Bombes à retardement et néo-ouvriers – Un autre regard sur les événements à Borgerhout
Par Samira Azabar le Vendredi, 28 Septembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

Ces derniers jours, les commentaires de musulmans "modérés" sur les émeutes de Borgerhout et à propos de Sharia4Belgium comme foyer d'extrémisme n’ont pas manqué. Plusieurs musulmans ont pris leurs distances des charia-clowns barbus et ont montré du doigt en différentes directions.

Un autre musulman barbu (Nordine Taouil) est  apparu, à l’émission « De Kruitfabriek » à la chaîne de télévision Vier, tel un gamin de dix ans venu se justifier devant son directeur. « Pourquoi est-ce que ça tourne encore mal à Borgerokko? » « Pourquoi ces jeunes musulmans allochtones sont-ils si agressifs et intolérants? ». Encore une fois, une pluie d’excuses. Et Taouil a fait la promesse qu'il ferait de son mieux pour maîtriser ces jeunes. Comme s’il avait les outils du changement dans un placard à la maison. De la part de Taouil, je ne m'attendais à grand-chose. Probablement l'homme est-il traumatisé par le souvenir des services de sécurité, peut-être la peur d’une récidive a-t-elle pris le dessus sur la pensée critique.

D’ailleurs, n'est-il pas bizarre que quelqu'un qui était autrefois une menace pour notre démocratie (il était selon les services de sécurité le chef d’une branche islamique conservatrice salafiste-wahabite) se retrouve soudain mobilisé pour tenir en bride ces jeunes extrémistes?

Prises de bec

Taouil avait déposé une plainte contre ceux qui l’avaient « menacé ». Ils l'ont traité de toutes sortes de noms d'oiseau. Dans mon dictionnaire, ça signifie concrètement « insulter ». Mais les médias n’ont pas trouvé cela suffisamment attractif. Imaginez un titre de presse du genre : « Des extrémistes insultent des musulmans marocains pour les avoir critiqués ». Pas assez juteux hein? Meyrem Almaci (Groen!) a aussi été « menacée » par des « extrémistes ». A titre d'exemple, elle a montré un message qui dit qu'elle devait retourner dans son pays. Ne sommes-nous pas tous les jours "menacés" en tant que musulmans par le Vlaams Belang qui ne veut rien de plus que nous retournions dans notre « propre pays» ? Turtelboom n’a-t-elle pas menacé le "chef de charia" quand elle a voulu le chasser vers son « propre pays »?

On pourrait croire que Meyrem Almaci (Groen!) serait en mesure de faire une analyse sociale, en tant que politicienne, mais aussi en tant qu'universitaire. Pourtant, rien n'est moins vrai, elle aussi a participé avec enthousiasme au discours culturaliste qui a prévalu. Entretemps, Wouter Verschelden (De Morgen) a continué à crier qu'aucun musulman modéré n’avait pris distances avec ces jeunes musulmans. Alors que, dans le studio, il y avait pourtant deux musulmans "modérés" qui ont fait leur mea-culpa.

Les musulmans anversois

Qu'est-ce qui fait donc que les musulmans anversois engagés prennent leurs distances d’un extrémisme qui n’existe pas? Qu'est-ce qui fait qu'ils manquent du culot pour placer les événements dans leur contexte et faire le bilan des injustices? L'image des musulmans au regard du monde extérieur est-elle si importante à tel point que nous sommes prêts à participer au discours dominant, au détriment de l'avenir de jeunes gens vulnérables?

Manifestement, nous vivons dans un contexte islamophobe et les musulmans s’en sont conformés. Personne ne critique - dans ses écrits - la façon dont les médias ont rapporté les émeutes alors que, à même pas un mètre de là, il y avait un défilé de géants avec Fatima la Géante et plus de 20.000 spectateurs. Apparemment, cinq jeunes en colère qui brûlent un drapeau à cause de l'offense à leur prophète et à la communauté musulmane sont plus intéressants. Ce n'était pas seulement la question du film  anti-islam "Innocence of muslims" qui, entre nous, ne ressemble à rien. Ces jeunes ont voulu marquer un point : ils en ont marre d’être continuellement exclus et humiliés par la société occidentale qu'ils considèrent aussi comme la leur.

Borgerhout

Borgerhout est peut-être l'un des quartiers les plus densément peuplés, les plus diversifiés et le plus pauvres d’Anvers. Évidemment, cela entraîne des tensions, qui ne deviennent excessives que lorsque le conseil communal de la ville d'Anvers échoue dans sa mission première, à savoir la prise en charge des citoyens d'Anvers. Et c'est justement le cas. Les jeunes Borgerhoutois  sont exposés sans relâche au racisme et à la discrimination, dans leur quartier, au travail, dans les médias, ... Ils vivent dans des blocs  sociaux et la grande majorité d’entre-eux est confrontée à la pauvreté. Ce sont des bombes à retardement qui exploseront de temps en temps et nous en subirons tous les dégâts, en tant que société, si nous n'intervenons pas. Cependant, la recherche sociologique est à ce sujet claire: plus il y a d'inégalités, plus il y a d'agressivité, de délinquance, de dépression, de maladie, ... Le remède est simple: l'élimination des inégalités existantes. Mais il est ô combien coûteux dans le contexte néolibéral actuel.

Je me distancie, tu te distancies, il se distancie ...

Le bourgmestre ne serait-il pas honoré en se démarquant du film anti-islam, comme l’a fait Martin Schultz (président du Parlement européen). Au lieu de cela, il a fait appel aux forces de sécurité pour réprimer sévèrement. N'aurait-il pas été plus approprié que quelqu'un - n'importe qui - se distancie de la police qui a manifestement durement sévi en utilisant au hasard  matraques et gaz poivre contre des mineurs? Ou que quelqu'un se demandé pourquoi 230 jeunes (dont un enfant de 7 ans) ont été arrêtés alors que 50 seulement ont participé à la manifestation ? Toute personne dans les parages avec un teint, une barbe, ou un habit long a été arrêtée pour suspicion de trouble à l'ordre public (lire extrémisme). Pourquoi l'Exécutif des Musulmans ou autres « représentants des musulmans » n'ont-ils pas réagi lorsque des jeunes - au cours de l'interdiction de rassemblement – ont été presque enlevés par la police parce qu'ils étaient trois à attendre un tram, ou parce qu'ils sont barbus et portent une djellaba en se rendant à la mosquée? Comment peut-on se regarder encore dans la glace lorsqu’on leur a tourné l’autre joue à ce moment-là?

Pourquoi parlons-nous d'extrémistes tout court  seulement quand il s’agit des musulmans comme si l'islam était un brevet d'extrémisme? A-t-on jamais appris de l’émission Ter Zake ou ailleurs que nous devrons « tenir en bride » les Vlaams-Belangers ? A-t-on jamais demandé aux dirigeants de parti de venir justifier comment il est possible que le Vlaams Belang reçoive toujours sa dotation - même après avoir été condamné pour racisme? Pourquoi les autres partis ne se démarquent-ils pas du racisme manifeste dans notre société, au lieu de le glisser sous le dénominateur commun de la liberté d'expression? Ces principes et droits ne sont-ils valables que pour un petit club trié sur le volet? Mais plus encore: pourquoi les musulmans continuent à se rabaisser jusqu'au statut du néo-ouvrier immigré dans une société qui est aussi la leur?

Samira Azabar est sociologue et activiste anversoise

Traduit du néerlandais par Rafik Khalfaoui

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