Comment Magnette veut vider le bocal du PTB et de la gauche
Par Daniel Tanuro le Mercredi, 24 Avril 2013 PDF Imprimer Envoyer

« On peut faire n’importe quoi à la social-démocratie, sauf lui enlever des voix ». Cette phrase d’Ernest Mandel mérite d’être rappelée aujourd’hui. Devant le congrès du PS, ce  21 avril, le nouveau Président faisant fonction a en effet lancé la campagne électorale de 2014 avec une volonté évidente : garder le monopole de la représentation politique du monde du travail. Cela signifie concrètement deux choses : tenter de vider le bocal électoral du PTB au nom du « vote utile », d’une part, et, d’autre part, isoler et marginaliser les syndicalistes carolos qui se sont mis en tête de rompre avec la social-démocratie et d’appeler à une alternative anticapitaliste, à gauche du PS et d’Ecolo.

Colère

« Nos citoyens sont en colère, contre les multinationales qui laminent l’emploi, contre les banques, les fraudeurs, les tripatouilleurs. Utilisons cette colère », a lancé Magnette. Et de citer Jean Jaurès, qui disait que « le socialisme est le fils de la colère ». Le pauvre Jaurès doit se retourner dans sa tombe. Car de la colère, il y en a, mais du socialisme, on n’en voit pas. Le PS gère le capitalisme avec ardeur, contre les travailleurs, les peuples, les jeunes, les femmes.

Alors que les caciques du parti ne font pas mystère de leur volonté d’une alliance privilégiée avec le MR après les élections de 2014, le projet de Magnette est clair comme de l’eau de roche : dénoncer le néolibéralisme en paroles, pendant un an, pour être en mesure ensuite de… continuer à l’appliquer au gouvernement avec la droite. Sans se faire ch… avec  une opposition de gauche au parlement. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’utiliser la colère contre le capitalisme mais au contraire de la dévoyer en faveur d’une gestion toujours plus social-libérale du capitalisme.

Six pack. De gauche ?

La manœuvre est cousue de fil blanc. Le Président du PS lance la formule ronflante d’un « six pack de gauche » alternatif au « six pack de la droite». Dans le jargon européen, le « six pack » désigne les dispositions qui imposent aux Etats membres de réduire leur déficit et leur dette publique dans le strict respect de la doxa néolibérale, gravée dans le marbre du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). Il stipule entre autres que les Etats ne respectant pas les diktats budgétaires de l’UE se verront imposer une amende égale à 0,2% du PIB. C’est ainsi que la troïka a mis le couteau des mémorandums sous la gorge du peuple grec, et c’est au nom de cette logique que la Commission dénonce régulièrement le système belge d’indexation.

Or, non seulement le PS a soutenu le « six-pack », mais en plus ses parlementaires se préparent à voter en faveur du Traité sur la Stabilité, la Convergence et la Gouvernance (TSCG), qui rend  le carcan encore plus contraignant pour les pays de l’eurozone. En effet, ceux-ci sont notamment sommés d’inscrire la « règle d’or » de l’équilibre budgétaire dans leur constitution, leurs parlements étant carrément mis sous tutelle de l’UE. Ce TSCG enterre le principe de base de la démocratie bourgeoise (« no taxation without representation ») mais  les élus du PS l’adopteront le petit doigt sur la couture du pantalon.

De vagues promesses

Pensez-vous que le « six pack de gauche » de Magnette change quelque chose à cette architecture antidémocratique ? Pas du tout. Le Président du PS se garde bien de contester le despotisme européen croissant, notamment la mise sous tutelle des parlements nationaux. Il ne met pas davantage en question la définition de l’UE comme « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Tout au plus propose-t-il -de façon très vague- quelques mesures pour éviter que le néolibéralisme, en échappant complètement à toute régulation, provoque une colère populaire telle qu’elle pourrait mettre le capitalisme en danger… et déstabiliser les partis qui le gèrent.  Le sien, entre autres.

Certaines de ces mesures  ont déjà été discutées au niveau de l’UE (« une politique industrielle », « une taxation des transactions financières », « un financement de la dette par la BCE »). D’autres doivent venir à l’agenda suite à certaines révélations récentes (« la suppression des paradis fiscaux »). Cela ne signifie évidemment pas qu’elles seront appliquées…  Mais justement, en les mettant en avant, le PS ne court pas grand risque : il sait qu’il pourra toujours se cacher derrière « les pays qui ne veulent pas ».

Tromperies

Sur un point, le Président ff du PS a raison. Oui, les citoyens sont en colère contre les banques. Mais ils sont surtout en colère contre les partis politiques qui ont sauvé Fortis et Dexia  avec l’argent de la collectivité, puis récupéré cet argent  (21 milliards) en imposant des mesures d’austérité cruelles au monde du travail. Oui, les citoyens sont en colère contre les multinationales qui laminent l’emploi. Mais ils sont surtout en colère contre les partis qui ont déroulé le tapis rouge pour ces multinationales, telles que Mittal, notamment à coups d’intérêts notionnels.

« Les citoyens » - soyons plus précis : le monde du travail- sont en colère. Parce que la politique de tous les gouvernements depuis quarante ans rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres.  Parce que 7% de la population vit au-dessous du seuil de la pauvreté. Parce que les chômeuses et les chômeurs sont traqué-e-s comme si c’était eux, les « fraudeurs et les tripatouilleurs » - alors qu’il manque au moins 700.000 postes de travail dans ce pays. Et ils sont particulièrement en colère contre le PS (et Ecolo) parce que ces partis les trompent de façon éhontée en se réclamant de « la gauche » pour mener la politique de la droite.

La preuve par l’index

Il ne manque pas de culot, Paul Magnette ! Au concours de ceux qui vendent les vessies au prix des lanternes, il mériterait même le premier prix. La preuve : l’index. «On n’y touchera pas », clamait Laurette Onkelinx il y a quelques mois. On y a touché, en changeant la composition du « panier de la ménagère »… « On n’y touchera pas », a répété le Président devant le congrès.  Mais, au micro de la RTBF, il nuance : « Il y a peut-être moyen de rendre le système plus juste ». Laurette Onkelinx abonde dans le même sens : « Si on propose un meilleur système… »

Mais quel « meilleur système » ? Tout dépend des critères… Dans sa défense de l’index, le PS insiste sur le fait que le maintien –relatif- du pouvoir d’achat soutient la consommation, donc l’activité économique. Or, comme le note l’Echo, « les plus hauts revenus thésaurisent une partie du gain d’indexation, au lieu de le dépenser. On s’éloigne donc de l’objection de soutien au pouvoir d’achat. Cela pourrait justifier des formules alternatives comme une indexation plafonnée ou une indexation forfaitaire, qui renforcerait proportionnellement les bas et moyens revenus. »

Et le journal boursier d’évoquer le deal possible : « D’une part, en répondant, ne fût-ce que de manière partielle, à une demande récurrente de la Commission sur l’indexation automatique des salaires, le parti du Premier ministre renforce sa posture de négociation pour arracher des marges pour son budget, sa dette ou toute autre demande. D’autre part, les partis libéraux et le CD&V exercent une pression constante sur le sujet. À un certain moment, il peut sembler intéressant de lâcher du lest, d’accorder un demi-trophée avant de négocier le budget 2014. Il faudra, en effet, encore trouver de 3 à 5 milliards d’économies ou de recettes structurelles. Et si, au passage, ce trophée permet aux partis flamands de la majorité de mieux résister à la vague N-VA annoncée, ce n’est pas le boulevard de l’Empereur qui s’en plaindra. » Bien vu ! (L’Echo, 22/4/2013)

Une spécialité social-démocrate

Ce n’est pas la première fois que le PS prend une posture « de gauche » à la veille d’échéances électorales où il craint d’être sanctionné pour sa politique de droite… avec le risque de ne plus pouvoir participer au gouvernement. Ce petit jeu est même une spécialité de la social-démocratie. Parmi d’autres, le précédent des élections européennes de 1994 est riche d’enseignements. En donnant la tête de liste à José Happart, en permettant à celui-ci de mener une campagne ultra-personnalisée, radicale et très critique contre le PS, le Boulevard de l’Empereur réussit à écarter le danger de Gauches Unies et, surtout à sauver sa participation gouvernementale (voir l’encadré).

En ira-t-il de même en 2014, vingt ans après ? Rien n’est moins sûr. La rage accumulée contre l’injustice néolibérale est beaucoup plus importante aujourd’hui. Le discrédit de la social-démocratie également, et la profondeur de la crise réduit la marge de manœuvre que lui laisse le capital (c’est ce que montre le double discours sur l’index). Le PTB a pu capitaliser cette situation. En modernisant son discours, en améliorant son image, en soignant sa communication, il s’est construit une petite base grâce à laquelle il a percé aux communales. Ce succès contribue à élargir sa couverture médiatique et attire à lui de nombreux affiliés.

Un moustique au parlement ?

Il reste à transformer l’essai. Le PTB espère notamment pouvoir faire élire à Liège son porte-parole francophone,  Raoul Hedebouw. Ce « moustique » ferait certainement du bon travail au parlement. Cependant, l’affaire est loin d’être dans le sac. En effet, une fraction de l’électorat passé au PTB lors des communales n’a nullement rompu  avec la conception social-démocrate de la politique. Cette conception se résume dans la formule : « je vous ai compris, votez pour moi ». C’est celle de la représentation électorale par une machine parlementaire qui s’arroge le monopole du programme et des décisions politiques… et qui cantonne par conséquent les mouvements sociaux (les syndicats notamment) dans des tâches d’appui, au service du parti.

Le pari de Magnette et Cie est de regagner cette fraction de l’électorat en jouant à fond la carte du vote utile, notamment en se servant au maximum de l’épouvantail de la NVA et de la menace bien réelle que le parti de Bart de Wever fait peser, en premier lieu sur la sécurité sociale. L’appareil social-démocrate mise  pour cela sur le soutien des mutuelles et de la direction de la FGTB, dans le cadre de l’Action Commune Socialiste. Tout indique que ce soutien lui est très largement  acquis, en particulier dans la Cité Ardente. Cela contribuera à compliquer la position du PTB, dont un des soucis majeurs est justement d’apparaître comme un prolongement politique alternatif - non pas de la gauche syndicale, mais des syndicats en tant que tels, toutes tendances confondues.

Dans ce contexte, la réaction de Raoul Hedebouw aux déclarations de Magnette et Onkelinx doit retenir l’attention. Dans un tweet envoyé à la rédaction de Matin Première, lundi 22 avril, et lu sur antenne par le présentateur, Bertrand Henne, le porte-parole du PTB disait ceci : « Le PS reprend des propositions du PTB. Je suis sûr que l’entente des deux partis ira mieux dans les années à venir ». Hedebouw évoquait évidemment les mesures fiscales (impôt sur la fortune, etc.). N’empêche : on attendait un moustique plus piquant, non ?

Pas si simple

Peut-être ne s’agit-il que d’une réaction à chaud, sans concertation suffisante ? En tout cas, la réaction de Laurette Onkelinx montre bien le danger. Très habilement, la ministre PS refuse de suivre Marcourt et Mathot dans leur dénonciation du PTB comme parti « antidémocratique ». L’expérience lui a montré que ces dénonciations sont contre-productives, car le PTB est apprécié pour son travail de terrain. Du coup, Onkelinx valorise celui-ci, mais pour mieux le disqualifier : « Ce sont des aiguillons. Ils le disent eux-mêmes : ils ne sont pas là pour participer à la gestion publique, pour prendre des responsabilités. C’est nous qui sommes aux barricades contre la droite». En d’autres termes : c’est au pouvoir que les choses sérieuses se passent, l’enjeu de 2014 est capital, ne perdez pas votre voix ou vous n’aurez plus de Sécu…

On a besoin d’élus de gauche au parlement. Pour combattre l’austérité, démasquer l’hypocrisie, faire entendre la voix de celles et ceux qui souffrent, populariser leurs luttes et diffuser largement des propositions anticapitalistes. Le PTB est le mieux placé. Mais, de ce fait, il porte aussi une grande, une très grande responsabilité. Les derniers événements devraient l’inciter à la réflexion.

Nous le disons en toute camaraderie : face à la manœuvre du PS, jouer au parti « normal » qui respecte les règles de la politique « normale » et cherche le soutien des appareils tels qu’ils sont, c’est risquer à la fois de perdre le soutien d’un électorat révolté et de se couper de la gauche syndicale consciente. Car celle-ci veut plus qu’un parti pour qui voter : une stratégie alternative face à la crise capitaliste et à sa cogestion par la social-démocratie. Une stratégie à la fois sociale et politique.

Une chance à saisir

C’est dans ce sens que va l’appel lancé le Premier Mai 2012 par la FGTB de Charleroi. Les médias en parlent beaucoup moins que du PTB, mais il ne fait aucune doute que Daniel Piron est ses camarades sont également dans le collimateur de Magnette. L’enjeu, pour celui-ci, est capital - plus important que la présence ou l’absence d’un « moustique » au parlement: il s’agit pour lui de défendre l’hégémonie du PS sur le mouvement ouvrier organisé, sur les dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui sont délégué-e-s de leurs camarades sur les lieux de travail.

Magnette ne le sait que trop bien : si la base syndicale active se met à inventer elle-même une alternative anticapitaliste à partir de son expérience dans la lutte des classes, et qu’elle se met à forger elle-même un outil pour l’imposer, le déclin du PS s’amorcera. Il pourrait même, à terme, se transformer en débâcle – comme en Grèce.

Camarades du PTB, la solution est pour une bonne part entre vois mains: cessez de vous tortiller mal à l’aise face à l’initiative des syndicalistes carolos, cessez de réduire celle-ci à une Xième tentative d’unité entre petites formations de gauche radicale (il s’agit de bien autre chose), cessez de la considérer comme une bizarrerie locale. Surtout, cessez de craindre que cette initiative vous empêche de prolonger votre succès des communales. Prenez-y votre place au contraire. Nombre de militants sauront reconnaître la valeur de ce geste, car il est dans l’intérêt de la gauche syndicale et associative, bien au-delà des groupes établis. Le PTB, s’il le veut, a la possibilité de faire des propositions qui tiennent compte à la fois de son souci, légitime, de maintenir son existence, ses acquis et sa visibilité, mais aussi de la chance sans précédent qui s’ouvre de commencer, enfin, à contester l’hégémonie social-démocrate au cœur même du mouvement ouvrier organisé. Tous ensemble !


Le Plan Global et « Gauches Unies » : un précédent à méditer

En 1993, le gouvernement Dehaene, à participation PS, lance une attaque brutale : c’est le « Plan global ». Le front commun syndical riposte par une grève interprofessionnelle nationale de 24 heures, le 26 novembre. Le mouvement est massivement suivi, la paralysie du pays est absolument totale, sans aucun précédent historique. Mais le gouvernement passe outre. La colère de la gauche syndicale s’exprime notamment dans la formation du mouvement « Gauches Unies », dans lequel des délégués et responsables syndicaux  jettent toutes leurs forces. Une liste est présentée aux européennes de 1994. Emmenée par la virologue Lise Thiry, avec Isabelle Stengers comme première suppléante, des syndicalistes sans parti, des membres de la LCR et du PC, elle bénéficie d’un large écho médiatique. Le PS prend peur. Son président, Philippe Busquin, s’est battu avec José Happart pour la tête de liste. Mais Busquin s’est mouillé à fond dans le soutien au Plan Global. Or, on apprend de source sûre que le Bureau du PS a commandité un sondage discret, qui donne 4,2% à Gauches Unies… Le Boulevard de l’Empereur décide alors de jouer son joker : tant pis pour Busquin, Happart conduira la liste. Le Fouronnais mènera une incroyable campagne, ultra-personnalisée, très active, wallingante (bien sûr) et radicale, allant jusqu’à promettre les 35H sans perte de salaire. La manœuvre réussit : le score de Gauches Unies sera ramené à 1,7%... Et le PS gardera l’hégémonie grâce à laquelle, dix ans plus tard, il contribuera à imposer le Pacte des Générations.

DT


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