La FGTB doit rompre avec le PS et œuvrer à une alternative politique
Par Daniel Tanuro le Vendredi, 02 Décembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

A l’heure où nous écrivons, on ne sait pas si Elio Di Rupo, deviendra le Premier Ministre d’un gouvernement néolibéral qui lancera une offensive brutale contre le monde du travail, ou si la droite prendra les choses en mains par un gouvernement d’urgence. Une chose est certaine : les travailleurs-euses ne peuvent pas compter sur le PS. Ils devront lutter durement pour se défendre. Or, il ne suffit pas de lutter: il faut un programme de revendications, une stratégie et une perspective politique. Le mouvement syndical doit élaborer son propre plan d’urgence et susciter la création d’un nouveau parti politique qui se battra pour l’imposer. La gauche syndicale doit prendre la tête de ce combat.

Le PS et le SP.a prétendent devoir assumer la rigueur pour éviter l’austérité. C’est jouer sur les mots : la note Di Rupo était déjà imbuvable, la négociation avec le MR, le VLD, le CdH et le CD&V ne peut déboucher que sur une potion encore plus infecte. C’est clairement ce qui est en train de se passer.

Le PS et le SP.a disent devoir être au gouvernement pour sauver la sécurité sociale fédérale. En réalité, sous couvert de « sauver l’essentiel », cela fait plus de trente ans que les socialistes collaborent à démanteler la Sécu, et ils se préparent  à lui porter un nouveau coup. 

Ces « socialistes » portent notamment une très lourde responsabilité dans la chasse aux chômeurs et aux chômeuses. Dès 1980 , le ministre Dewulf créait les catégories « isolé », « cohabitant » et « chef de ménage ». Ses amis Vandenbroucke et Vande Lanotte ont ensuite rivalisé d’ingéniosité pour détricoter le caractère d’assurance de la Sécu. 

Social-libéralisme

Avec ce qui se prépare, ce sera la troisième fois depuis qu’ils sont revenus au pouvoir en 1987 que les partis « socialistes » collaborent à une attaque frontale contre les travailleurs, les travailleuses (avec ou sans emploi) et leurs organisations syndicales.

En 1993, c’était le Plan Global. En 2005, c’était le Pacte des Générations. Chaque fois, le PS et le SP.a se sont tournés contre les victimes de la crise, mobilisées pour protéger leurs acquis. Avant cela, sous le gouvernement  de droite Martens-Gol, ils étaient restés « au balcon » pendant que les syndicalistes de la FGTB luttaient contre les sauts d’index. 

Cette fois, non seulement la famille socialiste négocie la formation d’un gouvernement antisocial, mais en plus elle brigue le poste de Premier Ministre. Non seulement elle accepte les règles de la compétitivité capitaliste, mais en plus elle s’aplatit complètement devant les banquiers, le FMI, la Commission Européenne et les agences de notation, qui dictent leur loi aux parlements.     

La Belgique n’est pas un cas isolé. Cela fait plus de trente ans que les PS de tous les pays gèrent la crise capitaliste sur le dos des exploité-e-s et des opprimé-e-s. Ils ont construit l’Union Européenne, cette machine de guerre contre le monde du travail. En Grèce, en Espagne, au Portugal, ils imposent une régression sociale sans pitié, qui aggrave la crise. Sans parler du dictateur tunisien Ben Ali, jadis vice-président de l’Internationale Socialiste...     

Les PS ne sont plus sociaux-démocrates, mais sociaux-libéraux. Leur politique fait le jeu du patronat et de la droite qui, tôt ou tard, pourra ainsi revenir seule au pouvoir - comme en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne... Elle fait le jeu aussi de la droite extrême, des populistes et de l’extrême-droite. Il est temps pour la FGTB de l’admettre et d’en tirer toutes les conséquences. 

Alternative politique

Premièrement, dans l’intérêt de ses affilié-e-s, le syndicat  doit rompre publiquement avec le PS et le SP.a. Anne Demelenne et Rudi De Leeuw doivent claquer la porte des Bureaux du PS et du SP.a, dont ils sont membres, et le faire savoir largement. On ne peut pas être à la fois dans la rue et siéger à la direction de partis qui affrontent la rue.

Deuxièmement, la stratégie de la pression sur les « amis politiques » n’a plus aucun sens. Il en faut une autre car, en fin de compte, le programme syndical, pour être appliqué, nécessite des décisions politiques. Dans l’intérêt de ses affilié-e-s, le syndicat doit donc œuvrer à la création d’une alternative politique. 

La FGTB est la mieux placée pour prendre l’initiative, parce qu’elle compte encore des milliers de militant-e-s et de délégué-e-s qui ont des repères de gauche – ceux de sa Déclaration de principes – et une conscience de classe. Ils et elles constituent l’avant-garde de notre mouvement ouvrier. 

Comment faire ? Il n’est pas question de transformer le syndicat en parti, ni de tomber d’une dépendance politique dans une autre. Au contraire, le syndicat doit être plus que jamais indépendant de tout parti. Mais il peut avancer un programme anticapitaliste et appeler celles et ceux qui le soutiennent à se rassembler pour le propager, dans les luttes et dans la population en général, notamment lors des élections.  

Intérêts de classe

Il ne s’agit pas de créer « le parti de la FGTB » mais de forger un levier pour l’unité, par-delà les piliers. La FGTB n’est pas la seule à souffrir de l’absence de prolongement politique: la CSC en a encore moins. En Flandre, via le Mouvement Ouvrier Chrétien (ACW), elle reste liée au CD&V. En Belgique francophone, une partie du MOC reste liée au CdH ; une autre, qui a cru trouver une alternative chez ECOLO, constate que les Verts aussi sont convertis au néolibéralisme…  

Dans les centrales chrétiennes des employés (LBC et CNE), dans certaines organisations du MOC (Vie Féminine, par exemple), des militant-e-s cherchent une alternative. L’affaire ARCO ouvre les yeux à beaucoup sur les dangers de la cogestion du capitalisme. En rompant avec le PS pour lancer une initiative politique non sectaire, visant uniquement à défendre les intérêts des travailleur-euse-s dans leur ensemble, la FGTB encouragera des fractions du mouvement ouvrier chrétien à prendre elles aussi leurs responsabilités politiques. Ce serait un tremblement de terre qui déstabiliserait toute la droite.  

Il ne s’agit pas de créer un « parti syndical ». Ce devrait être le parti non seulement des syndiqué-e-s mais aussi des sans papiers, des sans abri, des sans emploi, des sans droits. Le parti des femmes et des jeunes. Le parti de celles et ceux qui en ont assez de la marchandisation, du pillage du Sud et de la destruction de l’environnement. S’il réussit à amorcer le mouvement, ce parti gagnera une assise sociale de plus en plus large. 

Il ne s’agit pas de créer un parti au sens traditionnel - un instrument aux mains de politiciens professionnels - mais de permettre à la base sociale d’intervenir dans l’arène politique pour défendre ses intérêts de classe. Cela requiert une formation d’un nouveau type : un parti d’Indigné-e-s ; un parti-mouvement contrôlé démocratiquement ; un parti de la solidarité, refuge contre l’individualisme et l’arrivisme ; un parti de l’émancipation, digne de deux siècles de luttes sociales ; un parti de l’égalité, refusant le sexisme et le racisme ; un parti qui refusera toute cogestion du système et mettra à son drapeau la rupture avec le capitalisme, dans le cadre d’une autre Europe.  

Est-ce facile ? Non ! Mais quelles sont les alternatives ? Rester lié au PS ? C’est se couler avec lui, tôt ou tard. Se borner au syndicalisme pur ? C’est permettre à la classe dominante d’utiliser le pouvoir politique pour ramener le monde du travail au 19e siècle, en s’appuyant sur la dégradation des rapports de forces entre patrons et syndicats dans les entreprises.

Unité et radicalité

Une alternative politique digne de ce nom ne peut naître que de la lutte unie contre l’austérité. La gauche syndicale a un rôle crucial à jouer car les bureaucraties ne se battront pas jusqu’au bout. La direction de la CSC accepte que « tous doivent faire des efforts ». Cette même conception domine aussi au sommet de la FGTB. De plus, la division ronge chaque syndicat de l’intérieur : public contre privé, ouvriers contre employés, francophones contre Flamands… Sans compter les ravages du racisme, ou la coupure entre les jeunes précarisé-e-s et leurs aîné-e-s… 

Comment à la fois unifier et radicaliser le combat ? Tel est le problème stratégique posé à la gauche. Une partie de la solution réside dans le fait que la crise de la dette publique sert de prétexte à une austérité qui est imposée au mépris de toute démocratie. Or, cette dette est une arnaque ; 

L’Etat a perdu au moins 7 milliards dans le « sauvetage » en 2008 de Fortis, Dexia et Cie. Dexia vient d’être rachetée par l’Etat pour quatre milliards (trois fois sa valeur). Produits de spéculations débridées, les titres toxiques sont stockés dans des banques pourries qui ont la garantie de la collectivité. ArcelorMittal et d’innombrables entreprises  qui ont reçu des cadeaux de l’Etat mettent la clé sous le paillasson à leur guise…  

On pourrait  multiplier ces exemples. Pourquoi les travailleur-euse-s devraient-ils se serrer la ceinture pour permettre aux banquiers de continuer à s’enrichir? Pourquoi devraient-ils  s’incliner devant cette dictature de la finance? C’est inacceptable ! Indignons-nous ! Exigeons de contrôler la facture ! Imposons un moratoire sur le remboursement de la dette ! Organisons un audit syndical et citoyen de la dette publique ! Réclamons l’annulation des dettes illégitimes !

Une vaste « opération vérité » dénonçant l’arnaque de la dette : voilà, pour la gauche syndicale, le moyen par excellence pour unifier le monde du travail et l’amener, par la mobilisation, vers les solutions anticapitalistes indispensables que sont la nationalisation sans indemnité ni rachat des banques et de l’énergie, dans le cadre d’une autre Europe. 

Quand chaque victime de la crise  verra clairement que c’est pour engraisser les banques qu’elle vit de plus en plus mal et que ses enfants vivront encore plus mal, alors, les deux millions et demi de syndiqué-e-s de ce pays s’uniront en une force invincible et  leur nouveau parti se construira sur le socle de granit de leur mobilisation. 

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