Le Brésil, l’Algérie et la Norvège l’ont fait. Pourquoi pas la Belgique ?
Par Olivier Bonfond* le Lundi, 15 Juillet 2013 PDF Imprimer Envoyer

Il y a quelques semaines, fin mai 2013, l’Algérie et le Brésil ont décidé d’annuler des dettes qu’ils détenaient sur plusieurs pays africains. Le gouvernement algérien a annulé des dettes pour un montant de 902 millions de dollars qu’il détenait sur 14 pays africains. Au même moment, le Brésil annonçait une annulation d’un montant à peu près équivalent (900 millions de dollars répartis sur 12 pays africains).

Ne nous voilons pas la face : aucun de ces deux pays n’a annulé par pure solidarité ou altruisme. Les intentions du gouvernement brésilien sont surtout de renforcer son implantation sur un continent qui regorge de ressources naturelles et qui est fortement « courtisé » par les autres grandes puissances économiques, dont la Chine et l’Inde.

Suite à une importante campagne d’ONG et de mouvements sociaux, la Norvège a reconnu sa responsabilité dans l’endettement illégitime de 5 pays du Sud : Equateur, Egypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone. En conséquence, La Norvège a décidé en 2007 l’annulation unilatérale et sans conditions de ces créances illégitimes, pour un montant d’environ 80 millions de dollars. Pour la première fois, un pays membre du Club de Paris(1), a admis être responsable de politiques de prêt inadéquates et a pris les mesures qui s’imposaient de manière unilatérale et sans comptabiliser les montants de dettes annulés dans son aide publique au développement pour la gonfler artificiellement.

Que cela soit pour respecter des principes de solidarité, servir des intérêts économiques ou assumer ses responsabilités, ces exemples montrent clairement qu’un pays, même un pays « émergent » ou un pays « pauvre », peut décider de manière unilatérale et souveraine d’annuler la dette d’autres pays. Une question se pose : pourquoi la Belgique ne déciderait-elle pas d’annuler intégralement toutes les créances qu’elle détient à l’égard des pays en développement (PED) ?

Les contribuables belges accepteraient-ils ? Oui. Même en période de crise où on leur demande de se serrer fortement la ceinture. En effet, les derniers sondages montrent que « près des deux tiers des citoyens belges restent, malgré la crise, en faveur du respect des engagements d’augmentation de l’aide aux pays en développement, tandis que 85% des belges et des Européens estiment qu’il est important d’aider les pays en développement(2) ».

La Belgique doit-elle le faire ? Oui. Avancer dans cette direction ne ferait que concrétiser une série d’engagements déjà pris par la Belgique. Le 29 mars 2007, le sénat belge a adopté une résolution(3) qui demandait notamment au gouvernement d’instaurer immédiatement un moratoire avec gel des intérêts sur le remboursement du service de la dette bilatérale à l’égard des PED, et d’organiser un audit de leurs dettes pour identifier la part odieuse et ensuite l’annuler. Plus récemment, Dans son accord 2011, le gouvernement belge s'est également engagé à réaliser « l’audit des dettes et à annuler enpriorité les dettes contractées au détriment des populations (4)». Or, n’oublions pas que la Belgique a prêté à plusieurs reprises à des dictatures avérées telles que le Zaïre de Mobutu, l’Indonésie de Suharto, les Philippines de Marcos, la Tunisie de Ben Ali, l'Egypte de Moubarak, le Gabon d’Omar Bongo, le Congo-Brazzaville de Sassou Nguesso, etc.

Cela coûterait-il trop cher ? Non. Le montant total des créances de la Belgique sur les PED s'élève à environ 2 milliards d’euros (5). Deux milliards d’euros, c’est presque 5 fois moins que ce qui a été injecté dans la seule banque Dexia pour la sauver de la faillite. Par ailleurs, l’effort réel ne serait pas de 2 milliards d’euros. D’une part, parce que ces créances se rachètent sur le marché secondaire à environ 25% de leur valeur nominale. D’autre part, parce que ce qui compte réellement, ce sont les montants annuels qui ne seront effectivement plus perçus par la Belgique au titre du remboursement de ces dettes. Or ces montants ne dépassent pas quelques centaines de millions d’euros. Une telle décision ne représenterait donc pas un effort financier important et ces pertes pourraient facilement être compensées par d’autres mesures, telles que le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale. Elle aurait par contre valeur d’exemple à l’heure où la Belgique, en bon soldat de l’austérité, élabore un budget qui s’assied sur ses engagements internationaux(6) : après avoir retiré 400 millions d’euros de son aide au développement pour le budget 2012, le gouvernement en remet deux couches avec 50 millions d’euros « d’économies » en 2013 et 125 millions d’euros en 2014. Enfin, cette annulation pourrait jeter les bases d’une nouvelle politique de coopération au développement dans laquelle les concepts de cohérence, justice sociale et égalité ne sont pas de vains mots.

* Olivier Bonfond est économiste, conseiller au CEPAG et auteur du livre “Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité. Editions Aden. Juin 2012


1)Le Club de Paris est le groupe formé par les 19 pays créanciers les plus riches. Il est chargé de renégocier la dette publique bilatérale des pays du sud qui ont des difficultés de paiement. Entre les créanciers de ce Club règne en général le « principe de solidarité »

2)CNCD, voir ici.

3)Source : Sénat belge ; Doc. parl., 3-1507/6, 29 mars

4)http://premier.fgov.be, ce lien 

5)2.065.920.000 euros au 31/12/2012

6)La Belgique s’était juridiquement engagée à mobiliser 0,7% de ses richesses en aide au développement dès 2010. Avec ces « économies », l’APD belge sera inférieure à 0,5% du PIB


Ce article a été publié sur le site www.lesoir.be, le 11/7/2013, ce lien.

Voir ci-dessus