De Bologne à Louvain et Louvain-La-Neuve
Par Correspondant le Mardi, 10 Mars 2009 PDF Imprimer Envoyer

l y a dix ans, les ministres européens de l’enseignement signaient la Déclaration de Bologne dont les effets provoquent depuis lors une onde de choc dans l’enseignement supérieur européen. Ce processus est évalué tous les deux ans. Cette année-ci, la conférence d’évaluation aura lieu à Leuven/Louvain-la-Neuve fin avril 2009. Pour 2010 «l’espace européen de l’enseignement» devrait être complété, cette conférence sera donc importante pour y parvenir.

Les ministres qui ont signé la Déclaration de Bologne il y a dix ans formulaient leur réponse aux changements dans l’espace européen de l’éducation, dans la foulée des réductions des dépenses publiques pour l'enseignement qui ont marqué les années '90. Le but de Bologne est, entre autres, d'adapter l’enseignement au «marché du travail européen». Les dépenses publiques doivent êtres «maîtrisées» et la «compétitivité» améliorée.

En Belgique, l'application du processus Bologne allait rapidement donner lieu à une série de décrets qui redessinent de façon drastique l’enseignement supérieur. Le changement le plus important était l’introduction du système bachelier-master. Des bachelier en masters académiques étaient introduits dans les universités et les graduats étaient remplacés par des bachelier professionnels dans les écoles supérieures. Les écoles supérieures devaient donc académiser leur enseignement de type long et étaient intégrées dans des associations avec les universités.

Le décret de «flexibilisation» à mené au système des crédits par lequel on abandonnait le système du rythme annuel. Les étudiant-es qui obtiennent 10/20, acquièrent un crédit qui reste valable pour une durée illimitée.

Les étudiant-e-s deviennent des client-e-s

2010 est l’échéance que les ministres s’étaient imposés et le moment est donc arrivé de dresser le bilan à la veille de ce terme. Dans quelques pays et sous certains aspects, les réformes de Bologne ont eu un effet positif. Dans l’espace européen, les crédits et les équivalences de diplômes sont mieux reconnus entre les Etats. Certains mécanismes de flexibilisation comme l’octroi de diplômes sur base des compétences acquises auparavant sont un pas en avant. Mais cela s'est accompagné en même temps de l'introduction de la logique du marché dans l’enseignement et dès le début du processus de Bologne, le mouvement étudiant a protesté contre cet aspect. L’enseignement est désormais perçu en tant que «matière première» d’une «économie des connaissances», les étudentiant-e-s sont préparés pour le marché du travail, autrement dit en fonction des demandes des entreprises, la dimension sociale et citoyenne de l'enseignement disparaît de la scène.

Les étudentiant-e-s deviennent ainsi des client-e-s qui ont payé pour leur diplôme dans une institution d’enseignement. En outre, les universités européennes doivent être transformées en institutions capables de concurrencer les universités américaines et canadiennes; ce qui ne stimule certainement pas la collaboration au niveau européen. Avec la logique du marché et de la concurrence, la logique managériale de la gestion des institutions a également été introduite; les universités sont de plus en gérées comme des entreprises privées. De plus en plus, l’accent glisse vers les notions d’efficacité, de rendement, d'« output », …

Non seulement, il y a eu les problèmes de transition avec les étudiants qui étaient encore dans le « vieux système », mais la réforme menace également de créer de nouvelles barrières sociales dans l'accès aux études supérieures. La pression augmente dans un certain nombre de formations et la durée des études augmente de plus en plus. L’appel pour généraliser des Masters de deux ans est de plus en plus fort: autrement dit, une personne qui veut suivre une formation universitaire complète est de facto partie pour cinq années d'études. Or, l'allongement des études augmente proportionnellement les frais d’étude et pendant ce temps la personne n’acquiert aucun droit social.

Il semble également que différentes filières dans les sciences humaines essaient d’obtenir plus de fonds auprès des autorités en prolongeant la durée des études. On peut évidemment comprendre cela vu le sous financement de ces branches et le manque d’autres moyens, mais cela ne fait que déplacer le problème. D’ailleurs, c’est montrer une vision très étriquée que de mesurer la qualité de l’enseignement d’une filière à l’aune de sa durée.

L’avenir du processus de Bologne

L'enseignement doit partir de l’objectif simple de créer un enseignement supérieur de qualité, social et démocratique. Les étudiants doivent avoir un apport maximal dans ce processus. Les inégalités sociales ne peuvent pas être reproduites, les études supérieures doivent devenir un levier pour contrer les discriminations sociales.

Pendant les années à venir, il faut donc donner la priorité absolue à la dimension sociale. Cela signifie que l’enseignement supérieur est une responsabilité publique et que l’attractivité doit prendre la place de la compétitivité; que toutes les parties doivent être impliquées. La dimension «sociale», réduite à la portion congrue, n’a été rajoutée qu’après la conférence des ministres de Bologne à Londres en 2007. La seule chose qui a été faite depuis est la rédaction d’une définition par un groupe de travail à propos de cette dimension sociale. Cette définition est très superficielle et peut être interprétée de multiples manières. En tout cas, les mesures concrètes pour donner du sens à cette dimension sociale ne sont pas apparues. Les minervals et le financement des études sont clairement des sujets tabous, mais ce sont aussi les bases d’un enseignement supérieur à caractère social.

ResPACT

Dans le prolongement de la campagne ResPACT, les frais d’étude restent priorité importante. Sans la réduction des frais d’étude, il n’ y a pas de dimension sociale possible. Il faut opter pour l’introduction graduelle de la gratuité. Un premier pas serait l’abolition des minervals et l’introduction de mesures qui réduisent directement les frais d’étude comme la gratuité des transports en commun. En même temps, une bourse de base pour tous les étudiants doit abaisser les seuils, couvrir les frais d’étude et stabiliser l’indépendance de l’étudiant-e. Nous sommes donc opposés aux bourses de prestation et aux prêts d’études.

Ensuite, il y a un problème de démocratie; le mouvement étudiant n’a pas voix au chapitre sur les réformes de l'enseignement supérieur. Le rôle de l’Union européenne et de sa Commission devrait être clarifié. En principe, l’UE n’a pas de droit de décision dans cette matière, mais sa Commission possède le statut de membre à part entière du «Groupe Bologne Follow-Up. En outre, il faudrait clairement disjoindre le rapport entre le processus de Bologne et la stratégie de Lisbonne de la Commission européenne.

La rhétorique de Lisbonne revient à répétition dans le processus de Bologne alors que dans la stratégie de Lisbonne l’enseignement est un instrument pour le développement d’une économie de connaissance. L’enseignement doit avant tout être démocratique et de qualité, et la dimension sociale devient alors une priorité absolue. Il y a donc un problème démocratique concernant les manœuvres et le pouvoir de l’UE; ainsi, elle a plaidé l’année dernière en faveur de minervals plus élevés alors qu’elle n’a pas de compétence dans cette matière. Pourtant de nombreux pays utilisent ces communiqués pour justifier leur propre politique.

Autrement dit, une mobilisation massive est nécessaire au moment où les ministres de l’enseigement européens se réuniront à Leuven et à Louvain-la-Neuve en avril 2009. Une grande manifestation nationale et internationale des étudiants aura lieu le 28 avril.


 

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