Chypre : Encore une classe ouvrière dans les filets de la Troïka!
Par Herman Michiel (Ander Europa) le Jeudi, 18 Juillet 2013 PDF Imprimer Envoyer

Il est étonnant qu'une petite entité économique comme celle de la Grèce ait pu devenir le cauchemar des dirigeants européens. Mais que dire alors de Chypre? Dans tous les sens du terme : moins qu'un dixième de la Grèce, une population et un PIB inférieurs à ceux de la province de Liège, un pays membre de l'Union Européenne depuis seulement 2004 et de la zone euro depuis seulement 2008. La petite île semble avoir semé la zizanie parmi ses « bienfaiteurs ». Car ceux-ci, sollicités pour prêter une poignée de milliards d'euros à cette Grèce en miniature, ont piqué une telle crise de colère, qu'ils en ont oublié leur loi fondamentale, leur Règle d'Or : celle de la sainte Propriété Privée! « Dix milliards tout au plus, et au prix courant d'amples réformes du marché de l'emploi. Le reste, allez le chercher chez les épargnants, grands et petits qui peuvent aussi donner leur obole! » ont-ils dit ! 

Un moustique anticapitaliste semblait avoir piqué les autorités européennes qui fustigeaient les oligarques russes, le système bancaire hydrocéphale et le manque de justice fiscale sur l'îlot. Quand ces dirigeants européens se sont rendu compte des dégâts provoqués dans l'opinion publique un peu tous azimuts,  il était trop tard. Le Luxembourg a protesté en précisant que le système bancaire grand-ducal était encore plus grand sans être hydrocéphale. Les oligarques européens craignaient  de subir le sort de leurs homologues russes. Le président du Parlement européen, le socialiste Martin Schulz, y a vu une opportunité pour lancer la campagne pour sa candidature à la présidence de la future Commission, en plaidant pour l'exonération des épargnants modestes. Mais en posant la barrière à 25 000 euros, au lieu des 100 000 légalement garantis, il risque d'avoir revivifié l'image d'un socialisme à la Saint-François...

Qui avait commis la gaffe ? La Banque Centrale Européenne a refilé la patate chaude au ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, qui à son tour l'a refilée au gouvernement chypriote et à la Commission européenne, qui niait tout. Entre-temps, l'apprenti président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem (rebaptisé Dijsselbourde), a complètement gaffé en claironnant que la formule chypriote pourrait faire école ailleurs, ce qui a fait rire jaune les marchés financiers.

Reste la question : comment une petite île peut-elle mettre en émoi tout un continent ? Il doit y avoir quelque chose de pourri au royaume de l'euro, où l'une après l'autre les provinces s'écroulent, incapables de résister dans cette Grande Guerre de la Compétitivité. Pourtant, l'état-major avait déjà sévèrement sanctionné quelques bataillons, en espérant que ces mesures exemplaires suffiraient pour mettre toute l'armée au pas.  La Grèce brûle, le Portugal saigne, l'Espagne entière est soumise à la garrota,  mais rien n'y fait. On échappe difficilement à l'impression que les peuples de l'Europe sont indignes de toutes les merveilles que leurs dirigeants leur ont mitonnées, que ce soit la concurrence libre et non-faussée, ou une monnaie vraiment unique dans son genre ou encore la gouvernance économique que le monde entier nous envie. L'Italie a même eu l'insolence d'élire un bouffon comme représentant de la populace. La raison de cette ingratitude, qui en fait n'est qu'incompréhension, est évidente : c'est leur passé d'enfants gâtés. Un demi-siècle de conventions collectives, de vacances toujours plus longues, de systèmes de retraite et de chômage cinq étoiles... même les âmes les plus vertueuses en sortent corrompues.

Redresser la situation sera une tâche ardue et de longue haleine. Mais les autorités européennes ne ratent aucune occasion pour mener ce travail de rééducation. Elles ont d'abord invité le Fonds Monétaire International sur le Vieux Continent : le FMI avec sa riche expérience acquise auprès de peuples parfois plus incultes que les Européens. Le FMI, la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne sont devenus à tel point inséparables qu'on les appelle la Troïka. La véritable aubaine pour ce travail de dressage et de rééducation c'est quand l'argent se fait rare dans les caisses de l'Etat. Un bon dresseur sait qu'un chien affamé apprend plus vite. Cela demande beaucoup de discipline de la part de la Banque Centrale pour ne pas intervenir, pour voir le « chien » souffrir, jusqu'au moment où il obéit aux ordres de son maître.

C'est une telle occasion qui s'est offerte à Chypre. On peut regretter les dommages collatéraux chez les petits épargnants, mais entre-temps, nous pouvons moderniser toute la boutique! Et n'oublions pas que cet îlot conserve encore un système d'indexation des salaires dénommé Cola (Cost of Living Adjustment). Et entre nous, nous avons bon espoir qu'en versant le Cola chypriote à l'égout, les Belges auront compris la leçon et enterreront leur « index » avant même que la troïka ne débarque à Bruxelles! Et cela, un bon dresseur vous le dira aussi : souvent un chien apprend beaucoup plus vite rien qu'en voyant un autre souffrir!

Cet article a été publié dans La Gauche n° 62 du mai-juin 2013

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