La manifestation du 18 novembre: Sursaut citoyen ou nationalisme belgicain?
Par Ataulfo Riera le Dimanche, 25 Novembre 2007 PDF Imprimer Envoyer

Avec la crise politique découlant de la difficulté pour les partis de droite de composer un nouvel exécutif fédéral pour cause de «querelle communautaire», des milliers de personnes, essentiellement en Belgique francophone, arborent des drapeaux belges à leurs fenêtres. Ce dimanche 18 novembre, une manifestation très médiatisée « Pour l’unité du pays » s’est déroulée à Bruxelles. Une mobilisation «citoyenne et apolitique » représentant la « majorité silencieuse » des Belges?  Ou plutôt, en dépit de la diversité des causes poussant les uns et les autres à agir dans ces démarches, une tentative instrumentalisée par l’extrême-droite de reconstruire un nationalisme belgicain, monarchiste et rétrograde?

La journée du 18 novembre était en réalité constituée par la conjonction étroite de deux initiatives ; une « Marche nationale pour l’unité » au départ de la Gare du Nord et une « Fête de l’unité » au Parc du Cinquantenaire dans l’après-midi. L’origine de la manifestation provient d’une pétition lancée au mois d’août par Marie-Claire Houard, une fonctionnaire liégeoise dont l’initiative a été depuis lors sur-médiatisée dans la presse écrite et audiovisuelle. Son appel et ses déclarations publiques visent à « sauvegarder la Belgique » qui serait menacée par une division entretenue par la seule volonté d’une caste politicienne minoritaire et ne représentant qu’elle même. Elle nie par là qu’une majorité de l’électorat flamand à bel et bien voté pour des partis qui ont fait d’une réforme profonde de l’Etat belge leur cheval de bataille électoral.

L'appel demande également qu’on s’occupe « des vrais problèmes tels que emploi, sécurité, santé, bien-être, l’environnement, ». Mais il ne dit pas de quelle manière on doit s’en occuper ! Or, la droite néolibérale qui tente de composer actuellement un gouvernement souhaite pourtant bel et bien « s’occuper » de ces questions. Et elle a d’ailleurs déjà commencé à le faire avec les premiers accords de l’Orange-bleue qui portent tous sur ces thématiques et dans un sens très précis: contre les droits des travailleurs et leurs conquêtes sociales, par une nouvelle offensive néolibérale.

 

Apolitique?

 

S’il y a sans doute une volonté honnête derrière sa démarche personnelle, son discours mêle des accents populistes que les médias, pourtant si prompt à les dénoncer lorsqu’ils s’agit d’autres actions qui mériteraient mieux le qualificatif de « citoyen », taisent pourtant dans toutes les langues. Sa démarche constitue fondamentalement une reprise en compte du mythe du « peuple belge » par la négation du caractère bi-national du pays, de la lutte historique des peuples Wallons et Flamands. Si son action se veut « citoyenne et apolitique » on peut pourtant lire sur son site internet (1), une pleine page consacrée à chanter les louanges de la « La Royauté, ciment de notre pays ». Une action « citoyenne » soutenant un régime monarchiste qui constitue la négation même de la citoyenneté, cherchez l’erreur…

 

La pétition qu’elle a lancé a récolté aujourd’hui plus de 130.000 signatures. Rarement une telle initiative n’a bénéficié d’une aussi intense campagne de promotion : distribution dans les boîtes aux lettres et dans 4.000 librairies grâce au groupe Sud-Presse, affichage sur 2.900 panneaux publicitaires gracieusement concédés à prix réduit par l’entreprise JC Decaux, etc. Mais malgré ce battage de plusieurs mois et la dramatisation à outrance de la crise actuelle dans les médias francophones (le quotidien le plus lu, « La Dernière Heure » titrait par exemple le 17 novembre sur toute sa Une ; « Que ceux qui veulent sauver la Belgique se mobilisent ! »), la manifestation du 18 novembre n’a compté que 35.000 personnes. A titre de comparaison, la Marche Blanche de 1996 lors de l’Affaire Dutroux en avait rassemblé dix fois plus. La dernière grande manifestation syndicale d’octobre 2005 avait vu plus de 100.000 participants. Et en 2006, après le meurtre de Joe Van Holsbeeck et une couverture médiatique au moins égale que pour cette « Marche pour l’unité du pays », 80.000 personnes avaient battu le pavé de la capitale.

 

En outre, la composition linguistique de cette manifestation démolit d’elle-même l’argumentation des organisateurs selon laquelle elle représenterait l’expression de la «majorité silencieuse » des Belges, tant Flamands que francophones. En effet, 20% des manifestants – sans doute moins encore - étaient des néerlandophones alors que ces derniers représentent 60% de la population belge.

 

L’extrême droite tire les ficelles?

 

S’il est déjà assez contestable que des individus s’auto-proclament porte-paroles d’une « majorité silencieuse » aussi clairement fantasmée, le label « citoyen et apolitique » est une tromperie pure et simple. D’abord, nous l’avons déjà dit, parce qu’une manifestation publique en faveur de l’unitarisme d’un pays composé de deux peuples est déjà un choix très politique et qu’il s’inscrit dans un soutien explicite à la monarchie - les paroles et la musique de la Brabançonne ont été omniprésentes à la manifestation, tout comme les cris de « Vive le Roi !».

 

On a pu lire dans « Le Soir » que « Ce n'est pas dans les rangs de ces manifestants-là qu'on trouvera des extrémistes » (2) Vraiment ? Pourtant, une série d’organisateurs des activités du 18 novembre sont au contraire des membres ou des proches de formations politiques de droite et d’extrême droite, comme Vincent Godefroid, proche du CDF (Chrétiens démocrates francophones, scission de droite du CDH) et surtout Alain Mahiat, qui est apparu à plusieurs reprises dans les médias comme l’un des porte-paroles clé de la journée. Alain Mahiat est un dirigeant du parti «Unie » et à été à plusieurs reprises son candidat-tête de liste, notamment pour les élections communales d’octobre 2006 à Schaerbeek (3). « Unie » est une petite formation d’ultra-droite belgicaine et chrétienne-intégriste issue du BUB - Belgique-Unie-België, parti qui fut animée par Alain Escada, responsable de la Fraternité Saint-Pie X, un mouvement adepte de Charles Maurras, idéologue d’extrême droite, antisémite et monarchiste français. (4)

 

C’est ce même Alain Mahiat qui a pris l’initiative du rassemblement au Parc du Cinquantenaire le 18 novembre dernier auquel s’est étroitement associée la manifestation animée par Marie-Claire Houard. Comme il l’avait déclaré dans la presse, sa volonté était d’ailleurs de fédérer toutes les initiatives : "Nous appelons les initiateurs de la pétition pour l'unité de la Belgique, les syndicats de la pétition flamande afin que le 18 novembre soit la journée de chute de l'ensemble de ces initiatives." (5).

 

Certes, les motivations des personnes qui arborent un drapeau belge à leur fenêtre ou qui ont participé à la manifestation du 18 sont bien entendu diverses et on ne peut absolument pas les mettre dans le même sac : pour certains il s’agit d’exprimer leur lassitude et leur rejet des « querelles politiciennes communautaires » qui paralysent le pays, pour d’autres la crainte qu’un éclatement de la Belgique n’entraîne une dégradation des conditions de vie, sentiment renforcé, on l’a dit, par le fait que les médias francophones dramatisent à outrance la crise actuelle en la présentant comme le prélude à la disparition rapide du pays. Mais pour bon nombre de ces personnes et des courants organisés qui surfent sur ces sentiments, il s’agit bel et bien d’une adhésion et d’une promotion d’une Belgique unitariste, rétrograde, monarchiste, voir ultra-chrétienne. Si la manifestation initiée par Marie-Claire Houard spécifiait son attachement « à une Belgique multiculturelle et tolérante », cela ne l’a pas empêchée – par ignorance ? - de s’associer à la « Fête de l’unité » au Cinquantenaire organisée par les dirigeants d’une formation d’extrême-droite qui prône notamment le rejet des musulmans et l’assimilation forcée à une prétendue « culture » et « identité » belges.

 

Les organisations syndicales et leur initiative-pétition « Sauvons la solidarité » ont donc sagement agi en refusant de s’associer et de mobiliser pour la journée du 18 novembre. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas de certaines forces de gauche qui, comme le PTB, ont cru bon, par aveuglement ou par souci de « coller aux masses », d’appeler à participer à un tel rassemblement.

 

Le mouvement ouvrier doit entrer en action!

 

Selon nous, au contraire, l’unité des travailleurs et la défense de leurs conquêtes sociales communes ne passe pas par la défense des institutions d’un Etat bourgeois unitaire et monarchiste. S’il faut combattre une régionalisation plus poussée sous direction d’une bourgeoisie flamande qui souhaite par là radicaliser l’offensive néolibérale, on ne voit pas bien en quoi la défense d’un Etat unitariste, qui est lui aussi un instrument de la bourgeoisie pour mener ces mêmes politiques, serait d’un quelconque avantage. Il ne faut semer aucune sorte d’illusion là dessus. Il faut au contraire d’une part combattre sans concession les courants réactionnaires, monarchistes et d’ultra-droite qui profitent de la crise actuelle pour tenter de renforcer un nationalisme belgicain rétrograde et lutter d’autre part de manière pédagogique contre les confusions que des travailleurs peuvent entretenir à partir de leurs préoccupations.

 

Dans ce sens, il est regrettable que la seule mobilisation de rue un tant soit peu significative qui ait eu lieu jusqu’à présent soit celle du dimanche 18 novembre. Les directions syndicales ont loupé le coche et laissé le terrain libre pour ce genre d’initiatives où la confusion et l’instrumentalisation par des forces réactionnaires règnent. Mais il n’est pas trop tard. La FGTB a organisé le vendredi 16 novembre dernier un rassemblement de 2.500 militants syndicaux au Heysel tandis que la CSC en rassemblait 500 autres dans les rues de Charleroi pour exprimer leurs inquiétudes quant à la hausse des prix et aux mesures anti-sociales annoncées par l’Orange-bleue. C’est un premier pas, mais il est tardif et insuffisant. Seule l’initiative rapide d’une mobilisation nationale en front commun pour la défense et l’extension des conquêtes sociales peut redonner une perspective claire aux travailleurs, dissiper toute illusion et couper l’herbe sous le pieds aux courants nationalistes et réactionnaires de droite, belgicain ou régionaliste.

 

(1) http://www.e-monsite.com/belgiebelgiqueunie/rubrique-1095162.html

(2) Interview de François Ost, Le Soir 19/11/2007

(3) Source: www.resistances.be et www.unie.be

(4) http://www.tbx.be/fr/ElectionsCandidat/2594/app.rvb

(5) La Dernière Heure, 17/10/2007

Voir ci-dessus