Budget 2012 : encore moins de démocratie, encore plus de «dettocratie»
Par Daniel Tanuro le Mercredi, 10 Août 2011 PDF Imprimer Envoyer

Yves Leterme, le premier ministre du gouvernement en affaires courantes, veut que le parlement écourte ses vacances afin d’entériner l’accord conclu le 21 juillet au niveau de l’Union Européenne sur la gestion des dettes  souveraines dans la zone Euro. Il s’agit de « lancer des signaux positifs aux marchés », dit-il, ce qui implique aussi de confectionner un budget 2012 conforme à la doxa néolibérale. "Il faut pour le premier janvier un budget qui respecte le déficit de 2,8%", dit Leterme. Son ministre des Finances, Didier Reynders, applaudit et en rajoute une couche : crise politique ou pas, il faut « montrer (aux marchés) qu’on est capables de prendre des décisions normalement » (La Libre, 9/8/2011).

L’accord du 21 juillet

Pour rappel, l’accord du 21 juillet prévoit un élargissement des missions du Fonds Européen de Stabilisation Financière. Le FESF pourra dorénavant aider les gouvernements à recapitaliser leurs banques, voire même prêter directement aux banques en difficultés. Sous couvert d’une participation du privé au sauvetage de la Grèce,  les banques, qui ont emprunté des sommes énormes à la Banque Centrale Européenne au taux ridicule de 1%, pour prêter à la Grèce à du 6%,  pourront se débarrasser d’une partie de ces actifs devenus « toxiques » en limitant la casse sur le dos des contribuables, moyennant une décote de 20%.

Cet accord s’inscrit dans le cadre de la « nouvelle gouvernance économique » et du « semestre européen » qui consiste en ceci que, dorénavant, les budgets des Etats membres devront être soumis à la Commission Européenne avant d’être discutés et adoptés par les parlements nationaux. La Commission veillera à ce que ces budgets respectent le Pacte pour l’Euro. En clair : l’équilibre budgétaire doit être assuré en allongeant l’âge de la retraite, en démantelant les protections sociales, en privatisant le secteur public, en réduisant le nombre de fonctionnaires, en augmentant les impôts indirects (les plus injustes des impôts), en tripotant l’index et en offrant aux investisseurs une main d’œuvre flexible, taillable et corvéable à merci.

Pas question de s’en prendre aux responsables de la crise: les banques, dont le sauvetage en 2008 a coûté la bagatelle de 230 milliards d’Euro aux Etats de l’UE. Pas question non plus de revenir sur les cadeaux fiscaux ou parafiscaux que le néolibéralisme offre aux riches et aux entreprises, depuis plus de trente ans et qui, chez nous, ont nom : précompte mobilier libératoire, intérêts notionnels, baisses des cotisations patronales, baisse du taux d'impôt des sociétés, suppression des tranches supérieures d'impôt direct des personnes (hauts revenus), taxation zéro pour les plus-values boursières et la fortune mobilière, déductibilité fiscale des titres-services indépendamment du niveau de revenu - on en passe et des meilleures… « Prendre l’argent là où il est » serait contraire au traité de Maastricht, qui définit l’UE comme « une économie de marché où la concurrence est libre et non faussée ». Les agences de notation ne le tolèreraient pas !

Dans la ligne d’Albert II

En clair, Yves Leterme et ses ministres veulent que le parlement se réunisse pour donner carte blanche au gouvernement en affaires courantes et à la bureaucratie européenne dans l’offensive contre le monde du travail, que les banques réclament à grands cris. Il n’est pas impossible que ces messieurs suivent l’exemple de Sarkozy et Berlusconi, qui demandent d’inscrire l’équilibre budgétaire dans la constitution de leur pays respectif, en le qualifiant de « règle d’or ». Mutatis mutandis, on n’est pas très loin des « pouvoirs spéciaux » grâce auxquels le gouvernement Martens-Gol, en 1982, a imposé une austérité de cheval, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Tout cela est clairement dans la ligne des injonctions royales à prendre des « mesures structurelles » pour sauver « l’aventure européenne ».

Face à la proposition de Leterme, les réactions des partis sont édifiantes.

Petit doigt sur la couture du pantalon, le président de la Chambre, le « socialiste » André Flahaut, a confirmé au Premier ministre la disponibilité de la Chambre pour réunir les commissions nécessaires à l’examen des projets de loi acceptés le 20 juillet par le conseil des ministres, une fois que ces textes seront revenus du Conseil d’Etat (Le Soir, 7/8/2011).

Le chef de groupe NVA à la Chambre, Jan Jambon a déclaré : « S’il faut effectuer du travail législatif, et cela doit se faire dans la foulée du sommet européen, alors le parlement doit prendre ses responsabilités et nous devons en effet nous réunir plus tôt pour mener ce débat. Sur ce point, je rejoins donc le Premier ministre ».  Ceci confirme notre analyse à l’occasion du discours d’Albert II pour le 21 juillet : tout en misant sur un pourrissement institutionnel, les nationalistes flamands appuieront toute mesure qui réduit les droits démocratiques et renforce le pouvoir exécutif face au monde du travail, car cela s’inscrit dans leur stratégie ultralibérale. Sur ce renforcement, en effet, les deux tendances au sein de la classe dominante sont d’accord.

On note une petite nuance entre partis sur la confection du budget 2011. Pour Leterme, elle est « de la responsabilité du formateur » (RTBF Info, 9/8/2011). Reynders lui serre la vis : « Je donne trois semaines à Di Rupo » (La Libre, op. cit.). Le chef de groupe Open Vld à la Chambre, Patrick Dewael , va plus loin : « Le mois de septembre ne peut pas être perdu », a-t-il déclaré à la VRT. « Je pense que nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre début octobre qu’un nouveau gouvernement s’attelle à la tâche. Je pense que c’est bien qu’il soit fait avant et, si le parlement est d’accord, le gouvernement sortant devrait déjà s’y attaquer. »

Di Rupo-Leterme même combat

Et les partis « socialistes »? Le chef de groupe sp.a à la Chambre, Bruno Tobback, estime que le budget 2012 doit être réalisé par les huit partis qui entameront prochainement la négociation en vue d’un gouvernement de plein exercice. « Cela me semble mieux que nous menions une négociation permettant d’arriver à un accord sur le budget qui serait ensuite approuvé par le parlement », a-t-il dit. « Cela me semble en tout cas plus sain et plus fiable que de voter une sorte de budget provisoire au parlement, en affaires courantes, et de l’adapter ensuite, trois mois plus tard, parce que les négociations gouvernementales auront mené à tout autre chose. »

En fait, il n’est évidemment pas question que « les négociations gouvernementales mènent à tout autre chose »! La note du formateur ne laisse aucun doute à ce sujet : avec ses attaques bien réelles contre les sans –emploi, contre les pensionné-e-s, contre le secteur public, contre le budget des soins de santé, elle est parfaitement au diapason de l’offensive de régression sociale qui déferle sur le Vieux Continent. A telle enseigne qu’Elio Di Rupo a proposé qu’Yves Leterme  soit associé aux négociations sur le volet socio-économique de l’accord pour la formation d’un nouveau gouvernement.

Le Premier ministre a confirmé : "Je suis en contact étroits avec Elio Di Rupo et on va se mettre d'accord sur la méthode". Celle-ci  suivra la fameuse recette du pâté d’alouettes – un cheval/ une alouette – afin de faire croire aux naïfs que « l’effort » est « équitablement réparti ». Pour ce travail d’illusionniste, on peut faire confiance au président du PS, c’est un orfèvre.

En Grèce, une excellente vidéo fait un buzz sur internet. Titrée « debtocracy » (*), elle montre en détail comment la dette permet au capital financier de déterminer la politique des Etats. La Belgique, comme la Grèce, s’éloigne toujours plus de la démocratie, fut-elle bourgeoise. La dettocratie – en clair : la dictature du capital -prend la place. Tiens : comme en Grèce, la social-démocratie est aux commandes…

(*) Debtocracy existe en version sous-titrée en français et en anglais. En ligne notamment sur le site du CADTM

Voir ci-dessus