 PDF Imprimer Envoyer

Des centaines de milliers de femmes italiennes ont manifesté, dimanche 13 février, contre le gouvernement Berlusconi et son sexisme caractérisé. C’est dans les rues occupées par les femmes que la colère et le malaise qui couvaient dans la société italienne se sont finalement exprimés. Il a suffi d’un appel à la mobilisation, assez peu radical, pour que des centaines de milliers de personnes se déplacent comme si elles n’attendaient que cela depuis trop longtemps déjà. La crise permanente dans laquelle s’est enfoncé le gouvernement Berlusconi et les scandales invraisemblables qui accompagnent ce que nous espérons ne pas être une mort trop lente, ont fonctionné comme détonateur d’une indignation évidente, bien que niée par les acolytes du Premier ministre, le Parti démocrate (PD), ainsi qu’une partie de la direction de la CGIL qui s’obstine à ne pas «voir les conditions réunies» pour appeler à une grève générale.

Il est difficile de faire une radiographie à chaud de la composition et des idées politiques des manifestants. Néanmoins, il est évident qu’une partie importante de l’électorat de l’opposition, et en particulier du PD, a sauté sur l’occasion pour rompre les digues de timidité et de manœuvres de leurs dirigeants. Il faut y ajouter les femmes dont la colère, comme le 24 novembre 2007 lors de la manifestation à Rome «contre la violence», semble couver dans la société italienne dans l’attente du moment opportun pour émerger. Une colère dense et une volonté d’affirmer ses droits et sa dignité, sans objectifs ni plateforme politique clairs, mais avec l’envie d’être présentes. Il y avait aussi une bonne dose de radicalité comme l’a montré l’accueil chaleureux réservé à l’initiative organisée Piazza del Popolo par divers collectifs féministes et mouvements.

Les copines des collectifs de femmes étudiantes et jeunes, des centres contre la violence, des centres sociaux et tant d’autres féministes ont décidé de participer ensemble à la journée de mobilisation pour faire émerger une dénonciation globale des politiques patriarcales caractéristiques de ce gouvernement qui rogne sur les droits des femmes, ne rencontrant qu’une opposition symbolique des forces de gauche modérées.

Refusant aussi de tomber dans le piège d’une mobilisation des femmes «bien» contre les femmes «mauvaises», un sentiment qui a pourtant accompagné au début certains appels à la mobilisation.

En fin de matinée, des centaines de milliers de femmes ont manifesté devant le ministère du Travail, déposant symboliquement devant le portail une série de paquets représentant les «cadeaux» que le gouvernement et les patrons ont fait aux femmes et dont elles ne veulent pas: la loi sur la procréation assisté, la hausse de l’âge légal de la retraite, les attaques contre le droit à l’avortement, les coupes dans la sécurité sociale, les lois répressives et la persécution des prostituées dans la rue, etc. Le cortège est arrivé Piazza del Popolo aux cris de «Nous sommes toutes des Égyptiennes, grève générale», applaudi par les nombreuses femmes qui n’arrivaient même plus à rentrer sur la place déjà pleine. Elles ont ensuite déposé d’autres paquets-cadeaux devant l’entrée du Parlement, après avoir franchi les barrières.

L’énorme succès de la journée de mobilisation appelle à une suite et à un engagement des parties les plus conscientes et radicales parmi tous les acteurs sociaux, syndicaux et politiques qui ont animé la rue, pour organiser un mouvement généralisé d’opposition au gouvernement et à sa politique, afin de capter la colère sociale croissante provoquée par la crise économique et par le fait que le gouvernement et les patrons continuent d’en faire payer le prix aux travailleuses et aux travailleurs. À Susanna Camusso (secrétaire national de la CGIL) qui parlait à la tribune Piazza del Popolo, il faudrait demander: «Si ce n’est pas maintenant, quand… la grève générale?» À Berlusconi, assiégé dans son Palais, il faudrait dire, comme la rue tunisienne et égyptienne «Si ce n’est pas maintenant, quand… vas-tu partir?»

La rue d’aujourd’hui, comme celle des étudiants en décembre ou comme les urnes de Mirafiori bourrés de «Non», disent que malgré l’état comateux de la gauche institutionnelle, la société italienne n’est pas domptée et encore moins prête à payer leur crise!

Flavia d’Angeli (porte-parole de Sinistra Critica) - traduction Nick Barrett


La riposte à la violente offensive patronale à la Fiat

Par Franco Turigliatto

Non, la vie politique italienne ne se résume pas aux seules conséquences des frasques sexuelles et tarifées d’« Il Cavaliere ». Alors qu’une contre-réforme touche l’école, qu’une autre ravage l’université, le dirigeant de la Fiat, Sergio Marchionne cherche à défaire frontalement la classe ouvrière dans son secteur. Mais le pari n’est pas encore totalement gagné.

Une guerre totale contre les travailleurs : c’est ainsi que le porte-parole de l’organisation anticapitaliste Sinistra Critiqua, Franco Turigliatto, a qualifié le plan de Marchionne. Pour l’ancien sénateur, « Marchionne veut et exige tout : des syndicats de façade, expression directe de la volonté patronale, n’existant qu’en enchaînant les travailleurs ; l’exclusion de l’usine de tout syndicat qui voudrait représenter les intérêts des travailleurs et défendre leurs droits, leur salaire et leurs conditions de travail ; l’abolition de droits constitutionnels fondamentaux, à commencer par le droit de grève et de la liberté d’organisation syndicale ; de lourdes sanctions et des licenciements pour les travailleurs qui chercheraient à promouvoir une quelconque action individuelle et/ou collective ; une flexibilité et un régime d’exploitation bestiaux pour extraire jusqu’au dernier centime les profits de ces maîtres de forges modernes et brutaux. »

Un référendum en forme de chantage

Pour arriver à ses fins, le repreneur de Chrysler et ancien membre du Conseil d’administration d’UBS a mis au point le chantage suivant : l’attribution de la production de la nouvelle Panda à l’usine de Pomigliano (près de Naples) et des nouveaux modèles de Jeep et d’Alfa Romeo à celle de Mirafiori (Turin) est liée à la création de nouvelles entreprises. Mais – et là réside l’arnaque – ces deux nouvelles entreprises ne seraient plus membre de l’organisation patronale (la Confindustria) et donc libérées de l’obligation d’appliquer la convention collective de travail.

Pour le PDG de Fiat, l’exemple syndical à suivre est celui du syndicat américain de l’automobile, l’UAW, en pleine dégénérescence corporatiste. Petit problème : dans les usines de Fiat, les ouvriers et ouvrières sont majoritairement organisés auprès d’un syndicat « lutte de classe », la FIOM. Marchionne a donc commencé par l’isoler en trouvant d’autres syndicats, plus collaborationnistes. Devenus d’authentiques syndicats jaunes, ceux-ci – au premier rang desquels les organisations se revendiquant du christianisme social et de la social-démocratie – ont donc signé un accord sur la création de la nouvelle entreprise à Pomigliano et la disparition subséquente de la convention collective et des droits syndicaux. Seuls la FIOM et les Comités de base (COBAS) refusèrent ce plan.

Fiat a ensuite organisé un « référendum » parmi les travailleurs de l’usine, afin d’obtenir leur accord individuel. Pris dans le chantage « perdre son emploi ou perdre ses droits », 62% des votants apportèrent leur soutien au projet de Marchionne. Qui, furieux, attendait au moins un score plébiscitaire de l’ordre de 80%.

A la fin de l’année 2010, Fiat répète cette stratégie à Mirafiori. Les mêmes syndicats que dans la région napolitaine (CISL, UIL, FISMIC et UGL) brisent la convention collective et excluent le syndicalisme « rouge ».

Une riposte sous forme de grève générale

Tout en menant une campagne vigoureuse et exemplaire contre le chantage de la direction de l’entreprise, la FIOM, avec les Comités de base, appelle le 29 décembre à une grève générale de la métallurgie pour le 28 janvier 2011.

Les 13 et 14 janvier, une courte majorité des salarié·e·s de Mirafiori (54,3 %) appuie la proposition de Marchionne. Avec un très gros bémol : les travailleurs de jour des chaînes de montage la refusent à 53%.

Quant au déroulement de la grève générale de la branche, c’est un succès incontestable pour la FIOM. Le taux de participation est de 70% dans les usines et secteurs où le mot d’ordre a été lancé, certaines usines dépassant les 75% de grévistes ; à Mirafiori – où seule la mécanique travaillait ce jour-là, carrosserie et presses étant au chômage technique –, la participation monte à 80%. Dans les autres usines de Fiat (Cassino, Melgi), la participation est de 50%. Présent dans la manifestation de Turin, Franco Turigliatto déclare : « L’appel lancé par les ouvriers de Fiat a été massivement repris dans tout le pays par les travailleurs. Malgré le soutien bi-partisan apporté à Marchionne par le centre droit et le centre gauche, Parti démocrate y compris, l’appel à la grève de la FIOM et des comités de base a été un grand succès et a permis une belle et grande journée de protestation. »

La prise de conscience que Marchionne et Berlusconi sont les deux faces d’une même politique et que c’est seulement par la lutte que l’on pourra battre l’un et l’autre a progressé. La manifestation n’exprime pas seulement la demande d’une mobilisation qui devra unir tous les travailleurs, mais indique aussi la possibilité concrète de réaliser dans les prochaines semaines un « bloc » à partir de la base pour aller vers une grande grève générale étendue à tous les secteurs.

Après le vote de l’usine de Mirafiori, c’était un deuxième round et ce doit être le début d’une lutte prolongée toujours plus large et unie. »

Avec Franco Turigliatto (www.sinistracritica.org) et le blogue « automobile » du NPA www.npa-auto-critique.org

Paru en Suisse dans « solidaritéS » n°183 (17/02/2011), p. 8.

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