Ceci n'est pas un "budget"...
Par Alain Van Praet le Mercredi, 22 Octobre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Il paraît que la Belgique est le pays du surréalisme. Le budget élaboré par la coalition gouvernementale le confirme. L’analyser, pour le commenter, renvoie directement à René Magritte. On nous présente un exercice budgétaire « sérieux, en équilibre et favorable au pouvoir d’achat », alors que ce n’est pas le cas.

Car, ce budget:

• table sur une croissance de 1,2 % alors que la récession frappe à notre porte et que la croissance attendue dans les prochains mois n’excèdera probablement pas les… 0,2 %!

• mise sur une participation des régions à hauteur de 800 millions €, alors que le gouvernement flamand rejette toute intervention financière du Nord du pays, entraînant le refus des deux autres régions.

• prévoit plusieurs opérations one-shot dont le rendement est incertain.

Ce budget ne tient donc pas la route, même Yves Leterme en est convaincu. Ce qui laisse présager un prochain contrôle budgétaire difficile (en principe au printemps 2009, mais l’exercice pourrait être avancé !). Ce tour de passe-passe n’empêche pas le défilé des ministres devant les caméras pour annoncer que des «marges» ont été dégagées «en faveur du pouvoir d’achat».

Il est vrai que des échéances électorales approchent et que chacun essaie de se positionner au mieux. Mais laissons ces manœuvres aux champions de l’embrouillamini pour commenter ce budget «miraculeux», fruit des habituels marchandages nocturnes des «responsables politiques».

Il y a effectivement quelques mesures en faveur des pensionnés (relèvement des pensions de 1 à 3 %), des plus faibles et des non-actifs (le gouvernement prévoit des moyens pour la liaison des allocations sociales au bien-être).

Pour les travailleurs, un tout petit coup de pouce (augmentation du montant maximum de la déduction des frais professionnels). Et en matière d’énergie (mazout, gaz, électricité), une aide de 105 € pour les personnes qui ont des revenus inférieurs à 26.000 €.

Et puis?

Le gouvernement fait également grand cas de l’indexation des barêmes fiscaux, présentée comme une mesure phare en faveur des citoyens. Hélas pour lui, ce n’est que de l’habillage idéologique.

Citons La libre Belgique -qui est pourtant loin d’être un journal bolchévik!-: «Le gouvernement présente comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat l’indexation des barêmes fiscaux. Un peu gonflé, ce gouvernement ! Cette indexation des barêmes fiscaux est inscrite dans la loi. Il eut été inconcevable que le gouvernement y contrevienne. La non-indexation des barêmes fiscaux aurait été un événement, pas le fait qu’un gouvernement respecte ses engagements. Evidemment, indexer les barêmes fiscaux quand l’inflation était à son niveau plancher, comme dans les années 90 ou début 2000, n’était pas très compliqué. Ici, cela coûtera 1,2 milliard. C’est beaucoup. Mais c’est normal » (LLB, 15/10/2008).

Pour le reste, le budget fédéral 2009 s’annonce, pour reprendre la qualification du communiqué de la CSC, « douloureux ». Retenons une série d’éléments:

• inutile évidemment de chercher un plan sérieux et ample de lutte contre la fraude fiscale.

• inutile aussi de chercher la moindre remise en cause de la politique généreuse en faveur des entreprises (intérêts notionnels) ou la suppression des cadeaux aux employeurs (réductions massives de cotisations sociales).

• pas la moindre trace, non plus, d’un redéploiement de la politique fiscale. Aucune réduction ou suppression de la fiscalité indirecte (même pas sur les matières énergétiques), la plus injuste de toutes. Et naturellement pas le moindre impôt sur la fortune!

• strictement rien pour renforcer le premier pilier des pensions, ni d’ailleurs pour approvisionner le «fonds de vieillissement».

• oubli total de la problématique de la «crise environnementale».

• pas de «politique de l’énergie».

• pas de mouvement de rattrapage en faveur des allocations familiales.

• aucune mesure significative pour lutter contre le chômage.

• croissance négative des dépenses des administrations publiques. Perte de 5.000 emplois (via le non-remplacement des « départs naturels ») d’ici 2011!

• hausse des accises sur le carburant (système du «cliquet»).

• ponctions sur les entreprises publiques comme la SNCB, qui risque de les fragiliser plus.

• des taxes nouvelles (billets d’avion).

Il faut évidemment ajouter une dimension humaine, ou plutôt inhumaine: il n’y a toujours aucune avancée dans le domaine de la «régularisation des sans-papiers». Plus grave, certains (Open-VLD) ont voulu imposer un troc inquiétant : une avancée sur cette problématique contre des mesures « d’activation » des chômeurs, c’est-à-dire des mesures de réduction, voire de limitation dans le temps, des allocations de chômage. Ce marché de dupes a été finalement rejeté, mais les ultra-libéraux pourraient revenir très rapidement à la charge.

Tout ceci hypothèque également la conclusion d’un AIP, car on se demande bien quel geste pourrait faire le gouvernement, en termes de moyens financiers supplémentaires, pour mettre de l’huile dans les rouages.

Au moment ou des centaines de milliards d'€ sont mis à la disposition du capitalisme en crise pour l’aider à surmonter ses turpitudes, l’absence d’un plan de sauvetage du pouvoir d’achat est patent. Il est d’ailleurs à craindre que la crise financière serve d’alibi à des nouvelles mesures de régression sociale dans les prochains mois (car l’addition va devoir être payée par quelqu’un!).

Au cours des derniers mois, le mouvement syndical a manifesté et organisé des actions de grève, en guise «d’avertissement au gouvernement et aux employeurs». Il exigeait une «augmentation du pouvoir d’achat et le renforcement de la solidarité». Il demandait des «factures énergétiques moins élevées», une «diminution et un contrôle des prix, surtout pour les produits de première nécessité et l’énergie», des «impôts plus justes», la «fin de la discrimination fiscale des chômeurs mariés», une «diminution du précompte professionnel», «plus de moyens pour la sécurité sociale», une «plus grande intervention dans les déplacements domicile-lieu de travail, avec un traitement fiscal plus avantageux», etc. Il n’a manifestement pas été entendu!

Et il ne faut pas s’appeler Nostradamus pour prévoir que le patronat se montrera intransigeant dans les négociations pour un nouvel accord interprofessionnel, et sera peu enclin à accepter des augmentations salariales. On peut même s’attendre, au nom de la « défense de la compétitivité des entreprises » (lire: la défense des profits) à une remise en cause de l’indexation des salaires.

Il faut tirer la conclusion qui s’impose: la mobilisation doit s’intensifier dans les prochaines semaines. Le mouvement syndical ne doit pas se résigner mais élever le niveau de ses exigences. Dans l’intérêt de tous ceux et de toutes celles qu’il représente.

Voir ci-dessus